ROMS à Lyon au quotidien - Antenne sociale de Lyon

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ROMS à Lyon au quotidien - Antenne sociale de Lyon
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Antenne sociale de Lyon
Mai 2014
ROMS à Lyon au quotidien
Les quotidiens et hebdomadaires lyonnais se font régulièrement l’écho des Roms qui sont ici
en situation irrégulière. Ils sont environ 2000 ! Ce nombre reste stable depuis au moins la
chute de Ceauşescu. Pourquoi une telle disproportion entre si peu de personnes et la place
qu’ils occupent dans nos têtes et nos préoccupations ?
Souvent les propos tenus réduisent ces individus et ces familles au groupe dans son ensemble. Mais
jamais nous ne pouvons réduire des personnes singulières à un groupe quel qu’il soit, ici les Roms, là
les Africains, ailleurs les Juifs, les Musulmans, là aussi les Italiens arrivant en France entre les deux
guerres, là encore les homos, etc., et les stigmatiser en tant que groupe comme on pourrait dire
« tous les Normands ont les doigts crochus et sont grippe-sous».
Constitution, textes européens et internationaux nous obligent à respecter avec ces 2000 Roms la
Charte des Libertés et des Droits Fondamentaux :

Droit à un toit

Droit à un travail

Droit à l’enseignement

Droit à l’eau

Droit à la liberté d’opinion et d’expression
Avant d’aller plus loin, nous vous proposons de relire la Note d’Actualité de mars 2012,
réalisée par Thérèse Nandagobalou : « Les Roms, qui sont-ils ? ».
Qui sont-ils?
Nous insisterons ici sur quelques points importants au sujet des Roms de Roumanie, les plus
nombreux dans la région.

Les Roms sont une partie de l’ensemble généralement désigné sous le nom de Tsiganes. Ils sont
les plus nombreux. Venus de l’Inde, les Tsiganes sont partis dans trois directions, vers l’Europe
du nord, ce sont les Manouches ou Sinté, vers l’Europe centrale, ce sont les Roms et vers
l’Europe méditerranéenne, ce sont les Gitans ou Calés. Gypsies, Bohémiens, Romanichels, etc.,
sont d’autres noms transversaux utilisés.

Environ 2000 Roms en situation irrégulière survivent dans l’agglomération et entre 15000 et
25000 en France. Ils viennent principalement de Roumanie mais aussi de Bulgarie, deux pays de
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l’Union Européenne. D’autres minoritaires viennent du Kosovo, de Macédoine, d’Albanie, donc
er
hors de l’UE. Depuis le 1 janvier 2014 les Roms roumains et bulgares ont en France tous les
droits de tous les autres citoyens de l’Union Européenne, comme les Belges ou les Italiens.
Comme pour ceux-ci leurs droits sont différents de ceux des nationaux français mais ne peuvent
être, en aucun cas, discriminatoires et doivent respecter la Charte des Droits fondamentaux, la
Constitution française et son préambule.

Certains Roms sont en France depuis fort longtemps et sont la plupart du temps citoyens
français. Ils sont souvent discriminés tout comme d’autres Tsiganes. Ils étaient soumis de 1912 à
1
1969 à la possession d’ « un carnet anthropométrique d’identité pour nomades » . Même ceux qui
étaient sédentaires depuis longtemps en France se sont souvent vus refuser la Carte Nationale
2
d’Identité lors de son instauration vers 1920/1930. Pendant la guerre de 1939-1945, le régime de
Vichy les a relégués dans des camps de rétention, de type concentrationnaires, comme celui de
3
Saliers (en Camargue). Les familles Demetrio et Schaenotz y ont été enfermées, au milieu
d’autres Tsiganes. Ceux vivant actuellement et depuis longtemps en France sont à 95% de
4
nationalité française .

Le pays européen où ils sont les plus nombreux est la Roumanie (environ 10% de la population)
5
et leur situation y a toujours été particulièrement mauvaise. Arrivés dans cette région vers l’an
1300, ils sont esclaves dans les royaumes de Moldavie et de Valachie depuis 1370. Dans ces
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deux royaumes ils le sont juridiquement jusqu’en 1864 soit des Couronnes, soit des monastères
soit des boyards. « Le Tsigane était la chose du maître, qui le vendait ou l’échangeait à son gré,
7
payant ses dettes en âmes tsiganes » . L’abolition ne fut pas plus réelle ni immédiate en
Roumanie que celle des Noirs aux USA. A l’époque nazie, ils furent exterminés soit par
massacres, soit par déportation dans les camps. Des estimations indiquent qu’entre 1/4 et 1/3 ont
péri de ce fait. Ce génocide s’appelle Samudaripen en romani, équivalent du mot Shoah en
hébreu.

Ces différents points permettent d’ajouter une observation. Les Tsiganes, partis d’Inde, forment
un peuple doté d’une langue-mère spécifique, le Romani, avec ses langues, ses dialectes et ses
patois et d’une culture propre. Métissés au fil de leurs pérégrinations et de leurs stratégies pour
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survivre et pour protéger ce qui leur est existentiel c’est un Peuple sans lieu et sans frontières .
Pour survivre cette nation est régulièrement obligée de voyager. La Commission Européenne, le
9
Conseil de l’Europe, l’OSCE travaillent avec d’autres sur ces aspects spécifiques, cherchent et
proposent des avancées qui respecteraient mieux les droits de ces populations, membres ou non
de l’Union Européenne. Ce n’est qu’assez récemment que certains Tsiganes s’organisent pour
défendre leur culture et leur langue mais aussi le respect du droit international ou européen y
10
compris ce qui concerne les droits des minorités. Il s’agit par exemple de Romeurope , Romilor,
11
Rromani CRISS , Ils ne sont pas forcément d’accord entre eux.
1
PERNOT, p. 33
, rechercher les discriminations pour l’obtention de la CNI vers 1920.
3
PERNOT, pp. 35, 37 et photos à partir de p. 91
4
GARO, pp17 à 60.
5
Idem, p 106 et aussi : BOIA, pp. 280 à 286.
6
ASSEO, pp. 76-77
7
idem, p. 76
8
AUZIAS, p.81
9
Commission Européenne, Conseil de l’Europe, avec la Fondation Open Society de George Soro financent un
programme de 700 000€ pour favoriser l’accès au logement, à l’éducation, à la santé et à l’emploi (La Croix, 7
octobre 2013).
10
Collectif National Droits de l’Homme Romeurope, de droit français.
11
Romilor, un des partis rom de Roumanie ; Rromani CRISS, association roumaine pour l’accès aux droits créée
en 1993.
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Je rejoindrai avec vous des familles Roms que je connais sur le Grand Lyon. Elles sont
arrivées entre 2000 et 2006. Après 3 à 4 ans de vie en squats et terrains elles ont eu, entre 2004
et 2007, des titres de séjour. Ni enquête sociologique ni recherche universitaire mais plutôt des
témoignages que j’entrecroiserai avec d’autres.
Leur vie dans le Grand Lyon
.
Pour survivre, faire la manche
Veronica après 10 ans de séjour en France parle de ces 3 années où elle a dû mendier.
« Avec le petit, j’allais faire la manche […]
On n’avait jamais fait la manche, on ne savait pas ce que c’était. Mais quand tu n’as pas d’autre
possibilité… Même si tu as la honte. Quand tu es en bas, par terre, tout le monde te parle mal. Il y en
a qui te disent : tu viens avec moi, je te fais du sexe pour 5 euros. Alors tu crois que tu es vraiment la
dernière des dernières. D’autres te disent : Ben va travailler ! et ou T’as pas la honte de rester comme
ça ? et toi tu ne peux rien dire. Il faut que tu gardes tout pour toi, les insultes, tout, tu fermes ta gueule
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et c’est comme ça » .
Anina a 23 ans. Elle est née en 1990 à Craïova (Roumanie) qu’elle a quittée en juillet 1997 pour
arriver à Bourg-en-Bresse en janvier 1999. Seize mois d’un périple inouï de la Roumanie à la France
par la Hongrie, le Kosovo et l’Italie ! Elle écrit : « ma mère a de nouveau fait la manche, ma petite
sœur et moi l’avons accompagnée. […] Je ne voulais pourtant pas retourner faire la manche. […]Je
ressentais encore plus fortement la gêne et la honte, d’autant qu’ici, en France, je comprenais ce que
les gens disaient. […]Je trouve toujours qu’il n’y a pas plus humiliant […] je savais que ma mère en
souffrait beaucoup. […]Quand nous entendions […] dire […] c’est la facilité […] nous n’avions qu’une
envie : leur répondre que ce n’était pas par plaisir mais une nécessité, [..] un instinct de survie. […] Le
regard des autres est suffisant pour blesser, pas besoin de gestes, un regard suffit.
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[…]Mais voilà, nous faisions ce qu’il fallait pour survivre, sans voler » .
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Tamara a 8 ans, sa mère fait la manche à quelques pas. Seule sur le marché devant un étal de fruits
et légumes, elle tend la main à une dame très banale d’environ 50 ans. Elle se fait rabrouer de vilaine
manière. « Va donc travailler ! ». La dame détourne ostensiblement la tête, Tamara baisse la sienne.
Je me retourne vers cette dame : « A son âge elle n’a pas le droit de travailler, elle a le droit de
manger !». Lorsque je rentre chez moi ce jour-là, la maman a récolté 3€, 2 oranges et une tranche de
jambon. Avant de laisser le carton sur lequel elle s’était isolée du froid, toutes deux mangent ce peu.
La petite déguste un croissant offert avant d’aller où ? Sous un porche, au coin d’une rue ?
Ces trois femmes, Veronica, Anina, Tamara à sa manière, soulignent la honte, le regard qui blesse et
parfois tue, au physique comme au fond du cœur. Tamara ne dit encore rien, elle baisse la tête, déjà
humiliée !
Cette humiliation, quelque forme qu’elle prenne, est très certainement la chose la plus destructrice.
C’est elle qui est toujours utilisée par ceux qui sont puissants pour éliminer ceux qu’ils veulent
supprimer, anéantir. Elle est pratiquée partout dans le monde et encore trop souvent en France, pour
détruire la personne dans son humanité. Face à elle, soit hommes et femmes baissent la tête dans
une position de soumission et se terrent, soit ils se révoltent avec violence. Rester la tête haute et
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Le Journal International, interview de mai 2013
Anina,, pp.95-96
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Sauf ceux d’Anina et Veronica dont les témoignages ont été publiés, tous les prénoms, ont été modifiés.
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digne est souvent le fruit d’un long chemin comme nous le disent Veronica, Anina ou d’autres.
La résignation, la soumission, la peur de ce qui pourrait se passer en s’affirmant est sans aucun doute
une des raisons pour lesquelles il est peu de Roms qui se présentent directement comme tels, ils font
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tout pour le cacher . Lorsqu’en 2007, sortant de son travail de ménage tard en soirée, Lori est
contrôlée, le policier lui dit : « Tu es Rom, toi ». Elle réplique « Non ». Son patronyme est courant à
Lyon sous différentes orthographes et porté par des Roms, mais elle ne peut l’avouer même lorsque
le policier lui affirme : « Avec un nom pareil, ne me dis pas que tu n’es pas Rom ! ». Même avec des
papiers en règle, ces paroles dites par celui qui représente le droit sont autant d’humiliations.
Ceci rejoint l’expérience d’un jeune adolescent de nationalité française adopté après être né en
Amérique du sud. Il est très typé. Contrôlé rue de la Ré sans avoir commis de délit, simplement il
parlait fort avec ses potes. Il présente sa carte d’identité française et se voit rétorquer par le policier :
« Ne me dis pas, avec ce nom et ce prénom, que cette carte tu ne l’as pas volée, menteur ». Prénom
et nom de famille sont bien français. Emmené au poste, sa famille a dû venir témoigner que la carte
était bien la sienne !
Rom comme non Rom, également humiliés, ils gênent !
Et pour sourire maintenant, un petit clin d’œil un jour d’été 2010
Avec deux autres adolescents, Fabian (12 ans) et Abel (9ans) montent avec ardeur en s’amusant
avec les cascades, les fleurs, les marmottes jusqu’à un refuge. Ils jouent avec 2 chevaux à l’attache,
photographient, sautent de pierre en pierre. Avec eux quatre, je déguste un bon chocolat chaud servi
au refuge, le petit déjeuner est déjà loin. Au moment de repartir vers le col, la jeune et souriante
gardienne offre à ces quatre ados une plaque de chocolat. Un franc merci fuse. Quelques pas plus
loin, Abel et Fabian s’arrêtent, se retournent vers cette grand’mère qu’ils ont adoptée :
« Tu la connais toi, cette dame ? »
« Non »
« Alors, pourquoi elle nous donne du chocolat ?»
« Ben, elle vous a trouvés sympas et elle a voulu vous le dire ! »
« Ah, ben ça alors, ça nous est jamais arrivé, ça, jamais »
Un large sourire sur leurs visages nous repartons tous les cinq.
Fabian et Abel ont les pommettes un peu hautes et la peau légèrement mate de ceux d’Europe
Centrale. Plus précisément ils sont Roms de Roumanie. Pendant 3 ans, ils sont allés de squat en
voiture restée ouverte, mendiant avec leurs parents, allant parfois à l’école si la police n’avait pas tout
mis dehors au petit matin. Ces épisodes d’expulsion les hantent encore, avec la peur qui revient
parfois la nuit et le besoin de se blottir les uns contre les autres agglutinés à leurs parents. Lorsque
Abel cauchemarde, son grand frère se précipite alors pour le rassurer, toujours à demi éveillé comme
lorsque les rats rodaient sur les visages au fond d’un garage squatté. En ce matin de 2010, les
papiers sont régularisés, les parents travaillent et ils louent un appartement. Le chemin de l’école est
sûr et régulier.
Cinq personnes de cultures différentes, venues de quatre coins d’Europe et d’Asie, aux vécus
extrêmement éloignés ont cheminé ensemble. Pour les parents d’Abel et Fabian laisser partir leurs
deux garçons, loin, dans un monde qu’ils ignorent totalement c’est courir le risque de l’inconnu qui
peut surgir dans leur quotidien et peut-être le désorganiser.
Intégration ? Avec la possibilité d’aller et venir entre plusieurs cultures, plusieurs identités, de
composer avec elles, de construire des mixages, des innovations, etc., il faudra bien que peu à peu
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17
chacun trouve et construise ses marques . Roxana MARACINEANU : J’aimerais bien rester double.
15
: Anina avec VEILE, pp184 et 185
Anina avec VEILE, p. à rechercher ou dans
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REMY, p.143
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Tel est le titre du chapitre de Comment je suis devenu Français[e] dans lequel elle évoque très bien
cette exigence et cette difficulté entre deux mondes. Physiquement, mentalement, affectivement,
spirituellement, ces parcours du pays de naissance à un pays d’accueil qui n’accueille pas toujours
existent pour tous et toutes : Roms ou originaires d’ailleurs, ils sont toujours ou presque occasions de
souffrances, de déceptions, de joies, d’enrichissements. Championne de natation Roxana fut
stigmatisée comme « voleuse de poules », a priori, préjugé souvent resservi en France à des citoyens
roumains, Roms ou non-Roms.
Un coup d’œil plus difficile
Un soir Mateo et Dana m’appellent en catastrophe. C’est urgent ! Voilà, la police a gardé permis de
conduire et voiture, deux objets nécessaires pour travailler, et ainsi vivre au jour le jour et payer leur
loyer. Ce soir-là Mateo est venu chercher sa femme et le bébé pour une consultation médicale. Feux
tricolores franchis un peu mûrs ! Coup de sifflet, contrôles des papiers, tout est en règle. Tout à coup
l’un des policiers dit à son collègue : « Ce permis est roumain, aller, au poste, ce sont des Roms ».
Là, le permis est confisqué sans autre forme de procès et sans signature d’un bordereau. La voiture
doit être laissée sur place et le planton donne une convocation d’avoir à se présenter au Tribunal trois
mois plus tard avec pour motif : « conduite sans permis ».
Après informations (droit des étrangers et droit routier) j’accompagne Mateo au Commissariat au titre
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de l’association Resovigi . Je présente les textes réglementaires, j’insiste et une seule réponse,
invariable: « Monsieur sait pourquoi nous gardons la voiture et le permis ». Malgré ma demande pour
voir le chef, refus maintenu.
Après l’action de l’avocate, une lettre de la République a confirmé que tout était en ordre. Mateo a
récupéré son permis sans aucune sanction. La convocation pour « conduite sans permis » a été
annulée. Le pli ajoutait que c’était une erreur des agents qui ne connaissent pas la réglementation et
que l’administration s’excusait !
L’attention de la patronne de Dana qui a indiqué cette avocate spécialisée et la patience du patron de
Mateo ont été essentielles pour arriver à rétablir ce dernier dans une partie de ses droits. Par contre
les propos discriminatoires du policier n’ont pas pu être dénoncés. Parole contre parole ! Perspectives
trop lourdes pour que Mateo se sente la force d’engager une nouvelle procédure.
Un autre coup d’œil ingrat lors de détours sur des terrains occupés
Il y a déjà 5 ou 6 ans un groupe homogène de plusieurs familles avec un leader reconnu prend
possession sans droit ni titres d’un terrain public à Villeurbanne. Ils construisent des cabanes solides,
permettant de faire la cuisine sans risque d’incendies, des toilettes sèches, des voies de
cheminement, tout ça sort de leurs mains et de terre et s’organise de bonne façon. Mais depuis 2 ou 3
ans les expulsions se multiplient et s’accélèrent en d’autres lieux. Des familles dans la détresse
s’installent et s’imposent sur ce terrain. L’équilibre qui s’était trouvé est gravement compromis.
L’hygiène devient préoccupante, les maladies de la misère se multiplient, il y a des bagarres entre des
arrivants plus pauvres et les « nantis » déjà installés et organisés ! En ce début 2014, ces derniers
s’en vont, il ne restera bientôt que les plus pauvres dans un lieu qui est devenu innommable et indigne
et qu’aucune règle de droit ne peut justifier.
Regardons un autre lieu occupé depuis un certain temps déjà. Malgré les demandes des associations
qui interviennent là, pas d’eau, pas de sanitaires, pas de ramassage des ordures. Très rapidement ce
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Resovigi, association de vigilance sur l’application du droit des étrangers et d’aide pour des démarches d’asile
et autres.
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terrain devient un cloaque immonde et les immeubles riverains plongent sur ce tas d’immondices où
des ombres viennent fouiller les poubelles des riverains. Leurs habitants qui n’étaient pas hostiles, qui
même aidaient, n’en peuvent plus. Les odeurs, la vue de ces misères, celles qu’ils ne voudraient pas
subir, les mettent en colère. Ils interpellent violemment les associatifs : « Que sommes-nous pour
qu’on nous impose ça ? ».
C’est bien aussi ce que vivent les habitants proches de la Place Carnot. Là, une population très
précaire occupe la place. Parmi d’autres personnes à la marge il y a des Roms. Les Grand’mères ne
peuvent plus s’asseoir sur les bancs, les bacs à sable sont squattés. Les bouteilles de bière, les
disputes, les coups se multiplient. Une amie, habitante de ce quartier me disait dernièrement son
désarroi : « je me rends compte que je suis prise en sandwich entre ce que je vois, ce que j’entends et
la générosité comme la lutte contre les injustices que ma mère vivait et qu’elle m’a léguées. Les gens
en bavent actuellement et ils ont le sentiment d’être oubliés au profit des populations immigrantes ».
Face à ces réactions, somme toute saines, ne devons-nous pas nous poser des questions
dérangeantes ? Comme une patate chaude, les responsables des politiques étatiques, régionales et
locales se défaussent de leurs responsabilités et peuvent ainsi laisser libre cours à toutes les dérives
sécuritaires
et
discriminantes
d’autant
plus
que
la
crise
nous
éprouve
tous.
Oui, pour qu’une société puisse accepter l’autre et l’accueillir, il faut qu’elle se sente elle-même
respectée par celui qui est accueilli sans que l’inacceptable, l’injustifiable, l’inhumain
s’imposent ! Ce n’est pas aisé et notre barbarie intrinsèque est toujours prête à ressurgir. Les
bonnes intentions n’y font rien !
Des parcours différents et leurs risques
Des destins différenciés qui s’entremêlent
19
20
21
Des Voyages pendulaires , une belle maison au pays , une installation durable , un risque
majeur d’installation dans la prostitution, des destins différenciés qui parfois s’entremêlent !
Lena, Gyöngyi, Cristina, Constanta, Veronica, cinq jeunes femmes, mères de familles. Entre 2000 et
2006, elles sont allées de squats en voitures ouvertes, de garages en coins de rues, de familles
lyonnaises accueillantes en cahutes de récupération. Elles mendiaient sur les marchés de Lyon ou
aux feux tricolores. Elles se débrouillaient pour faire quelques trucs au noir, mais avec les petits les
occasions sont très rares. Elles allaient aux Restaurants du cœur, elles recevaient des aides très
ponctuelles et discrétionnaires, les forains des marchés leur donnaient quelques bricoles avant de
ranger leur étal. Elles reprenaient tous les 3 mois environ la route de la Roumanie pour faire
22
tamponner leurs passeports . Elles ne laissaient jamais leurs enfants seuls ici, ayant peur qu’ils
soient enlevés ou que la police les arrête et les mette dans un centre. Un enfant c’est sacré, c’est un
des fondamentaux de la culture rom.
Quels parcours pour ces cinq femmes depuis 2000/2006 jusqu’à maintenant, 2014 ?
Lena vit en banlieue sud de Lyon, totalement clandestine depuis une dizaine d’années. Les terrains
19
AMSELLEM
BOIA, p.284
21
Autrement n° 120,
22
La loi stipule qu’un européen peut rester en France comme touriste pour 3 mois. Depuis le 1 er janvier 2014, les
Roumains comme les Bulgares peuvent vivre en France. Comme tous les autres européens de U.E., ils doivent
justifier de ressources (personnelles ou salariales) suffisantes. Entre 2000 et 2006 l’accès au travail légal était
très restreint, voire impossible)
20
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boueux, les squats sordides sont son lot depuis tout ce temps. A chaque expulsion, tout est détruit.
Souvent cette situation signifie la confrontation à certaines mafias qui, tels les marchands de sommeil,
arrivent à lui louer cher ne serait-ce que 4 planches. A certains moments elle a commis de petits délits
et s’est trouvée à la merci des mafias ou de chefs autoproclamés. Dernièrement, le maintien pendant
beaucoup plus longtemps sur un terrain immonde, lui a permis de nouer des liens avec des personnes
de cette commune et les associations qui tentent d’apporter ici un peu d’humanité. Une habitante du
quartier avec l’aide d’une de ces associations lui permet de reprendre des démarches de
régularisation qui semblent devoir aboutir, très prochainement. Cet horizon devient atteignable
puisqu’elle a un travail en insertion très bien investi. Ces mêmes volontaires ont pu lui trouver un
hébergement simple mais correct. Grâce à son niveau scolaire acquis en Roumanie et sa longue
présence en France Lena est devenue excellente en français et ses capacités lui permettent d’aider
lorsqu’il faut un interprète fiable.
Gyöngyi vit seule. Ses enfants encore en classes élémentaires quand elle est arrivée en France vers
2000 sont restés en Roumanie dans la ville d’origine à la garde de la parentèle. Elle peine à sortir de
graves violences conjugales. N’y a-t-il pas eu mise à la prostitution contre son gré Place du Pont ? Ce
serait la pire humiliation, le souvenir de la présence des Ottomans en Roumanie aidant. Un jugement
roumain de divorce lui a confié les enfants. Gyöngyi a de très grandes difficultés à faire des
démarches, elle n’ose pas, ne peut pas ou ne veut pas porter plainte à la Police. En Roumanie c’est
plutôt le voisinage qui a signalé les violences qui ont abouti au jugement. Elle souhaite que ses
enfants la rejoignent pour qu’ils soient scolarisés ici, à l’abri de leur père. Elle ne veut pas qu’ils soient
ici à la rue, soumis à tous les risques qui s’en suivent. Elle continue à aller et venir entre sa ville natale
et Lyon, parfois avec l’un des enfants, d’autres fois seule. Toutes ces difficultés ne permettent pas
qu’une aide (qu’elle souhaite pourtant) se mette en place de façon adéquate. Du coup ça s’aggrave et
elle ne peut se stabiliser ni en Roumanie ni en France. Tout ceci fait qu’elle reste en situation
irrégulière en France dès qu’elle est là plus de trois mois. Elle n’a jamais introduit aucune démarche
pour obtenir des papiers, toujours craintive de conséquences négatives soit pour elle, soit pour ses
enfants ! Pendant les courtes périodes de scolarisation en France, les enseignants notent que tous
ses enfants travaillent très bien et ils n’hésitent pas à les accueillir à nouveau lorsqu’ils
réapparaissent. Je l’ai rencontrée en 2012 à Resovigi, puis elle a disparu. Revenue en 2013, elle est
allée à Pôle Emploi dès le début de 2014 et ses démarches avancent. Entre sa disparition et ce retour
de l’obscurité, ayant besoin de conseils juridiques en février 2014 elle a joint une Roumaine pour
reprendre contact. Cette fois elle a réuni toute sa petite famille et elle a une promesse d’embauche
avec mise à niveau de sa formation qualifiante faite il y a longtemps en Roumanie.
Constanta, elle, est venue en France seule, laissant mari et enfants au pays. Son objectif : envoyer de
l’argent pour que le père, une grand’mère, les enfants, puissent vivre au quotidien à peu près
correctement mais surtout pour que les enfants puissent étudier en Roumanie au niveau du lycée et
des études supérieures. Bien sûr, dans cette optique, elle fait des voyages fréquents entre sa région
roumaine et Lyon. Depuis qu’elle a eu ses papiers après l’inéluctable manche, elle travaille
régulièrement dans le secteur de l’aide à la personne, avec donc des droits en matière de Sécurité
Sociale. Elle est logée au pair, ce qui lui permet d’économiser davantage pour faire vivre sa famille au
pays sans rupture avec sa culture. Je la rencontre très souvent, elle partage ses soucis, son travail,
demande des nouvelles des Roumaines qui faisaient la manche près d’elle, parfois avec quelque
rivalité ! Ses enfants continuent à étudier et l’aîné est à l’Université. Elle est très typée et son
habillement reste conforme à l’image que nous nous en faisons sans qu’elle semble en être pénalisée.
Veronica nous l’explique lors de son interview : elle a fait plusieurs allers-retours entre France et
Roumanie, puis elle a eu ses papiers. Ses enfants vont à l’école, l’aîné va entrer au lycée et sait ce
qu’il va faire. Il aide sa mère le samedi pour gagner son argent de poche. Il aime aller en Roumanie
chevaucher à cru dans les forêts proches de là où il est né, mais il ne souhaite pas y vivre, tout
comme son frère. Son oncle, dans leur village roumain, s’en sort avec son travail en usine (180€/mois
pour un temps complet) parce qu’il est en campagne où il élève quelques poules, un cochon et un
cheval. Ce coin ressemble à nos campagnes françaises vers 1945/1950 même si les techniques
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modernes (ordinateur, appareils électroménagers) y arrivent aux mêmes prix qu’en Europe de l’ouest.
Il se demande comment, vraiment, on peut vivre dans ces immeubles lyonnais ! Veronica et ses
enfants, envisagent leur vie ici, même si elle souhaite laisser à ses enfants quelques ares et une
petite masure sans aucun confort. Elle veille à ce que ses garçons, sa fierté, soient dignes de l’espoir
qu’elle a mis en eux.
Cristina vit en couple avec ses 6 enfants, 4 sont nés en Roumanie, 2 en France. Les enfants, des
jeunes adultes aux tout petits, sont allés à l’école ou y sont encore. Les parents travaillent en
entreprises du tertiaire et sont logés dans le secteur social où ils paient un loyer comme tout
Européen qui travaille en France et bénéficie des aides au logement. Une partie de leurs ressources
vont à la construction d’une maison dans leur village en Roumanie même si c’est au prix de quelques
sacrifices. Les trois plus grands sont plus ou moins ambivalents quant à leur avenir : ici, là-bas, en
respectant la culture ancestrale modelée par leur appartenance rom et religieuse ? Toujours la
tradition reste centrale mais la vie ici les laisse dans un entre-deux déstabilisant.
Si je regarde avec un peu de recul ces cinq situations je vois qu’elles ne sont pas bien
différentes sur le fond de toutes celles que je rencontre avec d’autres migrants. Je retrouve
dans ces parcours, ou ceux de population française en grande difficulté, des raisons
politiques, des motifs liés à l’extrême misère, des mobiles personnels de dissociation de
couple, des causes sociologiques de discrimination, de relégation, de violences sexuelles
comme aussi le désir de s’en sortir un jour.
Ils nous envahissent ?
Il convient de se rendre compte que souvent les Roms sont en position de bouc émissaire et ce
depuis des siècles. Les Roms y restent d’autant plus facilement qu’ils sont enfermés depuis
longtemps dans cette position de stigmatisation. L’esclavage de ceux de Roumanie pendant cinq
siècles peut sans doute accentuer cette résignation à leur sort. Dans le même sens les évacuations
de terrains sont anticipées et se passent souvent sans problème, même quand elles sont
« musclées ». Simplement les personnes expulsées passent d’un point à un autre avant même que
l’expulsion ait lieu.
« Lorsque la demande d’asile effectuée par mes parents a été rejetée, […] nous avions deux
semaines pour quitter le Foyer […mes parents] n’ont pas baissé les bras […] Nous avons quitté [le
23
foyer avant l’expiration des délais légaux. »] nous dit Anina .
Cette résignation et cette anticipation ont des conséquences, notamment une surévaluation du
nombre des Roms !
Il y a quelques jours vingt familles étaient le long du fleuve, sous un pont. L’huissier est passé pour
annoncer l’expulsion dans 2ou 3 jours. Dès le soir même, 2 familles sont parties, baluchons à bout de
bras ou sur une carriole de misère, les enfants tirés par la main ou dans les bras, elles passeront la
nuit dans le premier recoin trouvé. Quelques jours plus tard elles se fixeront ici ou là. Une famille est
partie en Roumanie grâce au produit de la manche. D’autres encore ont trouvé un bord de rivière,
peut-être un garage prêté, un terrain inoccupé. Seul un vieux couple resté sur le terrain sera évacué
par la police. Lorsque j’arrive personne ne sait encore où il a été évacué. Le long du Rhône il n’y a
plus personne mais le citoyen ordinaire aura-t-il peut-être conscience d’une multiplication de bouts de
terrains ou de squats investis, « ils nous envahissent » ? Pourtant leur nombre est resté stable.
23
Anina avec VEILE, pp 90 à 92
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Les associations qui œuvrent sur ce terrain, notamment Médecins du Monde, s’inquiètent. Où est
Monsieur X avec son traitement vital ? Où est Madame Y ? Sa grossesse à risques est à terme !
24
Pendant ce temps-là aussi, CLASSES qui soutient l’effort des familles pour la scolarisation des
enfants ne sait plus où sont les petits. Elle découvre bientôt que tel gamin de 10 ans continue à
traverser la ville pour rejoindre son école, que d’autres sont à nouveau dans le métro ou sur le
25
marché. Les deux enseignants de l’antenne scolaire mobile de l’ASET 69 retrouvent un des gosses
de ce terrain lorsqu’ils ont immobilisé leur bus dans la proche banlieue ! Il tient, lui aussi, à son école.
Quel acharnement à vivre, quelle capacité à faire face à l’adversité, parfois en biaisant plus ou moins
nos normes et habitudes.
Mais au fait de quoi parle-t-on ? Dans le Grand Lyon avec une population de 1 350 000 habitants ce
sont 2 000 Roms que nous laissons survivre dans des conditions inhumaines et indignes. Dans la
France entière, ce sont 65 000 000 habitants qui n’arriveraient pas à accueillir dignement 25 000
Roms ?
 Non, il n’y a pas d’envahissement.
 Oui, la France et les Français sont tout à fait en mesure d’accueillir décemment et humainement
ces Roms qui tentent de fuir leur misère et de la vaincre.
 Oui nos concitoyens sont riches de toutes leurs solidarités. Oui notre pays est économiquement
riche. Malgré la crise actuelle notre pays peut engager des actions en France ou au niveau
européen pour que les droits fondamentaux des Roms comme de tous les autres étrangers et
Français en situation précaire soient honorés.
Le groupe Rom est actuellement mis en position de bouc émissaire. En lisant ou en relisant notre
histoire nationale, je ne peux m’empêcher de constater que lorsqu’un groupe humain est mis en
position de bouc émissaire, c’est la société tout entière qui court le risque de déstructuration, d’autant
plus gravement que ceci touche les groupes les plus pauvres.
Du travail, mais quel travail ?
Des métiers traditionnels au travail précaire ?
Les familles dont je parle dans ce texte comme bien d’autres, lorsqu’elles ont pu avoir un logement,
trouvent aussi un travail légal. C’est le constat souvent fait par les associations qui travaillent avec des
familles en grande précarité ou par l’ORSPERE (Observatoire National des Pratiques En Santé
Mentale et Précarité).
26
Le chef de projet du programme Andatu faisait il y a quelques jours le bilan du travail entrepris avec
une centaine de personnes Roms qui squattaient sur Lyon. Ce programme a été proposé à toutes les
familles volontaires qui vivaient en 2011 dans deux squats repérés (une paroisse à Gerland et un
terrain appartenant à une entreprise à Oullins). Seules 2 à 3 familles n’ont pas voulu. A trois ou quatre
mois de la fin du programme, 23 adultes sur environ 35 ont ou ont eu un travail avec contrat dont 3 en
CDI. Les personnes de plus de 60 ans et quelques personnes porteuses de handicap n’ont pu
accéder à l’emploi. Les principales limites sont le français non maîtrisé et la situation des femmes
avec de très jeunes enfants.
24
CLASSES, Collectif Lyonnais pour l’Accès à la Scolarisation et le Soutien des Enfants des Squats)
ASET 69, effectue « une mission temporaire de scolarisation et de lien vers l’école pour des élèves et des
familles dont la relation au système scolaire est précaire » Dans le Rhône l’ASET fonctionne avec deux
enseignants temps plein.
26
Le programme Andatu a été initié sur Lyon par le Préfet et confié à Forum-Réfugiés qui l’a conçu et mis en
place.
25
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Echangeant avec des travailleurs sociaux, certains avouent qu’eux-mêmes, influencés par les
préjugés, ne croyaient pas que des Roms pouvaient se montrer aptes à travailler régulièrement. Leur
assiduité comme la fiabilité du travail fait et leur acharnement à faire leur boulot ont forcé leur
admiration.
Cristina et son mari, Alina et son père, tout comme Veronica, Constanta ou Lena ne demandent qu’à
travailler et préfèrent de loin un travail régulier qui permet de ne plus mendier et de payer alors leur
logement !
Qu’ajouter ici ?
Un certains nombre de familles après bien des années de vicissitudes dans leur pays d’origine ou en
France, arrivent à avoir des papiers, un toit digne et un travail nourricier et déclaré. Les enfants vont à
l’école et au collège. Elles vivent alors sans faire plus de vagues que toute famille installée ici depuis
longtemps.
Pourtant, malgré tout, elles restent victimes de comportements discriminatoires qui fragilisent à tout
moment leur avenir et celui de leurs enfants. Dans ces moments-là il faut bien souvent que ces
familles puissent s’appuyer sur des bénévoles, des travailleurs sociaux conscients que les parcours
de vie supposent toujours des allers et retours, des amies. Ce fut par exemple le cas de Mateo et
Dana comme de bien d’autres.
Anina termine son témoignage par ces mots : « Ce livre est dédié à […], ces personnes au cœur d’or
27
que Dieu a placées sur notre chemin et sans qui nous ne serions sans doute pas là aujourd’hui. » .
Lors de son interview Veronica l’exprime à sa façon : « Grâce à tous ceux qui m’ont aidée, au jour
d’aujourd’hui je suis tranquille. Parce qu’ici, en France, si t’as personne t’es mort, t’es mort dans la
rue. Moi j’ai eu beaucoup de chance ».
Beaucoup plus souvent qu’on ne pense, les personnes les plus banales, sans liens avec la question
des étrangers avec ou sans papiers, sont nombreuses autour de nous à soutenir les Roms ou
d’autres personnes en grande précarité. Elles sont parfois dépassées par le sentiment que leurs actes
sont vains. Je crois important de souligner que tous ces gestes fraternels, utiles, obligent ceux qui les
font à beaucoup de rigueur. Notamment ils nécessitent l’humilité suffisante pour appeler à l’aide des
personnes compétentes sur tel ou tel sujet (droit des étrangers, services sociaux, etc.), mais aussi à
accepter les échanges suffisants avec d’autres volontaires pour ne pas imposer nos schémas, nos
idées reçues, pour rester critique sur ce qui est mis en place en matière d’immigration, pour ne pas
aller plus vite que ces personnes.
Bien sûr ce travail d’humanité ne saurait se substituer aux devoirs des instances publiques ni
à l’application du droit mais ils sont nécessaires et disent qu’aucune personne ne peut être
réduite aux préjugés. Ceux-ci maintiennent des personnes singulières au rang d’animaux qui ne
peuvent trouver un coin pour s’isoler et rester propre, elles n’ont pas même une pierre où reposer leur
tête. Au-delà de notre seul pays, l’UE et le Conseil de l’Europe doivent prendre à bras le corps ces
questions, avec la volonté nécessaire, pour harmoniser droits et pratiques.
Qu’en est-il des enfants roms et de l’école ?
Sylvie et Luc ont dans leurs classes de maternelle et de CP plusieurs élèves qui viennent d’arriver en
France. C’est un plaisir d’entendre tous ces gamins et leurs petits copains francophones jouer avec
les sons. Les rimes s’enchaînent à un rythme joyeux et fantaisiste. Patiemment ils reprennent les
27
Anina, p.202
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sons les plus durs à ces petites oreilles, peu habituées aux diphtongues française, tous ces « an, en,
ain, un » ! Belle occasion d’épater les parents en rentrant le soir. Dans quelques temps, très vite
quand on a 5/6 ans, ces bambins déjà espiègles s’amuseront à dire aux parents : « c’est mal, tu dis
comme ça, c’est la maîtresse qui l’a dit. Tu es nulle ! ».
Mais déjà Stefan est en CM1, avec 3 ans de retard qu’il n’a pas pu rattraper. L’école a parlé de
SEGPA (Section d’Enseignement Général Préparatoire à l’Apprentissage). Sur le marché on lui a dit,
la SEGPA, c’est pour les fous. Son refus est catégorique. « Mon fils n’est pas le plus nul et y a que
pour lui la SEGPA. Les autres on ne les envoie pas en SEGPA. Pourquoi ? C’est pas juste ». Elle veut
que je l’accompagne à la réunion. Bec et ongles, elle s’est battue contre cette orientation. Il n’est pas
ème
allé dans cette section et depuis son fils est en 3
d’enseignement général et entre au lycée. «Tu
vois, j’ai eu raison. J’ai pas pu passer le bac en Roumanie, je veux qu’il fasse mieux que moi ! » me
dit-elle maintenant.
Martine CHOMENTOWSKI […] : « rappelle la surreprésentation des enfants de migrants dans les
filières de l’enseignement dit adapté, les orientations subies ». Elle montre que « les enfants, s’ils ne
sont jamais discriminés en raison de leur appartenance ethnique, […] subissent néanmoins une
28
discrimination de fait » .
Que nous disent tous ces constats ?
Les Roms comme les populations en grande précarité en France sont confrontées aux mêmes
parcours et ont besoin de leurs propres forces mais aussi des autres et du respect de leurs droits
élémentaires pour survivre. Bien sûr les Roms ont dans leurs rangs des personnes qui commettent
des délits (petits larcins, vols à l’étalage, etc.) pour survivre mais aussi dans le cadre de mafias
organisées qui commettent des délits autrement plus graves et alors ils doivent être jugés. Là encore
Veronica l’exprime très clairement dans la même interview. A la question de son appartenance à la
communauté Rom, elle répond : « Mais bon, les Gitans, c’est comme les Roumains, comme les
Français, il y en a des bons et des mauvais, des travailleurs et d’autres qui n’aiment pas travailler ».
Il faut ajouter (voir TURINE, Jean-Marc, Le crime d’être Roms et les propos d’élus rapportés dans ce
livre) que souvent le rejet, les discriminations s’appuient sur des rumeurs et les clichés ont la vie dure.
En feuilletant la revue Monde Gitan, la seule rubrique Nouvelles du Voyage constituerait un assez joli
– ou triste – florilège.
Face aux clichés, trois fascicules sont à relire :
Les Roms, luttons contre les idées reçues, Petit guide pour lutter contre les préjugés sur les migrants
et En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, ils ont à peu près les mêmes entrées
de lecture. Les voici dans la plaquette concernant les Roms :
 Ils aiment vivre en bidonvilles ou en squats
 Ils sont nomades,
 Ils ne vivent qu’en communauté
 Ils ne veulent pas envoyer leurs enfants à l’école
 Ils apportent en France les maladies
 Ils profitent des aides sociales
28
MORO, pp.133 à 136
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 Ils ne veulent pas travailler
 Ils préfèrent faire la manche
 Ils n’ont pas le droit de venir en France et de séjourner en France
Ces personnes, reconnues dans leur humanité propre, ne peuvent être réduites à ces stéréotypes.
C’est ce que me disent les personnes que je rencontre. C’est aussi ce que disent des personnes
comme Roxana Maracineanu, championne de natation, Safia Otokoré, femme politique, Rio Mavuba,
29
footballeur, devenus des personnalités françaises .
Conclusion
Ces discriminations qui ne datent pas d’hier, perdurent, s’aggravent parfois et sont en
contradiction avec le droit.
Souvent les militants et les associations le disent et le redisent inlassablement. Là est sans conteste
un des nœuds des problèmes et une bonne partie de leurs solutions.
Les Roms, dans leurs pays d’origine, sont majoritairement pauvres et discriminés mais ils habitent
dans des constructions fixes, certes élémentaires, dans des quartiers assignés, certes sans eau ni
électricité, ils y sont souvent sans travail mais ce ne sont pas des nomades. Ils sont sédentarisés
depuis fort longtemps. En France la plupart des Roms installés depuis plusieurs siècles ont un
domicile fixe, quelques autres (environ 1/3 ou 1/4) vont d’un lieu à l’autre, avec d’autres voyageurs,
Manouches, Gitans, Mariniers, Gens du spectacle de rue.
En France, Les Gens du Voyage ne bénéficient toujours pas des mêmes droits que les autres
Français, par exemple pour pouvoir accéder au droit de vote universel ou pour accéder aux droits
sociaux. De même leurs modes de vie mobiles nécessitent des aires de stationnement qui sont
obligatoires aux termes de la loi. Or en 2003 sur les 1482 aires légales 116 seulement étaient en
fonction. Sur la région, il y a eu des progrès mais on est loin du compte. Dans le même temps les lois
nationales et internationales exigent que toute personne ait la possibilité effective d’avoir un toit qu’il
soit mobile ou fixe. Là encore le droit de ces Français du Voyage n’est pas appliqué.
Les conséquences sont graves tant pour les étrangers avec papiers ou en attente que pour les
Français Gens du Voyage ou les Français sans domicile. Faute de toit (logements fixes et corrects,
caravanes sur des aires de stationnement équipées), ces personnes se débrouillent comme elles le
peuvent et occupent des terrains, des squats, sans droit ni titres et les quelques aires existantes sont
surpeuplées. Ces situations ne font qu’exacerber les griefs des uns contre les autres, amenant de
nouvelles irrégularités ou déni de droit par les Autorités.
Il faut absolument ne pas inverser les données, sauf à aggraver les discriminations et les positions
racistes.
Cette question du droit non appliqué, moi-même comme les salariés et les militants des
associations nous le rencontrons régulièrement. Ces Roms ont souvent les mêmes difficultés que
nombre de personnes dans la précarité. Proches d’eux, combien sont nombreux ces Lyonnais
attentifs qui cherchent des solutions d’humanité et se préoccupent de les voir bénéficier les uns
comme les autres des droits fondamentaux.
S’il y a, et il y a effectivement discrimination à leur égard, il faut souligner l’effet boule de neige sur
d’autres groupes exclus avec des actes de rejet, de racisme qui sont le reflet de notre difficulté à vivre
nos différences et à accepter que l’autre existe.
29
REMY, pp.187, 159, 143
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Offrons-nous enfin le plaisir d’un échange entre Gustave Flaubert et George Sand en 1867.
Qu’il nous aide à regarder autour de nous et à rester en éveil auprès de celui qui est proche et
différent.
Gustave Flaubert écrivait alors : « Je me suis pâmé […] devant un campement de Bohémiens […]
L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.
[…] Cette haine-là tient à quelque chose de profond et de complexe. […] C’est la haine que l’on porte
au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine ».
A quoi George Sand répondit après une description savoureuse de ceux qu’elle avait rencontrés près
de Tamaris [près de la Toulon] : « Naturellement les gens du pays les abominent et disent qu’ils n’ont
aucune espèce de religion. […] je demandais à un garde-côte ce que c’étaient que ces gens-là qui ne
parlaient ni français, ni italien ni patois. […] Il me dit […] que j’avais eu tort [de les approcher], parce
que c’était des gens capables de tout ; mais quand je lui demandais quel mal ils faisaient, il m’avoua
qu’ils n’en faisaient aucun. Ils vivaient du produit de la pêche et surtout des épaves qu’ils savaient
recueillir avant les alertes. Ils étaient l’objet du plus profond mépris. Pourquoi ? Toujours pour la
30
même histoire : celui qui ne fait pas comme tout le monde ne peut faire que le mal » .
En côtoyant des familles tsiganes qui vivent ici depuis bien longtemps, cet échange entre Gustave
Flaubert et George Sand est d’une actualité lumineuse. Ces groupes, dans leur globalité, n’ont pas
de vocation particulière à vivre ici plutôt que là. Par contre la haine, la peur, le mépris sont les
bases des a priori et des idées reçues.
« Celui qui ne fait pas comme tout le monde ne peut faire que le mal ». Faits à notre image et
différents de nous, ils ne sont pas plus destinés à faire le mal que nous-mêmes et ont les
mêmes dynamismes à pouvoir faire le bien.
Claude MORIZET
30
TURINE, p.5. C’est moi qui surligne.
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Bibliographie
 Livres
AMSELLEM, Bruno, Voyages pendulaires des Roms au cœur de l’Europe, Centre d’Histoire, de la
Résistance et de la Déportation, 2010
Anina avec VEILE, Frédéric, Je suis Tzigane et je le reste, City Editions, 2013
ASSEO, Henriette, Les Tsiganes, une destinée européenne, Editions Gallimard, collection
Découverte, 1994
AUZIAS, Claire, Les Tsiganes ou le destin sauvage des Roms de l’Est, suivi de Le statut des Roms en
Europe, Editions Michalon, 1995
AUZIAS, Claire, Roms, Tsiganes, Voyageurs : l’éternité et après, Editions Indigène, 2010
BOIA, Lucian, La Roumanie, un pays à la frontière de l’Europe, Société d’Edition Les Belles Lettres,
2003
FILHOL, Emmanuel, Le contrôle des Tsiganes en France (1912-1969), Editions Karthala, 2013
GARO, Morgan, Les Rroms, une nation en devenir, Editions Syllepse, 2009
MARTINEZ, Brigitte et HENRY, Pierre, Dico, Atlas des Migrations, Editions Belin, 2013
MORO, Marie Rose, Nos enfants demain, Editions Odile Jacob, 2010
OLIVERA, Martin, Roms en (bidon)villes, Editions d’Ulm, 2011
PERNOT, Mathieu, Un camp pour les Bohémiens, mémoires du camp d’internement pour nomades
de Saliers, Editions Acte Sud, 2001
PINATEL, André, Qu’as-tu fait de ton frère ? (Génèse IV) Le pont de Shtuf symbole de la fraternité
entre les peuples, 2007
REMY, Jacqueline, Comment je suis devenu Français, Editions du Seuil, 2007
ROMANES, Alexandre, Un peuple de promeneurs, Editions Gallimard, 2011
TURINE, Jean-Marc, Le crime d’être Roms, Editions Golias, 2005
YOORS, Jan, Tsiganes, sur la route avec les Roms Lovara, Editions Phébus, collection Libretto, 2009
ZITOUNI, Rasika, Comment je suis devenue une beurgeoise, Editions Hachette, 2005
La Bible, Traduction œcuménique de la Bible, Ancien Testament, Les éditions du Cerf et Les Bergers
et les Mages, 1975.
 Revues et autres
Atlas des Migrants en Europe,
Autrement n° 120, Les Roms de Montreuil, 1945-1975, Editions Autrement, 2000
Etudes Tsiganes, nos 26, 27, 28, 30, 31, 38, Manouches, Migrations tsiganes, Gitans, Roms, Roms
de Roumanie,
Les Tsiganes, édité par l’Association Nationale Notre-Dame-ds-Gitans, 1984
Libération, Anina VIUCIU, Rom, vie ouverte, dans un article du n° du 23 décembre 2013, p.30
Migreurop Atlas des Migrants en Europe, Editions Armand Colin, 2012
Mille ans de Contes, Tsiganes, Histoires et légendes à raconter aux enfants, Editions Milan, 1998
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Romeurope et Ile de France, Ceux qu’on appelle les Roms, Luttons contre les Idées Reçues
 Sur Internet
Le Journal International, www.lejournalinternational.fr, www.facebook.com/le journal international,
interview de mai 2013.
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