Le mythe de la ghettoïsation dans le Canada urbain et
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Le mythe de la ghettoïsation dans le Canada urbain et
Le mythe de la ghettoïsation dans le Canada urbain et le ghetto français Résumé par Kamal Dib et Bharathi Sriraman Introduction On assiste à la naissance au Canada d’un discours sur l’isolement des minorités visibles et le développement d’enclaves, caractérisées par des groupes culturellement et économiquement marginalisés. Il s’agit d’un discours hautement exagéré, car nous ne possédons que peu de preuves réelles et scientifiques de ghettoïsation au Canada. Même s’il existe une somme croissante de documents de recherche où l’on s’inquiète de la marginalisation économique et spatiale grandissante des immigrants et des groupes minoritaires, le type d’isolement et de malaise social extrêmes qui caractérise la banlieue française n’existe pas encore au Canada. Même si l’on sait, grâce à des recherches commandées par le ministère du Patrimoine canadien, que les ghettos, tels qu’ils sont définis, n’existent pas dans les villes canadiennes, le mythe de leur existence persiste dans un certain discours public. Ce discours fait la confusion entre enclaves ethniques, qui est un phénomène canadien historique, et l’état de division et d’isolement des gens qui est la caractéristique des véritables ghettos. Le problème des concentrations ethniques de minorités visibles est passé à l’avantscène à la suite des émeutes parisiennes. Toutefois, d’après la recherche, les enclaves ethniques au Canada n’ont que très peu en commun avec les ghettos français. En contraste avec les quartiers à très forte ségrégation de France, la répartition des minorités visibles/ethniques dans les trois plus grandes villes canadiennes, à savoir Toronto,Vancouver et Montréal, se caractérise par la concentration et la dispersion. Il ressort de notre analyse que les immigrants et les membres des groupes de minorités visibles représentent une part disproportionnée de la population à faible revenu dans ces trois villes. De plus, les poches se composant d’immigrants et/ou de groupes des minorités visibles pauvres sont dispersées. Les profils d’établissement des membres des minorités dans les villes canadiennes peuvent également varier dans le temps et l’espace. De la sorte, les planificateurs sociaux doivent tenir compte de la composition culturelle mixte et de l’évolution de la complexité socioéconomique des collectivités aux fins de la prestation des services à ces endroits au fil du temps. Le présent article est en grande partie fondé sur un rapport commandé en 2007 par Patrimoine canadien à Dan Hiebert, Nadine Schuurman et Heather Smith et sur le travail interne de l’équipe de recherche de Multiculturalisme et droits de la personne. Les auteurs décrivent un discours émergent au Canada concernant l’isolement des minorités visibles et le développement d’enclaves où, dans le discours, on exagère et qualifie ces tendances urbaines de « ghettos » en devenir. Par contre, un discours plus nuancé serait axé sur les tendances futures, où les enclaves ethniques émergentes pourraient être associées à des résidants vivant dans la pauvreté et où la nécessité de politiques et de programmes sociaux à orientation multiculturelle serait plus grande. La précision manquante : enclaves ou ghettos? Même si les enclaves ethniques naissent en raison de causes complexes et génèrent des effets complexes elles aussi, les ghettos supposent la stigmatisation et la socialisation des enfants dans des systèmes de dépendance de l’aide sociale de l’État. Dans leur étude sur le Canada, Hiebert et coll., par exemple, « n’ont relevé que peu de preuves de la ghettoïsation, c’est-à-dire de zone dominée par un seul et unique groupe ethnoculturel et en même temps zone de marginalisation socio-économique ». D’après les auteurs, en outre : « il existe quelques petites zones partageant ces caractéristiques […], mais elles sont peu nombreuses. Au lieu de cela, nous constatons que la plupart des zones de concentration des immigrants et/ou des minorités visibles tendent à être socialement hétérogènes, avec un mélange de ménages dont le revenu est faible à moyen »1. Dans les médias canadiens, les articles portant sur l’immigration et la diversité croissante de la population font ressortir trois discours. Dans le premier, on considère l’immigration comme nécessaire en raison du faible taux de fécondité au Canada et des pénuries naissantes de main-d’œuvre dans nombre de professions2. Dans le second discours, on insiste sur le déclin apparent des revenus des immigrants depuis deux décennies. Le corollaire linéaire du second discours est évident : le Canada doit réduire ses niveaux d’admission. Le troisième discours va plus loin que le précédent, comme on peut le voir dans un article publié en 2007 dans le Globe and Mail3, où l’auteur conclut : [traduction] le multiculturalisme ne fonctionne pas très bien pour les nouveaux arrivants des minorités visibles. Selon Hiebert et coll., le troisième discours comporte cinq grandes hypothèses1,3 : • Les nouveaux arrivants gravitent vers leurs collectivités ethnoculturelles et Édition spéciale 25 • • • • ces groupes sont fortement séparés du courant principal de la société. Cette ségrégation découle d’un choix et, par conséquent, constitue un échec sur le plan de l’intégration (les nouveaux arrivants ne veulent pas être intégrés). Ce choix est exercé dans le contexte de la politique multiculturelle qui, plutôt que de promouvoir la cohésion sociale, favorise en fait la séparation par la ségrégation sociale (le droit à la distinction culturelle est interprété comme une invitation à demeurer séparé de l’ensemble de la population). Le niveau élevé de ségrégation et d’isolement social qui en découle pose problème. La ségrégation4, une fois en place, peut devenir permanente, car les valeurs de l’état d’isolement se transmettent des parents aux enfants. Mentionnons certaines formes de concentration ethnique : une grappe de ménages d’une même origine ethnique dans un immeuble ou une rue ou une forte proportion de la population d’un quartier. Il est important de signaler que le simple fait de vivre côte à côte sans le moindre lien communautaire ou sentiment partagé ne constitue pas un environnement ou quartier ethnique. C’est l’émergence des institutions et de symboles communautaires officieux et officiels qui transforment une concentration en un quartier ethnique et, finalement, en enclave5. Même si les enclaves sont d’habitude définies comme étant des districts en grande partie peuplés par un groupe d’une même origine ethnoraciale, avec une présence correspondante d’entreprises commerciales et d’institutions culturelles, les ghettos sont associés à une concentration ethnoraciale défavorisée et baignant dans la pauvreté5,6. Les ghettos se distinguent également par le fait qu’y résider est considéré comme découlant largement de facteurs involontaires, plutôt que volontaires. L’équilibre entre facteurs involontaires et volontaires change au fil du temps, à mesure que les individus se voient accorder (ou refuser) le pouvoir de décider, au cours de leur vie, de demeurer dans l’enclave ou d’en sortir. D’après les preuves réunies, l’histoire classique de succès d’immigration où les nouveaux arrivants réussissent à s’intégrer économiquement et socialement au fil 26 Édition spéciale du temps est de moins en moins vraie, particulièrement chez les immigrants des minorités visibles. La piètre intégration socio-économique des nouveaux arrivants soulève de graves questions concernant l’équilibre des facteurs volontaires et involontaires influant sur le développement de l’enclave et les effets d’y résider de façon prolongée pour les immigrants et pour les Canadiens qui y sont nés. Le ghetto français La France a connu, après 1945, un changement dans les pays sources d’immigration, les immigrants venant moins d’Europe et davantage d’anciennes colonies d’Afrique et d’Asie et de pays fournissant des travailleurs au cours de la période d’expansion économique et d’augmentation de la demande de maind’œuvre de l’après-guerre7,8. En 2005, il y avait en France presque 6 millions de résidents permanents nés à l’étranger (près de 10 % de la population du pays), dont le tiers avait obtenu la naturalisation. Près de 40 % étaient nés en Afrique du Nord et subsaharienne, 13 % en Asie et un petit pourcentage, ailleurs dans le monde. En grande majorité (75 %), les personnes admises dans les premières années de la présente décennie (c.-à-d. après 2000) sont des immigrants de la catégorie du regroupement familial, plus un faible pourcentage de travailleurs arrivant par l’entremise du programme des travailleurs permanents et des demandeurs d’asile admis (chacun représentant approximativement 6 % à 7 % du total annuel des admissions)9. La politique française d’intégration repose sur la croyance républicaine sous-jacente que « tous les citoyens sont égaux », de sorte qu’il est difficile de prendre des mesures antidiscriminatoires sous forme, par exemple, d’action positive ou d’égalité des chances (puisque « tous les citoyens sont égaux »). On recueille des données systématiques sur les ressortissants étrangers (par l’entremise de la PAF, soit la police aux frontières), mais rarement sur les immigrants d’origine naturalisés ou leurs enfants. Puisque le tiers de l’ensemble du marché du travail en France n’est ouvert qu’aux citoyens (c.-à-d. la fonction publique)10 et que la collecte de données statistiques sur les minorités est illégale, la proportion d’employés des minorités visibles dans l’effectif du secteur public n’est pas connue et on ne sait pas davantage si la fonction publique est le miroir de la société française. En France, les immigrants se concentrent dans les grandes villes, notamment Paris, Lyon et Marseille. L’association des immigrants avec les régions de banlieue est en soit instructive. Le terme « banlieue » est né à l’époque médiévale avec l’état d’être au ban (banni) ou exclus, où les individus ou groupes étaient confinés à des régions au-delà de la compétence de la ville, pour les garder à l’extérieur. Même si les banlieues sont éloignées du centre de la ville, elles ne partagent aucune des connotations de la banlieue nordaméricaine et sont plutôt perçues comme des lieux de marginalisation et de stigmatisation11,12. Les banlieues actuelles en France sont caractérisées par de forts taux de chômage (le double de ceux de la France dans son ensemble)13, un fort taux de criminalité chez les jeunes, des niveaux élevés d’intervention policière14 comparativement aux autres milieux urbains et un faible taux de réussite scolaire. Pour la plupart, les fermetures d’usines dans nombre de banlieues depuis deux décennies (par exemple, à Lille) ont été particulièrement dures et ont causé des pertes d’emplois et placé les jeunes devant un avenir incertain15. Elles sont également perçues par les xénophobes comme étant la preuve que TABLEAU 1 : AGGLOMÉRATIONS URBAINES EN FRANCE (PLUS DE 1 MILLION D’HABITANTS) Grande région métropolitaine Paris (France) Lyon (France) Marseille-Aix-en-Provence (France) Lille (France) Source : Statistiques démographiques des Nations Unies Population (en millions) Proportion en % de la population totale 1975 2005 2005 8,6 1,2 1,2 0,9 9,8 1,4 1,4 1,0 16,23 2,32 2,28 1,70 les étrangers16 ne s’assimileront pas et elles sont devenues un symbole frappant utilisé par les politiciens d’extrême droite17 (p 13). Les émeutes d’octobre-novembre 2005 en France ont incité les autorités françaises à se pencher sérieusement sur les systèmes français d’immigration, d’intégration et d’accommodement culturel, de même que sur les changements de rôle de la police, dans les discours des journalistes. Depuis 2006, on a observé d’autres augmentations des forces policières dans les banlieues et un accroissement de la surveillance en général (p. ex., par l’installation d’un plus grand nombre de caméras). Les critiques ont accusé les pouvoirs publics d’avoir financé ces initiatives par des économies issues de la réduction des budgets pour les services sociaux dans ces mêmes quartiers18. Dans une série d’études de recherche sur le ghetto français19,20, l’économiste Éric Maurin soutient que les ghettos « ne sont que la conséquence la plus visible des tensions séparatistes qui traversent toute la société, à commencer par ces élites ». Maurin mentionne audelà de 500 à 600 de ces quartiers minoritaires et pauvres dans le paysage urbain français19. Sa recherche fait en outre ressortir une combinaison, dans ces ghettos, de facteurs comme la pauvreté matérielle et culturelle, le fait d’être immigrant d’origine ou de ne pas avoir la citoyenneté française. On peut, à propos du cas français, formuler un certain nombre d’observations : • Le système d’admission des immigrants en France est surtout fondé sur la famille plutôt qu’inspiré par des besoins économiques et, en vaste majorité, les immigrants viennent d’autres pays de l’Union européenne et d’Afrique du Nord. • L’attitude du public concernant l’immigration en France a été hostile, comparativement aux attitudes canadiennes. • En France, on s’attend que les immigrants et leurs enfants s’assimilent et il leur est interdit d’exprimer leur religion et leur culture dans certains domaines de la sphère publique. • Les non-citoyens, en France, ont des débouchés économiques extrêmement limités puisque l’emploi dans la fonction publique leur est interdit. TABLEAU 2 : MEMBRES DES GROUPES DE MINORITÉS VISIBLES DES RÉGIONS MÉTROPOLITAINES DE RECENSEMENT, 2006, 2017 Total Population totale 2006 Population des minorités visibles 2006 Toronto Montréal Vancouver 5 072 075 3 588 520 2 097 965 Toronto Montréal Vancouver 6 342 300 3 751 900 2 665 900 2 174 060 590 365 875 295 42,9% 16,5% 41,7% 3 200 600 748 200 1 306 200 50,5% 19,9% 49,0% 2017 Source : Statistique Canada, Recensement du Canada de 2006, et projections démographiques de 2017 • Les zones où la concentration d’immigrants est la plus forte, c’est-àdire les banlieues, sont également les endroits où l’on observe une marginalisation socio-économique profonde. • Il existe une longue histoire de tension et de violence sociales associées à ces banlieues. • Compte tenu du cadre républicain, l’État français a préparé des programmes visant les zones défavorisées (c.-à-d. daltonisme dans l’octroi de prestations aux pauvres), mais a été réticent à élaborer des programmes de lutte contre le racisme ou à offrir une aide à certains groupes ethnoculturels (qui seraient perçus comme une forme de droits collectifs ou communautarisme) et donc, non démocratiques. Le paysage urbain canadien : Vancouver,Toronto et Montréal Passons maintenant à la présentation du contexte canadien. Bientôt, on ne pourra plus parler des populations minoritaires et majoritaires dans deux des trois plus grandes villes canadiennes, soit Vancouver et Toronto. Comme nous le constatons au tableau 2, les minorités visibles atteindront une proportion de 50 % de la population d’ici quelques années. D’après la recherche, les niveaux élevés de ségrégation dans le contexte canadien ne se traduisent pas nécessairement par des niveaux comparables d’exclusion sociale5,21,22. En fait, dans le sens des constatations de la recherche menée du milieu à la fin des années 1990, les études récentes sur l’applicabilité du terme « ghetto » au Canada laissent conclure que ce concept a peu de partisans ou est difficilement applicable ici23,24. Vancouver : Certains quartiers de Vancouver sont peuplés d’une forte proportion d’immigrants, ce qui semble corroborer le discours sur la ghettoïsation.Toutefois, la région beaucoup plus vaste où les immigrants se sont établis dans tout l’est de Vancouver coïncide avec des paysages résidentiels beaucoup plus mixtes socialement. Qui plus est, il existe de grands nombres d’immigrants qui vivent dans des banlieues bourgeoises des environs de la ville, par exemple Richmond, Burnaby et Coquitlam. La répartition des populations des minorités visibles recouvre de façon importante celle des immigrants, compte tenu du fait qu’environ les trois quarts des immigrants récents sont originaires de pays non européens. Par contre, la répartition géographique des immigrants/populations des minorités visibles souffrant de pauvreté est en fait très vaste et il n’existe pas de régions de Vancouver spécifiques ou contiguës que l’on pourrait considérer comme ghettoïsées. La conclusion générale, en ce qui a trait à Vancouver, est que le niveau de cohabitation entre immigrants/personnes à faible revenu et minorités visibles/ personnes à faible revenu s’amenuisera probablement au fil du temps. Les zones où la concentration de populations à faible revenu est la plus forte ne chevauchent pas beaucoup celles des concentrations d’immigrants et encore moins celles des groupes des minorités visibles. Même s’il est certain que certaines des concentrations de minorités visibles à Toronto sont associées à un seul groupe minoritaire (Chinois et Asiatiques du Sud), dans la plupart des cas, il existe de nombreux autres groupes ethniques aux mêmes endroits. Toronto : Aucune preuve solide ne permet de croire que la situation des minorités visibles concentrées à Toronto Édition spéciale 27 découle de la concentration des immigrants ou inversement. Qui plus est, une forte proportion des immigrants et des membres des minorités visibles de Toronto vivent dans des secteurs propres à la classe moyenne ou aux gens plus aisés. Cela est particulièrement évident à Mississauga et, dans une moindre mesure, à Markham et à Vaughan24-27. Bien que des secteurs de Markham et de Richmond Hill, par exemple, laissent voir une représentation proportionnelle de membres des minorités visibles à faible revenu des fourchettes supérieures, il y a aussi des secteurs où les coûts des biens immobiliers et d’accession à la propriété sont supérieurs aux taux moyens. Les zones les plus évidentes où l’on pense qu’il y aura concentration d’immigrants s’étendent des secteurs bien situés bordant la frontière ScarboroughMarkham (et s’étendant dans Richmond Hill) et celle entourant les collectivités de Jane-Finch et Flemingdon/Thorncliffe. Compte tenu du niveau très élevé de représentation des immigrants dans ces zones en 2001, il ne faut pas s’étonner de la densité croissante des populations d’immigrants dans ces secteurs. 28 Montréal et il est peu probable qu’on relève des cas d’immigrants établis dans les quartiers sud-ouest et nord-est (Montréal-Est ou Senneville). Les immigrants et les membres des minorités visibles à faibles revenus sont assez dispersés géographiquement sur l’île de Montréal. Malgré des concentrations d’immigrants sur la rive nord de l’île (Laval Chomedey) et la rive sud (à Brossard), les immigrants, en grande majorité, ne se sont pas dispersés dans les banlieues plus distantes de Montréal. Il en va de même de la population de minorités visibles du Grand Montréal. Dans leur rapport, Hiebert et coll.1 expliquent que d’ici 2017, on constatera une légère intensification de la concentration de ménages à faible revenu dans les zones de pauvreté déjà établies des banlieues intérieures (JaneFinch) et un très faible degré de dispersion banlieusarde des ménages à niveau de faible revenu supérieur et marginalement supérieur à la moyenne vers les banlieues périphériques, poussant vers le nord à Markham et s’intensifiant quelque peu à Mississauga et à Brampton. La distribution des ménages à faibles revenus dans la région métropolitaine de Toronto demeurera probablement fonction de la disponibilité et l’abordabilité des logements qui, en grande partie, ne seront pas adjacents aux principaux arrêts du transport en commun le long de la ligne de métro et il y aura encore surreprésentation dans les banlieues vieillissantes, intérieures et souvent mal desservies. Même si, à Montréal, les populations de minorités visibles et d’immigrants sont relativement moins grandes qu’à Toronto ou à Vancouver, on y observe une plus forte proportion de populations en situation de faible revenu (16,6 % à Toronto, 20,8 % à Vancouver, comparativement à 22,3 % à Montréal). Puisque le rythme de changement de la population est moins rapide à Montréal et que la proportion d’immigrants et de membres des minorités visibles dans la population métropolitaine est moins forte, l’ampleur des changements prévus pour 2017 n’est pas aussi frappante que pour Vancouver et Toronto. Le niveau de chevauchement entre immigrants, membres des minorités visibles et zones de pauvreté n’augmentera probablement pas beaucoup au cours de la prochaine décennie, car ce qui différencie Montréal de Vancouver et de Toronto est l’ampleur de la pauvreté chez les personnes de souche canadienne. La proportion globale de la population née à l’étranger est plus forte à Toronto et moins élevée à Montréal : 30,6 % de l’ensemble des ménages à faible revenu à Montréal ont indiqué être entretenus principalement par un immigrant, tandis que les chiffres étaient considérablement plus élevés pour Toronto (67,5 %) et Vancouver (52,7 %). En d’autres termes, la possibilité que se développent des zones de pauvreté où se concentrent les immigrants est moindre à Montréal qu’à Toronto ou à Vancouver, même si la proportion d’immigrants en situation de faible revenu est en fait plus élevée à Montréal. Montréal : Les groupes d’immigrants et de minorités visibles à Montréal constituent un pourcentage beaucoup plus modeste de la population comparativement à Toronto et à Vancouver. L’établissement des immigrants se limite à certains secteurs de l’île de Allons-nous observer de nouvelles enclaves de banlieue marginalisées de groupes d’immigrants ou de membres de minorités visibles pauvres au Canada? D’après l’analyse qui précède, cela ne se produira pas, du moins dans les dix prochaines années : Édition spéciale • à Vancouver, la mesure dans laquelle on trouve au même endroit des groupes d’immigrants et de membres des minorités visibles d’une part et de zones à faible revenu, d’autre part, devrait régresser légèrement, d’après les projections; • à Toronto, où le processus de banlieusardisation est le plus rapide, on constatera probablement que se poursuit le développement d’enclaves marginalisées dans les banlieues intérieures, particulièrement celles associées aux logements sociaux, mais il n’en résultera pas de vastes zones contiguës aux profonds besoins socio-économiques (comme dans certaines zones de France) et ces zones seront de composition culturelle mixte; • Montréal, qui compte moins d’immigrants et abrite une vaste gamme de groupes relativement modestes de minorités visibles, ne verra probablement pas l’émergence de grandes enclaves pauvres composées d’un seul groupe. Les enclaves sont-elles des ghettos potentiels et nuisent-elles à la cohésion sociale? Qadeer et Kumar (2006)5 ont étudié la concentration ethnoraciale à Toronto et leurs résultats contredisent manifestement le constat fait par The Globe and Mail à propos d’un endroit de Brampton : « Les personnes d’une même origine ethnique peuvent être en majorité dans un quartier, mais leurs milieux de travail, leurs services scolaires et de santé, leurs associations professionnelles et leurs réseaux sociaux sont répartis partout dans la ville »5. Conclusion Le présent article portait sur la question de savoir si les zones résidentielles associées aux immigrants et aux minorités visibles sont également des lieux associés à la pauvreté, ce qui laisserait entrevoir la formation de ghettos. La recherche incite évidemment à s’inquiéter de la marginalité économique et spatiale croissante des immigrants et des groupes minoritaires, mais permet également de croire que le type d’isolement et de malaise social extrêmes caractéristiques de la banlieue française n’existe pas (encore) au Canada. Avant d’étiqueter des quartiers comme ghettos et de les stigmatiser ainsi, il faut étudier les expériences et la dynamique interne de ces zones et les gens qui y vivent. Ainsi, le discours isolationniste voulant que les immigrants et les minorités gravitent vers des enclaves à forte ségrégation ne repose ni sur les faits, ni sur les données du recensement. Les chercheurs font une mise en garde : il ne faudrait pas supposer que toutes les concentrations de groupes de minorités visibles sont associées à des quartiers pauvres et que toutes sont fonction du type de choix restreint précisé précédemment. D’après les études, les niveaux élevés de ségrégation chez certains groupes et certaines minorités au Canada (les Chinois à Toronto et à Vancouver, par exemple) n’ont pas de corrélation avec la pauvreté et la défavorisation, mais avec des niveaux de revenus et d’accession à la propriété supérieurs à la moyenne. Les niveaux décroissants de ségrégation pour la majorité des groupes minoritaires de 1991 à 2001 permettent de conclure que nous ne disposons que de peu de preuves qui laisseraient croire que des ghettos se développement dans les villes canadiennes. L’hypothèse que les profils résidentiels canadiens des minorités se conformeraient étroitement à ceux qu’on retrouve en France est faible. Dans le cas de la France, la ghettoïsation a été perçue comme le produit d’une plus forte concentration ethnique de minorités défavorisées vivant dans des zones géographiques confinées. Par contre, d’après les résultats au Canada, on n’a relevé que des profils limités de concentration sous forme d’enclaves. À la suite de ces résultats, les planificateurs sociaux devront peut-être évaluer pourquoi il n’y a pas eu ghettoïsation des minorités au Canada. À ce stade, on tiendra peut-être compte des profils de banlieusardisation (choix résidentiels) des immigrants/membres des minorités visibles et de la disponibilité/l’abordabilité des logements. Ces facteurs, pris ensemble, influeront probablement sur la distribution et/ou la concentration de certains segments de la population dans les grandes agglomérations métropolitaines. Kamal Dib est économiste et directeur de recherche au ministère de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme du Canada. On peut lui écrire à l’adresse suivante : [email protected] Bharathi Sriraman est analyste de recherche au ministère de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme du Canada. On peut lui écrire à l’adresse suivante : [email protected] Avertissement : Les opinions exprimées dans le présent article ne représentent pas nécessairement celles du gouvernement fédéral du Canada. Références et Notes 1. Hiebert D, Schuurman N, Smith H. Multiculturalism “on the ground”:The Social Geography of Immigrant and Visible Minority Populations in Montreal,Toronto, and Vancouver, Projected to 2017. Gatineau, Quebec: Department of Citizenship and Immigration Canada; 2007. Remarque : les références bibliographiques figurant à la fin du présent article se retrouvent en grande partie dans le rapport, qui comporte une imposante bibliographie. Pour consulter la référence : www.mbc.metropolis.net/Virtual%20Library/2007/WP07-12.pdf 2. Deux manchettes portent sur cette question : “Industry beginning to feel labour crunch” (The Vancouver Sun, 29 décembre 2006, p. D1) et “Nominee program a lifesaver for businesses” (Winnipeg Free Press, 11 janvier 2007, par Howard Buchwald). Ces articles et d’autres du genre font voir l’immigration comme un choix politique rationnel et laissent entendre qu’elle est inévitable. 3. “Do ethnic enclaves impede integration? The Globe and Mail, Feb 8, 2007:A8. 4. On peut définir la ségrégation comme étant la répartition résidentielle inégale des groupes de population dans une région géographique, tandis que la concentration survient lorsque les membres d’un groupe particulier sont à la fois séparés et situés dans un sous-ensemble unique ou distinct des collectivités urbaines ou banlieusardes. Selon son degré et sa nature, la concentration peut se manifester tout au long du spectre des grappes ethnoraciales, allant jusqu’aux enclaves et même aux ghettos. 5. Qadeer M, Kumar S. Les enclaves ethniques et la cohésion sociale. Revue canadienne de recherche urbaine 2006;15 (2)1-17. 6. Massey DS, Eggers ML, Denton NA. Disentangling the Causes of Concentrated Urban Poverty. International Journal of Group Tensions 1994a;24(3):267-316. 7. Les dix principaux pays sources des 210 000 immigrants en France en 2004 étaient :Algérie, Maroc,Tunisie, Chine,Turquie, É.-U.A., Fédération de Russie, Cameroun, Sénégal et Côte d’Ivoire. 8. Thierry X. Les entrées d’étrangers en France de 1994 à 1999. Population 2001;56(3):423-50. 9. Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE); 2003. Disponible sur : http://www.insee.fr/fr/ffc/chifcle_fiche.asp?tab_id=498 10. Freedman J. Immigration and Insecurity in France. Aldershot, Angleterre: Ashgate; 2004. 11. Cesari J. Ethnicity, Islam and les banlieues: confusing the issues. (publié le 30 novembre 2005). Disponible sur : http://riotsfrance.ssrc.org/Cesari/ 12. Dikeç M. Badlands of the Republic? Revolts, the French state, and the question of banlieues. Environment and Planning D: Society and Space 2006;24(2):159-63. 13. Salanié B. The Riots in France: An Economist's View. (publié le 11 juin 2006). Disponible sur : http://riotsfrance.ssrc.org/Salanie/ 14. Poupeau F. 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