EHP Typologie des créances pouvant être gagées
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EHP Typologie des créances pouvant être gagées
Droit financier Typologie des créances pouvant être gagées sous un contrat de gage soumis à la loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière Mathilde Lattard Counsel, Elvinger, Hoss & Prussen ........................................................................................................................................................................................... Le champ d’application matériel très large de la Loi Garantie Financière1 permet de gager tous les « avoirs » qui sont définis comme les instruments financiers et les créances2. Si la Loi Garantie Financière indique ce que comprennent les instruments financiers3, tel n’est pas le cas des « créances ». Seul le commentaire des articles du projet de Loi 2005 précise que le champ d’application du gage commercial est élargi à toutes les créances et pas seulement aux créances de sommes d’argent4. Il y aurait donc deux catégories de créances pouvant être gagées sous la Loi Garantie Financière : celles de sommes d’argent, et les autres. bancaire (qui est une composante du gage sur créances) et, le cas échéant, un autre gage sur créances ou en anglais « receivables » donné par la ou les holding(s) luxembourgeoise(s) en faveur du prêteur ou d’un agent des sûretés6. Si le Luxembourg permet un gage sur ce type de créances, il n’est pas certain, en l’absence d’harmonisation européenne, qu’un tel gage soit reconnu dans les autres Etats membres. Même au niveau Luxembourgeois, des incertitudes existent autour du gage sur créances car sans définition du terme « créances », la pratique tend à inclure tous types de créances dans ce « receivable pledge », ce qui n’est a priori pas évident au regard des textes et peut entraîner des problématiques juridiques différentes en fonction de la créance gagée. L’inclusion de toutes les créances parmi les avoirs5 pouvant être gagés n’est pas consacrée expressément par les textes européens, la Directive 2002 mentionnant les espèces et non les créances à côté des instruments financiers éligibles aux garanties financières. Il existe donc un intérêt à dresser une typologie des créances pouvant être gagées en application de la Loi Garantie Financière (1) car selon le type de créance gagée, les formalités de constitution du gage, les règles de preuve et d’opposabilité (2) ainsi que les droits du créancier gagiste sur la créance gagée (3) ne seront pas identiques. Au Luxembourg le gage sur créances est devenu une composante standard du « paquet de sûretés », ou en anglais « security package », requis par les banques dans le cadre de financements internationaux, ce paquet comprenant généralement, à un ou plusieurs niveaux de la chaîne de détention de la société cible opérationnelle (généralement non luxembourgeoise) devant être acquise ou refinancée, un gage sur titres (actions, parts sociales ou autre catégorie d’instrument financier), un gage sur compte .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 1. 2. 3. La loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière (la « Loi 2005 »), telle que modifiée par la loi du 20 mai 2011 (la « Loi 2011 », et ensemble avec la Loi 2005, la « Loi Garantie Financière ») a transposé en droit luxembourgeois la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière (la « Directive 2002 ») et, par la suite, la directive 2009/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 modifiant notamment la Directive 2002, en ce qui concerne les systèmes liés et les créances privées (la « Directive 2009 », et ensemble avec la Directive 2002, la « Directive Garantie Financière »). Art. 1er (1) de la Loi Garantie Financière. Pour rappel, selon l’article 1er (8) de la Loi Garantie Financière les instruments financiers doivent être compris dans l’acceptation la plus large du terme et notamment « a) toutes les valeurs mobilières et autres titres, y compris notamment les actions et les autres titres assimilables à des actions, les parts de sociétés et d’organismes de placement collectif, les obligations et les autres titres de créance, les certificats de dépôt, bons de caisse et les effets de commerce ; b) les titres conférant le droit d’acquérir des actions, obligations ou autres titres par voie de souscription, d’achat ou d’échange ; c) les instruments financiers à terme et les titres donnant lieu à 4. 5. 6. un règlement en espèces (à l’exclusion des instruments de paiement), y compris les instruments du marché monétaire ; d) tous autres titres représentatifs de droits de propriété, de créances ou de valeurs mobilières ; e) tous les instruments relatifs à des sous-jacents financiers, à des indices, à des matières premières, à des matières précieuses, à des denrées, métaux ou marchandises, à d’autres biens ou risques ; f) les créances relatives aux différents éléments énumérés sub a) à e) ou les droits sur ou relatifs à ces différents éléments, que ces instruments financiers soient matérialisés ou dématérialisés, transmissibles par inscription en compte ou tradition, au porteur ou nominatifs, endossables ou non-endossables et quel que soit le droit qui leur est applicable ». Projet de loi n° 5251 du 16 décembre 2003, commentaires des articles. Selon l’article 1.4. a) de la Directive 2002, une garantie financière doit être constituée par « des espèces ou des instruments financiers ». La consécration de l’agent des sûretés en droit luxembourgeois est souvent vue, y compris dans les autres pays, comme une innovation juridique majeure avec des atouts économiques considérables. Voir notamment J. GRAAS, « Le Gage sur Instruments Financiers en Droit Luxembourgeois », Rev. trim. dr. fam., 2012, n° 3. Wolters Kluwer – ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg ACE 2015/4 – 3 Droit financier ...................................................................................................................... TABLE DES MATIÈRES 1. Typologie des créances pouvant être gagées 1.1. Les créances de sommes d’argent 1.2. Les autres créances 1.3. Les créances présentes ou futures 1.4. Les créances luxembourgeoises ou étrangères 1.5. Les accessoires de la créance gagée 2. Effets de la typologie des créances gagées sur la constitution du gage, sa preuve et son opposabilité 2.1. La constitution du gage sur créances 2.2. La preuve et l’opposabilité du gage sur créances 3. Effets de la typologie des créances gagées sur les droits du créancier gagiste 3.1. Les droits du créancier gagiste avant la survenance d’un cas de défaut 3.2. Les droits du créancier gagiste lors de la survenance d’un cas de défaut Conclusion 4 4 5 6 6 7 7 7 8 9 9 10 11 ...................................................................................................................... 1. Typologie des créances pouvant être gagées En l’absence de définition du terme « créances » dans la Loi Garantie Financière, et tirant argument des travaux préparatoires qui indiquent que la loi a vocation à s’appliquer à toutes les créances et pas seulement aux créances de sommes d’argent, il serait tentant de conclure que toute créance peut être donnée en gage. En réalité et à y regarder de plus près, la Loi Garantie Financière fait référence tantôt aux créances de sommes d’argent, tantôt aux créances7. Cette même loi consacre également les gages sur avoirs futurs et donc sur créances futures. La nationalité de l’avoir gagé ne semble pas non plus être un obstacle à l’application de la Loi Garantie Financière. Tout ceci peut constituer autant d’indices pour dresser une typologie des créances gagées. Seront ainsi présentés successivement les créances de sommes d’argent (1), les autres créances (2), les créances présentes et futures (3), les créances luxembourgeoises et étrangères (4), et enfin les accessoires des créances citées ci-avant (5). 1.1. Les créances de sommes d’argent Le « gage-espèces », portant sur une somme d’argent en vertu duquel le constituant remet des espèces au bénéficiaire du gage existe depuis longtemps et il est admis que, les espèces étant fongibles, le bénéficiaire du gage peut en disposer librement, à charge pour lui de remettre une somme équivalente à la fin du gage. L’expression « gage-espèces » est trompeuse, voire erronée, car la propriété de l’avoir est transférée immédiatement alors que dans un gage (même si un droit d’utilisation a été donné au bénéficiaire) ce transfert se fait à la réalisation8. Ce type de « gage-espèces » ne constitue pas la réalité des gages sur créances composant le « security package » dans les financements internationaux actuels. En effet, avec l’évolution de la monnaie fiduciaire vers la monnaie scripturale, le monde contemporain a transformé le « gage-espèces » en gage sur compte bancaire sur lequel des espèces sont déposées au moment de la constitution du gage et/ou lors de la durée de validité du gage. Ce qui est en réalité gagé sera la créance de restitution des fonds déposés9 car dès l’instant de leur remise, les fonds, étant des choses de genre, deviennent la propriété de la banque à l’égard de laquelle le client ne dispose plus que d’un droit de créance10. C’est ce type de créance qui est visé expressément par la Directive Garantie Financière qui définit les espèces comme « de l’argent porté au crédit d’un compte dans n’importe quelle monnaie ou des créances similaires ouvrant droit à la restitution d’argent, tels que des dépôts sur le marché monétaire »11. Pour le législateur européen, ce qui peut être gagé c’est donc la créance de restitution d’une somme d’argent12. Le contrat de gage sur compte bancaire constitue ainsi aujourd’hui le contrat de gage sur créance le plus courant et se retrouve dans la plupart des « security packages » de financements internationaux. Un autre type de créance devenu un avoir gagé standard est constitué par les créances intra-groupes entre différentes entités appartenant au groupe acquéreur ou devant être refinancé. Il s’agira, dans la plupart des cas, de prêts intra-groupes mis en place pour faire descendre dans une structure le produit d’un prêt bancaire et/ou d’un financement intra-groupe. Un gage sur ce type de créance permet ainsi à son bénéficiaire de capter tous les flux financiers intra-groupe. A priori, cette créance est différente de celle du déposant envers sa banque car il ne s’agit pas d’un dépôt mais d’un prêt. Cette différence de concept n’a cependant aucun impact car avec la notion de « créance de sommes d’ar- .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 7. 8. 9. Les créances de sommes d’argent sont mentionnées expressément dans la Loi Garantie Financière aux articles 1er (7) (définition de garantie équivalente), (2) (constitution de la garantie), et 10 (droit d’utilisation). Partout ailleurs, la Loi Garantie Financière mentionne les « créances ». « Gage sur somme d’argent », étude 268, Lamy Droit des Sociétés, Wolters Kluwer France, septembre 2010. Si le solde présent sur le compte bancaire est constitué de valeurs mobilières et non de sommes d’argent, le gage portera toujours sur la créance de restitution du déposant envers sa banque. La seule différence sera le contenu de la créance qui sera un portefeuille de valeurs mobilières et non une somme d’argent. 4 – ACE 2015/4 10. 11. 12. Voir notamment en ce sens Tribunal d’arrondissement, Luxembourg, (15e sect. com), 4 janvier 2012. Art. 2.1.d) de la Directive 2002. Cette évolution de la monnaie en créance est aussi consacrée au niveau européen par la directive 2000/46/CE du 18 septembre 2000 relative à la monnaie électronique qui définit la monnaie électronique comme une valeur monétaire représentant une créance sur l’émetteur, qui est stockée sur un support électronique, émise contre la remise de fonds d’un montant dont la valeur n’est pas inférieure à la valeur monétaire émise et acceptée comme moyen de paiement par des entreprises autres que l’émetteur. ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg – Wolters Kluwer Loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière gent » c’est uniquement la finalité de restitution d’une somme d’argent qui va rendre la créance éligible à une garantie financière et non le mécanisme de création de la créance (dépôt ou prêt). En effet, à l’instar du gage sur compte bancaire, un gage sur créances intragroupe est un gage sur un droit personnel entre un créancier et un débiteur et dont l’objet est la restitution d’une somme d’argent. Les deux types de créances peuvent donc être classés dans les gages sur créance de sommes d’argent. L’absence d’écran d’un compte bancaire dans la créance intra-groupe n’aura pas d’impact sur l’éligibilité de cet avoir en garantie financière mais uniquement sur la loi applicable au contrat de gage tel que développé ci-après. commitments pris par ses investisseurs de souscrire pour un certain montant des actions du fonds. Cette créance est en réalité pour le fonds d’investissement un droit de faire des appels de fonds, ou en anglais « capital call right », aux investisseurs qui ont pris l’engagement de souscrire pour un certain montant à des actions. Rien ne s’oppose à ce que ce type de créance a priori autre qu’une créance de sommes d’argent puisse être gagée sous la Loi Garantie Financière. Cependant, s’agit-il vraiment d’une créance au sens du droit personnel en vertu duquel une personne nommée créancier peut exiger d’une autre personne nommée débiteur l’accomplissement d’une prestation15 ? Dès lors, il est tentant de conclure que toute relation contractuelle résultant en une obligation de restitution d’une somme d’argent peut constituer une créance de sommes d’argent pouvant être gagée en vertu de la Loi Garantie Financière. C’est sur cette base que les « security packages » soumis au droit luxembourgeois contiennent désormais des gages sur tout type de créances de sommes d’argent comme les créances résultant de police d’assurance13 ou de droits de propriété intellectuelle. Gager la créance de restitution d’une somme d’argent permet d’éviter un gage sur le sous-jacent, c’est-à-dire dans les exemples précédents, la police d’assurance ou le droit de propriété intellectuelle, ce qui poserait de nombreuses problématiques de constitution, d’opposabilité aux tiers ou encore réglementaires. Un capital call right n’est en effet rien d’autre qu’un droit pour son titulaire (le fonds d’investissement) d’augmenter son capital social, ce qui est une décision purement interne que l’assemblée générale, ou la gérance sur délégation de l’assemblée, doit pouvoir prendre ou non en fonction de l’intérêt social. Il n’est donc pas évident qu’un fonds d’investissement puisse déléguer son pouvoir d’augmenter ou non son capital à un tiers bénéficiaire d’un gage. Mais la pratique va encore plus loin en essayant désormais d’inclure dans l’assiette des gages des créances qui ne sont pas prima facie des créances de sommes d’argent. 1.2. Les autres créances Comme mentionné ci-avant les travaux préparatoires de la Loi Garantie Financière indiquent clairement que cette loi s’applique à toutes les créances et pas seulement aux créances de sommes d’argent. Fort de cet argument, la pratique a développé en garantie du financement de fonds d’investissement luxembourgeois le gage sur les engagements de souscription des investisseurs, plus connu sous le terme anglais de « commitment ». Il s’agit de l’hypothèse selon laquelle un fonds d’investissement, généralement du type FIS, SICAR, OPC ou FIA14, pour garantir ses obligations envers un prêteur, va donner en gage la créance qu’il détient sur les Par ailleurs, un commitment correspond davantage à une promesse d’achat ou une promesse de souscription d’actions par un investisseur, à concurrence d’un plafond convenu, chaque fois que le fonds d’investissement décide d’augmenter son capital social. Ainsi, tant que le fonds d’investissement n’a pas décidé d’augmenter son capital social, la promesse n’est pas susceptible d’être exercée et ce n’est que lorsque le fonds a décidé d’augmenter son capital qu’une créance naît entre celui-ci et ses investisseurs. Il s’agit alors d’une créance de sommes d’argent car les investisseurs doivent payer le fonds d’investissement en contrepartie de la souscription à des actions. C’est finalement cette créance qui n’est autre qu’une créance de sommes d’argent qui pourrait être donnée en gage. Il reste à savoir si elle peut être utile et exerçable pour son bénéficiaire car cette créance n’existe qu’à partir du moment où l’augmentation de capital a été décidée et elle est éteinte dès que l’investisseur a souscrit. Même si son existence sera souvent éphémère, dans la mesure où cette créance peut exister à un moment donné, un gage sur celle-ci n’est donc pas exclu et peut constituer un bon levier pour les fonds d’investissement pour garantir leur emprunt et une assiette de .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 13. 14. L’article 116 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 sur les contrats d’assurance consacre la possibilité de constituer un gage portant sur les droits résultant d’un contrat d’assurance-vie. « FIS » pour fonds d’investissement spécialisé soumis à la loi du 13 février 2007, « SICAR » pour société d’investissement en capital à risque soumise à la loi du 15 juin 2004, « OPC » pour organisme de placement collectif soumis à la partie II de la loi du 17 décembre 2010, et « FIA » pour fonds d’investissement alternatif soumis à la loi du 12 juillet 2013. Pour un article 15. complet sur le financement de ces véhicules réglementés, voir S. JACOBY et P. VAN DEN ABEELE, « Le financement des fonds d’investissement luxembourgeois garanti par les engagements de souscription des investisseurs (commitment liquidity facilities) », Droit bancaire et financier au Luxembourg, 2014, ALJB, volume 5. Définition issue du Vocabulaire juridique, G. CORNU, Association Henri Capitant, p. 7. Wolters Kluwer – ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg ACE 2015/4 – 5 Droit financier gage supplémentaire pour les prêteurs en complément d’un gage sur le compte bancaire du fonds d’investissement sur lequel les commitments des investisseurs sont payés. 1.3. Les créances présentes ou futures Selon l’article 4 de la Loi Garantie Financière, « les parties à un contrat de gage peuvent convenir que pour garantir les obligations financières couvertes d’un débiteur, tous les avoirs appartenant ou venant à appartenir au constituant du gage sont ou seront soumis au nantissement, sans qu’il soit besoin de les spécifier ». Selon le commentaire des articles du projet de Loi 2005, cet article ne fait que reprendre l’article 113 du Code de commerce avec quelques clarifications imposées par la Directive 2002. La possibilité de gager des créances présentes ou futures est en effet une constante en droit luxembourgeois et répond à une nécessité économique car l’assiette d’un gage n’aurait que peu de valeur si celle-ci était figée dès sa constitution. Le contrat de gage sur compte bancaire est souvent présenté comme l’exemple type du contrat de gage sur créance future. Il est vrai que le solde du compte bancaire sera souvent différent entre le moment de la constitution du gage et son exécution, le cas échéant. Il est aussi vrai que la créance de restitution du client envers la banque dépositaire naît dès que des sommes sont portées au crédit du compte bancaire, et avant cela l’obligation de restitution de la banque n’a pas d’objet. La même logique s’applique dans les contrats de gage sur créances intra-groupes lorsqu’une société gage toutes les créances actuelles ou futures qu’elle a envers une ou plusieurs autres sociétés du groupe. Dans les deux exemples précédents, même si le contrat de gage porte sur des créances futures il est « parfait » en ce sens que le créancier gagiste connaît le débiteur cédé et saura vers qui se retourner en cas d’exécution de son gage. La seule inconnue reste la valeur de la créance gagée au moment de l’exécution. Premièrement, avant la modification majeure apportée par la Loi 2011, l’exigence de dépossession n’était réalisée que par la notification du gage au débiteur cédé (ou son acceptation dans le contrat de gage) en l’absence de laquelle il n’y avait pas de gage mais une simple promesse de gage. Afin de transformer celle-ci en gage, le créancier gagiste devait notifier le gage au débiteur cédé ou obtenir son accord dans le contrat de gage lui-même. Cela était censé mettre le créancier en possession de la créance gagée16. Cette problématique est cependant moins d’actualité depuis que la dépossession se réalise désormais par la seule conclusion du contrat de gage sur créances. Deuxièmement, même si la dépossession ne requiert plus de notification au débiteur cédé (ou son acceptation dans le contrat de gage), ce gage ne fonctionne que si le débiteur cédé est identifié ou identifiable en l’absence de quoi le débiteur cédé pourrait toujours se libérer valablement entre les mains de son créancier tant qu’il n’a pas connaissance de la constitution du gage17. Cela signifie donc que dans la pratique, le débiteur cédé sera presque toujours identifié ou devra être identifiable. 1.4. Les créances luxembourgeoises ou étrangères En l’absence de précision dans la Loi Garantie Financière, toutes créances, y compris celles soumises à une loi étrangère, sont susceptibles d’être gagées18. Les éléments d’extranéité de la créance auront cependant un impact sur la constitution du gage, son opposabilité et sa réalisation. Ces éléments peuvent venir de la localisation du débiteur et/ou de la loi applicable à la créance gagée. Selon l’article 14.1. du Règlement Rome I19, les relations entre le constituant et le bénéficiaire d’un gage20 se rapportant à une créance détenue envers un tiers sont régies par la loi choisie librement entre les parties. Une lecture littérale de l’article 4 de la Loi Garantie Financière laisse entendre qu’il serait possible d’aller encore plus loin en gageant toutes les créances actuelles ou futures sans les spécifier. Cela signifie-t-il qu’il ne serait pas nécessaire d’identifier le débiteur cédé et/ou la créance gagée ? En revanche, c’est la loi qui régit la créance faisant l’objet du gage qui détermine le caractère cessible de celle-ci, les rapports entre le bénéficiaire du gage et le débiteur cédé, les conditions d’opposabilité du gage au débiteur et le caractère libératoire de la prestation faite par le débiteur cédé (art. 14.2. du Règlement Rome I). La formulation est malheureuse à double titre. Ainsi, si un constituant et un bénéficiaire d’un gage .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 16. 17. 18. Voir en ce sens notamment : Tribunal d’arrondissement Luxembourg, 23 novembre 1948, n° 32. 221 er C55, 13 octobre 1993, nos 14839 et 14840. Art. 5 (4) de la Loi Garantie Financière. Dans la définition d’instruments financiers (art. 1er(8)) la Loi Garantie Financière précise expressément qu’il s’agit de tous les instruments financiers dans l’acception la plus large du terme et quel que soit notamment le droit qui leur est applicable. 6 – ACE 2015/4 19. 20. Règlement (CE) n° 503/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (J.O., n° L17, 4 juillet 2008, p. 6) (le « Règlement Rome I ») L’article 14.3. du Règlement Rome I indique que la notion de cession au sens du présent article 14 inclut les transferts de créances purs et simples ou à titre de garantie, ainsi que les nantissements ou autres sûretés sur les créances. Cet article 14 s’applique donc aux contrats de gage sur créances. ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg – Wolters Kluwer Loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière peuvent librement choisir de soumettre leur contrat de gage sur créances à la Loi Garantie Financière, la loi étrangère applicable à la créance gagée devra, le cas échéant, être respectée pour régler les rapports entre le bénéficiaire du gage et le débiteur cédé. Pour qu’un contrat de gage sur créances soit efficace, il est donc conseillé de ne soumettre à la Loi Garantie Financière que les gages sur des créances ayant un lien de rattachement pertinent avec le Luxembourg. Pour les gages sur compte bancaire, le lien pertinent avec le Luxembourg sera le lieu de localisation du compte bancaire. Pour les créances de sommes d’argent du type créance intra-groupe, il devra s’agir de créances intra-groupes soumises à la loi luxembourgeoise. Si la créance est luxembourgeoise mais le débiteur cédé ne l’est pas, il faudra en plus s’assurer des règles d’opposabilité du gage dans le pays du débiteur cédé. 1.5. Les accessoires de la créance gagée La Loi 2005 était muette sur le sort des accessoires d’une créance gagée. La doctrine admettait cependant depuis longtemps que la cession des accessoires avec la créance gagée était autorisée. Le législateur a, à juste titre, clarifié ce point lors de la modification de la Loi Garantie Financière par la Loi 2011 et a inséré dans un nouvel article 5 (4) un dernier alinéa selon lequel « (…) la mise en gage d’une créance emporte le droit pour le créancier gagiste d’exercer les droits du constituant du gage liés à la créance gagée ». Cette disposition a pour objectif de protéger le créancier gagiste qui doit pouvoir exercer les droits liés à la créance gagée, comme notamment le droit de dénoncer un crédit octroyé au débiteur de la créance cédée ou encore de demander des garanties supplémentaires en cas d’insuffisance de couverture21. Le législateur n’a pas laissé le choix aux parties au contrat de gage de déroger à ce droit de sorte que le sort des accessoires de la créance est scellé et ceux-ci seront transmis automatiquement au bénéficiaire du gage. Il n’a pas non plus circonscrit les accessoires de la créance. Le bénéficiaire du gage devrait ainsi pouvoir bénéficier de tous les droits que le constituant du gage a sur la créance gagée. La liberté contractuelle devrait cependant permettre aux parties d’aménager ces droits. 2. Effets de la typologie des créances gagées sur la constitution du gage, sa preuve et son opposabilité Dans la Loi Garantie Financière, la constitution d’une garantie financière désigne sa livraison, son transfert, sa détention, son enregistrement ou tout autre traitement ayant pour effet que le preneur de la garantie ou la personne agissant pour son compte acquiert la possession ou le contrôle de cette garantie financière22. S’agissant de créances, choses incorporelles, la mise en possession du créancier gagiste ne peut être que pure fiction. La constitution d’un gage sur créances (1), la preuve de ce gage et son opposabilité (2) suivent un régime particulier dans la Loi Garantie Financière par rapport aux autres avoirs pouvant être gagés mais également selon le type de créance gagée. 2.1. La constitution du gage sur créances Dans la tradition civiliste, un contrat de gage est un contrat réel dont la condition de validité, outre le consentement du constituant et du bénéficiaire, est la remise matérielle de la chose qui en est l’objet. Il s’agit de la dépossession du constituant du gage au profit du créancier gagiste qui est exprimée à l’article 5 (1) de la Loi Garantie Financière dans les termes suivants : « Le privilège ne subsiste sur les avoirs nantis qu’autant que ces avoirs ont été mis et sont restés ou sont réputés être restés en la possession du créancier gagiste ou d’un tiers convenu entre parties ». S’agissant d’un gage sur créance, l’exigence de dépossession était satisfaite avant la Loi 2011 par la notification du gage au débiteur cédé ou son acceptation dans le contrat de gage lui-même. Cela était censé jouer le rôle de la tradition en matière de meubles corporels. Le formalisme de dépossession imposé comme condition de validité du gage entraînait des difficultés d’application. Par exemple, il n’était pas certain qu’un gage sur créance future soit possible. C’est ainsi qu’un gage sur créances futures pouvait davantage être qualifié de promesse de gage. Prenant appui sur le considérant 9 de la Directive 2009 selon lequel une garantie financière devrait pouvoir être constituée par le seul fait que le preneur de la garantie acquiert le « contrôle » des actifs faisant l’objet de cette garantie, le législateur luxembourgeois a introduit dans notre droit les 3 méthodes classiques prévues par les articles 8-106 et 9-104 du Uniform Commercial Code américain comme technique de .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 21. 22. Projet de loi n° 6164, portant modification notamment de la Loi 2005, commentaires des articles. Article 2 (3) de la Loi Garantie Financière. Wolters Kluwer – ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg ACE 2015/4 – 7 Droit financier changement de contrôle tout en maintenant la technique classique de dépossession de notre droit positif23. parties constituantes, au moyen d’un écrit ou tout autre moyen juridiquement équivalent en vertu de l’article 105 du Code de commerce. Le gage sur créances a été ainsi totalement modernisé par la transposition de la Directive 2009 car depuis il est valablement constitué par la conclusion du contrat de gage entre le constituant et le bénéficiaire, indépendamment de la date à laquelle ce gage est porté à la connaissance des tiers et du débiteur cédé24. La réponse à la deuxième question est moins évidente et varie selon le type de créance gagée26. La Loi Garantie Financière exige que la constitution d’une garantie financière puisse être attestée par écrit et que cet écrit, qui peut être sous forme électronique ou tout autre support durable, attestant la constitution en garantie, permette l’identification des actifs faisant l’objet de cette constitution27. Le gage avec dépossession fictive peut ainsi se généraliser et s’étendre notamment au gage de choses futures, voire même au gage d’un ensemble de choses dont les composantes peuvent être modifiées. Il serait même possible de conclure que la théorie de la promesse de gage sur créances futures ne devrait plus avoir beaucoup d’intérêt. Néanmoins, dans un souci de protection du débiteur cédé qui risque de ne pas être au courant de la conclusion du contrat de gage25, l’article 5 (4) de la Loi Garantie Financière précise que « le débiteur d’une créance donnée en gage se libère valablement entre les mains du constituant du gage [de son propre créancier] tant qu’il n’a pas connaissance de la constitution du gage ». En pratique, cela signifie que le bénéficiaire du gage aura intérêt à porter le gage à la connaissance du débiteur cédé le plus rapidement possible. Le moment de l’opposabilité au débiteur cédé peut ainsi devenir un point de négociation entre le constituant du gage et son bénéficiaire. Dans l’exemple du gage sur « commitment », alors que le fonds d’investissement constituant du gage essaiera de ne pas notifier le gage à ses investisseurs pour des raisons commerciales et, parfois aussi, en raison du nombre de ses investisseurs, la banque, bénéficiaire du gage, aura intérêt à ce que le gage soit rendu opposable immédiatement aux débiteurs cédés pour les empêcher de se libérer entre les mains du constituant du gage en cas de défaut. 2.2. La preuve et l’opposabilité du gage sur créances La question de la preuve du gage sur créances est double car il s’agit de savoir comment prouver le contrat de gage lui-même et la constitution du gage sur créances. La première question est réglée par l’article 2 (1) de la Loi Garantie Financière selon lequel un contrat de gage sur créances est réputé être un acte de commerce et se prouve à l’égard des tiers, comme à l’égard des Pour les créances de sommes d’argent, l’article 2 (2) de la Loi Garantie Financière indique qu’il suffit de prouver que les créances ont été portées au crédit d’un compte particulier, ou constituent un crédit sur compte. Ce mécanisme fonctionne très bien pour un gage sur compte bancaire. L’identification de l’actif gagé est donnée par le numéro de compte qui est indiqué dans le contrat de gage et qui permettra d’avoir accès au montant de la créance gagée en cas d’exécution. Lorsque l’avoir gagé est une créance intra-groupe, son identification passera quasiment toujours par celle du débiteur cédé dans le contrat de gage. Les banques, bénéficiaires de gage, réclament aussi souvent une copie du contrat prouvant l’existence de la créance intra-groupe, un bilan du constituant du gage sur lequel apparaît la créance ou encore une structure intragroupe identifiant les débiteurs cédés. Qu’en est-il de la preuve des autres créances ? Une nouvelle phrase a été ajoutée par la Loi 2011 à l’article 2 (2) de la Loi Garantie Financière à l’occasion de la transposition de la Directive 2009 selon laquelle « (…) l’inscription sur une liste de créances transmise au preneur de garantie par écrit, ou par tout autre moyen juridiquement équivalent, suffit pour identifier les créances et pour prouver la constitution de la garantie financière sur ces créances à l’égard du débiteur et des tiers ». Les travaux parlementaires de la Loi 2011 indiquent que cette technique probatoire était déjà possible avant l’introduction de cette phrase qui a donc pour seul objet de clarifier le droit positif. En réalité, cette dernière phrase a été ajoutée pour transposer l’article 2, point 4, e), ii), de la Directive 2009 qui a étendu les avoirs pouvant servir de garanties financières aux créances privées (c’est-à-dire les .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 23. 24. Projet de loi n° 6164 portant modification notamment de la Loi 2005, exposé des motifs. Article 5 (4) de la Loi Garantie Financière après modification par la Loi de 2011. 8 – ACE 2015/4 25. 26. 27. Projet de loi n° 6164, o.c., n° 32. En effet, pour les instruments financiers inscrits en compte, la preuve des avoirs gagés et de la constitution du gage est donnée par le registre. Art. 2 (2) de la Loi Garantie Financière. ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg – Wolters Kluwer Loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière prêts bancaires)28. Les moyens de preuve en place pour les instruments financiers et les créances de sommes d’argent étant en effet jugés insuffisants pour les créances privées. Le législateur européen a donc imaginé un système de liste de créances qui peut être transmise par écrit ou par tout autre moyen juridiquement équivalent, y compris par voie électronique, puisque certaines banques centrales nationales utilisent des listes électroniques29. Le législateur luxembourgeois a donc décorrélé cette nouvelle technique probatoire des créances privées car elle a vocation à s’appliquer à toutes les créances. Il n’est cependant pas certain qu’une telle liste puisse exister en pratique. Cependant, si telle était le cas, celle-ci sera sans préjudice du fait que le gage puisse porter sur des créances futures qui seront considérées comme données en garantie dès le moment de leur naissance30. 3. Effets de la typologie des créances gagées sur les droits du créancier gagiste Les droits du créancier gagiste peuvent être classés selon deux périodes : avant la survenance d’un fait entraînant l’exécution du gage (1), et après la survenance d’un tel événement (2). Il sera démontré que la nature de la créance gagée a encore une fois une incidence sur les droits que le créancier peut avoir sur celle-ci. 3.1. Les droits du créancier gagiste avant la survenance d’un cas de défaut 3.1.1. Le droit d’utilisation du créancier gagiste sur la créance gagée Selon l’article 10 (1) de la Loi Garantie Financière, les parties peuvent convenir que le créancier gagiste a un droit d’utilisation sur les instruments financiers et les créances de sommes d’argent nantis en sa faveur. Aucun droit d’utilisation ne peut être accordé à un créancier gagiste autre que le créancier gagiste premier en rang sans l’accord de tous les créanciers gagistes de rang supérieur dans l’hypothèse où un créancier de rang inférieur souhaite avoir un droit d’utilisation. Le droit d’utilisation est défini dans la Loi Garantie Financière comme le « droit du créancier gagiste de disposer des avoirs nantis comme s’il en était propriétaire, conformément aux conditions du contrat de gage ».31 L’expression « comme si » provient de la Directive 2002 et permet d’indiquer que le bénéficiaire du gage, même s’il se voit confier les attributs du droit de propriété, n’est pas le propriétaire et que seul le constituant conserve la pleine propriété des actifs gagés sans distinction selon qu’il y ait transfert ou non du droit d’utilisation32. Le droit d’utilisation sur un avoir gagé n’est conféré au bénéficiaire du gage que si les parties au contrat de gage en ont convenu ainsi. Ce transfert du droit d’utilisation a pour objectif de donner au créancier gagiste les attributs du droit de propriété sur les avoirs gagés (usus, fructus et abusus), ce qui est juridiquement une rupture par rapport au gage de droit commun issue de la tradition civiliste qui met à la charge du créancier gagiste une obligation de conservation. Cela a un grand intérêt pratique car le créancier gagiste pourra optimiser son risque en réalisant toute opération avec les avoirs gagés comme s’il en était propriétaire (vente, donation, garantie financière, mise en pension, démembrement au profit de tiers…) mais toujours dans la limite de l’accord convenu entre les parties au contrat de gage. L’intérêt économique de la réutilisation des avoirs gagés était d’ailleurs un des objectifs de la Directive 200233. En l’absence de droit d’utilisation conféré au bénéficiaire du gage dans le contrat de gage, celui-ci ne pourra disposer des avoirs gagés (il pourra tout au plus en avoir l’usus et le fructus si les parties n’en ont pas décidé autrement) sous peine de s’exposer à des sanctions pénales pour détournement de gage, d’entraîner la résolution du contrat de gage, ou encore d’engager sa responsabilité civile. Afin d’éviter que par le droit d’utilisation conféré au créancier gagiste, ce dernier ne s’expose aux sanctions citées ci-avant et perde ainsi son droit de gage, l’article 10 (3) de la Loi Garantie Financière opère une véritable fiction en édictant que « les instruments financiers et les créances de sommes d’argent nanties sont réputés rester en possession du créancier gagiste nonobstant l’exercice par ce dernier de son droit d’utilisation ». Certains auteurs ont ainsi cherché la nature juridique de ce droit d’utilisation, lequel au regard de ces multiples facettes pourrait être qualifié d’un « étrange ani- .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 28. La Directive 2009 définit dans son article 2 les créances privées comme les créances pécuniaires découlant d’un accord au titre duquel un établissement de crédit, tel que défini à l’article 4, point 1), de la directive 2006/48/ CE, y compris les entités énumérées à l’article 2 de ladite directive, consent un crédit sous la forme d’un prêt. Avec la Directive 2009, le législateur européen a ainsi ajouté pour l’ensemble de la Communauté européenne une troisième catégorie d’avoirs pouvant être donné en garantie financière, à savoir les créances privées admissibles pour la constitution de garanties pour les opérations de crédit des banques centrales, c’est-à-dire les prêts 29. 30. 31. 32. 33. bancaires. Les créances privées visées dans la Directive 2009 sont cependant limitées aux créances impliquant un institutionnel (une banque centrale relevant de l’Eurosystème) et n’incluent pas les créances entre particuliers, du type créances intra-groupe. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, o.c., n° 13. Art. 2 (2) de la Loi Garantie Financière. Art. 1er (5) de la Loi Garantie Financière. Art. 2, § 1er, c), de la Directive 2002. Voir considérant 19 de la Directive 2002. Wolters Kluwer – ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg ACE 2015/4 – 9 Droit financier mal », en ce qu’il confère au créancier gagiste un droit de disposer des avoirs gagés alors que le constituant en demeure propriétaire34. Concernant plus particulièrement les créances, l’article 10 (1) susvisé de la Loi Garantie Financière mentionne uniquement le droit d’utilisation des créances de sommes d’argent et non de toutes les créances. Les travaux préparatoires de la Loi Garantie Financière justifient le droit d’utilisation conféré au créancier gagiste sur des créances de sommes d’argent (le « gage-espèces ») par le caractère fongible de celles-ci, ainsi « le créancier gagiste en devient propriétaire et peut en disposer en cette qualité, à charge pour lui de remettre au constituant la même somme en fin de gage »35. Concrètement, le « gage-espèces » existe soit si le constituant du gage remet physiquement mais sans indication de numéros des billets de banque au créancier gagiste, soit si les espèces nanties sont listées sur un compte tenu par ce dernier36. Cette restriction aux créances de sommes d’argent, choses fongibles, s’explique donc par le pendant du droit d’utilisation accordé au créancier gagiste qui est l’obligation pour ce dernier de transférer, au plus tard à la date prévue pour l’exécution des obligations financières couvertes, une garantie équivalente pour remplacer les créances de sommes d’argent constituées en gage à l’origine ou, si les parties en ont convenu, le droit de réaliser les créances de sommes d’argent nanties par voie de compensation ou les affecter en décharge des obligations financières couvertes37. La garantie équivalente est soumise au même contrat de gage que celui auquel étaient soumises les créances de sommes d’argent remises originairement nanties et est considérée comme ayant été remise au moment de la constitution de la garantie initiale en vertu du contrat de gage38. Le critère de fongibilité exclurait-il un droit d’utilisation sur des créances du type intra-groupe qui, bien que pouvant être qualifiées de créances de sommes d’argent, sont teintées d’un fort intuitu personae en la personne du débiteur cédé ? Cela semble être la logique de la Directive 2009 qui a exclu expressément du champ d’application du droit d’utilisation les créances privées car à la différence des espèces ou des instruments financiers, les créances privées (c’est-à-dire les prêts bancaires) ne sont pas fongibles et le preneur de garantie ne pourrait pas restituer une garantie équivalente. Si le législateur luxembourgeois n’a pas clarifié ce point dans la Loi Garantie Financière lors de la transposition de la Directive 2009 la définition de garantie équivalente limitée aux créances de sommes d’argent et aux instruments financiers laisse penser qu’une telle garantie équivalente ne peut pas exister pour les autres créances et donc que pour celles-ci, un droit d’utilisation ne devrait pas pouvoir être conféré au bénéficiaire du gage. 3.1.2. Le droit de percevoir les capitaux et intérêts Si les parties n’en ont pas décidé autrement dans le contrat de gage, le créancier gagiste premier en rang perçoit aux échéances les capitaux et, s’il y a lieu, les fruits et les produits des avoirs donnés en gage. Le créancier gagiste peut soit les imputer sur sa créance, soit les conserver comme avoir nanti en sa faveur39. Contrairement au droit d’utilisation qui est circonscrit aux instruments financiers et aux créances de sommes d’argent, les capitaux, fruits et produits concernent tous les avoirs éligibles comme garanties financières et donc, s’agissant des créances, toutes les créances et non seulement celles de sommes d’argent. Ainsi, tout produit ou fruit produit par tout type de créance pourra être alloué au créancier gagiste et les parties au contrat de gage ont une liberté totale dans l’aménagement de ces droits. Dans la pratique des financements internationaux, les fruits et produits seront composés des intérêts sur le compte bancaire gagé ou résultant d’un prêt intragroupe gagé. Les parties peuvent aussi aménager le moment à partir duquel le créancier gagiste percevra les intérêts des créances gagées ou les autres types de fruits et produits. Dans la pratique, avant la survenance d’un cas de défaut, les fruits et produits resteront acquis au constituant du gage et ils reviendront au créancier gagiste à la survenance du ou des cas de défaut conventionnellement convenus entres les parties. 3.2. Les droits du créancier gagiste lors de la survenance d’un cas de défaut Laissant encore une fois la place à la liberté contractuelle, la Loi Garantie Financière permet aux parties au contrat de gage de déterminer la manière dont le créancier gagiste peut exercer le gage à la survenance d’un cas de défaut. L’article 11 (1) de la Loi Garantie Financière dresse une liste non limitative des méthodes d’exécution .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 34. 35. 36. I. RIASSETTO, « Le droit d’utilisation du créancier bénéficiaire d’une garantie financière », Journal des Tribunaux Luxembourg, 4 février 2010, n° 7. Projet de loi n° 5251, o.c., n° 2. Projet de loi n° 5251, o.c., n° 2. 10 – ACE 2015/4 37. 38. 39. Art. 10 (2) de la Loi Garantie Financière. Art. 10 (3) de la Loi Garantie Financière. Art. 8 de la Loi Garantie Financière. ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg – Wolters Kluwer Loi du 5 août 2005 sur les contrats de garantie financière d’un gage qui sont les suivantes : l’appropriation des avoirs gagés, leur cession par vente de gré à gré, la demande en justice que ces avoirs gagés demeurent en paiement auprès du bénéficiaire, et la compensation. La liste des méthodes de réalisation du gage a vocation à s’appliquer à tous les avoirs gagés sans distinction entre les instruments financiers, les créances de sommes d’argent ou les autres créances. S’agissant du gage sur créance, le créancier gagiste ayant un gage sur un droit personnel, il pourra en cas d’exécution du gage opposer au débiteur cédé toutes les exceptions à ce droit personnel, ce qu’il ne pourrait pas faire si le gage sur créance n’était qu’un « gageespèces » et non un gage sur la créance de restitution d’une somme d’argent détenue par le constituant à l’encontre de son dépositaire40. Pour certains gages sur créances, du type gage sur commitment, la réalisation du gage n’est pas évidente. En effet, si à l’occasion de la survenance d’un fait entraînant l’exécution d’un tel gage, le fonds n’a pas ou ne veut pas faire un capital call auprès de ses investisseurs le créancier gagiste n’aura pas de créance sur laquelle il peut réaliser son gage. C’est la raison pour laquelle ce type de contrat de gage contient un pouvoir donné par le constituant du gage (le fonds d’investissement) au bénéficiaire du gage de faire les capital calls aux investisseurs en cas de défaut du fonds. C’est donc le bénéficiaire du gage qui fera naître la créance en même temps qu’il exécutera le gage. Le bénéficiaire du gage s’expose cependant toujours à la révocabilité d’un tel mandat et à la non-reconnaissance de ce mandat par un liquidateur ou curateur. Quel que soit le type de créances, le créancier gagiste réalisera le gage en récupérant la valeur de la créance gagée à due concurrence de sa propre créance. Rien n’interdit cependant les parties de déroger de la valeur faciale des créances gagées. Cela peut être le cas notamment en présence de gage sur créances intragroupe, la solvabilité du débiteur cédé pouvant avoir un impact sur la valeur réelle de la créance gagée41. Conclusion Le champ d’application matériel très large de la Loi Garantie Financière rend éligibles en garantie financière tous ou la quasi-totalité des avoirs actuels ou futurs des sociétés luxembourgeoises holding qui sont généralement composés de participations, de comptes bancaires et de créances. Ainsi, un contrat de gage sur créances combiné à un contrat de gage sur titres et sur compte bancaire permet in fine d’obtenir un résultat très proche d’un floating charge42 de droit anglais et ce malgré l’exigence de dépossession (même fictive) qui reste la norme en matière de sûreté mobilière en droit luxembourgeois. Une clause de sûreté négative (en anglais negative pledge) selon laquelle le constituant s’interdit de créer toute autre sûreté sur ses biens actuels ou futurs, devrait en plus des gages assurer à leur bénéficiaire une collatéralisation très forte sur la quasi-totalité des avoirs actuels et futurs d’une société luxembourgeoise. .............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 40. 41. D. LEGEAIS, « Nantissement de meubles corporels », Jurisclasseur civil, art. 2356-2366, fasc. 10, n° 27. Voir en ce sens, H. WAGNER et A. DJAZAYERI, « La réalisation du gage en temps de crise : aspects juridiques », ALJB – Bulletin droit et banque, mai 2010, n° 45. 42. La floating charge est une charge qui plane sur l’intégralité ou une partie des avoirs actuels et futurs d’un débiteur sans qu’il soit besoin de les identifier et sans que ce débiteur en soit dépossédé. Wolters Kluwer – ACE Comptabilité, fiscalité, audit, droit des affaires au Luxembourg ACE 2015/4 – 11