LA SÉPARATION - Grandir Autrement

Transcription

Bimestriel • Numéro 48 • Septembre • Octobre 2014 • F : 5,50 € • BEL : 5,90 €
www.grandirautrement.com
Naître parents
Rebozo :
soin et rituel
Grandir et s'éveiller
L'estime
de soi
Grandir en savourant
Dossier
BEL : 5,90 €
L 16863 - 48 - F: 5,50 € - RD
Le sevrage
naturel
LA SÉPARATION
Actualités�� 04
Quoi de neuf ?�� 05
La BD de Sébastien �� 06
08
Sommaire
Grandir au quotidien
Lire et grandir �� 07
Sélection de la rédaction
Les mots et les choses �� 08
Pour en finir avec le concept de sevrage
10
Naître parents
Petits arrangements avec la nature �� 10
Allaiter en public, un comportement obscène ?
Chroniques de la parentalité�� 12
Le guide du moutard
S’attacher pour grandir�� 15 Dossier
page 26
Le portage en conscience, un pas vers autrui
Grossesse�� 18
Hypno-natal TM : Et si accoucher passait par
le psychisme ?
Naissance�� 20
La séparation :
comprendre, protéger, organiser
En France, en 2011, 44,7 % des mariages
finissent en divorce et 1,6 million d’enfants vivent
dans une famille recomposée. Le nombre de divorces
a été en constante augmentation depuis les années
70 et a atteint une valeur plateau à partir de 2005 avec
une moyenne de 130 000 divorces par an. La recrudescence des séparations a fait éclater le paradigme de la
famille traditionnelle et a engendré de nouveaux agencements familiaux, familles monoparentales, recomposées, garde
alternée, etc., qui, loin d’être exceptionnels, sont en voie de
normalisation. Toutefois, selon bon nombre de professionnels
de l’enfance, même normalisé, socialement et culturellement
de plus en plus admis, un divorce n’est jamais réussi pour un
enfant, et cela même si les deux parents y trouvent leur compte
et se séparent cordialement. Dans le contexte d’une désunion
conflictuelle, c’est l’intégrité psychique de l’enfant qui est atteinte,
notamment lorsque celui-ci se retrouve instrumentalisé, objet,
prétexte ou médium de la discorde parentale. Dès lors, il est
important de comprendre les sentiments que peut éprouver
un enfant lors de la séparation de ses parents et de prendre
conscience de ses besoins fondamentaux, qu’il s’agisse du
besoin de sa mère, pour un enfant allaité, ou du besoin de
voir régulièrement le parent qui n’a pas la garde, cela afin
de le soutenir et le protéger lors de cette épreuve. Réaffirmer l’intérêt supérieur de l’enfant, remettre ses besoins
au centre des préoccupations des parents séparés,
proposer des pistes de réflexion pour créer des
arrangements familiaux respectueux de tous, tels
seront les objectifs de ce dossier.
Le rebozo : soin et rituel
Les nouveaux rituels de naissance :
entre tradition et création culturelles
La parole aux papas�� 24
Les papas dans l'école
44
Grandir et s’éveiller
Éducation�� 44
Vivre un deuil : en chemin vers la cicatrisation
et l'acceptation
Ils grandissent�� 46
Girouettes et démotivés : quand l'enfant ne veut
plus pratiquer une activité
Éducation non-violente en pratique�� 48
On m'a dit que je pouvais m'aimer
Chronique d’une parentalité
sans violence�� 51
Il ne faut pas jouer avec la nourriture ? Mais si !
54
Grandir ensemble
Grandir sainement............................................ 52
La mémoire cellulaire : Se délier du passé pour se
relier à soi-même
Grandir ailleurs.................................................54
Les sages-femmes de village en Malaisie : une
tradition en péril
Zoom produit nature....................................... 56 Accompagner la séparation au naturel
Faire grandir une initiative............................. 57 Le CDAAD : un mouvement de soutien pour
l'AAD et les sages-femmes libérales
60
Grandir en savourant
Allaitement .......................................................60
Le sevrage naturel
Zoom aliment ................................................... 63
Comprendre l'IG pour être en bonne santé
Fines bouches...................................................64
Recettes « IG »
Édito
Aux tons et aux couleurs
de l'automne
Nous avons choisi, pour ce numéro d’automne, d’aborder dans notre dossier quelques
aspects de la séparation des parents. Nous sommes conscients des limites du point de vue
auquel nous avons décidé de nous restreindre et nous aurions eu besoin du triple de pages
actuellement consacrées au dossier pour traiter le sujet comme il se doit tant il est complexe
et délicat. L’enjeu est en effet de taille ; comment faire en sorte que la séparation n’ait pas de
conséquences fâcheuses sur l’intégrité physique, morale et psychique de son enfant ? Une
compréhension de sa représentation du monde et des sentiments qui l’agitent ainsi qu’une
prise en compte prioritaire de ses besoins de base sont des conditions nécessaires. Encore
faut-il être en mesure d’accéder à cette compréhension et cette prise en compte quand on
est soi-même pris dans le maelström d’une séparation conflictuelle ou « simplement » difficile. Nous espérons que ce dossier pourra fournir quelques éléments de réponse à la question « comment bien se séparer et préparer sa vie d’après la séparation ? ».
Si notre dossier prend les tons mélancoliques de l’automne, nos rubriques habituelles,
hautes en couleurs, tiennent davantage de l’été indien ! Rites de passage de la naissance,
entre tradition et modernité, réflexions sur le sevrage naturel, explorations de la mémoire
cellulaire, recettes paléolithiques, etc., et, en prime, création de deux nouvelles rubriques,
« Les chroniques de la parentalité », qui accueillera les réflexions d’hommes ou de femmes
sur l’art et la réalité de la parentalité, et « Les mots et les choses », qui examinera sous toutes
leurs coutures des expressions courantes « prêtes-à-dire » et qui en disent long sur la philosophie éducative et la conception de l’enfant de notre société.
C’est avec ce numéro 48 que s’achève ma mission de remplacement de Sophie Elusse qui, de retour de son congé de
maternité, reprendra les rênes de la rédaction dès le prochain numéro.
Bonne lecture et joyeuse rentrée !
Daliborka, rédactrice en chef
Grandir éthique
Le magazine Grandir Autrement est
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francophones. Il souhaite accompagner
chaque parent, quel que soit son chemin, en
proposant des pistes de réflexion. Porteur
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bienveillante et sans violence, Grandir Autrement
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Directrice de la publication : Daliborka Milovanovic - Rédactrice en chef : Daliborka Milovanovic - Ont contribué à ce numéro : Camille Lacoste-Mingam,
Sophie Elusse, Daliborka Milovanovic, Eric Betend, Murielle Favre, Justine Verdier, Christel Thiébaut, Victorine Meyers, Bernard Collot, Gaëlle Lesfargues, Claude
Didierjean-Jouveau, Genoveva Desplas, Guillemette Lepelletier, Marie Thomas-Penette, Claudine Seynaeve, Isabelle Delhove, Angélique Houlbert, Amandine
Geers - Communication : David Durand - Photo de couverture : Chepko Danil Fotolia - Photo de quatrième : Anaïs Briot - Illustrations : Sébastien Buteau,
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Kennedy - 89100 Sens - Tiré à 6 850 exemplaires - ISSN : 1954-2925 - CPPAP : 0412 G 88505 - Magazine Grandir Autrement - 10 route Nationale - 80640
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photographies ! - Rédaction : Daliborka Milovanovic - 11 rue Gabriel Péri - 91650 Breux Jouy - 09 84 57 48 32 - [email protected] - Contact
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Grandir au quotidien | Les mots et les choses
◆
POUR EN FINIR
AVEC LE CONCEPT DE SEVRAGE
◆
Clin d’œil au texte éponyme
du philosophe Michel Foucault,
cette nouvelle rubrique se
propose d’analyser des mots,
des expressions, des locutions
ainsi que les notions et réalités
biologiques, anthropologiques,
sociales, psychiques, etc., qu’elles
prétendent désigner afin de
montrer comment certains discours
encadrent le possible et l’acceptable
déterminant ainsi des normes et des
comportements parfois contraires
aux besoins de base des enfants et
de leurs parents. Nous inaugurons
cette investigation sur ce que
cachent les mots par la notion de
sevrage1.
Daliborka
Milovanovic
© Nathalie Courteville
I
l est des notions assassines et empoisonnées
qui n'ont aucune base autre que celle, arbitraire et impérative, de la norme sociale et
culturelle et qui peuvent pour longtemps – si
ce n'est pour toujours – compromettre le développement optimal, physique et psychique du
petit d'homme. Le concept de sevrage est un
de ces concepts dont une analyse rapide nous
permettra de saisir la nature fondamentalement
anti-hédoniste et mutilante et le projet global de
violence envers les êtres vivants de nos sociétés
8 Septembre - Octobre 2014 ◆ Grandir Autrement n° 48
guerrières qui réglementent par oukases et décrets
les comportements de ses membres.
Si, dans un premier sens tiré du latin populaire
separare (séparer), sevrer signifie « cesser progressivement d'allaiter pour donner une nourriture plus
solide » (Le Petit Robert, 2001), le verbe désigne
en horticulture le fait de séparer une marcotte du
pied mère, en médecine, de priver un toxicomane
d'une drogue ou encore en langue profane, de priver quelqu'un de quelque chose d'agréable. Ainsi,
le lait de mère humaine, cet élixir dont se délectent
Les mots et les choses | Grandir au quotidien
les bébés, mais aussi le sein qui le produit, sont vus
soit comme une drogue qui induit une dépendance
nuisible, soit comme un plaisir indécent dont il
convient, pour le bien psychique de l'enfant, d'être
éloigné. Et le plus tôt serait le mieux. En filigrane, il
s'agit bien sûr d'être séparé du « pied mère », de sa
base, de sa « terre natale ». Car là est l'enjeu majeur
de la pratique du sevrage : la séparation.
Une légitimation boiteuse
Pour convaincre les mères, toujours trop enclines
à répondre aux besoins capricieux de leur progéniture, de la nécessité d'une telle séparation, les différentes figures successives de l'autorité au cours de
l'histoire (philosophes, moralistes, hommes d'Église,
médecins, et plus récemment, se parant des atours
séduisants de la scientificité, les psychologues) ont
développé toutes sortes d'arguments plus fallacieux
les uns que les autres. Le cheval de bataille de ces
prescripteurs abusifs (et le « cheval de Troie ») est le
concept d'indépendance ou, plus en vogue, moins
politique, plus psychologisant, celui d'autonomie.
Comment pourrait-on soupçonner de mauvaises
intentions quelqu'un qui prétend œuvrer pour
l'autonomie des enfants ? N'est-ce pas ce que tout
parent désire : que son enfant soit le mieux équipé
pour survivre par lui-même ?
L'autonomie, c'est la cause noble de la séparation, dût-elle se faire dans la violence et à son
corps défendant. Car le sevrage est toujours un
rituel qui se fait à l'initiative plus ou moins assumée de la mère ou pire, de celle de la communauté. On sèvre ainsi plus ou moins joyeusement,
selon que l'on se réfère à telle ou telle autorité, à
dix semaines (durée légale du congé maternité en
France), à six mois (nouvelle durée révisée de M.
Marcel Rufo, expert douteux en « ce qui est bon
pour les bébés – et les mamans »), à un an (Ordre
des pédiatres) ou à deux ans (limite inférieure des
recommandations de l'OMS). On constate tristement qu'à aucun moment on ne se demande ce
qu'en pensent les mères et surtout, ce que veulent
les bébés et les enfants, habitué que l’on est à recevoir les conseils avisés et expertises en tous genres
des spécialistes (et il y en a pléthore, en fonction
de la partie de sa personne disséquée, morcelée
qu'on considère !). Pourtant qui plus que la mère
(ou le père) est expert de « Vivien M., trois mois,
tétouilleur en bonne santé et heureux de vivre » ?
Elle est belle, l'autonomie qu'on nous vend quand
on ne nous laisse même pas décider par soi-même
de ce qui est bon pour soi ! Et nous parlons bien
sûr de la mère et de l'enfant, l'arrêt de l'allaitement
étant de toute façon un ajustement fin à deux voix.
Le concept de sevrage est également inséparable
de la notion de frustration chère à nos pédopsys
enthousiastes et partant, de celle de plaisir interdit. Le plaisir (l'ocytocine et les endorphines en
somme) est une drogue, par conséquent forcé-
ment destructrice (de qui ? de l'individu ? de l'ordre
apollinien de la société ?), un objet absolu du désir
(pas bien le vilain désir !) que notre culture judéochrétienne de suspicion envers le corps et ses joies
a méthodiquement œuvré à diaboliser. La négation
du plaisir, la frustration seraient « formatrices » ;
peut-être au sens d'auxilliaires à la société guerrière, mais sûrement pas au sens de l'épanouissement de l'individu et du groupe social dont il est
l'élément de construction.
Plus que du lait
Mais revenons donc au sevrage, notion culturellement construite, mythe fondateur de notre projet social, et à l'élément d'intervention extérieure
nécessaire qu'il sous-tend. Car, en effet, il s'agit
d'une construction intellectuelle qui ne repose
sur aucune base biologique. Il n'est pas nécessaire
d'intervenir dans la relation d'allaitement. Rien
ne justifie une telle ingérence, et sûrement pas
les pseudo-lois édictées (pour beaucoup, inventées voire fantasmées) par les psychologues. Mesdames, si vous voulez garder vos enfants au sein
(inutile de s’adresser aux enfants, on connaît leur
point de vue sur le sujet), ne vous gênez pas ! Non
seulement, vos enfants en ont besoin et ce jusqu'à
un âge avancé (qui se compte en années et pas en
mois) car le lait de mère humaine est un trésor
nutritionnel, immunitaire, affectif, mais de plus, et
c'est un scoop, cela ne fera pas d'eux des névrosés à
la sexualité tourmentée ni des bras-cassés sociaux !
Pour s'en convaincre, on peut lire l'excellente étude
de Ann Sinnott : Allaités... des années ! 2 qui nous
fait naviguer dans les terres inconnues de l'allaitement au (très) long cours.
Allaiter, c'est tellement plus qu'un geste « technique » ou « orienté » ; c'est un tout fonctionnel
qui répond à un complexe de besoins du petit
d'homme, c'est la façon la plus facile, la plus immédiate, la plus efficace de donner de l'amour à son
enfant et c'est précisément pour cela qu'il se fait au
long cours. Il n'y a rien d'autre à faire, et sûrement
pas à sevrer, pour assurer à son enfant bien-être et
équilibre. Pour prendre le contre-pied d'une formule de Claude Halmos3, l’amour suffit quand il
est acte et don d’amour et de lait. ◆
◆
1 Voir aussi pour une description du processus naturel du sevrage
l'article d'Isabelle Delhove p. 60-61 / 2 Éditions du Hêtre (2011). /
3 La formule en question est celle du titre de son ouvrage, Pourquoi
l’amour ne suffit pas : Aider l’enfant à se construire, Pocket (2008).
Grandir Autrement n° 48 ◆ Septembre - Octobre 2014 9
Naître parents | Petits arrangements avec la nature
◆
ALLAITER EN PUBLIC,
Daliborka
Milovanovic
UN COMPORTEMENT OBSCÈNE ?
◆
Tout ce qui est physiologique,
et donc naturel, ne peut être
librement exhibé sous prétexte
de naturalité. Ainsi, satisfaire
ses besoins d’élimination ou
faire l’amour, c’est naturel mais,
pour la majorité des cultures
existantes, cela relève de l’intimité
et doit donc être soustrait au
regard des autres. Toute société
humaine classe les différents
comportements de ses membres
en permis ou interdits, en
sociaux ou privés, en obscènes
ou décents. L’obscénité consiste
en l’exhibition de ce qui devrait,
selon la norme sociale, demeurer
caché. Cependant, l’on s’aperçoit que les extensions du licite et du convenable varient d’un
pays à l’autre voire d’un individu à un autre. Il en est ainsi de la nudité des seins dans l’acte
d’allaiter, notamment un enfant plus grand, qui dérange certaines personnes.
E
n France, contrairement au Canada ou aux
États-Unis, il est relativement facile d’allaiter un bébé. Néanmoins, régulièrement, des
mères se font agresser par des personnes parce
qu’elles mettent leur bébé au sein dans un lieu
public. On a entendu, à plusieurs reprises, parler
de femmes expulsées d’un magasin ou d’un musée,
souvent sous le prétexte fallacieux qu’il est interdit
d’y consommer de la nourriture mais aussi parce
que cela serait inconvenant et pourrait choquer la
pudeur des autres clients ou visiteurs. En furetant
un peu sur la Toile, on retrouvera régulièrement, sur
diverses plateformes de débat, des grincheux exprimer leur indignation au sujet de ce qu’ils appellent
« l’allaitement en public » (les mêmes deviennent
silencieux face à une publicité pour lingerie fine
sous un abri-bus). L’existence du débat sur l’obscénité de l’allaitement en France ou dans toute autre
société où l’allaitement ne va pas de soi montre que
c’est un comportement qui demande, en quelque
sorte, à être codifié, normalisé, un peu comme si
10 Septembre - Octobre 2014
◆
Grandir Autrement n° 48
© Daliborka Milovanovic
la société ne savait pas exactement quoi en faire ou
n’avait pas prévu de case dans sa grille de codes de
comportement pour l’y classer et ainsi fournir à
ses membres des lignes de conduite à son sujet. La
notion même d’allaitement en public semble être
une tentative de construction d’une norme culturelle qui ferait de l’allaitement un comportement
qui relève de l’intime, car en lien avec la sexualité
(dans une société où la représentation du sein érotique a supplanté celle du sein maternel).
La qualification d'obscénité est fonction
d'une culture donnée...
D’après le Grand Robert de la langue française, sont
obscènes des écrits, des propos, des gestes, des actes
qui offensent « ouvertement la pudeur ; qui [présentent] un caractère très choquant en exposant
sans atténuation, avec cynisme, l’objet d’un interdit social, notamment sexuel. » L'obscénité est une
notion éminemment relative ; relative à une époque,
à une culture, à des classes sociales, à des individus.
Petits arrangements avec la nature | Naître parents
Et il est impossible de dresser une liste d'objets ou
de faits objectivement obscènes qui vaudrait universellement indépendamment de toute subjectivité qui les appréhende. Ainsi, ce sont les cultures
humaines qui élaborent des tables de répartition du
socialement convenable et de l'inconvenant. Et l'instance ultime de discrimination des comportements
sociaux sera toujours l'individu, sa sensibilité et la
grille de valeurs qu'il aura adoptée. Nous avons alors
affaire en cette occurrence à quelque chose qui relève
presque du jugement de goût, en ce sens qu'il s'agit
d'apprécier selon son arrière-plan culturel et historique quelque chose qui ne peut faire l'objet d'une
évaluation positive au sens scientifique du terme.
Dès lors, argumenter pour ou contre l’« allaitement
en public » revient à tenter d'imposer un point de
vue, un système de valeurs en avançant non pas des
raisons mais des sentiments.
Les questions qui en revanche paraissent propres
à recevoir une réponse sont de deux ordres. D'abord,
celle de la légalité. Il existe pour le droit français des
actes qui peuvent être qualifiés d'attentats à la pudeur.
L'allaitement en public peut-il entrer dans la catégorie des attentats à la pudeur puisque certains l'ont
assimilé à un acte quasi sexuel ? Il y a fort à parier
qu'aucun juge sérieux ne condamnerait une femme
pour avoir allaité en public. En revanche, si l'allaitement en public était de nature à troubler l'ordre
public, il faudrait s'interroger sur les représentations du corps qui seraient celles d'une telle société.
… d’une fréquence d’habituation...
Et nous en venons à la deuxième question : allaiter
en public est-il courant ? D'abord, demandons-nous
pourquoi, alors même que les bénéfices de l'allaitement sont aujourd'hui quasi unanimement admis
et que les femmes sont encouragées à allaiter, la vue
d'un millimètre carré de peau suscite tant d'émois
chez quelques personnes ? S'agit-il vraiment simplement d'un bout de sein offert à la vue ? À vrai dire,
cet émoi s'étend de quelques uns à une grande partie des Français lorsqu'il s'agit de l'allaitement d'un
enfant plus grand. Ainsi, allaiter un bébé de trois
mois en public ne pose la plupart du temps aucun
problème. Mais à un an, deux ans voire plus, les réactions négatives se font beaucoup plus communes.
On comprend alors que la négativité des réactions
envers un comportement est étroitement corrélée
à la fréquence de ce comportement. La fréquence
banalise, dédramatise en quelque sorte et finit par
rendre invisible. Il existe une fréquence d'habituation, fréquence au-delà de laquelle un comportement devient banal. En revanche, ce qui est en-deça
de cette fréquence d'habituation, qui est rare ou
inhabituel, se remarque. L'obscène qualifie dès lors
un comportement du corps, une « mise en scène »
du corps qui est inhabituelle. Chacun, ensuite, élabore sa stratégie pour intégrer un comportement
qu'il ne connaît et ne comprend pas. Parfois après
un temps de désorientation ou immédiatement, la
nouvelle donnée est traitée et assimilée en fonction
d'un tableau de valeurs (car toute nouvelle donnée
doit pouvoir entrer dans une case.). Et malheureusement, la bienveillance et l'acceptation ne sont pas
le traitement le plus adopté par nos psychologies
plutôt conservatrices.
… et d’un modèle économique
particulier
Par ailleurs, ce qui pose question, en plus du problème de la défection de l'allaitement au-delà d'une
courte période considérée comme souhaitable et suffisante, c’est la place de la mère dans notre société
violemment orientée vers l'économie, la productivité, la performance. Allaiter en public ne poserait
pas de problème ? Pourtant, on attend des femmes
qu'elles allaitent discrètement, qu'elles se fassent
oublier dans leur fonction de mère et qu'elles n'exhibent pas trop leur bonheur indécent de s'épanouir et d'être utile ailleurs qu'au travail. Tout cela
exprime une intégration bancale du modèle de la
maternité. Une femme peut être mère, elle peut allaiter ; mais pas plus longtemps que la durée scandaleusement étique de son congé de maternité. Allaitement et maternité restent une parenthèse dans la
vie d'une femme, parenthèse pendant laquelle tout
est suspendu dans un état de latence, sorte d'exception socialement tolérée à la norme du travail. Ce
n'est pas une façon de faire place aux mères. Bien
au contraire, c'est une nouvelle stratégie d'exclusion masquée.
Ainsi, la qualification d’obscénité ne peut reposer sur aucune base objective et universelle ; elle
est fonction d’une culture donnée, d’une fréquence
d’habituation et d’un modèle économique particulier.
Qu’une société qui considère l’allaitement comme
n’allant pas de soi, comme n’étant pas une priorité
de santé publique qui nécessite de se donner de gros
moyens pour le favoriser et qui n’organise pas son
économie en fonction de cet impératif engendre de
la part de ses membres des interrogations sur l’inconvenance de l’allaitement est tout à fait cohérent
et l’on ne peut vraiment s’en étonner. En revanche,
ce dont on pourrait s’étonner, c’est qu’un tel modèle
social ait pu advenir dans l’histoire de l’évolution
d’Homo sapiens tant il semble incompatible avec
les besoins de base et avec l’intérêt des individus et,
partant, de l’espèce entière. ◆
Naître parents | Naissance
© Virginie Derobe
Christel
Thiebaut
& Victorine
Meyers
LE REBOZO :
◆
soin et rituel
◆
R
ebozo signifie châle, mantille ou encore
masque. On en trouve de différentes matières,
coton, laine ou soie, avec un tissage particulier fait à la main, et de différents coloris, largeurs et longueurs. Traditionnellement conçu au
Mexique, le rebozo était utilisé par les Aztèques
avant l’arrivée des Conquistadors espagnols. Les
femmes mexicaines recevaient leur rebozo lors
de leurs premières menstrues et celui-ci les suivait partout tout au long de leur vie. Il servait
aussi bien au quotidien pour se réchauffer ou se
protéger du soleil ou encore comme cabas pour
porter les provisions ou bien, roulé sur la tête,
pour porter les jarres. On peut voir des femmes
avec leur rebozo sur les photos prises par Casasola1 pendant la révolution mexicaine (1910-1930),
les femmes ayant joué un rôle essentiel lors de
celle-ci. Frida Kahlo, artiste peintre mexicaine,
a réalisé de nombreux auto-portraits, la plupart
d’entre eux avec un rebozo, symbole culturel de
son pays.
◆
Le rebozo est un châle aux usages
multiples qui nous vient du Mexique.
Objet rituel de passage, de plus en plus
de femmes occidentales le découvrent
et apprennent à l’utiliser. Le rebozo est
polyvalent ; il sert aussi bien aux soins
féminins qu’à accompagner grossesse
et accouchement ou encore à porter
notre bébé.
Un soin d’harmonisation du féminin
Offert par une ou plusieurs femmes à une autre
femme, lors de n’importe quelle occasion de son
choix, dans un espace privilégié de partage, d’écoute
et de bien-être, le « soin rebozo » est fait de bercements, d’enveloppements, de resserrages du corps,
de massages et d’étirements. On peut recevoir ce soin
rituel pour se recentrer, se relaxer, traverser une étape
clé, une épreuve, un changement. Ce rituel pourra
être pratiqué notamment lors des premières lunes
d’une jeune fille (ménarches), après une naissance,
un sevrage, un mariage, une séparation, une fausse
couche ou une IVG, un deuil, à l’arrivée de la ménopause ou lors de tout changement important de la
vie comme un nouveau travail, un déménagement
ou encore une décision importante à prendre. Les
points de bercement et resserrage sont la tête, les
épaules, le ventre, le bassin, les cuisses, les mollets
et les pieds. Ces points correspondent à des points
énergétiques. La femme, recevant ainsi l’attention de
ses pairs, semble plus encline à centrer son énergie
Naissance | Naître parents
sur elle et sur le passage célébré ; ce qui fait de ce
soin un merveilleux outil de bien-être et de détente.
Le rebozo accompagne la naissance
Pendant la grossesse, si le soin rebozo n’est pas
recommandé, le rebozo a toutefois son utilité. Ceintré sur le ventre et les hanches, il permet de soutenir le ventre, de bercer Bébé in utero, de lâcher
prise et de se donner de la douceur et du réconfort avec les
bercements. Au Mexique, le
rebozo est très utilisé par les
sages-femmes. Il est à noter
que la tradition des quarante
jours de repos post-partum
y est encore très vivace, tout
comme dans d’autres sociétés traditionnelles. Pendant
les quarante jours qui suivent
l’accouchement, la femme est
entièrement prise en charge
par la communauté et n’a rien
d’autre à faire que d’allaiter
son bébé et dormir avec lui,
créant ainsi le lien d’attachement. La raison de ce
repos est essentiellement physiologique ; en effet,
l’accouchement ayant largement ouvert le bassin,
seul un repos intégral, allongé, permet aux os et aux
muscles de se repositionner et de bien refermer le
bassin de l’accouchée. Ainsi, des femmes vont masser la nouvelle maman, lui préparer et lui apporter
ses repas, prendre en charge la maison, les travaux
quotidiens et, éventuellement, les autres enfants
ainsi que le conjoint. À l’issue de ces quarante jours,
la maman reçoit le soin rebozo comme un rituel de
clôture qui valide son passage de l’état de femme à
celui de mère et marque son retour à la vie sociale.
On peut noter que cette tradition des quarante jours
(la durée est variable selon les cultures) se retrouve
dans de nombreuses autres communautés, notamment musulmane, juive ou catholique où l’on célèbre
la fête des relevailles le jour où la mère sort enfin
de chez elle avec son bébé. Les sociétés modernes
ont oublié tous ces rituels ; les femmes doivent bien
souvent se débrouiller seules après la naissance de
leur bébé. Le soin rebozo peut les aider à retrouver
les bienfaits d’anciennes traditions non dépourvues
de bon sens.
Le rebozo en châle de portage
Une autre utilisation intéressante du châle rebozo
est le portage du bébé. Le rebozo s’avère un outil de
portage physiologique car respectueux de l’anatomie tant du porteur que du porté. Ainsi qu’on peut
l’apprendre, par exemple, en haptonomie, porter son
bébé en le maintenant en permanence par la base
(soutien du bassin) lui permet de se sentir en sécurité et ainsi de ressentir du bien-être. Par ailleurs,
pour respecter au mieux la physiologie du bébé, il
est important de permettre à celui-ci d’être acteur
du portage en le laissant s’agripper au porteur, aussi
bien avec ses jambes qu’avec ses bras, pour ne faire
plus qu’un. C’est pourquoi la plupart des porte-bébés
sont fortement déconseillés, notamment ceux qui
laissent pendre les jambes dans le vide ou ceux qui
positionnent le bébé face au monde. Le rebozo,
en revanche, permet un portage physiologiquement adapté, tout comme l'écharpe de portage. Son
avantage tient assurément à
sa taille ; toujours à portée de
main, dans une poche, autour
du cou, d’une robe ou d’un
pantalon, il sera très facilement accessible. De nombreuses techniques de nouage
permettront ainsi de transformer le châle d’ornement en
porte-bébé. Le châle noué permet de porter en hamac, sur
la hanche ou le dos ou bien à
la façon d’un pagne ; on peut
du reste apprendre la technique du pagne traditionnel
© Virginie Derobe
sans nouage. Si l’on ajoute deux
anneaux, on transforme alors le rebozo en sling2.
Parmi toutes ces manières de porter, les nouveauxnés trouvent facilement celles qui leur conviennent
le mieux pour téter !
Le rebozo en France
On peut facilement se procurer le châle sur de nombreux sites Internet. Il faut néanmoins s’assurer de la
qualité du châle, certains étant, de nos jours, fabriqués en matières synthétiques. En ce qui concerne
le soin rebozo, de plus en plus de professionnelles,
sage-femmes, doulas, ou toute autre personne formée, le proposent pour un tarif moyen allant de
80 à 200 euros ; la séance dure deux heures trente
minimum et inclut tisanes, bain et soin (massage et
resserrage). De la même manière, il existe différentes
formations au soin rebozo accessibles aux Françaises
qui souhaitent le pratiquer professionnellement3.
Enfin, notons que le soin rebozo a été importé en
Occident avec quelques modifications. Il semblerait que les femmes occidentales soient plus « fragiles » que les femmes mexicaines. En conséquence,
le soin a été adapté en plus doux afin d’être mieux
toléré et accueilli dans les sociétés occidentales. Au
Mexique, le soin serait plus « rude », avec notamment des serrages plus importants que nous aurions
sans doute moins bien supportés. ◆
◆
1 Agustín Víctor Casasola (1874-1928) était un photographe
mexicain, fondateur de l'Association mexicaine des photographes
de presse. / 2 On peut voir en images les différents portages sur
le site : http://www.rebozoaufeminin.fr/pages/porter-bebe-enrebozo-3841426.html / 3 On trouvera de nombreuses informations
sur le rebozo, ses divers usages, le rituel, les formations, dans
l’ouvrage de Virginie Derobe, Le Rebozo, à paraître en septembre aux
Éditions Myriadis : www.myriadis.fr.
LE SÉPARATION : COMPRENDRE,
PROTÉGER, ORGANISER
En France, en 2011, 44,7 % des mariages finissent en divorce et 1,6 million
d’enfants vivent dans une famille recomposée. Le nombre de divorces
a été en constante augmentation depuis les années 70 et a atteint une
valeur plateau à partir de 2005 avec une moyenne de 130 000 divorces
par an. La recrudescence des séparations a fait éclater le paradigme de la
famille traditionnelle et a engendré de nouveaux agencements familiaux,
familles monoparentales, recomposées, garde alternée, etc., qui, loin d’être
exceptionnels, sont en voie de normalisation. Toutefois, selon bon nombre de
professionnels de l’enfance, même normalisé, socialement et culturellement de
plus en plus admis, un divorce n’est jamais réussi pour un enfant, et cela même
si les deux parents y trouvent leur compte et se séparent cordialement. Dans
le contexte d’une désunion conflictuelle, c’est l’intégrité psychique de l’enfant
qui est atteinte, notamment lorsque celui-ci se retrouve instrumentalisé, objet,
prétexte ou médium de la discorde parentale. Dès lors, il est important de
comprendre les sentiments que peut éprouver un enfant lors de la séparation
de ses parents et de prendre conscience de ses besoins fondamentaux,
qu’il s’agisse du besoin de sa mère, pour un enfant allaité, ou du besoin de
voir régulièrement le parent qui n’a pas la garde, cela afin de le soutenir et
le protéger lors de cette épreuve. Réaffirmer l’intérêt supérieur de l’enfant,
remettre ses besoins au centre des préoccupations des parents séparés,
proposer des pistes de réflexion pour créer des arrangements familiaux
respectueux de tous, tels seront les objectifs de ce dossier.
Dossier
◆
LA SÉPARATION DU POINT
DE VUE DE L'ENFANT
Daliborka
Milovanovic
◆
Notre modèle de civilisation
occidentale évolue de telle manière que
les besoins des adultes se trouvent de
plus en plus en contradiction avec ceux
des enfants. Il en est ainsi lors d’une
séparation. Néanmoins, les droits
des enfants n’ont jamais été autant
protégés qu’à notre époque. Ainsi, les
juges aux affaires familiales ont pour
mot d’ordre de trancher en faveur de
l’intérêt supérieur des enfants en cas
de conflit conjugual. Cependant, il
semblerait que les enfants ne voient
pas cet intérêt du même œil que les
adultes qui décident pour eux.
L
© Ludivine Wislez
a séparation1 de ses parents est un
traumatisme pour l’enfant même s’il est
la plupart du temps surmonté. Il n’est
pas aisé de prévenir les difficultés inhérentes à une désunion ; les conseils que
l’on peut donner aux parents s’avèrent
souvent inutiles car les mouvements
passionnels qui les submergent les
rendent sourds à toute tentative de
recommandation. Il est évident qu’aucune raison ne justifie que l’on conseille
à un couple de ne pas se séparer si tel est leur
souhait et leur projet. Cependant, on aurait tort
de banaliser la séparation au motif qu’elle est un
phénomène de plus en plus courant et qu’elle
constituerait ainsi une simple évolution de la
société à laquelle il faudrait acquiescer sans trop
s’émouvoir. Selon la formule d’Isabelle Gravillon,
« il n’y a jamais de divorce réussi 2 », notamment
pour les enfants. Pour en prendre conscience et
cesser de tenir des propos lénifiants et déculpabilisants au risque de passer à côté de la souffrance
de l’enfant, il faut accepter de se placer du point
de vue de ce dernier et de jauger la séparation
à l'aune de son regard. La réalité à laquelle on
accède par ce regard-là n’est pas toujours très
belle à voir et l’on s’aperçoit que l’on commet bien
La séparation : comprendre, protéger, organiser
malgré soi nombre d’erreurs d’interprétation, le
prisme de ses propres émotions et désirs déformant la perception que l’on a de son enfant. Mais
il est primordial de s’y confronter, parce que la
lumière vaut mieux que les ténèbres même si elle
éclaire les blessures et qu’une souffrance reconnue
est le point de départ du processus de guérison.
Le paradis perdu
La première grande difficulté à laquelle est
confronté un enfant dont les parents se séparent
est celle de devoir renoncer à sa vie telle qu’elle
s’est construite avec son père et sa mère avant la
séparation ; éventuels changements de domicile,
d’école, nouvelle organisation quotidienne, nouveaux rythmes, etc. Tous ces bouleversements
d’ordre matériel génèrent un important stress
plus difficile à surmonter pour un enfant que
pour un adulte. De plus, une séparation diminue
sensiblement le confort matériel de chacun des
deux parents et une situation financière moins
confortable contribue à accroître le sentiment
d’insécurité qu’éprouve l’enfant déjà angoissé
face à l’inconnu de sa nouvelle vie.
Souvent, l’on décide de se séparer parce que
l’on pense que cela soulagerait les enfants pris
dans le feu des conflits parentaux. En réalité, un
enfant est rarement soulagé par une séparation,
même s’il a pu lui-même parfois souhaiter que
ses parents en finissent tant les disputes lui
étaient intolérables. Les enfants sont souvent
comme frappés d’amnésie et ne conservent
en mémoire que les bons moments ; leur vie
d’avant leur apparaît dès lors tel un mythique
paradis perdu. D’après le point de vue extrême
de Judith Wallerstein, appuyé sur une étude
menée par elle-même mais qui souffre d’un
certain nombre de biais, les enfants n’ont pas
besoin que leurs parents s’aiment, pas même
qu’ils soient polis l’un envers l’autre ; ils ont juste
besoin que leurs parents restent ensemble3.
Cependant, de nombreuses études4 montrent au
contraire que les enfants qui risquent le plus de
connaître des difficultés sont moins ceux dont
les parents sont séparés que ceux qui vivent
dans un foyer conflictuel. Ces derniers ont une
moindre réussite scolaire, plus d’agressivité, de
tendance à la délinquance, de dépression, etc.
Néanmoins, même si l’on estime que la séparation vaut mieux pour tous, y compris pour
l’enfant, on doit garder à l’esprit que celui-ci
ne se laissera pas facilement convaincre par
des statistiques. Il faudra composer avec son
conservatisme naturel et les sentiments engendrés par la perte de sa vie d’avant, notamment
la nostalgie. Il est difficile de faire le deuil d’une
situation qui, dans l’absolu, n’est pas irréversible
(contrairement à la mort). Pour de nombreux
enfants, l’acceptation de la séparation de leurs
parents n’advient qu’à l’âge adulte. Selon le
professeur Maurice Berger5, on se sépare plus
facilement d’un bon que d’un mauvais souvenir
que l’on doit sans cesse sublimer pour se le
rendre supportable ; d’où une plus grande nostalgie chez les enfants de parents conflictuels.
Une crise identitaire
Même plusieurs années après la séparation, un
enfant n’aura de cesse de réconcilier ses parents.
Il pourra pour ce faire développer les stratégies
les plus extravagantes. Pourquoi un tel acharnement ? Pourquoi lui est-il si difficile de voir
ses parents séparés alors qu’il a pu constater
qu’ils l’aiment toujours autant et sont toujours
disponibles (dans la plupart des cas, heureusement) ? Il semblerait en effet qu’en plus des
entités « père » et « mère », il existe l’entité plus
complexe « parents » faisant référence à l’origine
de son existence. Se pourrait-il que la séparation
remette en cause ses origines mêmes, brouillant
l’image idéale qu’il s’en est construite ? L’enfant
veut croire qu’il est né du désir de ses deux
parents, cristallisé dans la pérennité du couple
que forment ces derniers. Avec la disparition du
couple parental, ce désir serait remis en question
et ainsi son origine et son identité.
Ce sont surtout les enfants entre 5 et 13 ans
qui vivent cette crise identitaire. Ils peuvent
ressentir de la honte et de l’humiliation à voir
voler en éclats ce qui constitue le fondement
de leur être, le lieu le plus sacré de leur intimité.
Leur origine n’est plus un lieu sacré ; c’est un
lieu conflictuel. L’élaboration de leur identité
en est malmenée. En cette occurrence, les
grands-parents, s’ils savent se montrer bienveillants et neutres, peuvent être d’un grand
secours. Ils ancrent l’enfant dans une histoire
familiale au-delà des parents, dans une origine
plus profonde. Cette continuité et le sentiment
d’appartenance à un groupe plus élargi sont
rassurants pour un enfant qui ne sait plus où
se situe sa famille et ce qu’elle devient.
Le corollaire de cette crise identitaire est
souvent la culpabilité. Il s’agit d’un mécanisme
involontaire et irrépressible qui tient, pour une
part, de la pensée magique, donnant à l’enfant
l’illusion d’une effectivité et ainsi, d’une certaine
manière, d’une sorte de maîtrise sur l’événement.
Presque tous les enfants, à un moment ou un
autre, se sentent coupables de la séparation
de leurs parents et ce d’autant plus que les
disputes partent souvent d’un différend éducatif. Lorsqu’ils ne comprennent pas une chose,
ils peuvent imaginer qu’ils en sont la cause. Il
est alors important de leur donner des explications qui viendront limiter l’arbitraire et leur
« besoin » de culpabiliser. Bien sûr, le pouvoir
des mots, censés apaiser tous les maux, ne
doit pas être surestimé en cette occurrence. Il
ne suffit pas de dire à l’enfant qu’il n’y est pour
Dossier
rien dans toute cette histoire, même si c’est un
préalable nécessaire. Même s’ils échouent à
épargner la souffrance, les mots éclaircissent
leur compréhension des événements, dissipent
d’éventuels malentendus, leur permettant de
dominer tant soit peu leur imagination et leur
perception de la situation. Attention toutefois,
au prétexte d’explications, de ne pas tenter de
les convaincre du bien-fondé de ses propres
motifs et raisons de se séparer.
Entre angoisse et colère
Du point de vue de l’enfant, la séparation détruit
le groupe qui assurait sa sécurité. Le besoin
d’appartenir à un groupe originaire pourvoyeur
de bien-être et de sécurité est un besoin de base
de tout individu et en particulier de l’enfant qui
ne sait pas subvenir seul à ses besoins élémentaires. Avec la séparation, ce qui constituait
sa base de sécurité, son point d’Archimède,
disparaît. De nouveaux lieux, étrangers, vides
de sens à ses yeux, parfois de nouvelles personnes (changements d’école, d’enseignants,
etc.) formeront son environnement quotidien.
Cette perte de repères (les espaces familiers de
son ancien logement, les visages de ses copains,
les divers rythmes et rituels de son quotidien)
génère inquiétude et angoisse face à l’inconnu,
entraînant un sentiment d’insécurité très stressant et mobilisant une partie importante de
ses ressources en vue d’une adaptation laborieuse. Il peut être judicieux, si cela est possible,
de conserver l’ancien logement, si l’enfant est
scolarisé, de déménager dans une zone proche
de son ancien établissement, de veiller à ce
qu’il puisse revoir régulièrement ses anciens
camarades. Toujours dans le but de limiter le
sentiment d’insécurité inévitablement généré
par tout changement radical de cadre de vie, il
faudrait autant que possible éviter d’évoquer les
difficultés matérielles liées à la baisse importante
des ressources financières. Les enfants peuvent
être très angoissés par les problèmes d’argent
de leurs parents. Un autre élément contribuant
à amplifier le sentiment d’insécurité est la création, du fait de la séparation, de deux nouveaux
pôles identitaires, deux nouveaux groupes qui
ont chacun leurs propres codes de conduite et
valeurs, la séparation pouvant exacerber les divergences initiales des parents quant à l’éducation.
Là encore, l’enfant devra fournir d’importants
efforts d’adaptation pour passer d’un certain
environnement culturel à un autre, ce qui n’est
pas un processus confortable.
Il se peut même que cela le mette franchement en
colère. Certains enfants peuvent en effet devenir
agressifs, protestant de façon véhémente contre
cette nouvelle vie qu’on leur impose, déplorant
les pertes qu’ils subissent et contre lesquelles ils
sont impuissants. La colère est normale ; leur vie
a été compliquée, leur insouciance ôtée. Cette
colère pourrait même se révéler constructive,
leur permettant d’intégrer les bouleversements
selon leur propre schéma de compréhension, à
condition de veiller à ce qu’elle ne dégénère pas
en violence. Il est ainsi nécessaire de reconnaître
cette colère, de la prendre en compte et de
l’écouter sans pour autant chercher à tout prix
à obtenir l’absolution de son enfant ; quelles
que soient les raisons des parents, la colère de
l’enfant est absolument légitime. Là encore, les
explications aident, si ce n’est à éviter, au moins
à atténuer cette émotion. Attention également
à ne pas commettre des erreurs d’interprétation
concernant les mouvements de colère. Parfois,
lorsqu’un enfant rentre irascible et désagréable
de chez l’autre parent, on peut penser que celuici en est responsable alors que l’enfant est simplement en colère de devoir changer de lieu ;
il témoigne ainsi du tiraillement ressenti entre
deux objets d’attachement, entre deux systèmes
éducatifs dont chacun comporte avantages et
inconvénients. Il n’est pas aisé de faire siens deux
environnements que parfois tout oppose. Le
temps, la patience, la bienveillance et le lâcher
prise sont les ingrédients les plus efficaces d’une
réparation. Pour cela, le maternage proximal et
une éducation douce et respectueuse sont des
atouts certains. ◆
© Daliborka Milovanovic
◆
1 Dans ce texte, nous emploierons le terme « séparation » pour
désigner toute forme de désunion d’un couple. / 2 Mes parents se
séparent. Je me sens perdu, Pr Maurice Berger, Isabelle Gravillon,
Albin Michel (2003). / 3 The Unexpected Legacy of Divorce: A 25
Year Landmark Study, Judith S. Wallerstein, Julia M. Lewis et
Sandra Blakeslee, New York, Hyperion (2000). / 4 Pour connaître
les diverses études sur la séparation, on consultera avec profit le
site de l’association L’Enfant d’abord : www.lenfantdabord.org /
5 Op.cit., Berger, Gravillon.
◆
LA SÉPARATION,
UNE SOLUTION DE FACILITÉ ?
◆
Victorine
Meyers
Certaines décisions de séparation sont
prises parce que le couple ne « fonctionne »
plus, parce que l’on n’est plus heureux avec
son compagnon ou sa compagne de route ;
il n’est pas question ici des séparations
pour cause de violence physique ou
psychologique que l’un des conjoints inflige
à l’autre. Les premières années, un couple
vit une explosion d’hormones qui lui fait
paraître le monde plus beau. Lorsque cet
empire hormonal décline, que reste-t-il ?
L’herbe peut sembler plus verte ailleurs,
on voudrait vivre autre chose, on voudrait retrouver « le frisson ». Ainsi, on peut
avoir envie de quitter son compagnon pour changer de vie. Et après tout, d’autres
enfants ont vécu la séparation de leurs parents et ils n’en sont pas morts…
© Victorine Meyers
I
l semble que le couple n’ait pas échappé
à la société de consommation. Dans les
années 50, moins de 2 % des unions se
concluaient par une séparation après 5
ans. À la fin des années 80, le pourcentage monte à 14 %1. Même s’il est nécessaire de considérer les statistiques avec
circonspection, il n’en reste pas moins
que nous vivons aujourd’hui une époque
de banalisation de la séparation. Nous
connaissons tous au moins une personne
de notre entourage qui a vécu une séparation. À
l’école, les classes dépourvues d’élèves dont les
parents sont séparés sont rarissimes. Maria se
rappelle de la réaction de sa fille lorsqu’elle lui a
annoncé qu’elle se séparait de son père pour aller
vivre avec un autre homme : « Chic, je vais avoir
un beau-père moi aussi ! » Avoir un beau-père
ou une belle-mère est de plus en plus normal.
Comment en arrive-t-on là ? Comment peut-on
accepter que la séparation soit la solution aux
problèmes de couple ? Cherche-t-on réellement
d’autres solutions ?
Rien ne va plus
Dépression, solitude, on ne se dit plus que « bonjour » et « bonne nuit », on est en froid. Lorsque,
au sein du couple, les liens affectifs sont fragilisés, notre inconscient nous rend « disponibles »
pour de nouvelles rencontres. Notre corps émet
des signaux et nous sommes attirés par une
autre personne. Le cocktail d’hormones auquel
nous sommes soumis nous incite à foncer,
parfois sans discernement, dans une nouvelle
histoire amoureuse. Et si nous parvenions à
nous poser, à ne pas nous précipiter pour nous
engager dans une nouvelle vie de couple, cela
changerait-il quelque chose ? Coralie explique
qu’elle freinait pour s’installer avec son nouvel
amour : « Je sentais qu’un truc clochait, c’était
trop rapide, trop beau, ce qui m’arrivait, cette
espèce de béatitude. J’ai eu le courage de dire
stop. J’ai pris le temps de me poser, seule, surtout pas chez mes parents ou qui que ce soit
qui aurait pu m’influencer. Ces semaines ont
été probablement les plus éprouvantes de ma
vie, mais je suis heureuse de les avoir vécues.
Elles m’ont permis de sentir qui j’étais, d’entrer
en connexion avec moi-même et de poser noir
sur blanc ce qui était important pour moi. Au
diable l’adage qui dit que le bonheur des uns
ne fait pas le bonheur des autres ! Mon bonheur
dépend de celui de mes enfants, de celui de ma
famille, c’est en prenant soin d’eux et en vivant
Dossier
et vibrant avec eux que je suis heureuse. Ainsi,
j’ai compris que me séparer serait pour eux
une souffrance que je refusais de leur infliger.
J’ai appelé leur papa et après tous nos cris, nos
pleurs, ses chantages, etc., je lui ai dit qu’il fallait
qu’on parle entre adultes. Du champ de ruines
qu’était notre couple, nous avons ravivé peu
à peu la petite flamme, nous l’entretenons et
nous sommes toujours ensemble aujourd’hui. »
À deux, c’est mieux
Parfois, c’est une image ou une phrase qui produiront le déclic. Marie se rappelle un jour où
elle ne pouvait pas faire le trajet jusque chez le
papa pour amener les enfants. Ils avaient alors
convenu de se retrouver à mi-chemin sur une
aire d’autoroute. Les enfants sont passés d’une
voiture à l’autre, et le papa a dit : « Alors voilà à
quoi nous en sommes réduits, à nous échanger
les enfants comme des marchandises sur un
parking… Est-ce cela que nous voulions pour
nos enfants ? » Ce fut une phrase « déclic » pour
Marie, après laquelle elle est restée longtemps
à pleurer sur l’aire de repos.
Mais le travail de remise sur les rails du couple
ne pourra se faire qu’à deux. Il est donc indispensable de vouloir tous les deux, en toute bonne
foi et authenticité, reconstruire, aplanir pour
recommencer sur des bases saines. Coralie se
Témoignages
« Je n’ai pas croisé cette femme un
jour en me disant : “tiens, je veux
faire un bout de chemin avec elle,
lui faire quelques gosses, puis on
verra bien…” ! Notre rencontre s’est
produite, notre amour s’est construit,
et aujourd’hui, je devrais remiser
tous ces souvenirs au placard ? Juste
parce qu’on ne “s’entend” plus ?
Non ! Une union n’est pas un bien de
consommation, nous n’avons pas voulu
des enfants pour ensuite nous les refiler
une semaine sur deux ! Alors, je lui ai
écrit une lettre, une immense lettre,
une lettre où je lui disais toutes mes
peurs, toutes mes souffrances, toutes
mes erreurs. Avec tout ce que je lui ai
donné, elle pouvait soit me détruire,
soit venir me prendre par la main pour
repartir. Le risque était grand, mais il
en valait la peine, parce que l’amour en
vaut toujours la peine, parce que nos
enfants en valent la peine. »
Jean
souvient : « Nous nous sommes dit nos quatre
vérités, toutes ces petites choses que nous
avions accumulées qui, prises individuellement,
ne sont rien et, amassées, représentent une
montagne ! Nous avons été rarement aussi nus
l’un devant l’autre. Et seulement là, nous avons
pu reconstruire, chacun posant ses limites à
l’autre pour avancer doucement mais sûrement. »
Si l’autre ne veut rien entendre ? Si on est seul
à vouloir essayer ? On peut tenter de proposer un délai pour discuter, accepter de dire et
d’entendre tout ce qu’on ne s’est jamais dit. À
défaut de reconstruction, cette initiative aura
peut-être le mérite de poser les bases d’une
séparation plus cordiale qu’elle ne l’aurait été
sinon. Se séparer avec de la rancoeur, de la
colère voire de la haine ne présage rien de
bon pour la suite des relations lorsqu’on a des
enfants en commun. Or quand on est parents,
que l’on vive ensemble ou séparé, on l’est pour
la vie. ◆
◆
1 http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_
id=ip1107
« Je me souviens de ma mère qui me
disait de prendre soin de mon couple
« J’ai mis 40 ans a apprendre à dire
comme d’une plante verte. À l’époque,
“non”. Lorsque j’ai lâché mon premier je riais doucement à ces mots, n’y
“non”, il était immense, à l’image
prêtant pas plus attention que cela. La
de toutes ces frustrations que j’avais
vie s’est chargée de me les rappeler le
accumulées, tous ces “non” que je
jour où ma femme m’a quitté. Je me
n’avais jamais dit. J’ai dit “non” à mon suis pris un TGV en pleine tête ! Une
couple, je n’en pouvais plus, j’étais au
fois la douleur atténuée, je me suis
bord du “pétage de câble”. Ce “non” fut repassé le film de notre vie de couple au
un raz-de-marée, il a tout emporté,
ralenti. J’avais bien négligé de prendre
laissant place à un tas de cendres,
soin de mon couple, je n’écoutais pas
avec un goût amer dans la gorge.
les mots que ma femme me disait, pas
Dans ce tas de cendres, pas de braises, plus que ceux de ma mère. Elle est
rien sur quoi souffler pour repartir.
partie avec nos trois enfants, je les vois
Alors, je lui ai dit ma souffrance, j’ai
une fois de temps en temps. Suis-je
crié ma douleur, j’ai hurlé mon “non”. encore leur papa ? Comment peut-on
Puis le vent a soulevé les cendres et
être papa 2 jours sur 15 ? Je ne sais
là, enfouie tout en-dessous, une toute
pas, je me débats dans cette mélasse,
petite braise, sur le point de s’éteindre… l’insomnie est devenue ma compagne
Tout doucement, ensemble, nous
des nuits, la douleur est là, nichée dans
avons soufflé, en dosant pour qu’elle
ma poitrine. Alors je veux essayer, au
reprenne vie. Nous avons ranimé une
moins essayer, de lui dire tout cela, de
petite flamme vacillante. Depuis, nous lui demander pardon pour le mal que
l’entretenons au quotidien, conscients
je lui ai fait sans même m’en rendre
tous les deux qu’un coup de vent un peu compte. Et là, tout près du désespoir,
plus fort que les autres peut l’éteindre. » une petite lueur d’espoir s’allume… »
Célia
Baptiste
Grandir et s’eveiller | Éducation non-violente en pratique
◆
ON M'A DIT
que je pouvais
M'A IMER
Genoveva
Desplas1
◆
Nous, parents, trop occupés par nos vies
d’adultes, oublions l’importance de notre rôle
dans la construction de l’estime de soi de
nos enfants. La peur de fabriquer un enfant
arrogant, le mauvais usage des compliments
et le manque de volonté pour remarquer les
comportements dignes de louanges nous
empêchent de choyer son estime de soi.
P
ouvez-vous citer deux situations ou deux
moments de la journée d’hier où vous avez
apprécié le comportement de votre enfant ? Si
l'on formule la question en parlant de situations
négatives, les mots sortent probablement plus facilement de votre bouche.
Parlons de ces étincelles, passées inaperçues.
Prenons le temps de les saisir. Si banales qu’elles
puissent paraître, elles sont le plus souvent le fruit
d’un effort mental considérable de la part de l’enfant. « Si rares ! », dites-vous, pourtant elles sont là
tous les jours. Il suffit d’observer et de se mettre à
la place de l’enfant pour mieux comprendre le travail physique et mental précédant leur accomplissement. Ces moments où l’enfant fait preuve de ses
capacités remplissent son capital d’estime de soi seulement lorsqu’une autre personne lui fait prendre
conscience de leur potentiel et de leur utilité ; lui
permettant ainsi de les reproduire.
Daniel, 3 ans, joue depuis une demi-heure avec son
train. « C’est le grand voyage », dit-il, « tout le monde
se prépare ! » Il prend ensuite le petit bonhomme
en bois qui fait office de conducteur, il l'emmène à
la salle de bains. M. le conducteur prend son bain
pour aller ensuite prendre des provisions dans le placard de la cuisine. Le robinet reste à moitié ouvert
et le paquet de riz tombe par terre. Maman discute
avec la voisine. Soudain, elle entend du bruit dans
la cuisine ; elle s’approche en disant : « Daniel, j'entends de l’eau qui coule dans la salle de bains et je
vois des grains de riz par terre. » Daniel se précipite
pour fermer le robinet et prend ensuite la balayette
éparpillant les grains de riz autour de lui. Maman
s’adresse à la voisine : « Je dois m’occuper de Daniel
◆
© Ludivine Wislez
maintenant, regarde, il profite de mon absence pour
faire des bêtises, ce coquin ! »
Au-delà de la recherche de coopération
Daniel vient de montrer un comportement digne
d'approbation ; or, sa mère a seulement remarqué
l’eau qui coule et les grains de riz par terre. La voisine
n’a rien dit mais, pendant la longue conversation,
elle n’avait pas remarqué la présence de Daniel à la
maison. Quel gâchis ! L’occasion est à saisir pour
faire des compliments au petit garçon. Le problème,
c’est que sa mère trouve « normal » le fait de discuter avec sa voisine pendant une demi-heure sans
interruption pendant que Daniel a fait preuve de
concentration, de créativité et de sens de logistique à
travers son jeu, de respect et de patience envers elle.
Imaginons que la mère, après avoir fini de ramasser les grains de riz, se rende compte que le temps
Éducation non-violente en pratique | Grandir et s’eveiller
est passé et qu’elle a pu finir d’organiser la fête de
l’immeuble avec sa voisine. Deux façons de faire des
compliments à l’enfant sont possibles. La première qui
vient à l’esprit serait : « Chéri, tu as été gentil, même
si tu as fait une bêtise. » Si nous essayons d’imaginer
ce que l‘enfant se dit en lui-même en entendant cette
phrase, nous constatons l’inutilité
des propos tenus : « Je suis gentil et
je fais des bêtises. » Si la mère est
dans l’observation et l’empathie,
elle se rendra compte à quel point
son fils a fait preuve d’autonomie
et des qualités requises pour gérer
tout seul la demi-heure de jeu. Ainsi
pourra-t-elle plutôt dire : « Daniel,
visiblement il y a des aventures dans
ton jeu, c’est ce que j’appelle de la
créativité. De plus, tu as fais preuve
de patience et d’autonomie pendant
que j’ai discuté avec la voisine. Nous
avons même fini d’organiser la fête de l’immeuble. »
Les grains de riz peuvent être ramassés en deux
minutes ; le compliment descriptif, celui qui met
en valeur les capacités de l’enfant, restera à vie et
servira de moteur pour une prochaine fois où la
situation demandera de la patience, de la concentration, de l’autonomie et de la créativité.
ment. Il n’a pas eu l’information qui lui permettrait
de comprendre ce qui a été « bien ». Adele Faber et
Elaine Mazlish proposent le compliment descriptif ;
il donne à l’enfant l’information nécessaire pour se
dire en lui-même pourquoi ce qu’il vient de faire
était « bien ». Il met en valeur les actes, les comportements ou les capacités tandis que
le compliment qui évalue induit
d’autres sentiments comme le doute
(ma mère a dit que j’étais sage, mais
a-t-elle vraiment remarqué ce que
j’ai fait ?) ou un sentiment de dégradation (Est-ce que je serai capable
de faire toujours si « bien », d’être
toujours si « sage » ?)
Le compliment descriptif permet à
l’enfant de se juger et de se féliciter
lui-même.
Chloé, 5 ans, vient de ranger les
assiettes dans le lave-vaisselle. Un
banal « c’est bien, ma fille, tu peux aller jouer maintenant » se résumera, pour l’enfant, à « je peux aller
jouer maintenant ». Plus justement, nous pouvons
décrire ce que nous voyons et nommer la compétence : « Toutes les assiettes sales sont déjà rangées
dans le lave-vaisselle et, en plus, tu l’as fait sans que
personne ne te le demande, tu as fait preuve d’initiative. » Chloé peut alors se dire : « Je sais ranger la
vaisselle et je connais maintenant un nouveau mot,
“initiative”, je peux faire d’autres choses sans que personne ne me demande de les faire.4 »
Le compliment
descriptif
permet à l’enfant
de se juger et
de se féliciter
lui-même.
Confiance en soi et estime de soi
Le psychologue Nathaniel Branden affirme : « De
tous les jugements que nous portons dans une vie,
aucun n’est plus important que le jugement que nous
portons sur nous-mêmes.2 » Pour se construire cette
image de lui-même, l’enfant a besoin de « l’autre »,
du regard de son référent. Cette reconnaissance
commence in utero, avec des pratiques comme
l’haptonomie.
Gisèle Georges distingue confiance en soi et estime
de soi. La confiance en soi est un moteur et aussi un
« sentiment d’optimisme », ce qui devient un double
souffle de vie lors des situations difficiles. Elle se
nourrit dès la naissance par le contact affectif, la
réponse aux besoins de protection et de survie.
Daniel Laporte et Lise Sévigny corroborent cette
idée : le bébé « protégé, nourri et caressé […] se sent
bien dans sa peau et confiant dans ses capacités d’exercer ce corps et de l’habiter pleinement3 ». L’estime de
soi implique un jugement de valeur de sa propre
personne. Les mots valorisants, les attitudes face à
une réussite ont aussi un grand pouvoir dans cette
altérité. Le problème, c’est que, parfois, nous faisons
des compliments maladroits, c’est-à-dire dont l’effet
n’est pas du tout celui que nous cherchions.
Je te dis ce que je vois et tu en feras
l’évaluation
Face à une réussite de son enfant, le parent se limite
souvent à dire : « c’est bien, chérie, c’est joli, c’est génial,
bravo » et souvent la conversation s’arrête là. L’enfant n’a pas eu l’occasion d’élaborer son propre juge-
À quoi donc l’estime de soi sert-elle ?
Un enfant confiant et sûr de lui prend conscience
de ses forces, il peut se dire à lui-même : « Je suis
capable de créer une histoire, je suis capable d’écouter
les besoins des autres, je peux faire preuve d’initiative
lorsqu’une nouvelle occasion se présente, je suis capable
de préparer un grand voyage ! » L’auto-encouragement
sera l’élan vers tous les apprentissages.
Nous ouvrons grand les yeux aux maladresses des
enfants sans nous rendre compte qu’elles cachent
très souvent des réussites. Il suffit de regarder, de
décrire, de souligner ces forces. ◆
◆
1 Animatrice d'ateliers Faber et Mazlish. / 2 L’estime de soi, Nathaniel
Branden, Éditions J’ai lu (2011), p. 30. / 3 L’estime de soi des 6-12 ans,
Daniel Laporte et Lise Sévigny, Éditions de l'Hôpital Sainte Justine
(2012), p. 8. / 4 La confiance en soi de votre enfant, Gisèle Georges,
Éditions Odile Jacob (2009).
Pour aller plus loin
Parler pour que les enfants écoutent. Écouter pour
que les enfants parlent, Adele Faber et Elaine
Mazlish, Éditions du Phare (2012).
Regarde… ton enfant est compétent, Jesper Juul,
Éditions Chronique Sociale (2012).
Grandir ensemble | Grandir sainement
◆
LA MÉMOIRE CELLULAIRE
Se délier du passé pour se relier à soi-même
◆
L’être humain, dans son évolution, a conservé des réflexes et des peurs. Un petit
enfant aura, par exemple, peur d’un serpent alors même qu’il n’en a eu aucune
expérience préalable1. Même si les mécanismes de transmission des peurs restent
peu évidents, la réalité de la mémoire cellulaire, elle, ne fait aucun doute. Comment
cette mémoire influence-t-elle l’individu ? Qu’est-ce qui relève des réflexes imposés
par ses ancêtres et qu’est-ce qui relève de ses propres envies ? Comment travailler
à les distinguer pour vivre sa liberté ? C’est ce que propose d’explorer notamment
Myriam Brousse2 à travers son travail d’investigation en mémoire cellulaire.
L
a chronicité est l’un des premiers signes qui
peut nous alerter sur la nécessité d’un travail
en mémoire cellulaire. Christine, enceinte de
son 4e enfant, a peur de faire encore comme sa
mère, des fausses couches au même moment, des
enfants de même sexe ; va-t-elle, elle aussi, décéder
de maladie juste après la naissance de son dernier
bébé ? Pour Michel, le questionnement s’est appuyé
sur le constat que tous les deuxièmes enfants de sa
généalogie sont atteints d’un handicap. Pour Martin, le déclencheur fut la répétition de ses angines
aux mêmes dates sans qu’il parvienne à les éviter.
Les étapes du travail d’investigation en mémoire
cellulaire se déroulent dans un temps plus ou moins
long, sur plusieurs séances.
Première phase : s’informer et amorcer
sa rééducation
Le travail débute avec les grands cycles biologiques
mémorisés de Marc Fréchet3. Il s’agit concrètement
de remplir une grille mois par mois jusqu’à neuf
mois précédant notre conception. Une date doit
faire référence : la date à laquelle nous avons quitté
le toit parental. Cette coupure du cordon financier
fait écho à celle du cordon ombilical lors de notre
naissance et marque ainsi le début d’un second cycle.
Après ce travail de recherche, l’outil est prêt à servir. Partant de la date de l’évènement qui nous pose
problème ou qui nous semble marquer un tournant
dans notre vie, nous appliquons les calculs de Marc
Fréchet qui mettent en exergue d’autres dates. Ces
dernières nous re-informent des événements de
notre histoire auxquels notre corps réagit en écho.
L’objectif est de prendre conscience, de « voir comment s’est exprimée notre mémoire dans notre vécu
[…] et comment elle s’exprime aujourd’hui dans
notre quotidien […] ; voir les comportements aberrants que cette mémoire entraîne dans notre vie […] ;
voir les récurrences cycliques de l’expression de cette
◆
Guillemette
Lepelletier
mémoire dans notre vécu, puis accepter ce que l’on
voit.4 » Notre regard change alors. Myriam Brousse
nomme cette étape la « rééducation en phase d’information ». Elle propose des exercices, des gestes
à effectuer en fonction de notre histoire afin de briser ces cycles et d’apporter une autre réponse aux
évènements de notre vie. Cela peut être de noter
tous les moments où nous faisons les choses sans
en avoir envie ou bien d’imposer à notre entourage
un moment rien que pour nous-mêmes.
Deuxième phase : « rééducation en
phase de désactivation5 »
Par l’écoute du corps, notamment grâce à la biorésonance cellulaire, il s’agit de chercher et sentir le
blocage qui nous empêche d’avancer. Cette méthode,
issue de la kinésiologie, permet, par l’étude des
vibrations énergétiques émises par le corps, de lui
redonner la parole et de libérer l’énergie bloquée :
« le message est délivré, et les traumatismes subis,
directement ou indirectement, trouvent un sens.6 »
Cela passe par l’acceptation de nombreuses émotions qui remontent à la surface au fur et à mesure
de ce travail de recherche mais aussi par des actes à
poser dans notre quotidien dans l’objectif de fissurer le blocage inscrit en nous par le « projet-sens ».
Le projet-sens est l’une des sources de notre
mémoire7. Associée à notre vibration de naissance
comme à nos mémoires familiales, il détermine
bon nombre de nos actes. Il est composé de trois
cycles de neuf mois qui sont comme une empreinte
inscrite dans la chair : la première période, avant
la conception, est celle du projet, la deuxième, de
la conception à la naissance, est celle de la réalisation et la troisième, de la naissance à 9 mois, est
celle de la concrétisation8. Par exemple, le cycle du
projet peut être marqué par un père absent ou par
une absence de projet d’enfant ; le cycle de réalisation par une crainte liée à la transformation du
corps ou à l’accouchement et le cycle de
concrétisation par une déception liée
au sexe de l’enfant. Véronique Brousse
explique que « la biorésonance cellulaire va capter l’imprégnation de nos cellules pour atteindre l’empreinte physique
dans le corps afin de décoder le bavardage
constant entre les cellules : la petite voix
dans ma tête n’est pas ce que je suis.9 »
Libéré d’un projet-sens d’enfant nondésiré, on pourra apprendre à écouter
ses désirs et s’autoriser à les vivre.
Troisième phase : « la
rééducation en phase de
réinformation10»
Le travail sur le projet-sens n’est qu’un
parmi d’autres en mémoire cellulaire ; il
faudra utiliser d’autres outils comme la
psycho-généalogie, les cercles de Phyllis
Krystal11, l’astrologie, la kinésiologie, la
psychophanie12 et d’autres selon la sensibilité de votre praticien qui saura faire
appel à des collègues utilisant des techniques différentes mais complémentaires.
Une fois que les obstacles à vivre notre
propre vie seront mis au jour, il sera temps
de poser des actes allant dans le sens que
nous souhaitons donner à notre vie, libérés d’une histoire qui n’est pas forcément
la nôtre.
Pour Myriam Brousse, ce travail, la
descente dans le corps, est « une étape
essentielle dans la connaissance de soi.13 »
C’est l’aboutissement du travail d’investigation en mémoire cellulaire. Cela nous
permet enfin de vivre en harmonie avec
nous-mêmes et avec le monde. ◆
◆
1 Une récente étude fait état d’un phénomène
similaire chez des souris. Une odeur particulière est
systématiquement associée à un choc électrique ; à
la troisième génération, même en l’absence de choc
électrique, les descendants des souris conditionnées
continuent d’associer l’odeur et la peur : http://
www.nature.com/news/fearful-memories-hauntmouse-descendants-1.14272 / 2 Myriam Brousse
est conceptrice de la méthode en mémoire du corps
et fondatrice de l’École de mémoire cellulaire :
http://www.ecoledememoirecellulaire.fr / 3 Marc
Fréchet (1947-1998), psychologue clinicien cité
dans Votre corps a une mémoire, Myriam Brousse,
Fayard (2007). / 4 Le corps ne le sait pas encore, Myriam Brousse, Quintessence (2006). / 5 Ibid. / 6 Si mon corps m’était conté, histoire de la
biorésonance cellulaire, Véronique Brousse, Quintessence (2013). / 7 La descente dans le corps, Myriam Brousse, Eric Francqueville, Brigitte
Pagani, Quintessence (2007). / 8 Op. cit., Véronique Brousse. / 9 Ibid. / 10 Op. cit., Myriam Brousse. / 11 Avec les cercles de Phyllis Krystall, il
s’agit de faire remonter des images de l’inconscient et de les contenir dans un cercle distinct de soi afin d’en couper le lien. / 12 La psychophanie,
ou méthode de « communication facilitée », est une mise en mots de l’inconscient par l’écrit : http://www.tmpp.net/cf/ / 13 Op. cit., Myriam
Brousse, Eric Francqueville, Brigitte Pagani.
© Anaïs Briot
Pour aller plus loin
Psychologie des mémoires fondatrices de notre naissance, Jean-Philippe Brébion, Éditions Quintessence
(2004).
Grandir en savourant | Allaitement
Le sevrage
NATUREL
◆
◆
© Victorine Meyers
Isabelle
Delhove
Le sevrage constitue la dernière étape du processus de l’allaitement. Qu’entendon par « sevrage naturel » ? À quel âge devrait-il avoir lieu ? Quels sont ses
avantages ? Comment la mère vit-elle la fin de son allaitement ? Comment se
préparer à l’étape suivante de la relation ? C’est à ces quelques questions que
nous allons essayer de répondre.
B
on nombre de spécialistes se sont penchés sur
la question de savoir à quel âge devrait se faire
le sevrage des bébés humains, à savoir l’arrêt
complet de l’allaitement au sein, d’un point
de vue physiologique. Il a été établi que, chez les
primates, cet âge est plus tardif que chez les autres
mammifères et est corrélé à plusieurs variables :
âge de quadruplement du poids de naissance augmenté de quelques mois (entre 3 et 4 ans pour les
humains) ; âge où l’on atteint le tiers de son poids
adulte (entre 6 et 7 ans) ; durée de la gestation (chez
les chimpanzés et les gorilles, la durée de l’allaitement est égale à plus de six fois la durée de la gestation ) ; âge d’apparition des premières molaires
définitives (6 ans environ chez les humains, qui
est aussi l’âge où le système immunitaire devient
mature)1. Les études anthropologiques permettent
de conclure que l’âge du sevrage naturel chez les
humains se situerait entre 2,5 et 6 ans. L’allaitement
qui dure jusqu’à 2, 3 ou 4 ans, est encore la règle
chez de nombreux peuples ; c’est d’ailleurs dans ces
cultures que les femmes pratiquent le plus l’allaitement à la demande, le maternage, le portage et le
cododo2. En réalité, les enfants peuvent se sevrer
naturellement à des âges et rythmes très différents.
Grèves de la tétée
Les grèves de la tétée (refus brutal du sein) ne doivent
pas être confondues avec une demande de sevrage
de l’enfant. Il s’agit d’une situation extrêmement
frustrante pour la maman, qui se sent rejetée et
désemparée et dont l’entourage est bien souvent
◆
convaincu qu’il s’agit d’un sevrage voulu par l’enfant. Les tentatives visant à remettre ce dernier au
sein sont alors perçues comme de l’acharnement.
Ce refus peut toutefois être provisoire et ne signifie
pas pour autant que l’enfant ne souhaite plus téter.
Les bienfaits du sevrage naturel
Le sevrage naturel, c’est-à-dire celui qui se fait à la
demande de l’enfant, est encore très peu répandu
en France. Les mères qui allaitent au-delà de 6 mois
ne sont par conséquent que peu soutenues. En effet,
dans nos cultures modernes, le sevrage précoce est
encouragé car il est considéré comme un signe de
développement et d’émancipation de l’enfant, tandis
qu’un bébé allaité « trop » longtemps est jugé trop
dépendant de sa mère. Or de nombreuses études3
ont montré le contraire : l’enfant qui décide de se
sevrer est plus indépendant, car il s’éloigne du
sein maternel quand il se sent prêt physiquement
et émotionnellement. Sur le plan physique, cela
signifie que sa dentition et sa mâchoire sont bien
développées et qu’il est capable de s’alimenter seul.
Sur le plan du développement cérébral, l’enfant a
acquis le langage ou la faculté de se faire suffisamment bien comprendre.
Un des bienfaits incontestables du sevrage naturel
est le sentiment de fierté et d’accomplissement que
l’on éprouve en tant que mère lorsqu’on va au bout
du processus, lorsqu’on se fait confiance, lorsqu’on
laisse son enfant choisir le moment où l’amour que
l’on exprime sous forme de lait l’aura suffisamment
nourri pour qu’il ait envie de passer à autre chose.
Allaitement | Grandir en savourant
On a alors la certitude qu’il a vraiment pris tout ce
dont il avait besoin, que la relation d’allaitement l’a
réellement rassasié.
Un autre avantage est que le sevrage naturel est
généralement très progressif. La séparation se fait
un peu plus en douceur, ce qui permet de mieux
gérer les changements physiques (douleurs aux
seins, engorgement, etc.) et émotionnels (tristesse
voire dépression) chez la maman. Par ailleurs, l’enfant profite plus de l’allaitement parce que les anticorps sont plus concentrés dans le lait maternel en
raison de la diminution de la fréquence des tétées.
Il va sans dire que le sentiment d’être allée au bout
de l’allaitement n’empêche pas une certaine tristesse, due aux changements hormonaux et au passage d’une relation très proche, très intime, à un
autre type de relation, surtout si l’on sait que cet
enfant sera le dernier. Cette souffrance peut être
aggravée par le fait que les sentiments de la mère au
moment du sevrage ne sont généralement pas pris
en compte, si ce n’est pour lui reprocher de vouloir
prolonger l’allaitement pour son propre plaisir. Il
s’agit pourtant bien d’une relation à deux et il est
dès lors inévitable que son arrêt provoque toutes
sortes d’émotions et de sentiments, qui peuvent être
très variables selon les femmes4. Le sevrage naturel
peut être vécu comme un sevrage un peu forcé de
la maman. Il s’agit alors de l’accepter comme une
expérience de plus qui nous fera grandir en tant
que mère et en tant que femme.
Du point de vue physique, les seins diminuent de
volume et semblent un peu vides, mais ils reviennent
généralement à la normale (taille d’avant la grossesse) après quelques cycles. Il faut savoir qu’on peut
continuer à avoir du lait des mois, voire des années
après avoir arrêté d’allaiter5.
Comme l’écrit si bien Claude Didierjean-Jouveau,
« envisager un sevrage naturel, c’est certes se lancer
dans une aventure dont on ne sait ni quand ni comment elle se terminera. Ce qui peut être déstabilisant, voire angoissant. Mais c’est offrir à son enfant le
cadeau magnifique d’une relation d’allaitement pleinement achevée, et en retirer soi-même un sentiment
d’accomplissement ô combien précieux6. »
Envisager une nouvelle étape
Le sevrage implique de repenser la relation à l’enfant sans le sein maternel, qui offrait nourriture,
câlins, proximité physique et réconfort. Quand les
tétées s’arrêtent définitivement, il faut les remplacer
par une nourriture saine et équilibrée, par d’autres
modes de soulagement de la douleur et par beaucoup de câlins. Il va sans dire que les enfants sevrés
après un allaitement de longue durée gardent une
tendresse particulière pour les seins de leur maman,
sans qu’il faille y voir quoi que ce soit de malsain.
Pour ma part, j’ai conservé avec mes deux enfants
© Isabelle Delhove
Quand arrive le moment de faire le deuil
de l’allaitement
allaités une relation très spéciale. Et puis, il reste
à jamais le souvenir de ces moments d’intimité
avec son enfant, de cette complicité si particulière.
Pour m’aider à faire le deuil de mon second et dernier allaitement, je me suis offert une peinture de
mon fils et moi réalisée à partir d’une photo prise
lors d’une tétée, et je n’ai qu’à la regarder pour me
remémorer ces moments merveilleux et incomparables. Plus de vingt-huit mois d’allaitement pour
mes deux enfants, et c’est passé si vite… Savourez
chacun de ces moments magiques, mais sachez qu’il
y en aura d’autres, d’une autre nature ! ◆
◆
1 http://www.lllfrance.org/Allaiter-Aujourd-hui/AA-37-Lallaitement-long-un-age-naturel-pour-le-sevrage.html / 2 http://
lesvendredisintellos.com/2012/03/01/retour-sur-sevragenaturel-de-quoi-parle-t-on-guest / 3 http://www.nbci.ca/index.
php?option=com_content&view=article&id=78:breastfeed-atoddlerwhy-on-earth&catid=5:information&Itemid=17 et http://
www.naturalchild.org/guest/george_wootan.html/ 4 http://www.
lllfrance.org/Allaiter-Aujourd-hui/AA-79-Comment-les-meresvivent-la-fin-de-l-allaitement.html / 5 Ibid. / 6 http://www.lllfrance.
org/Allaiter-Aujourd-hui/AA-50-Et-le-sevrage-comment-ca-se-passe.
html
Pour aller plus loin :
Allaités … des années !, Ann Sinnott, Éditions du Hêtre (2011).
L’allaitement, De la naissance au sevrage, Dr. Marie Thirion, Éditions
Albin Michel (2004).
Guide de l’allaitement et du sevrage, Pascale Walter, Éditions
La Découverte (2004).
Les années de lait, Récit d’un allaitement au long cours, Marie Australe,
Éditions L’Instant Présent (2010).
Sommaire
du numéro 49
Quelques titres pour vous
mettre l’eau à la bouche !
Dossier
VIVRE AVEC
UN ENFANT
DIFFÉRENT
Enfants ou travail :
Faut-il choisir ?
Nous avons voulu consacrer un dossier aux
enfants différents, c'est-à-dire porteurs de handicap
ou dotés d'une sensibilité particulière qui les rend «
hors normes », inadaptés aux attentes de la société.
Mais, finalement, qu'est-ce qu'être différent ? Ne
sommes-nous pas tous différents et nos enfants tous
aussi singuliers les uns que les autres ? Car, après tout,
tel est le propre de l'humanité : une foule d'êtres uniques,
fondamentalement différents les uns des autres. C'est
aussi cela qui fait notre richesse. Alors quand on parle
de différence en voulant souligner celle-ci, c'est qu'on
le fait en référence à une norme, arbitrairement – ou
argumentairement, mais quels que soient les arguments,
ceux-ci sont toujours discutables – définie, fondée sur
des règles de fonctionnement établies dans une société
donnée. Il n'en reste pas moins que, lorsque l'on vit avec
un enfant dit « différent », il faut réussir à l'accompagner
en tenant compte du fonctionnement de la société dans
laquelle on évolue. Comment accueillir le diagnostic, faire
face aux réactions des autres, accompagner son enfant
avec bienveillance et faire en sorte qu'il le soit par les
personnes amenées à prendre soin de lui en dehors de la
cellule familiale ? En quoi le maternage est-il un atout pour
y parvenir ? Quels sont les outils qui peuvent nous venir en
aide ? Voici quelques-unes des questions auxquelles nous
allons tenter d'apporter des réponses à travers ce dossier.
◆
Naître
parents
Grandir
et s’éveiller
Apprivoiser
les écrans
Grandir
au quotidien
Fabriquer
un tipi
Grandir
en savourant
Journal d'un
piquet de
grève
◆
Abonnement et adhésion
Déjà
parus !
◆
Retrouvez nos anciens numéros au format papier et PDF
en vente sur notre site Internet
http://www�grandirautrement�com
http://www.grandirautrement.com
GA44-1-CouvA-ter_GA-Couv 08/11/13 20:44 Page1
Le magazine des parents nature
Allaiter,
c'est naturel
Les Kindergarten
La santé des femmes
une (re)conquête post-féministe
Le framboisier
Bimestriel - Numéro 44 - Janvier & Février 2014 - 5,50 €
Numéro 44
Numéro 45
Numéro 46
Numéro 47
La santé
des femmes
Allaiter, c’est naturel
Les kindergarten
Le framboisier
La violence
éducative ordinaire
Porter un enfant
qui grandit
Tous les usages
d’un lange
Végétalisme
en famille
Soigner ses
enfants en famille
L’accouchement
naturel et ses
bienfaits
Les enfants face
aux manipulateurs
Les bains dérivatifs
Le sommeil, une
affaire de famille
Faire un projet de
naissance
« Se sacrifier » pour
ses enfants ?
« No-poo », la vie
sans shampoing
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