ROMS à Lyon au quotidien - Antenne sociale de Lyon
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ROMS à Lyon au quotidien - Antenne sociale de Lyon
1 Antenne sociale de Lyon Mai 2014 ROMS à Lyon au quotidien Les quotidiens et hebdomadaires lyonnais se font régulièrement l’écho des Roms qui sont ici en situation irrégulière. Ils sont environ 2000 ! Ce nombre reste stable depuis au moins la chute de Ceauşescu. Pourquoi une telle disproportion entre si peu de personnes et la place qu’ils occupent dans nos têtes et nos préoccupations ? Souvent les propos tenus réduisent ces individus et ces familles au groupe dans son ensemble. Mais jamais nous ne pouvons réduire des personnes singulières à un groupe quel qu’il soit, ici les Roms, là les Africains, ailleurs les Juifs, les Musulmans, là aussi les Italiens arrivant en France entre les deux guerres, là encore les homos, etc., et les stigmatiser en tant que groupe comme on pourrait dire « tous les Normands ont les doigts crochus et sont grippe-sous». Constitution, textes européens et internationaux nous obligent à respecter avec ces 2000 Roms la Charte des Libertés et des Droits Fondamentaux : Droit à un toit Droit à un travail Droit à l’enseignement Droit à l’eau Droit à la liberté d’opinion et d’expression Avant d’aller plus loin, nous vous proposons de relire la Note d’Actualité de mars 2012, réalisée par Thérèse Nandagobalou : « Les Roms, qui sont-ils ? ». Qui sont-ils? Nous insisterons ici sur quelques points importants au sujet des Roms de Roumanie, les plus nombreux dans la région. Les Roms sont une partie de l’ensemble généralement désigné sous le nom de Tsiganes. Ils sont les plus nombreux. Venus de l’Inde, les Tsiganes sont partis dans trois directions, vers l’Europe du nord, ce sont les Manouches ou Sinté, vers l’Europe centrale, ce sont les Roms et vers l’Europe méditerranéenne, ce sont les Gitans ou Calés. Gypsies, Bohémiens, Romanichels, etc., sont d’autres noms transversaux utilisés. Environ 2000 Roms en situation irrégulière survivent dans l’agglomération et entre 15000 et 25000 en France. Ils viennent principalement de Roumanie mais aussi de Bulgarie, deux pays de 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 2 Antenne sociale de Lyon l’Union Européenne. D’autres minoritaires viennent du Kosovo, de Macédoine, d’Albanie, donc er hors de l’UE. Depuis le 1 janvier 2014 les Roms roumains et bulgares ont en France tous les droits de tous les autres citoyens de l’Union Européenne, comme les Belges ou les Italiens. Comme pour ceux-ci leurs droits sont différents de ceux des nationaux français mais ne peuvent être, en aucun cas, discriminatoires et doivent respecter la Charte des Droits fondamentaux, la Constitution française et son préambule. Certains Roms sont en France depuis fort longtemps et sont la plupart du temps citoyens français. Ils sont souvent discriminés tout comme d’autres Tsiganes. Ils étaient soumis de 1912 à 1 1969 à la possession d’ « un carnet anthropométrique d’identité pour nomades » . Même ceux qui étaient sédentaires depuis longtemps en France se sont souvent vus refuser la Carte Nationale 2 d’Identité lors de son instauration vers 1920/1930. Pendant la guerre de 1939-1945, le régime de Vichy les a relégués dans des camps de rétention, de type concentrationnaires, comme celui de 3 Saliers (en Camargue). Les familles Demetrio et Schaenotz y ont été enfermées, au milieu d’autres Tsiganes. Ceux vivant actuellement et depuis longtemps en France sont à 95% de 4 nationalité française . Le pays européen où ils sont les plus nombreux est la Roumanie (environ 10% de la population) 5 et leur situation y a toujours été particulièrement mauvaise. Arrivés dans cette région vers l’an 1300, ils sont esclaves dans les royaumes de Moldavie et de Valachie depuis 1370. Dans ces 6 deux royaumes ils le sont juridiquement jusqu’en 1864 soit des Couronnes, soit des monastères soit des boyards. « Le Tsigane était la chose du maître, qui le vendait ou l’échangeait à son gré, 7 payant ses dettes en âmes tsiganes » . L’abolition ne fut pas plus réelle ni immédiate en Roumanie que celle des Noirs aux USA. A l’époque nazie, ils furent exterminés soit par massacres, soit par déportation dans les camps. Des estimations indiquent qu’entre 1/4 et 1/3 ont péri de ce fait. Ce génocide s’appelle Samudaripen en romani, équivalent du mot Shoah en hébreu. Ces différents points permettent d’ajouter une observation. Les Tsiganes, partis d’Inde, forment un peuple doté d’une langue-mère spécifique, le Romani, avec ses langues, ses dialectes et ses patois et d’une culture propre. Métissés au fil de leurs pérégrinations et de leurs stratégies pour 8 survivre et pour protéger ce qui leur est existentiel c’est un Peuple sans lieu et sans frontières . Pour survivre cette nation est régulièrement obligée de voyager. La Commission Européenne, le 9 Conseil de l’Europe, l’OSCE travaillent avec d’autres sur ces aspects spécifiques, cherchent et proposent des avancées qui respecteraient mieux les droits de ces populations, membres ou non de l’Union Européenne. Ce n’est qu’assez récemment que certains Tsiganes s’organisent pour défendre leur culture et leur langue mais aussi le respect du droit international ou européen y 10 compris ce qui concerne les droits des minorités. Il s’agit par exemple de Romeurope , Romilor, 11 Rromani CRISS , Ils ne sont pas forcément d’accord entre eux. 1 PERNOT, p. 33 , rechercher les discriminations pour l’obtention de la CNI vers 1920. 3 PERNOT, pp. 35, 37 et photos à partir de p. 91 4 GARO, pp17 à 60. 5 Idem, p 106 et aussi : BOIA, pp. 280 à 286. 6 ASSEO, pp. 76-77 7 idem, p. 76 8 AUZIAS, p.81 9 Commission Européenne, Conseil de l’Europe, avec la Fondation Open Society de George Soro financent un programme de 700 000€ pour favoriser l’accès au logement, à l’éducation, à la santé et à l’emploi (La Croix, 7 octobre 2013). 10 Collectif National Droits de l’Homme Romeurope, de droit français. 11 Romilor, un des partis rom de Roumanie ; Rromani CRISS, association roumaine pour l’accès aux droits créée en 1993. 2 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 3 Antenne sociale de Lyon Je rejoindrai avec vous des familles Roms que je connais sur le Grand Lyon. Elles sont arrivées entre 2000 et 2006. Après 3 à 4 ans de vie en squats et terrains elles ont eu, entre 2004 et 2007, des titres de séjour. Ni enquête sociologique ni recherche universitaire mais plutôt des témoignages que j’entrecroiserai avec d’autres. Leur vie dans le Grand Lyon . Pour survivre, faire la manche Veronica après 10 ans de séjour en France parle de ces 3 années où elle a dû mendier. « Avec le petit, j’allais faire la manche […] On n’avait jamais fait la manche, on ne savait pas ce que c’était. Mais quand tu n’as pas d’autre possibilité… Même si tu as la honte. Quand tu es en bas, par terre, tout le monde te parle mal. Il y en a qui te disent : tu viens avec moi, je te fais du sexe pour 5 euros. Alors tu crois que tu es vraiment la dernière des dernières. D’autres te disent : Ben va travailler ! et ou T’as pas la honte de rester comme ça ? et toi tu ne peux rien dire. Il faut que tu gardes tout pour toi, les insultes, tout, tu fermes ta gueule 12 et c’est comme ça » . Anina a 23 ans. Elle est née en 1990 à Craïova (Roumanie) qu’elle a quittée en juillet 1997 pour arriver à Bourg-en-Bresse en janvier 1999. Seize mois d’un périple inouï de la Roumanie à la France par la Hongrie, le Kosovo et l’Italie ! Elle écrit : « ma mère a de nouveau fait la manche, ma petite sœur et moi l’avons accompagnée. […] Je ne voulais pourtant pas retourner faire la manche. […]Je ressentais encore plus fortement la gêne et la honte, d’autant qu’ici, en France, je comprenais ce que les gens disaient. […]Je trouve toujours qu’il n’y a pas plus humiliant […] je savais que ma mère en souffrait beaucoup. […]Quand nous entendions […] dire […] c’est la facilité […] nous n’avions qu’une envie : leur répondre que ce n’était pas par plaisir mais une nécessité, [..] un instinct de survie. […] Le regard des autres est suffisant pour blesser, pas besoin de gestes, un regard suffit. 13 […]Mais voilà, nous faisions ce qu’il fallait pour survivre, sans voler » . 14 Tamara a 8 ans, sa mère fait la manche à quelques pas. Seule sur le marché devant un étal de fruits et légumes, elle tend la main à une dame très banale d’environ 50 ans. Elle se fait rabrouer de vilaine manière. « Va donc travailler ! ». La dame détourne ostensiblement la tête, Tamara baisse la sienne. Je me retourne vers cette dame : « A son âge elle n’a pas le droit de travailler, elle a le droit de manger !». Lorsque je rentre chez moi ce jour-là, la maman a récolté 3€, 2 oranges et une tranche de jambon. Avant de laisser le carton sur lequel elle s’était isolée du froid, toutes deux mangent ce peu. La petite déguste un croissant offert avant d’aller où ? Sous un porche, au coin d’une rue ? Ces trois femmes, Veronica, Anina, Tamara à sa manière, soulignent la honte, le regard qui blesse et parfois tue, au physique comme au fond du cœur. Tamara ne dit encore rien, elle baisse la tête, déjà humiliée ! Cette humiliation, quelque forme qu’elle prenne, est très certainement la chose la plus destructrice. C’est elle qui est toujours utilisée par ceux qui sont puissants pour éliminer ceux qu’ils veulent supprimer, anéantir. Elle est pratiquée partout dans le monde et encore trop souvent en France, pour détruire la personne dans son humanité. Face à elle, soit hommes et femmes baissent la tête dans une position de soumission et se terrent, soit ils se révoltent avec violence. Rester la tête haute et 12 Le Journal International, interview de mai 2013 Anina,, pp.95-96 14 Sauf ceux d’Anina et Veronica dont les témoignages ont été publiés, tous les prénoms, ont été modifiés. 13 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 4 Antenne sociale de Lyon digne est souvent le fruit d’un long chemin comme nous le disent Veronica, Anina ou d’autres. La résignation, la soumission, la peur de ce qui pourrait se passer en s’affirmant est sans aucun doute une des raisons pour lesquelles il est peu de Roms qui se présentent directement comme tels, ils font 15 tout pour le cacher . Lorsqu’en 2007, sortant de son travail de ménage tard en soirée, Lori est contrôlée, le policier lui dit : « Tu es Rom, toi ». Elle réplique « Non ». Son patronyme est courant à Lyon sous différentes orthographes et porté par des Roms, mais elle ne peut l’avouer même lorsque le policier lui affirme : « Avec un nom pareil, ne me dis pas que tu n’es pas Rom ! ». Même avec des papiers en règle, ces paroles dites par celui qui représente le droit sont autant d’humiliations. Ceci rejoint l’expérience d’un jeune adolescent de nationalité française adopté après être né en Amérique du sud. Il est très typé. Contrôlé rue de la Ré sans avoir commis de délit, simplement il parlait fort avec ses potes. Il présente sa carte d’identité française et se voit rétorquer par le policier : « Ne me dis pas, avec ce nom et ce prénom, que cette carte tu ne l’as pas volée, menteur ». Prénom et nom de famille sont bien français. Emmené au poste, sa famille a dû venir témoigner que la carte était bien la sienne ! Rom comme non Rom, également humiliés, ils gênent ! Et pour sourire maintenant, un petit clin d’œil un jour d’été 2010 Avec deux autres adolescents, Fabian (12 ans) et Abel (9ans) montent avec ardeur en s’amusant avec les cascades, les fleurs, les marmottes jusqu’à un refuge. Ils jouent avec 2 chevaux à l’attache, photographient, sautent de pierre en pierre. Avec eux quatre, je déguste un bon chocolat chaud servi au refuge, le petit déjeuner est déjà loin. Au moment de repartir vers le col, la jeune et souriante gardienne offre à ces quatre ados une plaque de chocolat. Un franc merci fuse. Quelques pas plus loin, Abel et Fabian s’arrêtent, se retournent vers cette grand’mère qu’ils ont adoptée : « Tu la connais toi, cette dame ? » « Non » « Alors, pourquoi elle nous donne du chocolat ?» « Ben, elle vous a trouvés sympas et elle a voulu vous le dire ! » « Ah, ben ça alors, ça nous est jamais arrivé, ça, jamais » Un large sourire sur leurs visages nous repartons tous les cinq. Fabian et Abel ont les pommettes un peu hautes et la peau légèrement mate de ceux d’Europe Centrale. Plus précisément ils sont Roms de Roumanie. Pendant 3 ans, ils sont allés de squat en voiture restée ouverte, mendiant avec leurs parents, allant parfois à l’école si la police n’avait pas tout mis dehors au petit matin. Ces épisodes d’expulsion les hantent encore, avec la peur qui revient parfois la nuit et le besoin de se blottir les uns contre les autres agglutinés à leurs parents. Lorsque Abel cauchemarde, son grand frère se précipite alors pour le rassurer, toujours à demi éveillé comme lorsque les rats rodaient sur les visages au fond d’un garage squatté. En ce matin de 2010, les papiers sont régularisés, les parents travaillent et ils louent un appartement. Le chemin de l’école est sûr et régulier. Cinq personnes de cultures différentes, venues de quatre coins d’Europe et d’Asie, aux vécus extrêmement éloignés ont cheminé ensemble. Pour les parents d’Abel et Fabian laisser partir leurs deux garçons, loin, dans un monde qu’ils ignorent totalement c’est courir le risque de l’inconnu qui peut surgir dans leur quotidien et peut-être le désorganiser. Intégration ? Avec la possibilité d’aller et venir entre plusieurs cultures, plusieurs identités, de composer avec elles, de construire des mixages, des innovations, etc., il faudra bien que peu à peu 16 17 chacun trouve et construise ses marques . Roxana MARACINEANU : J’aimerais bien rester double. 15 : Anina avec VEILE, pp184 et 185 Anina avec VEILE, p. à rechercher ou dans 17 REMY, p.143 16 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 5 Antenne sociale de Lyon Tel est le titre du chapitre de Comment je suis devenu Français[e] dans lequel elle évoque très bien cette exigence et cette difficulté entre deux mondes. Physiquement, mentalement, affectivement, spirituellement, ces parcours du pays de naissance à un pays d’accueil qui n’accueille pas toujours existent pour tous et toutes : Roms ou originaires d’ailleurs, ils sont toujours ou presque occasions de souffrances, de déceptions, de joies, d’enrichissements. Championne de natation Roxana fut stigmatisée comme « voleuse de poules », a priori, préjugé souvent resservi en France à des citoyens roumains, Roms ou non-Roms. Un coup d’œil plus difficile Un soir Mateo et Dana m’appellent en catastrophe. C’est urgent ! Voilà, la police a gardé permis de conduire et voiture, deux objets nécessaires pour travailler, et ainsi vivre au jour le jour et payer leur loyer. Ce soir-là Mateo est venu chercher sa femme et le bébé pour une consultation médicale. Feux tricolores franchis un peu mûrs ! Coup de sifflet, contrôles des papiers, tout est en règle. Tout à coup l’un des policiers dit à son collègue : « Ce permis est roumain, aller, au poste, ce sont des Roms ». Là, le permis est confisqué sans autre forme de procès et sans signature d’un bordereau. La voiture doit être laissée sur place et le planton donne une convocation d’avoir à se présenter au Tribunal trois mois plus tard avec pour motif : « conduite sans permis ». Après informations (droit des étrangers et droit routier) j’accompagne Mateo au Commissariat au titre 18 de l’association Resovigi . Je présente les textes réglementaires, j’insiste et une seule réponse, invariable: « Monsieur sait pourquoi nous gardons la voiture et le permis ». Malgré ma demande pour voir le chef, refus maintenu. Après l’action de l’avocate, une lettre de la République a confirmé que tout était en ordre. Mateo a récupéré son permis sans aucune sanction. La convocation pour « conduite sans permis » a été annulée. Le pli ajoutait que c’était une erreur des agents qui ne connaissent pas la réglementation et que l’administration s’excusait ! L’attention de la patronne de Dana qui a indiqué cette avocate spécialisée et la patience du patron de Mateo ont été essentielles pour arriver à rétablir ce dernier dans une partie de ses droits. Par contre les propos discriminatoires du policier n’ont pas pu être dénoncés. Parole contre parole ! Perspectives trop lourdes pour que Mateo se sente la force d’engager une nouvelle procédure. Un autre coup d’œil ingrat lors de détours sur des terrains occupés Il y a déjà 5 ou 6 ans un groupe homogène de plusieurs familles avec un leader reconnu prend possession sans droit ni titres d’un terrain public à Villeurbanne. Ils construisent des cabanes solides, permettant de faire la cuisine sans risque d’incendies, des toilettes sèches, des voies de cheminement, tout ça sort de leurs mains et de terre et s’organise de bonne façon. Mais depuis 2 ou 3 ans les expulsions se multiplient et s’accélèrent en d’autres lieux. Des familles dans la détresse s’installent et s’imposent sur ce terrain. L’équilibre qui s’était trouvé est gravement compromis. L’hygiène devient préoccupante, les maladies de la misère se multiplient, il y a des bagarres entre des arrivants plus pauvres et les « nantis » déjà installés et organisés ! En ce début 2014, ces derniers s’en vont, il ne restera bientôt que les plus pauvres dans un lieu qui est devenu innommable et indigne et qu’aucune règle de droit ne peut justifier. Regardons un autre lieu occupé depuis un certain temps déjà. Malgré les demandes des associations qui interviennent là, pas d’eau, pas de sanitaires, pas de ramassage des ordures. Très rapidement ce 18 Resovigi, association de vigilance sur l’application du droit des étrangers et d’aide pour des démarches d’asile et autres. 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 6 Antenne sociale de Lyon terrain devient un cloaque immonde et les immeubles riverains plongent sur ce tas d’immondices où des ombres viennent fouiller les poubelles des riverains. Leurs habitants qui n’étaient pas hostiles, qui même aidaient, n’en peuvent plus. Les odeurs, la vue de ces misères, celles qu’ils ne voudraient pas subir, les mettent en colère. Ils interpellent violemment les associatifs : « Que sommes-nous pour qu’on nous impose ça ? ». C’est bien aussi ce que vivent les habitants proches de la Place Carnot. Là, une population très précaire occupe la place. Parmi d’autres personnes à la marge il y a des Roms. Les Grand’mères ne peuvent plus s’asseoir sur les bancs, les bacs à sable sont squattés. Les bouteilles de bière, les disputes, les coups se multiplient. Une amie, habitante de ce quartier me disait dernièrement son désarroi : « je me rends compte que je suis prise en sandwich entre ce que je vois, ce que j’entends et la générosité comme la lutte contre les injustices que ma mère vivait et qu’elle m’a léguées. Les gens en bavent actuellement et ils ont le sentiment d’être oubliés au profit des populations immigrantes ». Face à ces réactions, somme toute saines, ne devons-nous pas nous poser des questions dérangeantes ? Comme une patate chaude, les responsables des politiques étatiques, régionales et locales se défaussent de leurs responsabilités et peuvent ainsi laisser libre cours à toutes les dérives sécuritaires et discriminantes d’autant plus que la crise nous éprouve tous. Oui, pour qu’une société puisse accepter l’autre et l’accueillir, il faut qu’elle se sente elle-même respectée par celui qui est accueilli sans que l’inacceptable, l’injustifiable, l’inhumain s’imposent ! Ce n’est pas aisé et notre barbarie intrinsèque est toujours prête à ressurgir. Les bonnes intentions n’y font rien ! Des parcours différents et leurs risques Des destins différenciés qui s’entremêlent 19 20 21 Des Voyages pendulaires , une belle maison au pays , une installation durable , un risque majeur d’installation dans la prostitution, des destins différenciés qui parfois s’entremêlent ! Lena, Gyöngyi, Cristina, Constanta, Veronica, cinq jeunes femmes, mères de familles. Entre 2000 et 2006, elles sont allées de squats en voitures ouvertes, de garages en coins de rues, de familles lyonnaises accueillantes en cahutes de récupération. Elles mendiaient sur les marchés de Lyon ou aux feux tricolores. Elles se débrouillaient pour faire quelques trucs au noir, mais avec les petits les occasions sont très rares. Elles allaient aux Restaurants du cœur, elles recevaient des aides très ponctuelles et discrétionnaires, les forains des marchés leur donnaient quelques bricoles avant de ranger leur étal. Elles reprenaient tous les 3 mois environ la route de la Roumanie pour faire 22 tamponner leurs passeports . Elles ne laissaient jamais leurs enfants seuls ici, ayant peur qu’ils soient enlevés ou que la police les arrête et les mette dans un centre. Un enfant c’est sacré, c’est un des fondamentaux de la culture rom. Quels parcours pour ces cinq femmes depuis 2000/2006 jusqu’à maintenant, 2014 ? Lena vit en banlieue sud de Lyon, totalement clandestine depuis une dizaine d’années. Les terrains 19 AMSELLEM BOIA, p.284 21 Autrement n° 120, 22 La loi stipule qu’un européen peut rester en France comme touriste pour 3 mois. Depuis le 1 er janvier 2014, les Roumains comme les Bulgares peuvent vivre en France. Comme tous les autres européens de U.E., ils doivent justifier de ressources (personnelles ou salariales) suffisantes. Entre 2000 et 2006 l’accès au travail légal était très restreint, voire impossible) 20 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 7 Antenne sociale de Lyon boueux, les squats sordides sont son lot depuis tout ce temps. A chaque expulsion, tout est détruit. Souvent cette situation signifie la confrontation à certaines mafias qui, tels les marchands de sommeil, arrivent à lui louer cher ne serait-ce que 4 planches. A certains moments elle a commis de petits délits et s’est trouvée à la merci des mafias ou de chefs autoproclamés. Dernièrement, le maintien pendant beaucoup plus longtemps sur un terrain immonde, lui a permis de nouer des liens avec des personnes de cette commune et les associations qui tentent d’apporter ici un peu d’humanité. Une habitante du quartier avec l’aide d’une de ces associations lui permet de reprendre des démarches de régularisation qui semblent devoir aboutir, très prochainement. Cet horizon devient atteignable puisqu’elle a un travail en insertion très bien investi. Ces mêmes volontaires ont pu lui trouver un hébergement simple mais correct. Grâce à son niveau scolaire acquis en Roumanie et sa longue présence en France Lena est devenue excellente en français et ses capacités lui permettent d’aider lorsqu’il faut un interprète fiable. Gyöngyi vit seule. Ses enfants encore en classes élémentaires quand elle est arrivée en France vers 2000 sont restés en Roumanie dans la ville d’origine à la garde de la parentèle. Elle peine à sortir de graves violences conjugales. N’y a-t-il pas eu mise à la prostitution contre son gré Place du Pont ? Ce serait la pire humiliation, le souvenir de la présence des Ottomans en Roumanie aidant. Un jugement roumain de divorce lui a confié les enfants. Gyöngyi a de très grandes difficultés à faire des démarches, elle n’ose pas, ne peut pas ou ne veut pas porter plainte à la Police. En Roumanie c’est plutôt le voisinage qui a signalé les violences qui ont abouti au jugement. Elle souhaite que ses enfants la rejoignent pour qu’ils soient scolarisés ici, à l’abri de leur père. Elle ne veut pas qu’ils soient ici à la rue, soumis à tous les risques qui s’en suivent. Elle continue à aller et venir entre sa ville natale et Lyon, parfois avec l’un des enfants, d’autres fois seule. Toutes ces difficultés ne permettent pas qu’une aide (qu’elle souhaite pourtant) se mette en place de façon adéquate. Du coup ça s’aggrave et elle ne peut se stabiliser ni en Roumanie ni en France. Tout ceci fait qu’elle reste en situation irrégulière en France dès qu’elle est là plus de trois mois. Elle n’a jamais introduit aucune démarche pour obtenir des papiers, toujours craintive de conséquences négatives soit pour elle, soit pour ses enfants ! Pendant les courtes périodes de scolarisation en France, les enseignants notent que tous ses enfants travaillent très bien et ils n’hésitent pas à les accueillir à nouveau lorsqu’ils réapparaissent. Je l’ai rencontrée en 2012 à Resovigi, puis elle a disparu. Revenue en 2013, elle est allée à Pôle Emploi dès le début de 2014 et ses démarches avancent. Entre sa disparition et ce retour de l’obscurité, ayant besoin de conseils juridiques en février 2014 elle a joint une Roumaine pour reprendre contact. Cette fois elle a réuni toute sa petite famille et elle a une promesse d’embauche avec mise à niveau de sa formation qualifiante faite il y a longtemps en Roumanie. Constanta, elle, est venue en France seule, laissant mari et enfants au pays. Son objectif : envoyer de l’argent pour que le père, une grand’mère, les enfants, puissent vivre au quotidien à peu près correctement mais surtout pour que les enfants puissent étudier en Roumanie au niveau du lycée et des études supérieures. Bien sûr, dans cette optique, elle fait des voyages fréquents entre sa région roumaine et Lyon. Depuis qu’elle a eu ses papiers après l’inéluctable manche, elle travaille régulièrement dans le secteur de l’aide à la personne, avec donc des droits en matière de Sécurité Sociale. Elle est logée au pair, ce qui lui permet d’économiser davantage pour faire vivre sa famille au pays sans rupture avec sa culture. Je la rencontre très souvent, elle partage ses soucis, son travail, demande des nouvelles des Roumaines qui faisaient la manche près d’elle, parfois avec quelque rivalité ! Ses enfants continuent à étudier et l’aîné est à l’Université. Elle est très typée et son habillement reste conforme à l’image que nous nous en faisons sans qu’elle semble en être pénalisée. Veronica nous l’explique lors de son interview : elle a fait plusieurs allers-retours entre France et Roumanie, puis elle a eu ses papiers. Ses enfants vont à l’école, l’aîné va entrer au lycée et sait ce qu’il va faire. Il aide sa mère le samedi pour gagner son argent de poche. Il aime aller en Roumanie chevaucher à cru dans les forêts proches de là où il est né, mais il ne souhaite pas y vivre, tout comme son frère. Son oncle, dans leur village roumain, s’en sort avec son travail en usine (180€/mois pour un temps complet) parce qu’il est en campagne où il élève quelques poules, un cochon et un cheval. Ce coin ressemble à nos campagnes françaises vers 1945/1950 même si les techniques 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 8 Antenne sociale de Lyon modernes (ordinateur, appareils électroménagers) y arrivent aux mêmes prix qu’en Europe de l’ouest. Il se demande comment, vraiment, on peut vivre dans ces immeubles lyonnais ! Veronica et ses enfants, envisagent leur vie ici, même si elle souhaite laisser à ses enfants quelques ares et une petite masure sans aucun confort. Elle veille à ce que ses garçons, sa fierté, soient dignes de l’espoir qu’elle a mis en eux. Cristina vit en couple avec ses 6 enfants, 4 sont nés en Roumanie, 2 en France. Les enfants, des jeunes adultes aux tout petits, sont allés à l’école ou y sont encore. Les parents travaillent en entreprises du tertiaire et sont logés dans le secteur social où ils paient un loyer comme tout Européen qui travaille en France et bénéficie des aides au logement. Une partie de leurs ressources vont à la construction d’une maison dans leur village en Roumanie même si c’est au prix de quelques sacrifices. Les trois plus grands sont plus ou moins ambivalents quant à leur avenir : ici, là-bas, en respectant la culture ancestrale modelée par leur appartenance rom et religieuse ? Toujours la tradition reste centrale mais la vie ici les laisse dans un entre-deux déstabilisant. Si je regarde avec un peu de recul ces cinq situations je vois qu’elles ne sont pas bien différentes sur le fond de toutes celles que je rencontre avec d’autres migrants. Je retrouve dans ces parcours, ou ceux de population française en grande difficulté, des raisons politiques, des motifs liés à l’extrême misère, des mobiles personnels de dissociation de couple, des causes sociologiques de discrimination, de relégation, de violences sexuelles comme aussi le désir de s’en sortir un jour. Ils nous envahissent ? Il convient de se rendre compte que souvent les Roms sont en position de bouc émissaire et ce depuis des siècles. Les Roms y restent d’autant plus facilement qu’ils sont enfermés depuis longtemps dans cette position de stigmatisation. L’esclavage de ceux de Roumanie pendant cinq siècles peut sans doute accentuer cette résignation à leur sort. Dans le même sens les évacuations de terrains sont anticipées et se passent souvent sans problème, même quand elles sont « musclées ». Simplement les personnes expulsées passent d’un point à un autre avant même que l’expulsion ait lieu. « Lorsque la demande d’asile effectuée par mes parents a été rejetée, […] nous avions deux semaines pour quitter le Foyer […mes parents] n’ont pas baissé les bras […] Nous avons quitté [le 23 foyer avant l’expiration des délais légaux. »] nous dit Anina . Cette résignation et cette anticipation ont des conséquences, notamment une surévaluation du nombre des Roms ! Il y a quelques jours vingt familles étaient le long du fleuve, sous un pont. L’huissier est passé pour annoncer l’expulsion dans 2ou 3 jours. Dès le soir même, 2 familles sont parties, baluchons à bout de bras ou sur une carriole de misère, les enfants tirés par la main ou dans les bras, elles passeront la nuit dans le premier recoin trouvé. Quelques jours plus tard elles se fixeront ici ou là. Une famille est partie en Roumanie grâce au produit de la manche. D’autres encore ont trouvé un bord de rivière, peut-être un garage prêté, un terrain inoccupé. Seul un vieux couple resté sur le terrain sera évacué par la police. Lorsque j’arrive personne ne sait encore où il a été évacué. Le long du Rhône il n’y a plus personne mais le citoyen ordinaire aura-t-il peut-être conscience d’une multiplication de bouts de terrains ou de squats investis, « ils nous envahissent » ? Pourtant leur nombre est resté stable. 23 Anina avec VEILE, pp 90 à 92 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 9 Antenne sociale de Lyon Les associations qui œuvrent sur ce terrain, notamment Médecins du Monde, s’inquiètent. Où est Monsieur X avec son traitement vital ? Où est Madame Y ? Sa grossesse à risques est à terme ! 24 Pendant ce temps-là aussi, CLASSES qui soutient l’effort des familles pour la scolarisation des enfants ne sait plus où sont les petits. Elle découvre bientôt que tel gamin de 10 ans continue à traverser la ville pour rejoindre son école, que d’autres sont à nouveau dans le métro ou sur le 25 marché. Les deux enseignants de l’antenne scolaire mobile de l’ASET 69 retrouvent un des gosses de ce terrain lorsqu’ils ont immobilisé leur bus dans la proche banlieue ! Il tient, lui aussi, à son école. Quel acharnement à vivre, quelle capacité à faire face à l’adversité, parfois en biaisant plus ou moins nos normes et habitudes. Mais au fait de quoi parle-t-on ? Dans le Grand Lyon avec une population de 1 350 000 habitants ce sont 2 000 Roms que nous laissons survivre dans des conditions inhumaines et indignes. Dans la France entière, ce sont 65 000 000 habitants qui n’arriveraient pas à accueillir dignement 25 000 Roms ? Non, il n’y a pas d’envahissement. Oui, la France et les Français sont tout à fait en mesure d’accueillir décemment et humainement ces Roms qui tentent de fuir leur misère et de la vaincre. Oui nos concitoyens sont riches de toutes leurs solidarités. Oui notre pays est économiquement riche. Malgré la crise actuelle notre pays peut engager des actions en France ou au niveau européen pour que les droits fondamentaux des Roms comme de tous les autres étrangers et Français en situation précaire soient honorés. Le groupe Rom est actuellement mis en position de bouc émissaire. En lisant ou en relisant notre histoire nationale, je ne peux m’empêcher de constater que lorsqu’un groupe humain est mis en position de bouc émissaire, c’est la société tout entière qui court le risque de déstructuration, d’autant plus gravement que ceci touche les groupes les plus pauvres. Du travail, mais quel travail ? Des métiers traditionnels au travail précaire ? Les familles dont je parle dans ce texte comme bien d’autres, lorsqu’elles ont pu avoir un logement, trouvent aussi un travail légal. C’est le constat souvent fait par les associations qui travaillent avec des familles en grande précarité ou par l’ORSPERE (Observatoire National des Pratiques En Santé Mentale et Précarité). 26 Le chef de projet du programme Andatu faisait il y a quelques jours le bilan du travail entrepris avec une centaine de personnes Roms qui squattaient sur Lyon. Ce programme a été proposé à toutes les familles volontaires qui vivaient en 2011 dans deux squats repérés (une paroisse à Gerland et un terrain appartenant à une entreprise à Oullins). Seules 2 à 3 familles n’ont pas voulu. A trois ou quatre mois de la fin du programme, 23 adultes sur environ 35 ont ou ont eu un travail avec contrat dont 3 en CDI. Les personnes de plus de 60 ans et quelques personnes porteuses de handicap n’ont pu accéder à l’emploi. Les principales limites sont le français non maîtrisé et la situation des femmes avec de très jeunes enfants. 24 CLASSES, Collectif Lyonnais pour l’Accès à la Scolarisation et le Soutien des Enfants des Squats) ASET 69, effectue « une mission temporaire de scolarisation et de lien vers l’école pour des élèves et des familles dont la relation au système scolaire est précaire » Dans le Rhône l’ASET fonctionne avec deux enseignants temps plein. 26 Le programme Andatu a été initié sur Lyon par le Préfet et confié à Forum-Réfugiés qui l’a conçu et mis en place. 25 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 10 Antenne sociale de Lyon Echangeant avec des travailleurs sociaux, certains avouent qu’eux-mêmes, influencés par les préjugés, ne croyaient pas que des Roms pouvaient se montrer aptes à travailler régulièrement. Leur assiduité comme la fiabilité du travail fait et leur acharnement à faire leur boulot ont forcé leur admiration. Cristina et son mari, Alina et son père, tout comme Veronica, Constanta ou Lena ne demandent qu’à travailler et préfèrent de loin un travail régulier qui permet de ne plus mendier et de payer alors leur logement ! Qu’ajouter ici ? Un certains nombre de familles après bien des années de vicissitudes dans leur pays d’origine ou en France, arrivent à avoir des papiers, un toit digne et un travail nourricier et déclaré. Les enfants vont à l’école et au collège. Elles vivent alors sans faire plus de vagues que toute famille installée ici depuis longtemps. Pourtant, malgré tout, elles restent victimes de comportements discriminatoires qui fragilisent à tout moment leur avenir et celui de leurs enfants. Dans ces moments-là il faut bien souvent que ces familles puissent s’appuyer sur des bénévoles, des travailleurs sociaux conscients que les parcours de vie supposent toujours des allers et retours, des amies. Ce fut par exemple le cas de Mateo et Dana comme de bien d’autres. Anina termine son témoignage par ces mots : « Ce livre est dédié à […], ces personnes au cœur d’or 27 que Dieu a placées sur notre chemin et sans qui nous ne serions sans doute pas là aujourd’hui. » . Lors de son interview Veronica l’exprime à sa façon : « Grâce à tous ceux qui m’ont aidée, au jour d’aujourd’hui je suis tranquille. Parce qu’ici, en France, si t’as personne t’es mort, t’es mort dans la rue. Moi j’ai eu beaucoup de chance ». Beaucoup plus souvent qu’on ne pense, les personnes les plus banales, sans liens avec la question des étrangers avec ou sans papiers, sont nombreuses autour de nous à soutenir les Roms ou d’autres personnes en grande précarité. Elles sont parfois dépassées par le sentiment que leurs actes sont vains. Je crois important de souligner que tous ces gestes fraternels, utiles, obligent ceux qui les font à beaucoup de rigueur. Notamment ils nécessitent l’humilité suffisante pour appeler à l’aide des personnes compétentes sur tel ou tel sujet (droit des étrangers, services sociaux, etc.), mais aussi à accepter les échanges suffisants avec d’autres volontaires pour ne pas imposer nos schémas, nos idées reçues, pour rester critique sur ce qui est mis en place en matière d’immigration, pour ne pas aller plus vite que ces personnes. Bien sûr ce travail d’humanité ne saurait se substituer aux devoirs des instances publiques ni à l’application du droit mais ils sont nécessaires et disent qu’aucune personne ne peut être réduite aux préjugés. Ceux-ci maintiennent des personnes singulières au rang d’animaux qui ne peuvent trouver un coin pour s’isoler et rester propre, elles n’ont pas même une pierre où reposer leur tête. Au-delà de notre seul pays, l’UE et le Conseil de l’Europe doivent prendre à bras le corps ces questions, avec la volonté nécessaire, pour harmoniser droits et pratiques. Qu’en est-il des enfants roms et de l’école ? Sylvie et Luc ont dans leurs classes de maternelle et de CP plusieurs élèves qui viennent d’arriver en France. C’est un plaisir d’entendre tous ces gamins et leurs petits copains francophones jouer avec les sons. Les rimes s’enchaînent à un rythme joyeux et fantaisiste. Patiemment ils reprennent les 27 Anina, p.202 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 11 Antenne sociale de Lyon sons les plus durs à ces petites oreilles, peu habituées aux diphtongues française, tous ces « an, en, ain, un » ! Belle occasion d’épater les parents en rentrant le soir. Dans quelques temps, très vite quand on a 5/6 ans, ces bambins déjà espiègles s’amuseront à dire aux parents : « c’est mal, tu dis comme ça, c’est la maîtresse qui l’a dit. Tu es nulle ! ». Mais déjà Stefan est en CM1, avec 3 ans de retard qu’il n’a pas pu rattraper. L’école a parlé de SEGPA (Section d’Enseignement Général Préparatoire à l’Apprentissage). Sur le marché on lui a dit, la SEGPA, c’est pour les fous. Son refus est catégorique. « Mon fils n’est pas le plus nul et y a que pour lui la SEGPA. Les autres on ne les envoie pas en SEGPA. Pourquoi ? C’est pas juste ». Elle veut que je l’accompagne à la réunion. Bec et ongles, elle s’est battue contre cette orientation. Il n’est pas ème allé dans cette section et depuis son fils est en 3 d’enseignement général et entre au lycée. «Tu vois, j’ai eu raison. J’ai pas pu passer le bac en Roumanie, je veux qu’il fasse mieux que moi ! » me dit-elle maintenant. Martine CHOMENTOWSKI […] : « rappelle la surreprésentation des enfants de migrants dans les filières de l’enseignement dit adapté, les orientations subies ». Elle montre que « les enfants, s’ils ne sont jamais discriminés en raison de leur appartenance ethnique, […] subissent néanmoins une 28 discrimination de fait » . Que nous disent tous ces constats ? Les Roms comme les populations en grande précarité en France sont confrontées aux mêmes parcours et ont besoin de leurs propres forces mais aussi des autres et du respect de leurs droits élémentaires pour survivre. Bien sûr les Roms ont dans leurs rangs des personnes qui commettent des délits (petits larcins, vols à l’étalage, etc.) pour survivre mais aussi dans le cadre de mafias organisées qui commettent des délits autrement plus graves et alors ils doivent être jugés. Là encore Veronica l’exprime très clairement dans la même interview. A la question de son appartenance à la communauté Rom, elle répond : « Mais bon, les Gitans, c’est comme les Roumains, comme les Français, il y en a des bons et des mauvais, des travailleurs et d’autres qui n’aiment pas travailler ». Il faut ajouter (voir TURINE, Jean-Marc, Le crime d’être Roms et les propos d’élus rapportés dans ce livre) que souvent le rejet, les discriminations s’appuient sur des rumeurs et les clichés ont la vie dure. En feuilletant la revue Monde Gitan, la seule rubrique Nouvelles du Voyage constituerait un assez joli – ou triste – florilège. Face aux clichés, trois fascicules sont à relire : Les Roms, luttons contre les idées reçues, Petit guide pour lutter contre les préjugés sur les migrants et En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, ils ont à peu près les mêmes entrées de lecture. Les voici dans la plaquette concernant les Roms : Ils aiment vivre en bidonvilles ou en squats Ils sont nomades, Ils ne vivent qu’en communauté Ils ne veulent pas envoyer leurs enfants à l’école Ils apportent en France les maladies Ils profitent des aides sociales 28 MORO, pp.133 à 136 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 12 Antenne sociale de Lyon Ils ne veulent pas travailler Ils préfèrent faire la manche Ils n’ont pas le droit de venir en France et de séjourner en France Ces personnes, reconnues dans leur humanité propre, ne peuvent être réduites à ces stéréotypes. C’est ce que me disent les personnes que je rencontre. C’est aussi ce que disent des personnes comme Roxana Maracineanu, championne de natation, Safia Otokoré, femme politique, Rio Mavuba, 29 footballeur, devenus des personnalités françaises . Conclusion Ces discriminations qui ne datent pas d’hier, perdurent, s’aggravent parfois et sont en contradiction avec le droit. Souvent les militants et les associations le disent et le redisent inlassablement. Là est sans conteste un des nœuds des problèmes et une bonne partie de leurs solutions. Les Roms, dans leurs pays d’origine, sont majoritairement pauvres et discriminés mais ils habitent dans des constructions fixes, certes élémentaires, dans des quartiers assignés, certes sans eau ni électricité, ils y sont souvent sans travail mais ce ne sont pas des nomades. Ils sont sédentarisés depuis fort longtemps. En France la plupart des Roms installés depuis plusieurs siècles ont un domicile fixe, quelques autres (environ 1/3 ou 1/4) vont d’un lieu à l’autre, avec d’autres voyageurs, Manouches, Gitans, Mariniers, Gens du spectacle de rue. En France, Les Gens du Voyage ne bénéficient toujours pas des mêmes droits que les autres Français, par exemple pour pouvoir accéder au droit de vote universel ou pour accéder aux droits sociaux. De même leurs modes de vie mobiles nécessitent des aires de stationnement qui sont obligatoires aux termes de la loi. Or en 2003 sur les 1482 aires légales 116 seulement étaient en fonction. Sur la région, il y a eu des progrès mais on est loin du compte. Dans le même temps les lois nationales et internationales exigent que toute personne ait la possibilité effective d’avoir un toit qu’il soit mobile ou fixe. Là encore le droit de ces Français du Voyage n’est pas appliqué. Les conséquences sont graves tant pour les étrangers avec papiers ou en attente que pour les Français Gens du Voyage ou les Français sans domicile. Faute de toit (logements fixes et corrects, caravanes sur des aires de stationnement équipées), ces personnes se débrouillent comme elles le peuvent et occupent des terrains, des squats, sans droit ni titres et les quelques aires existantes sont surpeuplées. Ces situations ne font qu’exacerber les griefs des uns contre les autres, amenant de nouvelles irrégularités ou déni de droit par les Autorités. Il faut absolument ne pas inverser les données, sauf à aggraver les discriminations et les positions racistes. Cette question du droit non appliqué, moi-même comme les salariés et les militants des associations nous le rencontrons régulièrement. Ces Roms ont souvent les mêmes difficultés que nombre de personnes dans la précarité. Proches d’eux, combien sont nombreux ces Lyonnais attentifs qui cherchent des solutions d’humanité et se préoccupent de les voir bénéficier les uns comme les autres des droits fondamentaux. S’il y a, et il y a effectivement discrimination à leur égard, il faut souligner l’effet boule de neige sur d’autres groupes exclus avec des actes de rejet, de racisme qui sont le reflet de notre difficulté à vivre nos différences et à accepter que l’autre existe. 29 REMY, pp.187, 159, 143 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 13 Antenne sociale de Lyon Offrons-nous enfin le plaisir d’un échange entre Gustave Flaubert et George Sand en 1867. Qu’il nous aide à regarder autour de nous et à rester en éveil auprès de celui qui est proche et différent. Gustave Flaubert écrivait alors : « Je me suis pâmé […] devant un campement de Bohémiens […] L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons. […] Cette haine-là tient à quelque chose de profond et de complexe. […] C’est la haine que l’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine ». A quoi George Sand répondit après une description savoureuse de ceux qu’elle avait rencontrés près de Tamaris [près de la Toulon] : « Naturellement les gens du pays les abominent et disent qu’ils n’ont aucune espèce de religion. […] je demandais à un garde-côte ce que c’étaient que ces gens-là qui ne parlaient ni français, ni italien ni patois. […] Il me dit […] que j’avais eu tort [de les approcher], parce que c’était des gens capables de tout ; mais quand je lui demandais quel mal ils faisaient, il m’avoua qu’ils n’en faisaient aucun. Ils vivaient du produit de la pêche et surtout des épaves qu’ils savaient recueillir avant les alertes. Ils étaient l’objet du plus profond mépris. Pourquoi ? Toujours pour la 30 même histoire : celui qui ne fait pas comme tout le monde ne peut faire que le mal » . En côtoyant des familles tsiganes qui vivent ici depuis bien longtemps, cet échange entre Gustave Flaubert et George Sand est d’une actualité lumineuse. Ces groupes, dans leur globalité, n’ont pas de vocation particulière à vivre ici plutôt que là. Par contre la haine, la peur, le mépris sont les bases des a priori et des idées reçues. « Celui qui ne fait pas comme tout le monde ne peut faire que le mal ». Faits à notre image et différents de nous, ils ne sont pas plus destinés à faire le mal que nous-mêmes et ont les mêmes dynamismes à pouvoir faire le bien. Claude MORIZET 30 TURINE, p.5. C’est moi qui surligne. 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 14 Antenne sociale de Lyon Bibliographie Livres AMSELLEM, Bruno, Voyages pendulaires des Roms au cœur de l’Europe, Centre d’Histoire, de la Résistance et de la Déportation, 2010 Anina avec VEILE, Frédéric, Je suis Tzigane et je le reste, City Editions, 2013 ASSEO, Henriette, Les Tsiganes, une destinée européenne, Editions Gallimard, collection Découverte, 1994 AUZIAS, Claire, Les Tsiganes ou le destin sauvage des Roms de l’Est, suivi de Le statut des Roms en Europe, Editions Michalon, 1995 AUZIAS, Claire, Roms, Tsiganes, Voyageurs : l’éternité et après, Editions Indigène, 2010 BOIA, Lucian, La Roumanie, un pays à la frontière de l’Europe, Société d’Edition Les Belles Lettres, 2003 FILHOL, Emmanuel, Le contrôle des Tsiganes en France (1912-1969), Editions Karthala, 2013 GARO, Morgan, Les Rroms, une nation en devenir, Editions Syllepse, 2009 MARTINEZ, Brigitte et HENRY, Pierre, Dico, Atlas des Migrations, Editions Belin, 2013 MORO, Marie Rose, Nos enfants demain, Editions Odile Jacob, 2010 OLIVERA, Martin, Roms en (bidon)villes, Editions d’Ulm, 2011 PERNOT, Mathieu, Un camp pour les Bohémiens, mémoires du camp d’internement pour nomades de Saliers, Editions Acte Sud, 2001 PINATEL, André, Qu’as-tu fait de ton frère ? (Génèse IV) Le pont de Shtuf symbole de la fraternité entre les peuples, 2007 REMY, Jacqueline, Comment je suis devenu Français, Editions du Seuil, 2007 ROMANES, Alexandre, Un peuple de promeneurs, Editions Gallimard, 2011 TURINE, Jean-Marc, Le crime d’être Roms, Editions Golias, 2005 YOORS, Jan, Tsiganes, sur la route avec les Roms Lovara, Editions Phébus, collection Libretto, 2009 ZITOUNI, Rasika, Comment je suis devenue une beurgeoise, Editions Hachette, 2005 La Bible, Traduction œcuménique de la Bible, Ancien Testament, Les éditions du Cerf et Les Bergers et les Mages, 1975. Revues et autres Atlas des Migrants en Europe, Autrement n° 120, Les Roms de Montreuil, 1945-1975, Editions Autrement, 2000 Etudes Tsiganes, nos 26, 27, 28, 30, 31, 38, Manouches, Migrations tsiganes, Gitans, Roms, Roms de Roumanie, Les Tsiganes, édité par l’Association Nationale Notre-Dame-ds-Gitans, 1984 Libération, Anina VIUCIU, Rom, vie ouverte, dans un article du n° du 23 décembre 2013, p.30 Migreurop Atlas des Migrants en Europe, Editions Armand Colin, 2012 Mille ans de Contes, Tsiganes, Histoires et légendes à raconter aux enfants, Editions Milan, 1998 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo 15 Antenne sociale de Lyon Romeurope et Ile de France, Ceux qu’on appelle les Roms, Luttons contre les Idées Reçues Sur Internet Le Journal International, www.lejournalinternational.fr, www.facebook.com/le journal international, interview de mai 2013. 67, Laennec- 69008 LYON – tél : 04 78 61 77 18 – courriel : [email protected] – site http://antennesocialelyon.org Tel : 04 78 61 77 18 Courriel: [email protected] Site : http://antennesocialelyo