240611 societe slow

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Note de veille, 24 juin 2011
Vers une société du slow ?
Sommes-nous condamnés à une accélération permanente des temps et des rythmes de vie ? Si
la rapidité semble être devenue une nécessité, elle serait pourtant de plus en plus subie et
contraire aux désirs des Européens, selon une étude d’Ipsos. D’où l’émergence et le succès
croissant du slow movement, une « philosophie » qui se décline dans tous les domaines de la
vie courante avec un objectif unique : ralentir.
Selon le sociologue allemand Hartmut Rosa, l’accélération permanente des temps
constituerait une caractéristique majeure des sociétés modernes 1. Le philosophe Gilles
Finchelstein évoque quant à lui la « dictature de l’urgence » et « le culte de la vitesse et de
l’instant » 2.
La lenteur serait cependant en train de (re)devenir une valeur rare et prisée par les individus.
Ainsi, l’édition 2011 de la Foire de Paris, qui s’est tenue en mai dernier, a été consacrée au
slow time : plus de 600 000 visiteurs ont flâné dans les allées pour tenter de « retrouver leur
tortue intérieure » 3.
Selon une récente étude de l’institut Ipsos, de plus en plus d’individus en France et en Europe
souhaiteraient ralentir leur rythme de vie. La moitié des Français ont l’impression de faire les
choses plus vite qu’il y a cinq ans. 52 % des Européens (France, Grande-Bretagne,
Allemagne, Italie) ont le sentiment qu’ils sont « toujours pressés » (56 % des Français) et
qu’ils n’ont jamais le temps de faire ce qu’ils veulent, soit six points de plus qu’en 2009.
Presque 9 personnes sur 10 se disent persuadées que le monde continuera à aller de plus en
plus vite à l’avenir. Pourtant, 8 Français sur 10 (tous âges confondus) disent aimer prendre
leur temps pour faire les choses, et 6 sur 10 aimeraient ralentir leur rythme de vie.
Face à l’accélération et à l’hypersollicitation permanentes des médias, des technologies et de
la sphère économique, les individus chercheraient, selon Ipsos, à se ménager des espaces de
« lenteur ». La vitesse (des déplacements, de la consommation...) étant souvent associée à la
surexploitation des ressources naturelles, il s’agirait aussi de retrouver un rythme plus en
accord avec l’environnement.
1
Voir à ce sujet l’ouvrage d’Hartmut Rosa. Accélération. Une critique sociale du temps. Paris : la
Découverte (coll. Théorie critique), 2010, 480 p. analysé par Pierre-Yves Cusset dans Futuribles,
n° 371, février 2011, pp. 91-93.
2
Paris : Fayard, 2011. 228 p.
3
Selon l’expression reprise par les organisateurs de la Foire à Carl Honoré, journaliste canadien et
auteur de L’Eloge de la lenteur.
© Futuribles, Système Vigie, 24 juin 2011
1
La volonté de ralentir le rythme de vie a été traduite dès les années 1990 avec la slow food,
concept imaginé par un critique gastronomique, Carlo Petrini, en réponse au fast food et pour
revaloriser le temps de préparation des aliments et leur dégustation. L’association Slow Food
compte aujourd’hui plus de 100 000 membres dans le monde (dont 2 000 en France) 4, qui
souhaitent valoriser la cuisine maison, les traditions culinaires, les aliments locaux et de
saison. Au-delà de ce mouvement, de plus en plus de Français semblent prêts à consacrer du
temps à la préparation des aliments et à leur consommation, comme en témoigne le succès des
émissions télévisées sur ce thème et des cours de cuisine en tous genres.
Parallèlement, toujours en Italie, sont apparues les premières slow cities : le réseau Cittaslow
compte, en 2011, 142 villes de moins de 50 000 habitants dans une vingtaine de pays 5. Pour
recevoir le label de l’association, les villes doivent s’engager à mettre en œuvre les
recommandations du « Manifeste Slow City » : création d’espaces verts et d’espaces piétons,
incitations aux productions locales, fermeture des commerces le dimanche... Certains
principes sont très proches de ceux adoptés par les « villes vertes » 6 : baisse des
consommations d’énergie, interdiction des OGM (organismes génétiquement modifiés),
priorité aux transports en commun, développement du recyclage...
En France, deux villes ont reçu le label Cittaslow : Labastide d’Armagnac (Landes) et
Segonzac (Charente). Cette dernière, qui ne compte que 2 000 habitants, souhaite surtout
s’assurer que son développement sera raisonné et contrôlé 7.
Le concept du slow a progressivement été décliné dans d’autres secteurs, notamment dans le
monde du travail : des entreprises comme Nike, Deloitte et France Telecom 8 offrent
désormais la possibilité à leurs salariés de se reposer, voire de faire la sieste après le déjeuner.
Dans certaines grandes villes, des « salons de sieste » et des hôtels proposent également de
louer une chambre pour se détendre pendant la journée.
Des journalistes allemands ont également invité le concept du slow média, afin de réduire et
de rationaliser l’utilisation des médias au quotidien. Ils invitent par exemple à passer des
journées entières sans aucun moyen de communication, à ne pas utiliser plusieurs médias en
même temps... L’objectif est de réussir à se « déconnecter », mais aussi de prendre du recul
par rapport à l’actualité et au flux ininterrompu d’informations qui circulent sur Internet 9.
Selon l’étude Ipsos, 40 % des Français déclarent avoir déjà ralenti leur rythme de vie ou avoir
l’intention de le faire pour profiter plus de la vie et se sentir moins stressés. La volonté de
ralentir le rythme ne concernerait cependant pas toutes les activités : il s’agirait en priorité de
profiter plus de sa famille et de ses amis, et de consacrer plus de temps au tourisme et aux
loisirs. Pas étonnant, donc, que se développent aussi des offres de tourisme slow, proposant
par exemple de voyager en train ou en bateau plutôt qu’en avion, voire à vélo ou à pied... 10
4
www.slowfood.com/
Voir le site Internet du mouvement : www.cittaslow.net
6
Voir DÉSAUNAY Cécile. « Vers des villes plus vertes : quelques initiatives ». Note d’analyse
prospective, n° 54, 17 juin 2009, Futuribles International.
7
ALLIX Grégoire. « La révolution des « villes lentes » gagne la France ». Le Monde, 3 mars 2010.
8
THOUVENOT Xavier. « Lyon : France Telecom appelle à la sieste ». Métro, 31 janvier 2011,
http://www.metrofrance.com/info-locale/lyon-france-telecom-appelle-a-lasieste/mkaE!pPdpTh4Jh1H9Q/
9
Voir le manifeste du slow media : http://en.slow-media.net/manifesto
10
www.klikango.com
5
© Futuribles, Système Vigie, 24 juin 2011
2
Les stations de sports d’hiver italiennes de Breuil-Cervinia (Val d’Aoste) et Alta-Badia
(région du Trentin-Haut Adige), ont développé des offres « slow ski », qui alterne (lentes)
descentes des pistes, promenades et déjeuners 11.
L’intérêt croissant que suscite le slow movement tient probablement au fait qu’il s’accorde
bien avec certaines tendances et valeurs émergentes dans les sociétés européennes : respect de
l’environnement, valorisation de l’agriculture biologique, des productions locales, refus de la
croissance économique sans limite...
Le mouvement du slow traduit en tous cas une évolution étonnante, voire paradoxale : alors
que les lenteurs subies au quotidien (retards des transports, embouteillage, lenteur de la
connexion Internet...) apparaissent comme de plus en plus intolérables, d’autres types de
lenteurs sont au contraire recherchées pour des activités qui (re)deviennent des plaisirs, et qui
ouvrent la porte à de beaux lents demains...
Cécile Désaunay
Sources : BARDON Yves. « Ipsos publie l’édition annuelle d’Ipsos Flair, “France 2011 :
société d’extralucides” ». Communiqué de presse, 9 mars 2011 ; « Du “slow” et vite ! » Ipsos,
24 mai 2011 ; Le « SLOW » ou l’aspiration des Européens à ralentir. Enquête sur une
tendance émergente. Paris : Ipsos pour la Foire de Paris, 5 mai 2011 ; et site Internet
www.slowmovement.com.
11
Voir http://www.breuilcerviniavaltournenche.com/pages/GRANDE_NOUVEAUTE_DEUX_NOUVELLES_PISTES_UNE_NOIRE
_U/756 ; et http://www.altabadia.org/en-US/alta_badia_dolomites_italian_alps.html
© Futuribles, Système Vigie, 24 juin 2011
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