1 Le défilé impressionniste d`Orsay, un pari risqué

Transcription

1 Le défilé impressionniste d`Orsay, un pari risqué
Le défilé impressionniste d’Orsay, un pari risqué
Sous l’intitulé « L’impressionnisme et la mode », le musée d’Orsay rassemble en une même exposition plus de
soixante œuvres et une quarantaine de tenues datant de la fin du XIXème siècle. En collaboration avec le Musée Galliera,
cette exposition présentée en ce moment à Paris sera par la suite présentée successivement au Metropolitan Museum of
Art de New-York du 19 février au 27 mai 2013, puis à l’Art Institute de Chicago du 30 juin au 22 septembre 2013, sous
le titre « Impressionism, Fashion, Modernity ».
S’il possède une importante collection de tableaux impressionnistes, il s’agit pour le musée d’Orsay de la
première exposition de vêtements et accessoires de mode de l’époque. Une exposition sur l’impressionnisme couplée
avec cette ouverture à une autre discipline artistique permet d’assurer au musée un grand nombre d’entrées.
Cette exposition semble se démarquer des nombreuses autres sur le courant artistique par la réunion de plusieurs
disciplines artistiques. Le mouvement impressionniste semble également revisité par l’exposition qui change le regard
des visiteurs. Nous étudierons quels sont les moyens utilisés pour parvenir à renouveler l’image de l’impressionnisme et
chercherons à savoir si ceux-ci mènent à un résultat concluant.
Ainsi, nous nous attacherons à montrer, dans un premier temps, comment cette exposition se démarque par
rapport aux précédentes réalisées sur ce même courant artistique. Pour ce faire, nous effectuerons une présentation
générale de l’exposition et montrerons l’incidence de l’association des deux thèmes. Dans un second temps, nous
montrerons que le parcours thématique de l’exposition apporte une part d’innovation, mais tend parfois à une simplicité
en termes de choix et semble cautionner certains oublis. Enfin, nous étudierons plus spécifiquement la scénographie de
l’exposition. Nous verrons alors en quoi la cette dernière, établie par le metteur en scène Robert Carsen, permet de
qualifier « L’impressionnisme et la mode » d’« exposition spectacle ». Pour cela, nous évoquerons les moyens employés
par le scénographe pour théâtraliser l’exposition et soulèverons les avantages et les inconvénients générés par un tel
procédé.
I - Une exposition de peinture, mais pas uniquement
A - Présentation de l’exposition
L’exposition « L’Impressionnisme et la mode » qui se tient jusqu’au 20 janvier 2013 au musée d’Orsay
s’organise en six salles principales sur des thématiques précises.
Dans la première salle, des gravures, revues de mode, estampes, affiches, publicités et lithographies d’époque
exposées sous vitrines, témoignent de la diffusion de la mode et de l’essor des grands magasins. Cette approche
1
contextuelle s’estompe au fil du parcours de l’exposition pour inviter le visiteur à s’immerger dans le quotidien de
l’époque.
Dans la seconde pièce qui n’est pas répertoriée comme l’une des salles principales, la scénographie se
théâtralise. La salle est dotée, de chaque côté, de deux rangées de chaises en plastique doré placées sur deux niveaux, sur
lesquelles sont accrochées de petites étiquettes indiquant de façon manuscrite des noms de personnalités de l’époque.
Cette mise en scène n’est pas sans rappeler l’univers des défilés de mode. Par ailleurs, située dans un espace un peu
étriqué, la présence de miroirs compense le manque de recul nécessaire pour apprécier les quatre uniques tableaux de la
pièce.
La troisième salle consacrée à la vie des femmes chez elles, est de forme rectangulaire, qu’une vitrine arrondie
dans chacun de ses angles vient adoucir. Ici, les vitrines sont assez hautes, surélevées d’une bonne cinquantaine de
centimètres et sont éclairées par des spots puissants. À l’intérieur, des robes de jeunes filles, noires pour celles de
l’entrée, blanches vers la sortie de la salle. Ces robes sont présentées dans un univers domestique symbolisé par du
papier peint jaune à motifs bleus, dénotant avec le reste de la salle entièrement bleu clair proche du gris perle.
Dans cette section, chose extrêmement rare dans une exposition, une musique d’ambiance tourne en fond
sonore. Un cartel vient même préciser qu’il s’agit de deux préludes et d’une sonate de César Franck, compositeur de
l’époque.
Un panneau central, présente deux grands formats : un Renoir (Portrait de Madame Charpentier et de ses
enfants) et un Manet (La dame aux éventails). Sur les murs, de grands noms également avec par exemple des œuvres
d’Edgard Degas, Pierre-Auguste Renoir, Edouard Manet Camille Corot, James Tissot, Berthe Morisot et Alfred Stevens.
La pièce suivante reproduit à l’identique la scénographie de la seconde salle, reprenant le décorum d’un défilé de
mode. Au centre, à nouveau trois panneaux présentent de très grands formats de maîtres célèbres (Carolus-Duran,
Edouard Manet et James Tissot). Les trois huiles sur toiles de plus de deux mètres de haut figurent des femmes en robes
noires, dédoublées par le jeu de miroirs.
La cinquième salle regroupe des œuvres autour de la thématique « voir et être vus ». Aux murs est tapissé le
même type de papier bleu avec des motifs peints à la main que celui de la troisième salle. Les œuvres présentées
décrivent quasiment toutes des scènes de bal ou de spectacles dans le grand monde.
Après avoir traversé cette salle dédiée aux sorties, la suite du parcours invite à pénétrer dans l’espace intime des
femmes. Une première section est consacrée aux sous-vêtements comme les corsets, souliers, sous-jupes ou encore les
bas. Ici est exposé le seul nu de l’exposition, Rolla, peinte en 1878 par Henri Gervex. L’amas de sous-vêtements jetés au
pied du lit, se retrouve présenté physiquement dans une vitrine placée sous le tableau. Ce dispositif attractif vole la
vedette à la Nana (1877) de Manet, qui se trouve reléguée sur un étroit pan de mur. Un deuxième espace est consacré aux
2
accessoires de mode. Chapeaux, souliers, gants, ombrelles, éventails sont mis en parallèle avec notamment les Souliers
blancs et Souliers roses, (vers 1879-1880) d’Eva Gonzalès.
La toilette féminine, laisse ensuite place à celle des hommes, constituée de vêtements et accessoires : sont
présentés ici redingotes, pantalons, habit, gilet de soirée, paletot, malle cabine en toile Damier, parfum Guerlain,
chapeaux : haut de forme, chapeau melon, canotier... Si les femmes étaient présentées en intérieur familier, les hommes,
eux, sont dans un univers urbain plus froid, symbolisé par des motifs muraux imitant des murs de parpaings. On y
retrouve des portraits d’hommes seuls et quatre tableaux de groupes, dont notamment Le Cercle de la rue Royale (1868)
de Tissot et Un atelier aux Batignolles (1870) de Fantin-Latour.
Le parcours s’achève par la « salle du buffet de la gare » en utilisant un espace entièrement ouvert pour le
pleinairisme. La sensation de liberté y est très forte. L’artiste au travers de tableaux de plus en plus grands, exprime et
donne libre cours à ce sentiment. Par le volume et la matière, les habits paraissent également beaucoup plus légers, plus
libres. C’est en outre, à cette époque que se développe la liberté des femmes. De plus, la grandeur de la salle permet au
public de déambuler, de flâner librement dans l’espace, parmi les tableaux et des robes exposés. Les pièces phares de
cette section sont inévitablement le Déjeuner sur l’herbe (1865-1866) et les Femmes au jardin (vers 1866) de Claude
Monet.
B - L’intervention de la mode
- Renouveler la thématique en exposant l’impressionnisme sous le prisme de la mode.
Il est de notoriété publique que les expositions de peintures impressionnistes attirent les foules dans les musées.
En choisissant d’aborder une thématique comme celle-ci, le musée d’Orsay s’assure les entrées de 3,6 millions de
visiteurs pour l’année 2012. Ce chiffre, annoncé dans un communiqué officiel de la direction de l’Établissement public,
représente une hausse de fréquentation de 15% par rapport à l’année précédente ; un record depuis 25 ans. « La
redécouverte des espaces rénovés du Nouvel Orsay et aussi le succès des expositions « Degas et le Nu » (480.000
visiteurs), « Misia, Reine de Paris » (400.000 visiteurs) et « L'Impressionnisme et la Mode » (qui se poursuit jusqu'au 20
janvier 2013 et qui devrait atteindre 500.000 visiteurs) expliquent en grande partie ces très bons résultats », précise le
communiqué.
L’impressionnisme est un thème à succès, comme le souligne notamment Philippe Dagen dans son article
« L’impressionnisme, cette machine à cash-flow », paru dans Le Monde1. Ce sujet qui a naturellement été maintes fois
traité risque donc de s’essouffler. Abordé essentiellement par le biais de monographies rétrospectives, l’impressionnisme
a fait l’objet de nombreuses expositions au Grand Palais, avec par exemple « Monet » en 1980, « Manet » en 1983,
1 Philippe Dagen, « L'impressionnisme, cette machine à cash-flow », paru le 01.10.2012 dans Le Monde : « Simultanément, un autre
phénomène s'est produit : l'impressionnisme est devenu le plus populaire de tous les épisodes de l'histoire de la peinture. Tant et si bien
qu'actuellement, un lieu d'exposition qui veut s'assurer des entrées, donc des recettes, a une solution évidente : une exposition
impressionniste.»
3
« Renoir » en 1985, « Degas » en 1988, « Cézanne » en 1995, « Turner-Whistler-Monet » en 2004, « Renoir au XXe
siècle » en 2010, ou encore « Claude Monet » en 2010.
Actuellement, la Fondation culturelle suisse Beyeler consacre une exposition au peintre Edgar Degas. Le Mona
Bismarck American Center for art & culture propose de son côté de découvrir « Mary Cassatt à Paris: Dessins &
Gravures de la Collection Ambroise Vollard », et la Pinacothèque de Paris présente « Van Gogh, rêves de Japon », ces
derniers artistes ayant tous deux fortement été influencés par l’impressionnisme.
Devant l’affluence d’expositions rétrospectives sur des peintres impressionnistes, le défi est de renouveler, de
réactualiser le regard porté par le grand public sur ce courant artistique. Ainsi, comment exposer sous un nouveau jour
l’impressionnisme, sans donner au visiteur un sentiment de déjà vu? Et comment attirer un public le plus large possible ?
Le musée d’Orsay semble avoir trouvé la solution en faisant appel à Robert Carsen, connu pour ses expositions
spectaculaires, mais également en mettant le courant artistique en lien avec une seconde discipline artistique. Ainsi, le
musée d’Orsay propose une vision novatrice de l’impressionnisme sous le filtre de la mode.
La mode est un thème qui plaît au grand public et qui n’avait pas été encore associé à l’impressionnisme. Il
s’agit de plus d’un thème intemporel, touchant toutes générations confondues. Les vêtements présentés en parallèle des
tableaux de maîtres permettent ainsi d’attirer à la fois les amateurs d’art et ceux s’intéressant à la haute couture, aux
vêtements d’époque et à la mode en général.
Notons, par ailleurs, que l’exposition s’est ouverte dans le même temps que la Fashion week, et fait par la même
occasion écho à l’anniversaire du temple de la mode et du luxe qu’est le Bon Marché, fêtant ses 160 ans, entre septembre
et fin décembre 2012.
Par ailleurs, de très nombreuses citations littéraires jalonnent l’exposition, depuis la première salle jusqu’à la
dernière, la rendant plus complète par une diversification des sources. Nous retrouvons ainsi des extraits d’essais d’Emile
Zola, Charles Baudelaire, Carlyle ou encore Honoré de Balzac relatant la modernité de la fin du XIXe siècle.
II- L’impressionnisme, un thème revisité
A - Une exposition et un parcours thématique
- Les thèmes retenus permettent d’aborder plusieurs aspects de la vie au XIXe
Comme pour attester du lien qui unit l’impressionnisme et la mode, l’exposition s’ouvre sur ces quelques mots
de l’écrivain et critique d’art Joris-Karl Huysmans : « Le peintre moderne (…) est un excellent couturier ». Cependant,
ne perdons pas de vue que l’impressionniste dépeint avant tout le monde moderne qui l’entoure, incluant certes la mode,
mais pas uniquement. D’ailleurs, la citation initiale de Huysmans, était plutôt celle-ci : « Non, le peintre moderne n’est
pas seulement un excellent « couturier » ».2
2 J.-K. Huysmans, Écrits sur l’art (1867-1905), éd. Patrice Locmant, Paris, Bartillat, 2006
4
De plus, rappelons que l’exposition « L’Impressionnisme et la mode » sera présentée par la suite au MET de
New-York, puis à l’Art Institute de Chicago, sous le titre « Impressionism, Fashion, Modernity ». Cet intitulé anglais
introduit la notion non négligeable de modernité, totalement absente du titre français. Il est vrai que le titre original
n’évoque pas explicitement cet aspect, mais il y fait toutefois référence. En français le terme « mode » possède deux
acceptions. Il peut être employé pour exprimer une façon de penser à une époque donnée ; mais il peut également être
utilisé pour décrire une manière de s’habiller dans un contexte donné. Outre le côté vestimentaire, la mode c’est aussi
une façon de se comporter qui est assez caractéristique d’une époque : en cela les notions de mode et modernité sont
liées et se répondent. En anglais, le terme « fashion », concerne uniquement l’aspect vestimentaire. La distinction entre
les deux termes « fashion » et « modernity » est ainsi explicite.
Bien que le titre français ne fasse pas distinctement référence aux trois grandes idées qui jalonnent l’exposition,
elle ne fait pas pour autant abstraction de la question de la modernité, qui se retrouve à la fois dans l’impressionnisme et
la mode.
- La division des salles par thèmes
Les salles se succèdent harmonieusement et s’articulent parfaitement bien dans l’ensemble. Elles sont liées par
une atmosphère, des couleurs récurrentes, un décor très travaillé et un aspect théâtral marqué, faisant de la visite une
véritable expérience. Plusieurs sens sont sollicités, avec notamment l’intervention de sons dans différentes salles,
l’exposition de flacons de parfums, de nombreuses sortes de tissus, etc. Ainsi mis en éveil, les sens contribuent à rendre
le parcours plus stimulant, permettant au passage de retarder le sentiment de lassitude dans cette exposition dense chez
les visiteurs. La scénographie participe amplement à cette approche ludique de l’impressionnisme et de la mode.
Les neuf sections qui composent l’exposition sont successivement « Le phénomène de la mode, 1860-1885 »,
« premier défilé », « Femmes chez elles », « deuxième défilé », « Voir et être vus », « Intimité », « Accessoires de
mode », « Entre hommes » et enfin « Plaisirs du plein air ». Ces différentes parties du parcours regorgent d’éléments
mêlant magazines, gravures, photographies, robes, accessoires. Cette prolifération d’objets apporte aux peintures des
éléments complémentaires peu communs dans les musées d’art graphique.
B - Un parcours vivant, mais partiale
- Les oublis : l’aspect social évincé
On notera que l’exposition omet de faire une approche sociologique de la période traitée au profit d’un simple
dialogue visuel entre des robes ou accessoires de l’époque et les toilettes figurant sur les tableaux. Ainsi, le propos peut
paraître traité de façon quelque peu superficielle. L’exposition ne présente qu’une facette de la société de la fin du
XIXème siècle, celle de la mondanité, de la haute bourgeoisie, excluant de fait, la classe populaire et son lot d’ouvriers,
de paysans, de danseuses ou filles de joie, sans doute pas assez distingués. Pourtant, ces derniers étaient eux aussi à leur
niveau, à la mode, dans la mesure où ils portaient des vêtements de leur temps.
5
Le plus étonnant dans cette sélection provient du fait que les impressionnistes représentaient la société sous de
très nombreux aspects, sans particulièrement hiérarchiser les choses. Il n’est pas rare de trouver des œuvres
impressionnistes représentant des scènes populaires. En ce sens, l’exposition semble aller à l’encontre d’une partie des
productions impressionnistes.
- Des imperfections dans la sélection des œuvres
La première salle introduit le visiteur dans l’atmosphère d’une époque en pleine mutation. Cependant, cette salle
manque cruellement d’œuvres peintes. Seulement cinq tableaux sont exposés dans cette importante pièce qui présente
pourtant des objets très variés tels que des coupures de journaux, des vêtements, accessoires, photographies d’époque,
etc.
Nous remarquerons que dans la troisième salle, celle dédiée aux sorties du grand monde, le mot « loge » est
contenu dans les titres de quatre toiles : Dans la loge et Femme au collier de perles dans une loge de Mary Cassatt, Une
loge aux Italiens d’Eva Gonzalès et La Loge de Pierre-Auguste Renoir. Ces similitudes créent chez certains visiteurs
attentifs le sentiment que le commissaire d’exposition a procédé par recherche nominative pour la sélection des œuvres
de cette salle et leur agencement. Les tableaux suivants sont tout aussi proches dans leurs thématiques et dans le champ
lexical employé dans les titres, dépeignant principalement des scènes de bal. Notons par exemple les tableaux Rentrée du
bal d’Alfred Stevens, Femme en noir dit aussi avant le théâtre de Berthe Morisot, Une soirée de Jean Béraud ou encore
Danse à la ville de Pierre-Auguste Renoir. Ce dernier tableau est étrangement séparé dans cette exposition de son
pendant Danse à la campagne. Puis, avec les peintures de James Tissot, on s’éloigne progressivement des scènes
d’intérieur avec Le bal sur un bateau ou encore L’amatrice de cirque.
III - Une exposition spectacle
A - Ce qui fait de cette exposition une « exposition spectacle »
- La collaboration entre un commissaire et un scénographe
Depuis la nomination de Guy Cogeval à la présidence de l’Établissement public du musée d’Orsay en 2008, les
expositions se veulent pluridisciplinaires et transversales, une volonté renforcée à travers le projet du « Nouvel Orsay ».
Ce dernier déclarait ainsi récemment dans une conversation tenue le 25 mars 2011, avec Philippe de
Montebello3 «Nous allons tenter d'imprimer un rythme différent à la présentation, tout en respectant les « écoles » et les
grandes personnalités artistiques. Faire émerger plus de sens et introduire des problématiques plus stimulantes. [...] Il
faut surprendre, amener à réfléchir. Mettre les œuvres en perspective avec d'autres disciplines. [...] par cette dérive
pluridisciplinaire, nous revenons à l'essence du projet d'origine. [...] Je souhaite créer les conditions les meilleures à
l'épanouissement d'un regard à la fois instruit, libre et imaginatif. La présentation des œuvres sera plus aérée. Les
3 Extrait d’une conversation en mars 2011, entre Guy Cogeval et Philippe de Montebello, ancien Directeur du Metropolitan Museum of Art
de New York et membre depuis 2008 du Conseil d'administration de l'établissement public. Cet entretien est retranscrit intégralement
dans le Rapport d'activité 2010 du musée d'Orsay.
6
vitrines plus légères [...]. Elles inviteront au dialogue avec les artistes tout autour. La présentation sera plus
« polyphonique, les catégories seront moins sûres d'elles-mêmes». Nous comprenons ainsi pourquoi il a fait appel au
metteur en scène Robert Carsen pour la scénographie de l’exposition « L’impressionnisme et la mode ».
Perçu par Guy Cogeval comme étant l’initiateur du « développement de la théâtralisation des expositions » avec
l’exposition sur « Hitchcock et l’art : coïncidences fatales » (1999-2000)4 au Centre Pompidou, Robert Carsen n’en est
pas à son coup d’essai. Plus récemment, en 2008, il a notamment théâtralisé la grande rétrospective sur Marie-Antoinette
qui s’est tenue au Grand Palais.
Simultanément à l’exposition « L’impressionnisme et la mode » au musée d’Orsay, Robert Carsen signe la mise
en scène de l’exposition « Bohèmes » au Grand Palais. Cette dernière regorge elle aussi d’objets factices, on note
également la présence intrusive d’un poêle placé au milieu des tableaux. La scénographie de la première partie de cette
exposition reste conventionnelle ; la seule originalité se situe au niveau des murs, qui revêtent une couleur brune, tout
comme la moquette recouvrant le sol. On retrouve réellement la touche de Robert Carsen dans la seconde partie de
l’exposition, située à l’étage. Les œuvres s’exposent dans un décor surprenant et kitch. Un papier peint lacéré tapisse les
murs de la pièce, représentant ainsi la précarité de la vie de bohème. La salle suivante regorge d’accessoires, évoquant un
atelier d’artiste. Nous y retrouvons le fameux poêle juché au milieu de la pièce. Plus loin, ce sont de volumineux
chevalets souillés de peinture qui répondent aux toiles figurant des ateliers. Leur fastueux cadres dorés contrastent avec
le décor misérable de la pièce.
L’exposition s’achève par la reconstitution anecdotique d’un café parisien et invite les visiteurs à prendre place à
une table pour consulter le catalogue de l’exposition. Par ailleurs, l’exposition est accompagnée d’une bande-son
sélectionnée par Béatrice Ardisson, que le visiteur peut librement télécharger sur un baladeur ou un smartphone pour
l’écouter durant sa visite.
- Les procédés utilisés pour théâtraliser l’exposition
Comme nous l’avons vu précédemment, au musée d’Orsay Robert Carsen a retenu pour une partie de
l’exposition la mise en scène d’un défilé de mode. Cette scénographie se traduit entre autres par l’introduction d’une
moquette rouge bordée par deux rangées de chaises dorées, reprenant grossièrement le style Napoléon III, pour présenter
certains tableaux grands formats dans une pièce sombre éclairée par de puissants projecteurs.
Le scénographe se justifie de ses choix : « … ça m’a amusé en regardant les tableaux, de voir le lien entre eux et
notre époque, avec les défilés de mode, qui ont seulement commencé à la fin des années 60, début des années 70. Dans
les grands défilés, encore aujourd’hui, on utilise très souvent un accessoire qui date exactement de cette époque : la
4 Extrait du dossier de presse de l’exposition L’Impressionnisme et la mode : Entretien avec Robert Carsen, scénographe de l’exposition et
Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, et commissaire de l’exposition, Paris, 29 juin 2012, p.13 à 21/ Extrait du
catalogue de l’exposition.
7
petite chaise Napoléon III. Mon défilé de tableaux est un petit clin d’œil aux défilés contemporains ! Les tableaux
défilent sur un catwalk, comme une salle de catwalk moderne. »5.
Ce parcours théâtralisé est caractéristique des « expositions-spectacle », qui ont la particularité de plonger les
visiteurs dans une atmosphère recrée par des artefacts.
Dans plusieurs salles, le visiteur est tenté de poursuivre sa visite en se rendant dans les salles suivantes en
passant par plusieurs ouvertures sur des couloirs sombres. Ces ouvertures ne sont en fait que des issues de secours. Il
s’agit d’une façon non traditionnelle d’indiquer d’autres issues possibles. Ces leurres confèrent à l’exposition un
agrandissement illusoire de l’espace et laissent au visiteur l’étrange impression de n’avoir pas tout vu dans l’exposition.
Notons que cette mise en scène chargée, se traduisant ici par des tentures rouge, des chaises en plastique
Napoléon III, de grands miroirs ou encore la disposition de grands panneaux centraux, correspond davantage au code des
peintres académiques, dit « pompiers » qu’à celui de leurs rivaux, les impressionnistes. Des peintres que l’on retrouvera
dans la suite de l’exposition, parmi lesquels figurent Stevens et Tissot.
B - Les avantages et inconvénients de cette pratique sur l’exposition étudiée
- La scénographie théâtralisée de Robert Carsen souvent critiquée
Le travail sur le spectaculaire du scénographe atteint son paroxysme dans la dernière salle, consacrée au thème
des « plaisirs du plein air ». Dans cette dernière, la scénographie semble prendre le pas sur les pièces exposées. Le
visiteur est immergé dans un environnement champêtre et illusoire. Notons entre autres la présence d’une pelouse
synthétique sur toute la superficie de la salle, de bancs ou encore de gazouillis d’oiseaux pouvant aisément détourner le
regard visiteurs des pièces exposées de façon magistrale.
Philippe Dagen compte parmi les personnes qui critiquent sévèrement cette scénographie. Il déclare
notamment avec des propos acerbes que Robert Carsen « Un scénographe d'opéras, (...) sévit simultanément au Grand
Palais dans « Bohèmes »» et au musée d’Orsay. Il lui reproche entre autres la facilité dans laquelle il tombe en
recherchant toujours « la littéralité, l'imitation ». Il dénonce une exposition à la scénographie qu’il juge grotesque : « le
pire est à la fin. La dernière salle étant consacrée aux tenues conçues pour les jardins et les parcs, son sol est couvert de
pelouse synthétique. Les toiles sont posées sur des podiums ronds couleur petits pois écrasés. Quelques bancs publics
vert épinard sont disposés dans les coins.». Et le journaliste de poursuivre : « Finesse ultime, la bande-son diffuse des
chants d'oiseaux. Il ne manque qu'un arrosage automatique. ». 6.
5 Extrait du dossier de presse de l’exposition L’Impressionnisme et la mode : Entretien avec Robert Carsen, scénographe de l’exposition et
Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, et commissaire de l’exposition, Paris, 29 juin 2012 / Extrait du catalogue de
l’exposition.
6 Philippe Dagen, « L'impressionnisme, cette machine à cash-flow », paru le 01.10.2012 dans Le Monde
8
- La légitimité de cette scénographie et ses antécédents : « period rooms »
La mode est en elle-même un spectacle. Le choix de cette scénographie spectaculaire par Robert Carsen trouve
donc sur ce point une justification possible.
En outre, comme Guy Debord le souligne dès la première page de son essai La société du spectacle : « Toute la vie des
sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de
spectacles. ».7
Dans les musées, nous assistons à l’apparition dès le début du XXème siècle, à de nouveaux modes d’exposition,
fondés sur le mode théâtral. Désignés sous le nom de period rooms, ces nouveaux procédés d’exposition, aspirent à une
« contextualisation culturelle » des œuvres, tandis que plus tard le White cube tendra à une « décontextualisation
sacralisante » des œuvres. Recréant des intérieurs d’époque, ces « period rooms » en restituent donc l’atmosphère.
Jérôme Glicenstein, historien de l’art évoque dans son ouvrage intitulé L’art : une histoire d’expositions, l’une
des premières scénographies caractéristiques du genre, celle créée lors du réagencement de la collection du
Landesmuseum de Hanovre, dans les années 1920, par le conservateur Alexander Dorner : « Ce qui importait n’était pas
simplement l’exactitude des objets ou des explications fournies, mais également « le sentiment perceptif » ressenti par
les visiteurs (grâce à la mise en scène, aux lumières, aux teintes et aux formats des murs) ».8
Bien que Robert Carsen n’ait pas véritablement transformé les salles du musée d’Orsay en « period rooms »,
nous retrouvons toutefois cette idée à travers son parcours théâtralisé. Dans le même livre, Jérôme Glicenstein, précise à
juste titre que : « L’authenticité des œuvres d’art, dans ce type de conception, était complément secondaire par rapport à
la composition d’ensemble, au parcours et au sens qui s’en dégageait.»9. C’est également ce que l’on peut reprocher à la
scénographie de Robert Carsen, qui a une tendance à laisser primer l’idée générale (pouvant se matérialiser par la
scénographie) sur les œuvres exposées.
- Réussite et échec des expositions-spectacles
Il est de plus en plus fréquent de visiter des expositions où la scénographie prend le pas sur les œuvres exposées,
au risque de les occulter ou de les rendre anecdotiques. Elle offre du « divertissement », et donc « détourne » l’attention
du public, selon l’étymologie latine du terme (divertere).
Les « expositions-spectacles » sont souvent conçues dans un but bien précis : attirer un maximum de visiteurs afin de
rentabiliser la manifestation. Pour réussir à capter un large public, l’exposition seule des œuvres, aussi remarquables
soient-elles, semble insuffisante. La scénographie se doit d’être spectaculaire, rendant le parcours de l’exposition
divertissant et ludique. Les records de fréquentation étant particulièrement liés au bouche à oreille.
7 Guy Debord. La société du spectacle, 1967, p.1
8 Jérôme Glicenstein. L’art : une histoire d’expositions. Presses Universitaires de France - Lignes d’art, 2009, p.27
9 ibidem
9
Noémie Drouguet pointe ce phénomène dans un article intitulé « Succès et revers des expositions-spectacles ».
L’auteur évoque notamment les expositions conçues par la Société EuroCulture Production, comme notamment « J'aime
pas la culture » (rétrospective de la culture au XXe siècle, Bruxelles, 2000 et Paris, 2002-2003), « Music Planet »
(rétrospective de la musique populaire au XXe siècle, Bruxelles, 2002-2003) ou encore « Simenon... Un siècle ! » (Liège,
2003). Elle débute son analyse avec la première exposition fondatrice de ce genre « Tout Hergé » 1991, qu’elle décrit de
la façon suivante: « Un compromis entre musée et parc d'attractions, voilà la base de la recette de Tout Hergé et des
expositions qui suivront. Alterner, et plus tard entrelacer, des espaces de décors et de reconstitutions avec des salles plus
classiques, afin de présenter du contenu scientifique : des textes et des objets, provenant tantôt de musées publics, tantôt
de collectionneurs privés. Attirer un public large et nombreux dans le but de lui proposer un divertissement intelligent.
Jouer sur l'immersion, l'émotion et les sensations et surtout, se démarquer des musées traditionnels, jugés
« poussiéreux» ».10
Pour sa part, Raymond Montpetit parle de « muséographie analogique » : « un procédé de mise en exposition qui
offre, à la vue des visiteurs, des objets originaux ou reproduits, en les disposant dans un espace précis de manière à ce
que leur articulation en un tout forme une image, c'est-à-dire fasse référence, par ressemblance, à un certain lieu et état
du réel en dehors du musée, situation que le visiteur est susceptible de reconnaître et qu'il perçoit comme étant à l'origine
de ce qu'il voit » 11 . En effet, les expositions-spectacle, tel que nous en propose le musée d’Orsay avec
« L’impressionnisme et la mode » ont le mérite de tendre à une démocratisation culturelle, par une présentation novatrice
misant sur l’émotion. D’ailleurs, Robert Carsen explique dans une interview avec le commissaire, qu’il privilégie le
ressenti directe plutôt qu’un accompagnement textuel.12
10 Noémie Drouguet, « Succès et revers des expositions-spectacles », in: Culture & Musées. N°5, 2005. pp. 65-90.
11 Raymond Montpetit , Une logique d'exposition populaire : les images de la muséographie analogique, Publics et Musées, 1996. Volume
9, Numéro 9, pp. 55-103.
12 «GC — Comment gères-tu, en tant que scénographe le fait qu’il n’y ait quasiment pas d’explications dans une exposition, contrairement
au catalogue ?
RC — Outre le fait que, comme on dit en anglais, « a picture is worth a thousand words », nous avons plusieurs milliers de mots avec des
tableaux remarquables, qui n’ont pas besoin d‘être expliqués, puisqu’un tableau c’est aussi une émotion, comme la musique. Chacun peut la
sentir d’une manière différente. » in Extrait du dossier de presse de l’exposition L’Impressionnisme et la mode : Entretien avec Robert
Carsen, scénographe de l’exposition et Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, et commissaire de l’exposition, Paris,
29 juin 2012 / Extrait du catalogue de l’exposition.
10
Conclusion
Au terme de cette démarche d’enquête et d’analyse, nous pouvons affirmer que l’exposition
« L’impressionnisme et la mode » est, malgré de nombreuses critiques, un véritable succès en terme de fréquentation.
Globalement, les visiteurs repartent satisfaits d’avoir découvert de nouveaux champs artistiques, mais également de la
présentation dynamique des œuvres grâce à la scénographie innovante. Il s’agit d’une exposition grand public, destinée à
faire découvrir sous un jour nouveau le courant impressionniste, et non d’une exposition destinée aux initiés.
Le rapprochement effectué entre les différents thèmes qui composent le titre de l’exposition et le parti pris
scénographique de Robert Carsen, semblent en effet, rendre réfractaire le public habitué, tandis qu’ils provoquent
l’enthousiasme chez le public novice.
Cette exposition, qui joue sur le spectaculaire a de plus l’avantage de débarrasser les musées de l’image
poussiéreuse qu’ils renvoient généralement, et apporte un peu de légèreté au discours scientifique. Le site Internet de
l’institution participe également à l’attractivité et la pédagogie de l’exposition, en lui dédiant un espace spécifique.
L’événement y est en effet annoncé de la manière suivante : « Le musée d’Orsay vous propose une expérience
interactive. Ce dispositif original accompagnant l’exposition « L’impressionnisme et la mode », vous permet d’explorer
de façon inédite et privilégiée certaines œuvres et thématiques de l’exposition mais aussi de découvrir des extraits du
documentaire produit par ARTE et Cinétévé, L’impressionnisme, éloge de la mode. ». Conçu comme un
accompagnement à la visite, ce mini-site est là encore voué à un public curieux et néophyte. Il faut espérer que cet
exercice de séduction, destiné à conquérir un nouveau public ne débouche pas sur une perte de confiance des amateurs
d’art, globalement fidèles envers l’institution.
Quoiqu’il en soit, que l’on ait été convaincu ou non par le propos, le contenu ou la scénographie de l’exposition,
celle-ci a l’avantage de faire parler d’elle, et marquera ainsi les esprits pour longtemps.
11
Bibliographie
Ouvrages

Huysmans Joris-Karl. Écrits sur l’art (1867-1905), éd. Patrice Locmant, Paris, Bartillat, 2006.

Glicenstein Jérôme. L’art : une histoire d’expositions, Presses universitaires de France, Lignes d’art, 2009.

Montpetit Raymond. Une logique d'exposition populaire : les images de la muséographie analogique, Publics et
Musées, 1996.

L’Impressionnisme et la mode. Catalogue d’exposition. Collectif, Gloria Groom, Guy Cogeval, direction Musée
d'Orsay / Skira-Flammarion, 2012.
Articles / Presse

Dagen Philippe. « L’impressionnisme, cette machine à cash-flow », in Le Monde, paru le 1er octobre 2012.

Drouguet Noémie. « Succès et revers des expositions-spectacles », in Culture & Musées. N°5, 2005.

Entretien avec Robert Carsen et Guy Cogeval, Paris, 29 juin 2012 / Extrait du dossier de presse de l’exposition
L’Impressionnisme et la mode.

Entretien avec Guy Cogeval et Philippe de Montebello, 25 mars 2011. In Rapport d’activité 2010 du musée
d’Orsay.
Le site Internet de l’exposition

http://impressionnisme-mode.musee-orsay.fr/
12

Documents pareils