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PORTRAIT
Lulu Gainsbourg
INITIALS L.G.
Un malentendu? L'automne a été marqué par la ruée vers l'or Lulu,
squattant les colonnes sur le thème de la filiation artistique impossible
à assumer. Chronique de costards. Il rétorque qu'il est un simple
pianiste et se prend à rêver qu'on le juge sur pièces, non sur sa façon
de grimper l'arbre généalogique.
texte : ben - Photo : Dominique Gau
Mêmes nom et prénom, la musique et le piano en héritage, pas facile de sortir
de l'ombre d'un géant. Il a choisi un surnom : Lulu, "tout court". Sa façon de
s'inscrire dans le présent et d'écrire sa propre histoire sans qu'on le ramène
continuellement au clan Gainsbourg. Lulu, ce serait le petit frère qui a bien
morflé, un écorché vif, qui tangue entre un sourire caché, des regards inquiets
et une nonchalance élégante. Il a beau gigoter, Lulu, réajuster continuellement
son tee-shirt blanc, il est content de parler de son premier album, From Gainsbourg
to Lulu (Mercury). Son tribut à ce père qu'il a à peine connu - Lulu a 5 ans quand
Serge décède -, vingt ans après sa disparition. Un au-revoir à rebours. Car la
balade de Lulu n'a pas été des plus simples : un daddy star époque Gainsbarre,
une mère junkie qui décrochera grâce à la naissance de son fils unique, l'hôtel
Costes en guise de refuge, un costard noir pas facile à endosser. Jusqu'ici, Lulu,
on le suivait à distance dans les colonnes de la presse people depuis la découverte
du gamin apeuré de deux ans et demi sur la scène du Zénith - "A toi de te démerdu,
mon petit Lulu." Aujourd'hui, on le redécouvre dans sa nouvelle vie d'artiste,
dans laquelle il se démerde plutôt bien, le petit Lulu. L'entretien se fera donc
au présent.
Mi-novembre, Lulu sortait son disque hommage au paternel composé de
réorchestrations des tubes du beau Serge. Pour lui prêter main forte, le jeune
pianiste a invité quelques stars planétaires - Iggy Pop, Marianne Faithfull, M,
Vanessa Paradis & Johnny Depp, Rufus Wainwright, Scarlett Johansson, Shane
McGowan, Angelo Debarre - histoire de faire le coup de poing sur les ondes et
dans les bacs. A en croire la presse spécialisée, ce premier shot aurait comme
un goût de réchauffé. Naturellement, on se dit qu'il s'agit d'une commande
du label Mercury, désireux de surfer sur la vague des commémorations des
20 ans de la disparition de Gainsbourg. Même pas : "A la base, je voulais partir
sur des compos personnelles, mais un ami ingé-son déconnait sur le fait que je devrais
faire un hommage à mon père pour les 20 ans de sa disparition. Je me suis dit :
pourquoi pas ? A partir de ce moment-là, les idées ont défilé, j'ai fait cette guest-list
en me disant que mon père était un artiste apprécié, que je pourrais faire des duos.
Au début, mon label m'a dit : "Ok, c'est une bonne idée, mais tu les connais tous ces
artistes que tu veux faire jouer ?" - "J'en connais quelques-uns, mais bon les gars, à
vous de bosser !" (sourire) Donc non, c'était vraiment mon envie. J'ai dit au label :
je ne veux pas de directeur artistique, je fais tout, la musique, l'orchestration, les
arrangements..."
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S'agissait-il alors de se débarrasser de cet héritage une bonne
fois pour toutes ? Lulu botte en touche, il ne se sentait pas
d'attendre le 30e anniversaire, même s'il concède qu'il lui fallait
régler les papiers de l'héritage... musical. Et puis, "à travers la
musique de mon père, on me découvre un peu, en tant que musicien",
ose-t-il timidement, le nez et les doigts collés à son portable.
From Lulu
"Faire chanter
Shane McGowan
a été un vrai
challenge. Au début,
ça n'allait pas du
tout, parce qu'il n'a
plus de dents, il est
alcoolo, et en plus
je le faisais chanter
en français..."
Ça l'agace, ce tir groupé de questions sur la relation père-fils,
ses souvenirs de Serge qu'on lui demande de ressasser après
avoir expédié son actualité discographique. Dommage, car ce
projet tient la route. Il fallait oser s'attaquer à ce répertoire, le
triturer à toutes les sauces musicales, de la pop à la musique
cubaine, en passant par des instrumentaux jazz (Intoxicated
Woman, Black Trombone) et encaisser les "Mouais, Lulu chante les chansons de
son père..." On retrouve Scarlett Johansson/Bardot sur Bonnie & Clyde, le couple
Paradis-Depp pour une virée familiale sur La Ballade de Melody Nelson ("Vanessa
a travaillé avec mon père ; Johnny et elle, c'est ma famille, des amis très chers. Et puis,
un duo de ces deux-là, c'est une exclu signée Lulu !"), un Iggy Pop psychotropé sur
Initials B.B. et un Rufus Wainwright transporté sur Je suis venu te dire que je
m'en vais ("On s'est retrouvé en studio le 1er mars 2011, soit l'anniversaire de ma mère
et la veille des vingt ans de la mort de mon père... Bref, c'était le moment idéal pour
chanter cette chanson, tu vois l'ironie de la vie..."). Quant au Poinçonneur des Lilas,
Lulu a fait un crochet dans la Zone, du côté des crocheteurs et des guitaristes
manouches. C'est Angelo Debarre qui flingue à la guitare : "Il était évident que
ce morceau devait présenter une couleur gypsy. Il fallait retrouver l'essence de cette
musique, remonter à Django. Or, à mes yeux, le plus fidèle à son esprit, c'est Angelo.
Je suis fasciné par Django, un musicien fantastique qui a inventé un style, le tout
avec deux doigts en moins." Plus étonnant, sa reprise de Sous le soleil exactement
beuglée par Shane McGowan des Pogues, dans un français noyé dans les pintes
de bière frelatée. Lulu esquisse un sourire narquois, témoin de quelques fous
rires mutés en studio : "Shane, ça a été très compliqué... L'enregistrement de ses
voix a duré six heures ! Au début, ça n'allait pas du tout, parce qu'il n'a plus de dents,
il est alcoolo, et en plus je le faisais chanter en français... Mais à un moment, il s'est
réveillé, et là, il nous a bluffés !"
Malgré cette constellation d'étoiles, le casting semble incomplet : quid de sa
mère, Bambou, de Jane et de Charlotte ? Las, Lulu balance sans lever le pif :
"Pourquoi la famille ? Au début, je voulais les faire participer, puis j'ai trouvé que ce
projet était quelque chose de personnel entre mon père et moi, donc je ne voulais inclure
personne de la famille. C'était mon cadeau perso."
Costes Boy & Ashram Kid
Le cadeau d'un gosse qui a longtemps refusé de mettre ses pas dans ceux du père.
Gamin, Lulu se rêvait pilote de Formule 1 ; ado, il se pique de devenir vendeur
dans un vidéo-club, "histoire de mater des films toute la journée, tu vois le gosse
complètement cancre". Il ratera d'ailleurs son Bac S et enterrera du même coup
une carrière d'ingénieur informaticien ou de créateur de jeux vidéo. Au début,
la musique n'est qu'un passe-temps : il débute le piano à l'âge de 4 ans et squatte
mollement les bancs du conservatoire (certif' de fin d'études musicales, cursus
d'une année au London Conservatory of Blackhealth), sans vraiment se triturer
le cerveau. Timide, effacé, comme en interview, Lulu fuit le regard des gens et
redoute les éternelles rengaines sur les fils de qui font comme papa. "Un putain
de blocage..." Serge n'aura pas le temps de lui enseigner les gammes, tout au plus
les thèmes de Popeye ou des dessins animés de Tex Avery. "Mais à un moment,
tu te poses les bonnes questions : à part la musique, qu'est-ce que tu sais faire ? Il faut
alors que tu te décoinces." L'ado
dilettante part à Boston suivre un
cursus professionnel de deux ans
au prestigieux Berklee College
of Music. C'est là qu'il endosse
avec plaisir le costume de musicien
tout en goûtant l’anonymat. Boston
l'endormie lui sied à merveille, Lulu
se redresse et s'émancipe du clan
Gainsbourg.
La rue de Verneuil n'a jamais été
son home sweet home. Le gosse
Gainsbourg se réfugie chez Bambou, qui l'a élevé seule, ou chez
Vanessa Paradis et Johnny Depp - le "grand-frère"
à qui il ressemble étrangement - qui ont peu à
peu pris la place de Jane et Charlotte. Surtout, il
chemine seul la plupart du temps, ou flotte quand
il est entouré, comme sur les scènes de la Coopérative de Mai, à Clermont-Ferrand, et de l'Olympia
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PORTRAIT
en novembre dernier. Lulu le solitaire a toujours
aimé s'enfuir en colonie de vacances : "A 3 ans et
demi, j'ai demandé à ma mère de m'envoyer en colo.
D'habitude la première colo, c'est à sept ans, et tu y
vas en pleurant. Moi, quand je revenais, j'étais triste,
je voulais repartir, j'avais besoin de compagnie..." C'est
dans les couloirs de l'hôtel Costes que la mascotte
de la Bande du Drugstore (film de François Armanet
dans lequel il apparaît en 2002) constitue son propre
crew. "Je vais là-bas depuis que je suis tout petit, j'y ai
bossé comme serveur il y a trois ans. Un mois pour payer
mes vacances. Je voulais aller au Vietnam, et ma mère
m'a dit : "On part comment ?" - "Ok, je vais bosser..."
C'était une bonne expérience. Au bout de deux jours,
tu as des ampoules aux pieds, ce n'est pas un job facile.
Une anecdote : un jour, je tombe sur un journaliste de
Gala ou Voici, je ne le savais pas ; dans la foulée, paraît
un article du type : "Si vous tombez sur un jeune
homme élégant, de bonne famille, qui vous amène
votre petit café et qui vous fait penser à quelqu'un,
c'est Lulu Gainsbourg". Les gens sont gentils", se bidonne-t-il. Quand il ne traîne
pas sa grande carcasse dans les allées du 4 étoiles, le dandy cool enfile un jean
et file en Inde faire la tournée des ashrams. En retraite, sauve-qui-peut. "Je suis
allé en Inde neuf fois, tout le temps en mode ashram. Je ne suis pas bouddhiste, je suis
athée, enfin juif par mon père et athée par ma mère, mais je suis très spirituel.
La première fois que j'y suis allé, j'avais douze ans ; nous étions partis en ashram avec
ma mère pendant trois semaines. Sur place, tu ne parles pas pendant des heures, c'est
dur pour un gamin. C'est pour ça que je suis très calme, je pense..."
Aujourd'hui, il a posé son barda à New York et revient régulièrement à Paris
pour visiter sa mère, quand il a un coup de bambou. Sur ce type de sujets, ses
moues illustrent les ponctuations : un sourire en coin en guise de points de
suspension, un regard taquin point d'interrogation, le tripotage de portable
pour toutes les virgules de lassitude. Et beaucoup de silences, sa pirouette de
musicien. Finalement, on aurait peut-être dû commencer l'entretien par là :
est-ce que ça le gonfle de parler de sa famille ? "Ça dépend des circonstances...
Avant, je n'avais rien à raconter mis à part les histoires du fils de... Au bout d'un
moment, c'est lourd. Aujourd'hui, je commence à dévoiler mon univers de musicien,
même s'il s'agit du répertoire de mon père. Il fallait oser le faire, comme reprendre
La Javanaise en afro-cubain ; ça sort de nulle part ! Et c'est peut-être ce qui me plaît
le plus..." Sortir de nulle part, être ailleurs.
© Mark Maggiori
"J'ai toujours eu une
passion pour le cinéma,
je me voyais bien vendeur
dans un vidéo-club,
histoire de mater des
films toute la journée,
tu vois le gosse
complètement cancre."
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