AÌ€ Seattle, la soli..

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AÌ€ Seattle, la soli..
À Seattle, la solidarité, ça existe
23.09.09 21:43
À Seattle, la solidarité, ça
existe
13/07/2009 | Mise à jour : 19:25 | Commentaires
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Une file d'attente de chômeurs devant un «job fair», à Seattle. Crédits photo :
ASSOCIATED PRESS
LES CARNETS DE L'AMÉRIQUE D'OBAMA (2) - Suite de notre périple.
Aujourd'hui, Seattle, dans l'État de Washington, au nord-ouest du pays.
Dans cette ville de trois millions d'habitants, les cadres dynamiques de
la «Corporate America» s'enthousiasment pour les actions caritatives.
Les Américains ne sont pas, comme
nous, collés à leurs racines, à leurs
grandes et petites villes. Ils sont des
pragmatiques, confiants enDieu,
optimistes en leur avenir. Ils aiment le
mouvement ; symbole de la vie riche et
foisonnante. Ils se déplacent sans
cesse dans leur immense pays, en
quête d'une possibilité d'améliorer leur
existence. Leurs villes naissent et
meurent en l'espace de trois ou quatre
générations, avec les familles
d'industriels et les entreprises qui les
font vivre. Pittsburgh et Cleveland au
XIXe siècle incarnaient lamodernité des
États-Unis, au XXe siècle, ce furent
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États-Unis, au XXe siècle, ce furent
Detroit et San Francisco. Maintenant
c'est Seattle, la capitale de l'État de
Washington, au nord-est des ÉtatsUnis. Avec les sièges sociaux
Des volontaires de l'association
caritativeNorthwest Harwest. Crédits photo :
ASSOCIATED PRESS
deGoogle,Microsoft, Amazon,
Starbucks, T-Mobile, AT&TWireless, les grandes usines de Boeing, cette
métropole de trois millions d'habitants est le fer de lance de la puissante
«Corporate America» (l'entreprise Amérique).
« Corporate America» a le génie du marketing pour détecter les attentes de la
jeunesse. Ce n'est pas désintéressé. Les adolescents sont une cible primordiale
pour l'ingéniosité humaine, parce que partout dans le monde, ils sont tournés
vers l'avenir. Ils se précipitent sur les nouveautés qu'on leur propose. Seattle,
avec ses hommes d'affaires innovants, est donc un bon observatoire des
dernières tendances américaines.
Comme tout Européen, j'ai tendance à privilégier l'histoire, et je décide de
commencer ma visite par le Seattle Art Museum, réputé pour ses collections
d'art amérindien. En fait, je ne verrai rien de ces collections, sinon une famille
d'Américains. Je suis cette petite tribu sympathique, pas à pas. Je suis fasciné.
Le père avance dans l'endroit, une caméra fixée sur l'œil. Son regard passe par
la machine. Il balaye les lieux, à travers l'objectif. Il me regarde à travers
l'objectif. La machine et lui ne font qu'un. Il est déjà une sorte de robot, assez
primitif toutefois (parfois, il doit se moucher). Ses deux garçons sont en avance
sur lui de cinq cases. Ils déambulent en fixant l'écran de leur PlayStation. Je
vois bien que lorsqu'ils veulent communiquer entre eux, les enfants n'échangent
pas un mot, mais utilisent des « téléphones intelligents», manipulés avec une
folle dextérité. Pour eux, le musée est de trop. Ils vivent dans un monde virtuel.
Le réel ne les intéresse pas.
Seattle, tellement contemporaine qu'elle sue l'ennui
Je sors dans la rue, m'assois dans un jardin public. Des jeunes gens courent là,
isolés du chant des oiseaux par leurs écouteurs. De temps en temps, ils
consultent leurs écrans portables. C'est leur unique compagnie. Je me souviens
de West Side Story. Le film avait bouleversé mon adolescence. C'était Romeo et
Juliette, mais à New York dans les années cinquante. L'histoire de la rue
américaine, à cette époque. Un film de la préhistoire. Notre sociabilité
aujourd'hui est dans l'échange texto. Elle se résume à trois mots : «I, me,
mine» (je, moi, à moi). Dans les sondages qui nous renseignent sur l'état
psychologique de nos sociétés voilées par les technologies, l'entreprise incarnant
le mieux notre modernité est Apple. Son fondateur se donne des allures de
gourou dirigeant une société secrète. Il a compris le narcissisme égocentrique
de ses contemporains. Il fait précéder chacun de ses produits de «I».
Mon «I Phone» en poche (pourrais-je vraiment vivre sans lui ?), je découvre
Seattle : la cité n'a ni la puissante beauté de Vancouver, au Canada, ni le
cosmopolitisme de Melbourne, en Australie, mais ressemble, par son côté
«culturellement correct», à Göteborg, en Suède. Ses banlieues aplaties autour
des sièges sociaux luxueux des groupes «high-tech» sont autant de jardins
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des sièges sociaux luxueux des groupes «high-tech» sont autant de jardins
magnifiques, ou des milliers de «desperate housewives» tentent de positiver
leurs existences, derrière les volants de leurs cabriolets de sport. Pendant
qu'elles déjeunent avec d'autres femmes stressées par l'ennui dans les
restaurants à la mode, leurs époux désertent des bureaux paysagers pour se
détendre sur les terrains de football ou de rugby. On travaille ensemble et l'on
joue ensemble. Il faut démontrer que l'on a toujours le feu sacré, c'est-à-dire
l'esprit d'équipe et le goût de la compétition. Le soir, si l'on veut être fou, on va
au restaurant «Crabpot» de Kirkland, où l'on vous revêt d'une bavette avant de
déverser un chariot de crustacés sur votre table.
Seattle est tellement contemporaine, bien sous tous rapports, qu'elle sue l'ennui
et l'angoisse existentielle. Un ami psychanalyste me confie sa bonne fortune :
de nombreux cadres japonais travaillant ici finissent sur son divan, lessivés par
tant de perfection.
Cette ville de l'intelligence moderne s'est ruée sur Barack Obama, lui offrant
une victoire locale écrasante. Cela me surprend. Car s'il est assez naturel que le
nouveau président ait reçu le soutien massif des «minorités» (les Noirs, les
Latinos, etc.), pourquoi les jeunes cadres supérieurs extrêmement diplômés et
ambitieux de la ville ont-ils massivement voté pour lui ? Dans une logique
carriériste et ambitieuse, cela ne semble pas très cohérent. Jamais Barack
Obama, pendant sa campagne, n'a prononcé le mot «Je». Toujours il a dit
«Nous».
Où est la connexion entre ce «Nous» et le «Je, moi, à moi» de la modernité
branchée ? Ou est le clic ?
Il est dans un soudain basculement de valeurs.
Dans les cabinets de conseil, les recruteurs n'en reviennent pas
Vous souvenez-vous de
Délivrance, ce film de John
Boorman racontant le départ d'une
paisible bande de quatre copains
pour descendre une rivière, et qui
se retrouvent plongés dans l'horreur
absolue d'un univers d'une sauvage
cruauté ? Le film était une
métaphore de la guerre du Vietnam.
Le remake de Délivrance, façon
Obama, raconte aux Américains
l'histoire contraire. Oui, nous
sortons exsangues de trois
décennies de capitalisme échevelé,
dit en substance le président, et
cela nous a précipités dans une
Une banque alimentaire de Northwest Harvest.
crise dont nous sommes les
Crédits photo : ASSOCIATED PRESS
premières victimes. Nous devons
maintenant nous reprendre, nous retrouver, nous recentrer, nous épauler les
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maintenant nous reprendre, nous retrouver, nous recentrer, nous épauler les
uns les autres. Oui, «It's time to serve» et «Oui, nous le pouvons !» Il est
temps de recouvrer nos valeurs. De redéfinir l'Amérique. Aux yeux du monde,
mais d'abord pour notre propre résurrection.
À part New York, toujours en marge de «l'Amérique profonde», ce discours de
solidarité mobilise la jeunesse du pays. Jamie Bollenbach, un vieux militant des
associations de défense des libertés civiques à Seattle, explique «l'explosion
d'Obama» auprès des nouvelles générations : «Ces jeunes sont meilleurs que
nous, mieux formés, et pourtant ils vivaient avec une impression d'échec, car ils
avaient le sentiment de ne pas pouvoir changer les choses. Il leur manquait
cette énergie que l'on attend de la jeunesse !», dit-il, avant d'ajouter :
«Aujourd'hui ces jeunes qui ont toujours grandi attachés par des ceintures de
sécurité à l'arrière des voitures, veulent s'enrichir autrement. Obama a lancé un
mouvement culturel.»
Dans les cabinets de conseil, les recruteurs n'en reviennent pas : «Les jeunes
disent soudain qu'ils se verraient bien avec une triple carrière dans les affaires,
la politique et l'engagement envers la communauté. Ils veulent tout :
consommer et remplir des buts plus nobles», note un dirigeant de McKinsey, qui
requiert l'anonymat. Alison Silver, journaliste politique, ajoute : «Dans les
années soixante-dix, les élites allaient vers Hollywood. Puis ce fut l'industrie de
l'Internet. Puis la finance. Aujourd'hui, c'est la politique.»
Mike Kane, un photographe de 32 ans au chômage, explique ce retournement :
«Nous étions fiers du rôle de notre pays pendant la Seconde Guerre mondiale,
et l'on a été embarrassés et honteux de ce qui s'est passé avec George W.
Bush. Cette arrogance ridicule ! L'Amérique est là pour délivrer le monde de la
peur, pas pour lui faire peur ! Nous avons fini les années Clinton et Bush
découragés. L'élection d'Obama n'a pas transformé les Américains, mais elle les
a poussés à se lever. Kennedy avait demandé aux jeunes de servir leur pays à
l'étranger, avec les Peace Corps. Aujourd'hui, cet effort, nous le faisons vers
l'intérieur de notre pays. Oui, les choses sont redevenues possibles !» Steve, un
étudiant de l'université de Washington, partage cet enthousiasme : «Il y a
quarante ans, le mouvement de pureté personnelle de nos parents n'était pas
orienté vers le bien-être de la communauté. Là, on va prendre les problèmes à
bras-le-corps et les régler !» Bryan, une étudiante en travaux publics, me dit :
«Vous pouvez être vieux ou hypercompétitif, à chaque niveau on se dit que l'on
va faire marcher ce pays, on va s'entraider… C'est un courant profond.»
Pourquoi les gens viennent-ils aider ?
Tel un prince charmant, Barack Obama réveille l'idéalisme et l'optimisme
fondamental qui sommeillaient dans l'âme de chaque Américain. La crise
économique est bien sûr le catalyseur de cette ardeur. Mais cette énergie est
puissante, car l'idéalisme américain n'avait plus été chatouillé depuis des
décennies. Les organisations charitables à Seattle sont débordées par les offres
de bénévolat. «Depuis six mois, tout le monde est venu nous aider, des cadres,
des étudiants, retraités… Tout le monde !», explique Matt Campbell, le directeur
de Northwest Harvest.
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En plein cœur de Seattle, l'organisation ressemble aux Restos du cœur. Elle
distribue 500 000 rations par mois dans ses 300 centres éparpillés dans l'État de
Washington. Les dons ont débuté en 1967, après les premières grandes vagues
de licenciements chez Boeing. Dans la file d'attente, une pauvreté
internationale, silencieuse. Personne ne parle, en attendant de manger.
Northwest Harwest est le baromètre de la crise. L'association distribue de plus
en plus de rations. «Plus 50 % ces trois derniers mois, plus 30 % en un an» ,
dit Matt.
J'entre dans le bâtiment offert par l'église du coin et rénové gracieusement par
un entrepreneur local. Terry Johanson dirige une équipe de 30 «tartineurs» :
«Allez, faites d'énormes sandwichs ! Mettez plein de beurre et de dinde, ce sera
pour la plupart d'entre eux le seul repas du jour !», crie-t-elle aux volontaires.
Elle ne chôme pas. Pourquoi les gens viennent-ils l'aider ? «Lorsque la crise a
frappé, ceux qui avaient encore un travail ont compris qu'ils devaient en être
reconnaissants. Demain, ils peuvent se retrouver dans la file», répond-elle. Les
écoles collectent la nourriture. Clare, une étudiante de 19 ans, m'explique sa
présence parmi les tartineurs : «J'ai commencé à venir dans le cadre du
programme scolaire obligatoire. J'ai continué, comme beaucoup de mes amis. Je
ne peux pas faire autrement, en voyant cette multitude dans le besoin.
Beaucoup de gens pensent comme Obama. Il faut changer la vie !»
Voici donc l'Amérique nouvelle, qui, dans l'épreuve, se métamorphose.
Le «I, me, mine», l'égoïsme et l'individualisme, sont devenus des poses
ringardes. «Le changement fondamental est que les gens ne consommeront plus
jamais comme avant, ils n'emprunteront plus jamais comme avant ; et la
solidarité, ça existe», dit Jerry Large, chroniqueur au Seattle Times. Les mains
dans cette ville se tendent. Elles ne veulent plus prendre.L'autre Amérique, celle
des grandes plaines, des cow-boys et des Indiens, bouge-t-elle dans le même
sens ? Je dois le vérifier. Je m'envole vers un coin vraiment perdu du Montana,
Great Falls.
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