Document réalisé par Frédéric Trialon et Michaël

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Document réalisé par Frédéric Trialon et Michaël
Document réalisé par Frédéric TRIALON et
Michaël HAUDAN sous couvert de M.
DURAN, proviseur du Lycée François
Raynouard
PRÉSENTE
Vers l’Autre [fragments d’un chemin]
En ces temps de replis, l’ouverture sur le monde devrait être une évidence. Nous accueillions donc ce
projet du FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur en partenariat avec l’académie et le préfet comme une
véritable chance. Quel meilleur médium que l’art contemporain ? Tour à tour provocateur par son
côté protéiforme, ludique au regard de ses interrogations, lieu où s’altèrent nos principes et
préjugés. Bref, il entretient et forge inlassablement notre esprit critique.
À défaut d’être un phare, ce lieu d’exposition situé en haut de l’établissement déploiera durant 3 ans
de nouveaux horizons pour nos lycéens. Nous ne doutons aucunement de la prégnance du lieu dans
la formation de leur identité et dans la possibilité pour eux de construire une culture
commune. Malgré sa modestie, ce lieu doit être porteur d’une ambition toujours exigeante et
s’ouvrir au-delà de nos murs. Ainsi doit-il devenir un repère pour tous les publics scolaires qui
dépendent de nous. C’est ainsi, qu’investit d’une mission plus que pédagogique, nous nous tournons
vers l’avenir de ce qui construit notre futur, l’élève citoyen.
Pour cette première exposition, intitulée Vers l'autre [fragments d'un chemin] nous avons mis en
perspective au travers de cette sélection d’œuvres d’art internationale, l’Autre comme notion
essentielle définissant les fondements d’un humanisme fécond. La configuration du lieu peut paraitre
incongrue, mais qui mieux qu’un couloir pour représenter l’espace et le temps, dans un empirisme
notamment dans le déploiement progressif de l’expérience. Les œuvres d’art y sont comme des
traces d’un chemin initiatique, évoquant les multiples facettes de la vie. Elles sont un parcours
partant d’un univers fragmenté du regard de l’Autre, vers soi. L’espace de ce lieu symbolise ce
chemin nécessairement sinueux de la vie et les œuvres présentées sont autant d’altérité en
monstration qui surprennent et renvoient au domaine de l’apparence et des représentations que
chacun se construit de soi et de l’Autre, cet autre soi.
En ouvrant l’exposition, l’œuvre monumentale de Christoph Dreager place d’emblée le spectateur
face à l’altérité. Cette invitation parcellaire plonge le spectateur dans un état de réceptivité.
Toutefois cette Autre qui nous hante n’est pas identifié, n’est pas visible, n’a pas de réalité formel. Et
pour cause, nous sommes face à un objet contenant, un moyen de transport de masse, qui fascine
autant qu’il effraie. Mais cet Autre commence à se laisser voir, comme une apparition spectrale chez
Éric Principaud. La fragmentation intervient cette fois dans une progression de la reconnaissance de
la figure. Le flou brouille les pistes, il agit comme la trace d’un mouvement qui se fait dans l’instant
de la prise de vue. C’est donc Marc Pataut qui nous dévoile une identité, il scrute les différentes
facettes de la figure humaine. Nous avons là une personnalité qui est en monstration, d’abord
intégralement puis par fragments qui souligne le regard, mais finalement pas celui de cet Autre mais
bien celui du regardeur. Là où se pose le regard de celui qui identifie et reconnait l’altérité dans ce
qu’il voit. En chemin, l’œuvre de David Shrigley finit par nous dévoiler à nous même simplement par
le truchement du miroir, de notre reflet et de celui de cette dent. Elle semble se tenir droite dans la
posture de celle qui s’affirme. Le récepteur qu’est le spectateur se construit une identité propre par
une fragmentation de ce qui est formulée dans l’altérité, par couches successives. C’est alors que la
vidéo de Maria Marshall nous entraîne dans l’angoissant abyme de la folie. Quoi de plus dérangeant
que l’altérité pure sous les traits de l’innocence ?
2|A p p r o c h e a n a l y t i q u e
L’exposition est formulée comme un parcours qui nous guide de l’altérité, de l’Autre en tant
qu’absolu, vers soi, vers l’image de soi. Elle se veut un empirisme esthétique et psychologique pour
interroger ce qui constitue cet Autre que nous côtoyons chaque jour. Elle se veut pédagogique en
nous mettant face à propres interrogations, elle doit ouvrir à tous ce qui n’est pas soi. Tout l’enjeu
des générations futures se trouve dans la construction d’un rapport à l’Autre qui soit le plus ouvert
possible, et la compréhension de soi en est une clé. Ces choix peuvent paraitre hétéroclites dans leur
forme et leur accrochage, mais n’oublions jamais que les œuvres parlent toujours de nous.
3|A p p r o c h e a n a l y t i q u e
CHRISTOPH DRAEGER
Christoph DREAGER, TWA 800, III, 2000, jet d’acrylique sur puzzle encadré, 120 x 280 x 5 cm,
Collection FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille
Christoph DREAGER est né en 1965 à Zurich en Suisse. Actuellement il vit et travaille à New York aux
États-Unis. Il réalise un travail de documentation sur les catastrophes à la fois naturelles et
industrielles. Son regard critique et analytique place une distance avec l’affect dégagé par la situation
mise ici en image. En décalage avec l’immédiateté des médias qu’il critique, Christoph Dreager place
le spectateur dans une posture inconfortable où le regard doit soutenir un constat froid d’une
tragédie dont il nous est impossible de ne pas envisager les conséquences funestes. Loin de la réalité
de l’événement, qui est par essence insaisissable, nous sommes mis face à l’après de la catastrophe,
plus exactement à la méticuleuse reconstruction de l’avion.
Cette œuvre fait partie de la série « The most beautiful disasters in the world ». TWA 800, III, réalisé
en 2000, est un puzzle sur lequel est représentée l’image fascinante des morceaux de carlingue du
Boeing 747 reconstitué sur un châssis après qu’il se soit mystérieusement crashé sur les côtés du
New Jersey le 17 juillet 1996. Christoph Dreager appose des images de destructions gigantesques,
issues de l’univers de la presse, sur des puzzles au format démesuré atteignant souvent plus de 8000
pièces. Dans une théâtralisation de la mort, Christoph Dreager souligne le poids des médias dans
l’impact désincarné de la réception de telles images.
Le traitement plastique de la photographie gigantesque montre un flou, un léger flottement qui fait
perdre la visibilité du détail et que seul le recul permet de stabiliser. De la même manière le choix du
matériau n’est pas anodin. Habituellement les puzzles, notamment de grandes dimensions montrent
un paysage idyllique ou une image qui marque un moment d’arrêt contemplatif. En hissant ses
reconstitutions de désastres au rang d’icône, Christoph Dreager déplace le temps de l’information.
Les médias sont toujours très brefs, en mouvement, dans une sorte d’exégèse de l’instantanée. Ici,
c’est tout le contraire, l’esthétique du puzzle renvoie à la patiente construction de l’image, au même
titre que la reconstitution de la carcasse opérée par les opérateurs. C’est tout le paradoxe qui est ici
en place en jouant sur les notions de construction/destruction.
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Le fond, le contenu de l’image, vient se mêler à la forme, le puzzle assemblé, dans une
problématique du fragment, de la fragmentation comme processus d’émergence de l’image. Mais ici
c’est toute la possibilité d’une reconstruction qui est mise en échec. La reconstitution ne sera que
parcellaire, donc fragmentaire. L’utilisation du puzzle comme support/médium place le travail de
Christoph Dreager dans une forme faussement triviale car il souligne la tension émotionnelle
d’implication et/ou de distanciation face à de tels événements. Comment nous positionner face à
tant d’altérité ? S’il y a un jeu dans ses puzzles c’est dans la place que prends le « JE » du spectateur,
notamment dans la confrontation à cet « AUTRE » extrême qui est l’omniprésence de la mort. Le rôle
du cadre, déjà présent intrinsèquement dans le hangar qui accueille les restes de l’avion, est de
mettre à distance le principe même du jeu de puzzle comme un éternel recommencement de la
destruction et reconstruction de l’image. Le dispositif de présentation détruit la potentialité du
recommencement, fige l’image dans un système contemplatif, et inscrit l’œuvre dans la lignée
historique des œuvres qui construisent l’histoire de l’art. L’image mécanique du puzzle disparaît, le
temps du jeu est alors révolu. Mais que reste-il alors ? La lente prise de conscience de notre rapport
anesthésié à la mort par l’entremise de l’image surmédiatisée.
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ERIC PRINCIPAUD
Éric PRINCIPAUD, Sans titre, 1988, photographies
en noir et blanc, verre, zinc et acier, 46 x 42 x 6 cm,
Collection FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur,
Marseille
Éric Principaud est né le 14 juin 1959 à Toulon. Son approche photographique est concentrée sur la
mémoire, sur le temps de l’image. Ce travail sur la mémoire est essentiellement le fait d’une
réflexion sur l’absence, ou du moins sur la fugacité d’une forme de présence. L’évanescence des
photographies contraste puissamment avec la forte présence du métal. De surcroit un verre épais
place le spectateur dans la posture d’un regardeur distancié par l’espace même du dispositif de
l’œuvre. Cette mise à distance matérielle, froide et calculée, souligne d’autant l’écart volontairement
travaillé par l’artiste des photographies placées ici comme des traces d’un passé lointain et
définitivement hors de porté car appartenant à une autre époque. Il est remarquable de voir
l’étonnante similitude formelle qui existe entre cette œuvre et les palas (retable possédant un seul
panneau) ornant les autels des églises italiennes. Pourtant ici les photographies qui jouent le rôle des
prédelles ne racontent rien, ne se rapporte à rien, si ce n’est à la disparition. Qu’est-ce qui disparaît
finalement ? La mémoire, le souvenir, le passé mais de qui ? De cet Autre qui se montre et s’efface à
la fois.
L’encadrement d’apparence solide, en métal brossé, tient pourtant du processus périssable puisque
la rouille le ronge progressivement. L’image fermement arrimée à son support va finir par s’en
extraire, dans le temps, le temps de la corrosion, nécessairement lente. Si le cadre arrête l’image, l’a
délimite, il y a ici une sorte de mise en abyme qui se met en place. Le seul élément à peu près net,
lisible en terme de contour est le cadre qui contient le visage. Ce visage apparaît et disparaît à la fois.
La surexposition élimine les détails tandis que le flou les dissous. La mise au point crée une
profondeur de champ qui creuse l’image. Le jeu de sur-cadrage avec une formulation du carré
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comme forme géométrique de prédilection, montre une sorte d’enfermement, comme une tentative
de contenir un sujet qui s’échappe : cet Autre qui n’est pas tout à fait déterminé, comme une dilution
mémorielle. Dans l’œuvre Éric Principaud, s’inscrit une sorte d’archéologie du passé. Tous les choix
plastiques, car il s’agit de photographie plasticienne, dans tous ce que cela implique de recherche
matiériste, notamment l’utilisation du noir et blanc, renvoient à une sorte de passé révolu. Le « çà a
été » de Roland Barthes est plus que jamais éloquent. Il y a quelque chose de volontairement daté
dans l’expression plastique d’Éric Principaud, une sorte de poésie temporelle. Son travail de la
lumière laisse un voile et masque le contour des choses, la luminosité est opaque. Peut-être est-ce
pour souligner que le fragmentaire, ici, est un prétexte d’évocation d’un tout qui nous échappe.
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MARC PATAUT
Marc PATAUT, Portrait de Yannick Venot, Compagnon d'Emmaüs, Scherwiller, 1993, janvier 1995,
polyptyque, papier baryté MCC 111 Agfa, 3 x (112 x 89,5 x 4 cm) (verticales), 2 x (89,5 x 112 x 4 cm)
(horizontales), Collection FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille
Marc Pataut est né en 1952 à Paris, il vit et travaille à Aubervilliers. Son travail déborde délibérément
le seul cadre de sa pratique photographique pour donner à son engagement social tous les supports
de la communication. L’association Ne Pas Plier qu’il crée en 1991 avec Gérard Paris-Clavel est à ce
titre exemplaire, puisqu’en plus des rencontres et des recherches qu’elle propose, elle publie un
bulletin qui permet de donner à son action continue une diffusion plus large. La série réalisée pour
les compagnons d’Emmaüs, dont fait partie Portrait de Yannick Venot, Compagnon d'Emmaüs (1995),
répond au souci d’établir par le projet photographique une forme de lien social. La notion de
communauté ne se propose pas comme une unité figée, mais bien comme un ensemble de relations
en constante évolution et auxquelles la lente recherche photographique veut participer. Ces deux
ensembles (trois formats verticaux et deux formats horizontaux) décrivent une progression vers
l’intimité du sujet photographié, car c’est dans l’individu que Marc Pataut voit les signes d’une
communauté en puissance.
La grande difficulté est ici de rendre compte d’un réel suintant la dureté de la vie par le truchement
du média nécessairement subjectif et ambigu de l’art. La photographie possède intrinsèquement
cette résonnance du réel, comme une sorte d’empreinte, de trace de ce qui défile devant le regard.
Au-delà de cette mystification propre à la photographie, il est évident que quelque chose d’autre se
joue entre l’objet de la photographie et son image. La photographie sera toujours une forme
d’altérité car elle va capturer ce qui n’est jamais visible en soi, dans l’immédiateté de l’instant. Pour
autant les choix de cadrage, réalisé par Marc Pataut, permettent de plonger le spectateur toujours
plus profond dans l’intimité d’une personne. Ces différentes photographies sondent ce qui défini
cette altérité brute propre à chacun. Si la démarche de l’artiste relève de l’engagement, le processus
de création est toujours lié à un territoire délimité, des individus ancrés dans un groupe constitué par
leur histoire et leur culture, le tout dans un espace-temps circonscrit. Les photographies de Marc
Pataut sont le fruit d’une longue recherche artistique qui s’élabore en fonction des interactions du
milieu qu’il souhaite montrer.
Les photographies sont en noir et blanc mais elles n’évoquent pas un certain passé, elles ancrent
plutôt le sujet photographié dans une solennité profonde et sincère. Ces portraits sont des
témoignages poignants dont le traitement précis et sans emphase plonge le spectateur dans un état
de réception de la singularité de tout ce qui constitue cet Autre.
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DAVID SHRIGLEY
David SHRIGLEY, What Decay looks
like, 2001, Miroir et composite
acrylique, 130 x 80 x 33 cm, Collection
FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur,
Marseille
David Shrigley est né en 1968 à Macclesfield, en Angleterre. C’est un artiste prolifique, au style
indéterminable, qui aborde de front une grande diversité de matériaux et d’expressions plastiques,
passant allègrement du dessin, à la photographie ou encore la sculpture voir l’installation. Il n’y a pas
de lien entre ses différentes œuvres qui chacune racontent une histoire différente, offrant des
situations parfois inscrites dans la lignée surréaliste.
Avec cette sculpture/installation David Shrigley laisse planer un doute sur la nature de son œuvre.
Entre figuration (l’objet représenté est reconnaissable) et personnification (elle semble se tenir
debout s’observant dans le miroir), la dent traine une historicité artistique oscillant entre la sculpture
contemporaine, le pop art, l’esthétique des comics et la Vanité. Étrange et décalée, à la limite du
burlesque, cette dent intrigue par sa présence même. Elle est un fragment. Un fragment de corps
mais elle est corps elle-même par son étrange posture, une sorte de matériau qui renvoie à un tout
inaccessible. C’est une mise en scène à la fois par l’agencement d’objets dans un espace mais aussi
par la théâtralisation du dispositif.
Le miroir est un objet réfléchissant, il rend visible une image de soi et ici nous sommes face à un
appendice fragmentaire qui se constitue en tant qu’unité autonome au sens psychanalytique du
terme. Mais au-delà de l’objet lui-même, ce qui est réfléchie reste le spectateur. Il est face à sa
propre image qu’il forge nécessairement comme identitaire, et par là même il autorise l’attribut
fictionnel de la dent à s’affirmer aussi en tant que tel. La reconnaissance de soi, permet à l’Autre
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d’être, et inversement. Dans son existence, au mimétisme anthropologique, cette dent recèle
pourtant sa fin dans son apparence même : elle est parsemée de trous. Dent malade, cariée,
mortifère, elle déplace la question de l’Autre, de la reconnaissance de soi, vers la question de la
disparition inéluctable de soi. Et malgré cet horizon macabre, l’ensemble se lit comme une fête
risible au seuil d’une dramaturgie comique.
10 | A p p r o c h e a n a l y t i q u e
MARIA MARSHALL
Maria MARSHALL, Don’t let the T-Rex get the children, 1999, Vidéo, couleur, muet, Durée : 2’, Collection FRAC
Provence-Alpes-Côte d’Azur
Maria Marshall est née en 1966 à Bombay, elle vit et travaille à Londres. Sans être réellement
autobiographique, et malgré la présence récurrente de ses deux fils, les vidéos de Maria Marshall
abordent des thèmes à la fois universels et fondamentaux, de la maternité à la socialisation,
autrement dit de l’expérience propre de la vie. « Les vidéos de Maria Marshall sont de véritables films
car ils sont fabriqués selon les critères de l’industrie hollywoodienne : équipe professionnelle,
tournage en super 8, 16 ou 35 mm. Ses productions sont des métaphores minimalistes, de brefs récits
qui, avec tous les moyens cinématographiques possibles, servant une mise en scène précise qui n’a
qu’un seul but : séduire par le minimum. On pense alors à de courtes séquences de l’histoire du
cinéma. […] L’horreur dont on cherche souvent à l’extérieur les origines, est le plus souvent un produit
maison. C’est à cela que fait penser Don’t let the T-Rex get the children. […] On s’attend à l’évocation
d’une enfance heureuse. […] Plus la distance augmente, plus notre première perception idyllique se
brouille. Impuissants, nous réalisons que la veste est en fait une camisole de force et l’enfant, si
éveillé, un psychopathe dans une cellule capitonnée. Il nous sourit innocemment, jusqu’à la fin – la
pureté du dément. » (Christoph Doswald)
Cette vidéo dérange. En effet, Maria Marshall met souvent en scène l’enfance mais en développant
un discours paradoxal autour d’un malaise certain et d’une fascination dérangeante car elle déplace
le champ de l’innocence à celui de la perversion inquiétante. L’oscillation de l’amour à la haine, le
déplacement de l’enfance aimée à l’affirmation de cet Autre si inquiétant. Avec Don’t let the T-Rex get
the children (Ne laisse pas le T-Rex attraper l’enfant), Maria Marshall procède par dévoilement successif. Le
travelling arrière, lent, très lent, déplace le regard de la douceur et de l’innocence de l’enfance à la
noirceur incontrôlable du psychotique. En travaillant l’échelle des plans, passant du gros plan au plan
large, la vidéaste recherche un effet de surprise et une charge émotionnelle chez le spectateur.
L’espace qui se déploie dans cette œuvre est si vaste qu’il en devient abyssal, une vaste salle
capitonnée dont les murs montent à des hauteurs vertigineuses. Ce gouffre renvoie inévitablement à
la folie montrée et à l’angoisse ressentie. L’introduction d’une puissance émotionnelle, plus qu’un
travail sur le médium lui-même, permet un rapprochement esthétique avec le cinéma que le
processus de création vient aboutir. Il s’agit d’un travail de l’intime, le récepteur est interpellé dans
tout ce qu’il véhicule. Cet Autre souriant qui est face au spectateur le renvoie à lui-même, et à cette
innocence perdue, déchue, comme autant d’écart par rapport à une certaine normalité qui
finalement semble tout aussi effrayante. Il est question aussi de cette surprotection parfois aliénante
jalonnant le parcours des parents envers leurs enfants.
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