Alors utilise ta voix

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Alors utilise ta voix
« Alors utilise ta voix » de Tiphaine Caré.
Le visage d’une jeune fille. Des yeux bruns, profonds et brillants, surmontés de
sourcils foncés, recouverts d’une légère couche de mascara. Plutôt ordinaires. Inquiétants
peut-être ? Même pas. Un nez, assez grand, mais pas excessivement. Rien qui ne défie la
chronique. Des lèvres minces, pincées, trahissant une concentration extrême. Plus jolies
si un peu plus pulpeuses, mais pas hideuses non plus. Des joues sans taches de
rousseur, un peu plus foncées que le reste du visage. Difficile de faire plus banal. Un peu
ronde peut-être ? Non pourtant. Des dents blanches, bien alignées. Rien à dire ici non
plus. Disparaissant à l’intérieur de la veste crème, des longs cheveux noirs, légèrement
ondulés. Pas de fourches, pas de pellicules ou de saleté. Une peau lisse, vide de tout
bouton d’acné. Pas d’asymétrie, si l’on excepte la raie sur le côté. Pas de tâches de vin.
Pas de cicatrices, de marques quelconques.
Nulle part dans ce visage, rien d’effrayant. Rien de repoussant. Rien de
désagréable. Rien de laid.
Rien d’extraordinaire.
Alors pourquoi ?
La jeune fille dans le miroir me fixe. Je me fixe.
Pourquoi ? Qu’y a t-il en moi, qui soit si terrible ? Pourquoi suis-je toujours rejetée ?
Pourquoi dois-je toujours rester à distance ? Pourquoi ne puis-je jamais être intégrée avec
les autres filles au collège ? Pourquoi ces regards, ces messes basses sur mon passage ?
Il y a tant à dire sur moi ? Que leur ai-je fait, à tous, pour qu’ils me méprisent ainsi ? Peutêtre est-ce ce que je dis, qui les dérange à ce point ? Ce serait pour cela que personne ne
me laisse jamais parler ? Mais qu’est ce qui peut les pousser à me rejeter ainsi ? Dans le
peu de mots qu’ils me laissent prononcer, lesquels sont responsables de tant de haine ?
Mais non. Au fond, je sais très bien que ce ne sont pas mes mots, ni mon
apparence, qui les repoussent ainsi.
C’est tout simplement ce que je suis.
-Maria !! Reviens par ici, le repas ne va pas se faire tout seul !
La voix de mon père claque dans le silence du coin de notre terrain. Je soupire,
range mon miroir de poche dans mon sac, et me dirige rapidement vers notre campingcar. Je n’aime pas le dimanche, c’est le jour où j’aurais le plus de temps pour moi, mais
durant lequel je dois tout faire ; ménage, lessive, repas … Ma mère en profite pour passer
la journée avec Karine, Sophia, Suzy, et les autres commères du terrain, à dire tout le mal
qu’elles peuvent des nouveaux arrivants et des gens de la ville, les sédentaires. Quant
aux trois petits, ils ont bien le droit à une journée tranquille, les pauvres. Quant à mon
père, inutile d’y penser ; les hommes ne s’occupent pas des tâches domestiques.
Et surtout, qui dit dimanche, dit lundi, qui dit lundi, dit collège. Et s’il y a bien un
endroit où je déteste me trouver, c’est là. J’en change tous les mois environ, mais même si
les bâtiments ne sont jamais les mêmes, les élèves et les professeurs sont tous
identiques.
Quelqu’un comme moi, pour eux, ça a plusieurs noms : gitane, rom, tzigane,
manouche, romanichelle … Plusieurs noms mais une seule définition : fille étrange,
ignorante et voleuse. À garder à distance.
L’eau bout dans la casserole. Je verse les pâtes rapidement. Il faut que je me dépêche,
maman et les petits vont arriver. Je ne sais pas où est papa, mais il ne va sûrement pas
tarder non plus. Je sors les assiettes, mets la table, tout en surveillant le gaz du coin de
l’oeil. Il faut encore que je coupe les tomates, les betteraves, et que je récupère le plat au
fond du placard.
Lorsque tout le monde s’assoit à table, je finis juste de tout préparer. Je fais le tour
des assiettes, sers mon père, ma mère, Lili, Anita et Tony. Ils sont tous les trois encore
rouge, et un grand sourire traverse leur visage. Je m’assois à mon tour, et demande à
mes frère et soeurs :
- Alors, vous avez bien joué ?
- Ouiii, c’était trop bien, on a joué aux chevaux avec Marvin et Zoé, Marvin faisait le
cheval, et moi j’étais sur le dos, et je criai hu dada ! décrit Tony, du haut de ses six ans.
Et après il courait trop trop vite, Lili et Anita pouvaient plus du tout me suivre !
Les jumelles, âgées de neuf ans, échangent un regard.
- C’est normal, Marvin est très grand, il a plus de dix-huit ans, comment tu veux qu’on le
rattrape ? s’énerve Anita.
- Et on vous a quand même fait tomber en vous chatouillant à la fin ! ajoute
malicieusement Lili.
- J’ai même pas tombé fort ! Et j’ai pas eu mal du tout ! proteste vivement mon petit frère.
- Ah bon, tu avais les yeux mouillés après pourtant !
- Même pas vrai ! T’es une menteuse, j’ai pas pleuré d’abord !
- Si si, je t’ai vu aussi !
- Non, vous êtes méchantes, j’ai pas pleuré !
- Peu importe ! coupe mon père. Arrêtez de vous disputer pour des choses aussi ridicules
! Nous sommes à table, il est temps de manger. En plus, vous devez aller à l’école
demain.
- Moi j’aime pas l’école, grogne Tony.
- On ne te demande pas d’aimer ça, intervient ma mère. Juste d’y aller. Maria, tu apportes
l’eau, tu l’as encore oubliée !
La sonnerie retentit alors que j’atteins juste les grilles du collège. Heureusement, j’y
suis depuis déjà deux semaines, je connais les lieux. La cour est déjà presque vide
d’élèves, mais je sais où se trouve ma salle. Je me dépêche. Heureusement, la classe
n’est pas encore rentrée. Au moment où je me mets le long du mur, pour attendre le prof,
j’entends :
- Et bien si, elle est là en fait … faux espoir.
Je garde les yeux baissés et fais celle que cela ne touche pas. Mais au fond de
moi, cette phrase résonne douloureusement.
Je rejoins ma place, tout au fond. Devant moi, une fille, qui doit s’appeler Déborah,
a déjà sorti ses affaires et attend. Sa voisine n’est pas encore arrivée.
- J’aime bien ton haut, tente-je timidement. Il est beau, où tu l’as eu ?
Elle se tourne vers moi, me lance un regard qui me pétrifie, et lâche, d’un ton où se mêlent
surprise et mépris :
- Merci. Je l’ai eu pour mon anniversaire.
Et elle se retourne illico vers le tableau, réduisant tous mes espoirs de pouvoir parler un
peu à néant.
La récréation. Moment autant attendu que redouté.
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Attendu, car les cours me paraissent durer une éternité, et je déteste rester assise
trop longtemps. De plus, je ne vois pas l'intérêt de connaître la vitesse de la lumière ou les
noms d’hommes morts qui n’ont rien fait d’autres que d’écrire des livres inintéressants.
Redoutée, car je sais que je ne suis pas la bienvenue dans les conversations. Que
quoique je dise, il y aura au moins une personne à lever les yeux au ciel, détourner le
regard, ou changer de sujet.
Aujourd’hui, je suis avec un groupe de trois filles et deux garçons, Sarah, Pauline,
Amélie, Éric et Quentin si je me rappelle bien. Je crois que ce sont ceux qui me détestent
le moins dans la classe, enfin, c’est l’impression que j’en ai. De toute façon, on ne peut
pas dire qu’ils m’adorent non plus.
Je les suis dans la cour. Ils commencent à parler d’un film qu’ils sont allez voir le
samedi ensemble.
- Vous vous rappelez, quand il lance la poupée vaudou de la falaise ? La tête qu’il tire !
- Oh oui, mais c’était juste excellent, je tenais plus sur mon siège, au début, dans le
château, tu te souviens ? C’était trop bien !
- Avec la grenouille aussi, «Oh !!! Pauvre grenouillette !»
- À la fin aussi c’est pas mal, quand il part de l’île !
- Ah oui, «Il n’y a qu’une seule balle, tu viens de la gâcher !»
- Et vous savez, quand il tape les deux calices … et que ça marche pas alors il
recommence !
- Le gros blanc après, juste énorme !
- Et la sirène l’a mangé je vous dis !
- Mais non, ils l’ont dit, un baiser de sirène peut rendre un homme immortel !
- Qu’est-ce que vous êtes allés voir ?
Un silence pesant s’installe alors. Les deux garçons échangent un regard, l’air de se
demander pourquoi ils ne m’envoient pas voir ailleurs directement. Sarah tourne la tête,
Amélie me regarde comme si j’étais une débile profonde avant de lancer :
-Pirates des caraïbes, le nouveau.
- Ah, il y en avait un autre avant ?
- Mais t’es inculte ou quoi? rétorque violemment Pauline. C’est le quatrième, tous les gens
normaux connaissent ça !
Sa remarque me fait l’effet d’un coup de poing. Je me sens terriblement vexée, au
bord des larmes. Je les entends continuer leur conversation, mais aucun mot n’atteint
vraiment mon cerveau ; il se débat déjà avec les derniers prononcés par Pauline.
Tous les gens normaux connaissent ça. Tous les gens normaux connaissent ça.
Tous les gens normaux. Les gens normaux. Les gens normaux …
Je n’arrive plus à réfléchir. J’ai l’impression que le monde vient de me tomber
dessus. Je sens que je vais craquer et pleurer. Je relève la tête, bafouille que je dois aller
aux toilettes et m’en vais en dissimulant mes larmes.
Aucun ne m’accorde ne serait-ce qu’un semblant de coup d’oeil.
Les cours sont enfin finis. Je marche vers le terrain le plus vite que je peux. Je dois
m’éloigner à tout prix de ce collège, quitter ce monde de monstres.
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Personne ne s’est inquiété de la cause de mes yeux gonflés et rougis. J’ai
demandé aux deux filles devant moi si elles avaient un mouchoir. Elles se sont regardées,
l’une a écrit quelque chose sur le cahier de l’autre.
Aucune ne s’est retournée.
Un peu plus tard, j’ai levé la main pour répondre à une question posée par le prof. Il
m’a fixé avant de répondre sèchement :
- Non, pas du tout ! Réfléchis un peu !
J’arrive au terrain. Au moment où j’y pénètre, une dame passe près de moi. Je lui
adresse un timide bonjour. Elle me jette un regard froid et hautain, avant de repartir le
menton levé, ses talons claquant au sol, comme le mépris qu’elle n’a pas exprimé à voix
haute mais que ses yeux ont trahis claquent en moi.
Je lance mon sac dans le camping-car avant de m’isoler dans le coin du terrain. Je
m’assois sur la planche qui y traîne et fixe mes mains, pensive. Me revient en tête la
chanson que me fredonnait ma mère, quand j’avais à peu près l’âge de Tony :
Quand la tourmente te guette,
Que le malheur te suit,
Petite, relève la tête,
Et cherche la personne qui te sourit.
Plonge dans les cieux,
Laisse ton esprit s’égarer.
Tu finiras pas retrouver
Le bonheur devant tes yeux
Si personne ne voit tes larmes
Alors utilise ta voix.
Contre le mal en toi,
Elle sera ta plus puissante arme !
Quand la tourmente te guette
Que le malheur te suit,
Petite, relève la tête,
Et cherche la personne qui te sourit.
…
Mes lèvres laissent échapper la chanson. Elle m’entoure, me réconforte. Je sens
peu à peu la colère et la tristesse me quitter. Je ne pense plus à ma journée, aux
remarques et regards blessants. Je chante et je me sens sereine, apaisée. Ma voix monte
dans le terrain, je ferme les yeux. Je me laisse doucement aller et perds la notion du
temps.
Encore une journée qui s’annonce interminable. Alors que j’arrive seulement en vue
du collège, je redoute déjà les autres. Leurs réactions, leurs remarques. Leurs regards
surtout.
Je repère rapidement des gens de ma classe, mais la sonnerie retentit, et tout le
monde s’engouffre à l’intérieur des bâtiments. Je suis le troupeau.
Devant la classe, la majorité des élèves se colle au mur. Encore un peu endormie
et fatiguée, je cherche à m’y appuyer moi aussi. Le seul espace encore disponible est
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entre un extincteur et un garçon de ma classe ; impossible de m’y mettre. Timidement, je
lui demande :
- Excuse-moi, est-ce que tu pourrais juste décaler un petit peu ?
Il se retourne alors vers moi, un sourire aux lèvres, qui disparaît dès qu’il se rend
compte que c’est moi qui lui parle.
- Non, tu vois, je suis bien ici. T’as qu’à aller plus loin ! lance-t-il dédaigneusement. Le
couloir long !
Je tourne les yeux, et reste plantée là. Je n’ai pas envie de le contenter en allant
m’appuyer à l’autre bout du couloir.
Cela fait déjà quelques minutes que le cours aurait dû commencer, mais nous
attendons toujours la prof dans le couloir.
Je ne l’ai vu que deux fois, mais elle m’a tout de suite paru antipathique. Elle crie
beaucoup, pour pas grand chose. Et si elle semble ne pas tellement aimer ses élèves,
c’est encore pire avec moi. Ses yeux froids se réduisent à deux fentes lorsque qu’ils se
posent sur moi.
Je lance, assez fort :
- Oh, si seulement elle n’était pas là ! Je ne peux plus la voir !
Pas un ne se tourne vers moi. J’en vois certains lever les yeux, ou se tourner vers
la personne à côté d’eux. Puis ils continuent leurs conversations exactement comme si je
n’avais rien dit.
La prof finit par arriver et nous entrons tous dans la classe. Je m’assieds sur ma
chaise avec un soupir de soulagement. Ma voisine me jette un regard peu amène avant
de se tourner vers le tableau.
- Le cours a commencé, alors cessez vos bavardages ! crie la prof d’une voix qui se veut
convaincante.
Si seulement … mais de toute façon, aucun autre élève ne veut me laisser parler
avec lui.
Après tout, une manouche, c’est une bête tellement étrange. On ne sait jamais, elle
pourrait mordre ! Et de toute façon, une fille qui n’a pas de maison fixe, comment voulezvous qu’elle dise quelque chose d’intelligent ? Non non non, ce n’est même pas
imaginable, une gitane, voyons ! Elle ne peut pas réfléchir, ni avoir une conversation
sensée !
Et après tout, ce sont tous des voleurs. Tous ! Filles, garçons, enfants, vieillards …
on ne peut faire confiance à aucun de ces gens-là. Ils sont tous mauvais, pourris jusqu’à
la moelle ! Ils n’ont pas de compassion, d’ailleurs, ont-ils vraiment des sentiments ? Ils se
rapprochent plus de l’animal que de l’homme. Il faut les éviter, les chasser, leur faire
comprendre une bonne fois pour toutes qu’on ne veut pas de cette vermine par chez
nous.
Les talons hauts de la prof passant dans la rangée me ramènent dans la classe. Je
prends conscience qu’une feuille a été posée sur ma table. Je commence à lire :
SÉQUENCE CHANT : En apesanteur, Calogero
Du chant ! Peut-être que l’heure passera vite finalement. J’aime beaucoup cette
chanson, on l’entend souvent en ce moment, je la connais presque par coeur. Je baisse
les yeux vers les paroles.
Je suis fatiguée et repense aux autres qui m’ignorent ou me rejettent. Il faut que je
me calme. Je ne connais pas de meilleur moyen que la musique.
Je fredonne doucement la chanson dans ma tête.
tout se mélange…
Je ferme les yeux.
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en apesanteur…
Je me sens si bien.
pourvu que les secondes soient des heures…
Je ne suis plus dans la classe, la chanson m’a emportée.
pourvu que rien n’arrête le voyage…
Elle monte peu à peu dans ma tête.
en apesanteur…
J’ai l’impression que mes lèvres suivent la mélodie dans ma tête.
j’arrive à me glisser…
Le dernier refrain arrive. Je rouvre les yeux.
Toute la classe me fixe, bouche bée. Je me rends alors compte que je chante
vraiment, pas seulement dans ma tête. Je reste figée quelques secondes. Personne ne
bouge. Le silence a pris possession de la salle. Même la prof a perdu ses mots.
Je continue alors timidement :
- …en apesanteur … inhaaaa aah aah aaaah, pourvu que les secondes soient des
heures … inhaaaa aah aah aaaah, en apesanteur … inhaaaa aah aah aaaah, pourvu
qu’on soit les seuls … dans cet ascenseur …
Je regarde droit devant moi. Je n’ose plus bouger. J’attends les premiers coups.
Un claquement de mains retentit. Aussitôt suivi d’un deuxième, puis de trois,
quatre, dix, vingt autres. Je détourne mon regard du tableau. Amélie, Sarah et Quentin
sont debout, applaudissant à tout rompre, comme le font les autres. La prof s’approche de
moi et me souffle, émue :
- C’était magnifique Maria. Ta voix est splendide.
J’ai du mal à en croire mes yeux et mes oreilles. Pour la première fois, au collège,
ce qui est sorti de ma bouche n’a fait fuir personne, au contraire. J’ai réussi à m’exprimer,
sans recevoir aucune remarque blessante, sans me faire rabaisser, sans me prendre
aucun regard de travers … Est-ce possible ? Personne ne m’ignore, tout le monde
m'applaudit… je crois rêver.
Et pourtant non, c’est bien la réalité. Je repense alors à la chanson de ma mère :
Si personne ne voit tes larmes
Alors utilise ta voix.
Contre le mal en toi,
Elle sera ta plus puissante arme !
« … et nous accueillons ce soir Maria Raziko, plus connue sous le nom de Cali, son
nom de chanteuse. Bonsoir Maria !
- Bonsoir ! Merci beaucoup de m’avoir invitée sur votre plateau, c’est un grand plaisir !
- Tout le plaisir est pour nous ! Alors, pouvez-vous nous dire ce qui vous a poussée à
devenir chanteuse ?
- Eh bien, cela m’est venu assez tard, je devais avoir autour de quinze ans. Pour
commencer par le commencement, je suis originaire d’une famille de gitans. Et vous
savez, nous n’avons pas vraiment bonne réputation. J’avais toujours du mal à m’intégrer,
j’étais pas mal méprisée. Je ne garde pas de véritables bons souvenirs de cette période.
Au collège, on me répondait mal, ou on m’ignorait quand je parlais, c’est très dur à vivre
ce genre de situation. Vous finissez par vous demander ce que vous faites là, et surtout,
pourquoi vous êtes rejetés de la sorte. Je me rappelle m’être demandé plusieurs fois ce
qui n’allait pas chez moi. Je me disais qu’être manouche ne pouvait tout de même pas
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être la seule raison de tant de rejet. Quand je disais quelque chose, j’étais soit ignorée,
soit rabaissée. J’avais décidée, un moment, de ne plus parler, mais c’était impossible.
On ne s’en rend pas forcément compte, mais s’exprimer et voir les autres vous écouter
est indispensable au bien-être. Imaginez juste un instant que dès que vous ouvrez la
bouche, on vous jette des regards méprisants. Ce n’est pas supportable.
Un jour, en cours de musique, j’ai chanté «en apesanteur», de Calogero. Tous les
autres sont restés immobiles, muets, et m’ont applaudie. J’avais toujours beaucoup aimé
chanter, ça m’apporte un sentiment de plénitude incroyable, aujourd’hui encore. Ce jourlà, de voir tous ceux qui m’ignoraient, ou me rejetaient et finalement de me féliciter, cela
m’a procuré un bien fou. Et quand j’étais petite, ma mère me chantait une chanson, dans
laquelle il était dit que notre voix était la meilleure arme contre notre mal-être. J’ai compris
à ce moment-là que c’était vrai, et j’ai décidé de devenir chanteuse, de faire entendre ma
voix, pour qu’on m’écoute. Et l’aventure a commencé.
- On peut dire que votre histoire sort de l’ordinaire. Aujourd’hui, vous avez vingt-et-un ans,
et votre premier album sort lundi prochain. Pouvez-vous nous rappelez le nom que vous
lui avez donné ?
- C’est un album dans lequel je parle de mes origines. Alors j’ai choisi comme titre :
«Écoutez-nous»
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