DSI_101_F-16BELGES - DSI – Défense et Sécurité Internationale

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DSI_101_F-16BELGES - DSI – Défense et Sécurité Internationale
Dossier
Armées
Atterrissage d’un F-16 belge en Pologne.
Les carénages du système de détection
d’alerte radar sont visibles sous l’entrée
d’air et sur la partie supérieure du carénage
abritant le parachute de queue. (© Konflikty.pl)
Remplacement des F-16 belges
Les données du débat
Entrés en service en 1980 et depuis lors modernisés à plusieurs
reprises, les F-16 de la force aérienne belge devraient atteindre la fin
de leur carrière opérationnelle au début des années 2020. Longtemps
reportée – en 1999, la Belgique a choisi de ne pas participer au
développement du JSF –, la décision belge de les remplacer est récemment
revenue sur le devant de la scène médiatique. Ce sera au prochain
gouvernement, issu des élections du 25 mai 2014, de trancher.
Par Joseph Henrotin,
chargé de recherche au CAPRI
L
es tenants et les aboutissants de la question sont
nombreux et sont rendus
plus complexes du fait de la
structure fédérale du pays, mais aussi
de sa culture politique – l’importance
donnée au consensus – et des particularités de son processus décisionnel.
Si c’est au gouvernement fédéral de
prendre effectivement la décision de
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Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014
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remplacer les appareils – et d’annoncer le vainqueur d’une compétition qui
serait lancée –, l’exécutif doit mettre en
œuvre un programme de gouvernement négocié entre les partis membres
de ladite coalition au moment de sa
formation. Les partis politiques, qui
peaufinent actuellement leurs programmes électoraux respectifs et les
éventuels chapitres «défense» qui y
sont inclus, jouent donc un rôle central
dans ce processus, sans doute plus en
Belgique qu’ailleurs en Europe.
C’est pourquoi, dans ce dossier,
nous avons choisi d’interviewer deux
représentants des deux plus grands
partis francophones, le Parti socialiste
(PS, 13,71% à la chambre des députés
en 2010) et le Mouvement réformateur
(MR, centre droit, 9,28%), en sachant
que les positions des plus grands partis
flamands sont connues. L’actuel ministre de la Défense, Pieter De Crem, issu du
CD&V (démocrate-chrétien, 10,85%),
n’a jamais fait mystère de sa préférence
pour le F-35 et la N-VA (nationalistes
flamands, 17,4%) s’oriente elle aussi
vers cette option, en raison de la logique
qu’elle poursuit en matière de politique
de défense (1). La position des autres partis est également connue, tout en étant
susceptible d’évoluer au fur et à mesure
de la rédaction de leurs programmes de
défense. Le SP-A (socialistes flamands),
Ecolo et Groen (écologistes francophones et flamands) prônent le nonremplacement des appareils de combat,
le CDH (centre francophone) et l’Open
VLD (libéraux flamands) – des partis de
l’actuelle coalition qui pourraient jouer
un rôle pivot dans la prochaine – ont
une attitude plus attentiste.
Le rôle particulier
des avions de combat
en Belgique
De facto, la question même du remplacement des F-16 fait débat, quoique
d’une manière très limitée, comme habituellement lorsqu’il s’agit de défense.
Ce débat s’est pour l’instant réduit à
quelques rares interviews et articles
dans la presse et à quelques questions
parlementaires posées à l’issue de déclarations du ministre de la Défense. Ce
dernier indiquait en décembre 2013 que
le remplacement des F-16 était indispensable si la Belgique voulait rester un
« partenaire fiable » pour ses alliés, précisant dans la foulée que 40 appareils
seraient nécessaires. La composante
de combat de la force aérienne belge
joue en effet, depuis une vingtaine d’années, un rôle central dans la politique
de défense belge, qui s’explique par une
culture militaire là aussi spécifique. La
défense territoriale y tient une place importante, à la fois héritage des années de
neutralité – de l’indépendance du pays
en 1830 à la Seconde Guerre mondiale –
et reliquat de la guerre froide, qui favorise naturellement les forces terrestres.
Or le tournant des années 1990 a été
celui de la recherche de la projection
en tant que mode principal d’action (2).
Mais le déploiement de forces belges
dans la mission des Nations unies au
Rwanda (1993) fut un fiasco : avec une
force mal équipée du fait du refus politique d’engager les moyens nécessaires et
soumise aux très restrictives règles d’engagement de l’ONU, il a débouché sur la
mort de dix parachutistes tués dans une
embuscade en plein génocide.
Ce qui apparaît comme un traumatisme a induit des conséquences profondes sur les structures de forces,
d’autant plus qu’il s’est produit sur un
terreau antimilitariste important dans
le nord du pays et dans un contexte
marqué par un consensus politique
généralisé et structurel sur la nécessité de réduire les dépenses de défense. Ancien ministre de la Défense,
André Flahaut déclarait ainsi en 2012
que « la défense n’a jamais constitué, et
aujourd’hui moins qu’hier, une priorité.
Il faut s’accommoder de cette réalité (3) ».
L’érosion du budget de défense belge
est donc patente : de 1998 à 2012, en
valeur constante, il a diminué de 26%.
Les dépenses de défense représentent
ainsi 1,1% du PIB en 2011 – 2,7 milliards
d’euros en 2013 (hors pensions) –, la
part dévolue aux nouveaux matériels
étant systématiquement une des trois
plus faibles de l’OTAN depuis ces dix
dernières années, soit 6,4% en 2011 (4).
Dans pareil cadre, au fil des réformes, les
forces terrestres, dont l’engagement est
politiquement considéré comme risqué,
ont subi un processus de minorisation
Alignement de Mirage 5R (reconnaissance) dans
les années 1980. Les choix matériels de la force
aérienne belge n’excluent pas historiquement
les appareils non américains. (© DoD)
qui s’est traduit, en 2000, par un plan
de modernisation évinçant l’option du
combat de haute intensité, conséquence
logique d’une vision centrée sur la «spécialisation des forces», mais aussi de
l’adoption d’une approche fondée sur
les familles de véhicules (5). De facto,
à partir de ce moment, les forces terrestres belges ont essentiellement été
engagées dans des missions de «force
protection» ou de formation, y compris
en Afghanistan.
Le corollaire de ces évolutions fut
une mise en avant des capacités navales (6) et, surtout, aériennes, dont
l’engagement était considéré comme
moins risqué. La stratégie des moyens
de la force aérienne s’est, par ailleurs,
révélée adaptée. Elle a fait décroître
le nombre de ses appareils de combat plus rapidement que n’importe
quelle autre force aérienne d’Europe
occidentale, mais a utilisé les économies engendrées pour moderniser en
profondeur ceux qu’elle a conservés,
renouveler ses munitions, acheter une
série de pods (désignation, brouillage
électronique) ainsi que des viseurs de
casque, tout en maintenant un haut
degré d’entraînement de ses pilotes.
De la sorte, la force aérienne est apparue comme l’instrument le plus adapté
aux opérations de haute intensité, des
points de vue qualitatif comme quantitatif, mais aussi du point de vue du
poids politique qu’elle conférait à la
Belgique dans les processus de montage de coalition. Les appareils de la
force aérienne ont ainsi été engagés
au Kosovo, en Afghanistan et en Libye.
Au-delà, le rôle du F-16 dans la politique de défense belge est d’autant
plus important que ceux du 10e Wing
tactique basés à Kleine-Brogel sont
les vecteurs potentiels des bombes
nucléaires à gravité B61 qui y sont
stockées, dans le cadre de l’OTAN, sous
le régime de la double clé (7). En fin de
compte, l’enjeu du remplacement du
F-16 est donc celui du maintien des
capacités de combat belges de haute
intensité, mais aussi de l’influence
politique – relative – découlant de la
capacité nucléaire.
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Dossier
Armées
Les paramètres du débat
L’enjeu stratégique sera sans doute
un facteur d’influence mineur dans les
débats à venir dès lors que les partis
mettent systématiquement en avant
l’importance des retombées économiques potentielles dans l’hypothèse
d’un achat d’appareil de combat. Le
processus décisionnel belge en matière
d’acquisition de matériels militaires implique la recherche de compensations
économiques – quitte à ce que ces dernières entraînent des coûts plus élevés
(en moyenne, de 15 à 30%) qu’un achat
classique sur étagère. Wally Struys, professeur d’économie de défense, a calculé
que le choix d’un matériel particulier
repose sur une pondération représentant, en moyenne, 50% pour la qualité
opérationnelle, 30% pour le prix et 20%
pour les retombées économiques (8). Par
ailleurs, plus le volume budgétaire du
contrat est important, plus grands doivent être les retours sur investissement.
Pour ne rien simplifier, la répartition
de ces compensations doit concerner
des entreprises établies en Flandre et
en Wallonie. Historiquement, l’industrie aéronautique belge est puissante
comparativement à la taille du pays. La
SONACAetlaSociétéAnonymeBelgede
Constructions Aéronautiques (SABCA,
détenue à 53,28% par Dassault) ont participé à l’assemblage des F-104G, des
Mirage 5 et des F-16 belges et danois. La
division «moteurs» de la FN Herstal,
entre-temps devenue Techspace Aero
(Safran) reste positionnée dans le
secteur de la motorisation. Thales et
Thales Alenia Space disposent aussi
d’implantations. L’industrie représente
elle-même un lobby puissant dans un
pays dont la politique économique est
historiquement interventionniste et où
les enjeux liés à l’économie et à l’emploi
priment les autres.
Tout fabricant voulant vendre ses
appareils en Belgique devra donc proposer un schéma industriel en bonne
et due forme. À ce stade, Asco (Flandre)
est déjà impliqué sur le F-35, fournissant des cloisons internes, dont le
berceau du réacteur et Barco (Flandre
également) travaille sur une partie
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F-16 belges
De l’efficacité économique
à l’efficacité militaire
D
ans les années 1970, la Belgique choisit le F-16 en remplacement
du F-104 Starfighter, rejoignant ainsi les trois membres du « contrat
du siècle » (EPAF – European Participating Air Forces). Une première
commande porte sur 116 appareils (96 monoplaces et 20 biplaces),
devant être construits sous licence sur la chaîne de la SABCA (Société
Anonyme Belge de Constructions Aéronautiques) qui produit également
les avions danois – de même que trois autres pour l’US Air Force. Ils seront
livrés entre 1978 et 1985 tandis que 40 nouveaux monoplaces et quatre
biplaces sont commandés en février 1983. Pour l’industrie locale, le F-16
est source de retombées importantes : outre les appareils construits et
qui continuent d’être entretenus en Belgique, tous les réacteurs F-100
sont assemblés à la FN Herstal. Il faut cependant attendre la fin des
années 1980 pour que les avions soient équipés de leur système d’alerte
radar, le Dassault Carapace : un système interne de contre-mesures
électroniques, le Loral RAPPORT III devait initialement être intégré, mais
son développement avait été interrompu au début des années 1980.
Mais la force aérienne belge, qui compte 263 appareils de combat en 1992,
va subir une restructuration dès l’année suivante : les Mirage quittent le
service et seuls 72 F-16 restent opérationnels, 18 autres étant tenus en
réserve. Mais le F-16, qui devait sortir de service en 1999 selon les plans
initiaux, ne trouve aucun successeur. Les membres de l’EPAF s’engagent
alors, dans les années 1990, aux côtés des États-Unis dans le programme
Mid-Life Update (MLU) – l’essentiel du coût du MLU étant payé par les
États-Unis qui escomptent bien en retour, le moment venu, vendre le JAST
(qui deviendra ensuite le JSF) dont le programme est lancé en 1993. Les
90 appareils belges bénéficieront effectivement de cette modernisation
d’ampleur. L’ordinateur de bord est remplacé et les avions sont dotés de
la version (v)2 du radar APG-66, plus puissante, plus polyvalente et plus
fiable. Ils sont également câblés pour l’usage de l’AIM-120 AMRAAM
ou du pod de contre-mesures ALQ-131, en plus de nouveaux pods de
reconnaissance. Le cockpit est doté de nouveaux écrans ; la navigation
GPS, une liaison de données IDM (Improved Data Modem), un système
de gestion de la guerre électronique et les systèmes nécessaires à
l’utilisation de viseurs de casques (effectivement achetés par Bruxelles)
et à celle de systèmes d’atterrissages à guidage par micro-ondes sont
installés. Le renforcement structurel de l’appareil permet par ailleurs le
positionnement de pods de désignation sur les flancs de l’entrée d’air.
In fine, les dernières évolutions sont d’ordre logiciel (possibilité
d’intégration de l’AIM-120D, de l’AIM-9X, de l’IRIS-T, de l’AGM-154 JSOW,
de la GBU-39 SDB ou de la GBU-54 LJDAM) ou matériel (IFF Mode 5,
Liaison-16). Les F-16AM/BM, dont 54 exemplaires sont actuellement
en service, sont certainement les meilleurs avions de 4e génération
au monde. La mutualisation des dépenses a quant à elle permis à la
Belgique de les obtenir à très bon compte, en sachant que l’industrie
belge, qui reste discrète sur la question, en a très largement profité.
Reste que la success-story trouve également ses limites : pour les
États-Unis, il était vital de disposer de forces aériennes fortes durant
la guerre froide. Mais ces derniers, lors de la mise en place du
schéma industriel du JSF, ont rapidement écarté toute possibilité de
reproduire un type de partenariat qui s’est avéré coûteux pour eux, ne
laissant entrevoir aux États participant à son développement que la
perspective d’une coopération industrielle, ce qui exclut la Belgique.
des écrans – avec ou sans commande
belge. Comparativement, la SONACA,
la SABCA et Techspace Aero (toutes
trois situées en Wallonie) sont habituées à travailler avec Dassault, Airbus
ou Safran, mais ne semblent pas concernées par un appareil de combat européen. À voir donc, d’autant plus que si le
F-35 est industriellement relativement
bien placé – mais sans plus de marges
de manœuvre au vu d’une planification
déjà serrée –, son coût reste prohibitif,
pour autant qu’il soit possible de le calculer honnêtement. Actuellement, hors
R&D, il est de 159 millions de dollars
pour un F-35A de l’US Air Force commandé en 2014, soit nettement plus
que les concurrents potentiels : Rafale,
Gripen NG ou Typhoon.
Le Gripen NG n’a pour l’instant volé
qu’à l’état de démonstrateur du futur
Gripen E/F. Sauf modernisation des
actuels F-16, c’est a priori l’option
la moins coûteuse. (© Saab)
Le Rafale est l’option la plus polyvalente et
potentiellement la plus évolutive. Mais son coût
est aussi plus élevé que celui du Gripen…
(© Anthony Jeuland/armée de
l’Air via Dassault Aviation)
Les concurrents en lice
Le choix d’un appareil européen, s’il
serait cohérent avec le positionnement
pro-européen de la Belgique, serait tout
sauf anodin, militairement comme
budgétairement. Militairement, le
Typhoon paraît le plus mal placé industriellement (le schéma est bien
établi entre les différents États participants au programme), mais aussi techniquement : sa polyvalence est plus un
slogan qu’une réalité. Le GripenNG
paraît une bonne option, mais sa
conception même l’oriente plus vers
des missions de police du ciel que
vers des opérations expéditionnaires.
Le Rafale, biréacteur, semble mieux
placé pour les fonctions demandées à
la force aérienne belge. À la condition,
toutefois, que l’intégration des systèmes de pods et d’armement – y compris nucléaire (9) – soient réalisés et que
ces derniers ne doivent pas être remplacés par d’autres qui alourdiraient
la facture. À côté de ces options européennes, plusieurs pilotes, certains
ayant pu «voler» sur simulateur, ne
cachent pas leur préférence pour le
F-35 et mettent en avant les avantages
procurés par la furtivité comme par
la fusion de données dans la gestion
de la charge de travail de bord. Il faut
cependant noter que les performances en simulateur sont par définition
Avions et/ou navires ?
S
i le remplacement des F-16 doit être conduit entre 2023 et 2028, une question de
nature existentielle va se poser pour la marine. Achetées d’occasion en 2005, les deux
frégates de classe M (première entrée en service en 1991) belges devraient parvenir au
terme de leur vie opérationnelle au même moment, tout comme les chasseurs de mines
Tripartite. La culture navale belge est historiquement faible en dépit d’une réelle culture
maritime, qui s’appuie sur une importante flotte marchande et les ports d’Anvers et de
Zeebrugge. Si une marine royale a été mise en place en 1830, elle fut dissoute en 1865 et
aucune marine en bonne due forme (des marins belges ont toutefois embarqués sur des
navires français et britanniques durant la Grande Guerre) n’a été reformée avant 1939.
Ayant déjà la plus petite marine des États européens de taille moyenne, la Belgique est
engagée dans une structure binationale (amiral BENELUX) avec les Pays-Bas. Ceuxci entendent également remplacer leurs deux dernières Type M en ligne, la marine
néerlandaise ayant présenté en novembre 2013 le design d’une frégate de 145 m conçue
par ses soins et qui entrerait en service à partir de 2023. Le bâtiment, de conception
classique, comporterait une mâture intégrée, 16 lanceurs verticaux VLS, un canon de
76 mm et des armes téléopérées. Mais, si les Pays-Bas verraient d’un bon œil un achat
groupé avec la Belgique afin de réduire les coûts, rien ne dit cependant que celle-ci
disposera effectivement des budgets nécessaires au renouvellement de sa flotte, une
capacité pourtant indispensable au vu de la dépendance des exportations belges à la mer...
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Armées
théoriques – en matière de performances de vol, le F-35 est inférieur à
ses concurrents européens (voir tableau) –, que la fusion de données dépendra de la résolution des problèmes
logiciels rencontrés et que la furtivité
ne procurera qu’un avantage transitoire, sachant que l’appareil resterait
en service au-delà des années 2060.
Si l’on écarte ces options, il restera
celles de la revalorisation des actuels
F-16 et de l’achat du F-16 Block 60. Si
la première est moins coûteuse qu’un
achat sur étagère, elle ne fait cependant que repousser le problème d’une
dizaine d’années. Elle porterait en effet
essentiellement sur leur structure, dès
lors que les mises à jour logicielles dans
le cadre du programme EPAF (voir
encadré p. 56) ne sont pas appelées à
durer, les autres États membres basculant vers de nouveaux appareils. Quant
au F-16 Block 60, son prix unitaire estimé varie entre 80 et 100 millions de
dollars selon les sources : mécaniquement, une construction en tout ou en
partie en Belgique lui ferait dépasser les
Performances comparées
des concurrents sur le marché belge
Lockheed Martin
F-35A Lightning II
Saab Gripen
JAS 39E/F
Eurofighter
Typhoon
Dassault
Rafale B/C
Équipage
1
1(E), 2(F)
1 ou 2
1(C), 2(B)
Moteurs
1
1
2
2
28 000 (43 000
avec postcombustion)
13 000 (22 000
avec postcombustion)
26 000 (40 000 avec
postcombustion)
22 500 (34 000 avec
postcombustion)
0,87
1,06
1,07
0,99
1,6
2
2
1,8
Non
1,2
(avec 4 missiles air-air)
1,3
(avec 6 missiles air-air)
1,4
(avec 6 missiles air-air)
Rayon d’action
au combat
(mission air-air)
1 100 km
(carburant interne)
1 300 km
(avec réservoir ventral)
1 389 km
1 250 km
Distance
franchissable
en convoyage
(avec réservoirs
auxiliaires) (km)
2 220 (carburant interne)
4 000
3 790
3 700+
60 000
50 000
55 000
55 000
91,4
68,8
64
57,81
Classifiée
50 000
62 000
60 000
AN/APG-81 AESA
Raven AESA
(à terme)
CAPTOR-E AESA
(à terme)
RBE2-AA AESA
AAQ-40 EOTS
Selex Skyward G
PIRATE IRST
Sagem OSF
Viseur de casque
HMDS
(toujours en développement)
Cobra HMDS
Eurofighter HMSS
TopSight
Points d’emport
4 internes, 6 externes
10
13
14
Charge utile (livres)
18 000
(avec pylônes externes)
15 875
16 500
21 000
21 000
4 700
18 000
16 500
Puissance (livres)
Ratio poids/
puissance (charge
maximale de carburant
et armement air-air)
Vitesse
maximale (Mach)
Supercroisière
(Mach)
Plafond
opérationnel (pieds)
Charge ailaire
(livres/pieds carrés)
Vitesse
ascensionnelle
(pieds/minute)
Radar
Infrared Search
and Track
Coût à l’heure
de vol (incluant
le carburant,
les pièces
détachées et le
soutien) (dollars)
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Sources
: Lockheed Martin, Saab, Eurofighter, Dassault Aviation, CAPRI et IHS Jane’s (coûts)
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Le Typhoon emportant deux missiles de croisière KEPD-350 pour
des essais en vol. Conçu comme intercepteur, l’appareil n’est
rendu polyvalent que par extension de capacité. Un processus
qui aboutirait en théorie vers 2018… (© J. Gietl via Eurofighter)
130 millions de dollars. Et ce, pour un
monoréacteur dont le potentiel d’évolution restera faible comparativement
aux options européennes…
Le bourbier
politico-budgétaire
Reste que la question la plus délicate n’a pas encore été abordée : celle
de l’équation budgétaire fédérale. En
théorie, l’achat de nouveaux appareils
de combat s’effectuerait sur un budget
fédéral spécifique, le budget matériel
annuel des forces belges étant à peine
supérieur à 180 millions d’euros. En
pratique, l’état des finances publiques
belges est plus précaire que celui de la
France. Au troisième trimestre 2013, la
dette publique était de 393,6 milliards
pour 11 millions d’habitants (103,7%
du PIB) contre 1900,8 milliards pour
65,6 millions d’habitants (92,7% du
PIB) pour la France. De là à ce que le
débat se polarise non sur des aspects
stratégiques ou industriels, mais sur
des aspects de budget public – en dépit
du peu d’attention portée à sa défense
par Bruxelles et des sacrifices consentis
par les forces armées –, il pourrait n’y
avoir qu’un pas.
� J. H.
Des F-16E/F Block 60
émiriens. L’option est a
priori intéressante, mais
se révèle sans doute
aussi coûteuse qu’un
Rafale, et plus qu’un
Gripen. (© US Air Force)
Notes
(1) En l’occurrence, il s’agirait de mettre en place une «Leger
van de Lage Landen», soit une armée des Pays-Bas, au sens
bourguignon du terme. Dans pareil cadre, les forces armées
belges seraient alignées sur les néerlandaises, approfondissant
un processus déjà lancé. Depuis 1996, le commandement
opérationnel des marines belge et néerlandaise est intégré et
les membres du BENELUX vont mettre en place une police
commune du ciel. Voir http://www.legervandelagelanden.be/.
(2) L’essentiel des forces belges déployées au Congo relevaient
de la «force publique», distincte des forces armées, mais
dont les cadres en étaient issus. Les interventions extérieures
belges ont été relativement rares durant la guerre froide, en
dehors de l’envoi d’un bataillon en Corée, de l’opération sur
Kolwezi ou de quelques opérations de maintien de la paix.
(3) André Flahaut, « Interview du président de la Chambre
André Flahaut, ancien ministre de la Défense nationale
(14.07.1999 – 23.12.2007) », Pyramides, no 21, 2012, p. 53-64.
(4) L’ensemble de ces chiffres est tiré de Financial and
Economic Data Relating to NATO Defence, Bruxelles,
13 avril 2012 – http://www.nato.int/nato_static/assets/
pdf/pdf_2012_04/20120413_PR_CP_2012_047_rev1.pdf.
(5) Les véhicules de combat les plus lourds sont les Piranha IIIC,
déclinés en version de tir direct de 90 mm (18 véhicules pour
remplacer 130 Leopard 1), de transport de troupes, de combat
d’infanterie ou de soutien du génie. Seuls 138 exemplaires
sont achetés, de même que 220 Dingo (en remplacement
de 1000 blindés disponibles en 2000). L’adoption du
(6)
(7)
(8)
(9)
Piranha III exclut d’emblée toute déclinaison en obusier
de 155 mm et les 72 M-109 disponibles en 2000 sont
remplacés par 24 canons tractés de 105 mm (Raymond Dory,
« La transformation de la Défense : une étape aboutie? »,
Pyramides, no 21, 2012, p. 65-76). Actuellement, seules deux
brigades sont disponibles, dont une – la seule qui peut être
considérée comme opérationnelle dans son intégralité –
est centrée sur les parachutistes et les forces spéciales.
Deux frégates de classe Karel Doorman ont été
achetées d’occasion aux Pays-Bas en 2005.
Le gouvernement belge, contrairement aux gouvernements
néerlandais, allemand ou italien, ne reconnaît pas
officiellement la présence de ces armes. La littérature en la
matière est toutefois suffisamment claire. La planification
américaine prévoit de déployer en Belgique la version B61-12
de l’arme d’ici à 2019-2020. Voir Alain Lallemand, « Bombes
B61-12 : l’interview extensive de Kristensen », blog Bienvenue
dans le monde réel, 31 janvier 2014 – http://alainlallemand.
be/bombes-b61-12-linterview-extensive-de-kristensen/.
Voir André Dumoulin, Philippe Manigart et Wally
Struys, La Belgique et la politique européenne de
sécurité et de défense, Bruylant, Bruxelles, 2003.
Techniquement et contrairement à ce qui a pu être affirmé,
les armes américaines peuvent être installées sur des
appareils européens. Il en avait été un temps question
pour le Mirage 5, et les missions nucléaires allemandes
et italiennes seraient réalisées par des Tornado.
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Dossier
Entretien
Armées
Un F-16AM belge en vol avec
deux GBU-12 à guidage laser
et un pod Sniper. (© DoD)
« Le Mouvement réformateur
n’a pas arrêté son choix »
Entretien avec Denis Ducarme, député fédéral belge (Mouvement réformateur),
vice-président de la commission de la défense du Parlement fédéral belge
Le remplacement des F-16,
utilisés depuis 1979, fait
peu débat en Belgique. En
septembre, le ministre de la
Défense s’est positionné en
faveur du F-35 – il n’a jamais fait
mystère de sa préférence pour
cet appareil –, le PS réagissant
rapidement en indiquant que
l’option était inenvisageable.
Faut-il, selon vous, renouveler
la composante de combat de
la force aérienne belge ?
Le remplacement de nos F-16 est
une question fondamentale qui
scellera une part majeure du destin de notre défense nationale.
Resituons un peu la Belgique en termes militaires : c’est un pays moyen,
fondateur de l’UE et militant pour
66
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une convergence européenne en
matière de défense. La Belgique
est souvent aux avant-postes en
la matière. La Présidence belge
de l’Union en 2010 a œuvré à la
préparation des avancées du sommet européen de novembre 2011
en matière de pooling and sharing,
un résultat «pas trop pâle» à côté
de l’échec total du sommet de décembre 2013. C’est actuellement un
Belge qui commande l’Eurocorps
à Strasbourg. Nous abritons également le siège de l’OTAN. Nous
avons participé aux opérations de
l’ISAF en Afghanistan, à «Unified
Protector» en Libye, aux opérations en Somalie, au Liban. Nous
étions aux côtés de la France en
soutien logistique dans le cadre de
«Sangaris», pour laquelle je me suis
engagé personnellement devant
le Parlement belge; ou encore à
ses côtés au Mali, avec un appui
logistique aérien et médical, puis
en soutien de l’EUTM (European
Union Training Mission).
Voilà quelques éléments qui peuvent
aider vos lecteurs à se faire une idée
synthétique du plat pays en matière
militaire. Pour être plus complet, on
pourrait ajouter que, comme tous
les pays européens, la part du budget de défense belge dévolue à l’investissement diminue de manière
récurrente et que notre armée de
32000 militaires a subi plusieurs
vagues de réformes qui seront vraisemblablement complétées dès la
formation du prochain gouvernement. Certains journalistes écrivent
par ailleurs que la Belgique hébergerait des bombes B61 sur la base
de Kleine-Brogel. Bref, la Belgique
conserve une ambition militaire et
la volonté d’assumer sa part de responsabilités et de ne pas laisser aux
pays amis de l’Union et de l’OTAN
la charge de faire le boulot en son
nom et à sa place. Pour dire vrai, le
remplacement des F-16 fait en réalité plus que débat, il est au cœur de
toutes les conversations portant sur
l’avenir de notre défense nationale.
La tension politique s’accentue à ce
propos. Ce choix, en effet, s’il est budgétaire, est aussi presque de nature
philosophique.
La fiabilité de la composante de
combat de notre force aérienne
est reconnue internationalement,
les importantes modernisations
successives de nos F-16 et la qualité de nos pilotes sont appréciées
par nos alliés. Notre participation
à l’opération l’ISAF ou en Libye et
nos participations aux exercices
conjoints à l’échelle de l’OTAN ont
parfait cette bonne réputation. Mais
nos F-16, dans leur configuration
actuelle, arrivent néanmoins en
bout de course et devraient être
remplacés progressivement à partir
de 2023.
La gauche traditionnelle ou les Verts
sont dans leur majeure partie opposés au remplacement du F-16, comme
ils sont la plupart du temps opposés
à la présence d’armes nucléaires en
Belgique ou sont régulièrement réticents à la participation des forces
belges sur des théâtres d’opérations
internationaux. Vingt ans après le
décès de dix paras commandos
belges au Rwanda, c’est la peur de
revivre cet événement qui dicte la
politique à la gauche. Il aurait suffi
d’un décès parmi les 14200 Belges
engagés en Afghanistan depuis 2003
pour que le débat à ce propos tourne
à la crise politique et aux revendications de retrait.
Quand je les écoute dans nos débats
au Parlement, on croirait presque
qu’au prétexte que la guerre froide
est terminée, la menace n’existerait
plus. Leur manque de réalisme est
parfois affligeant. Quand on parle du
remplacement du F-16, on croirait
entendre Foch, tout au début du
XXe siècle, qui refusait d’envisager
l’aviation comme une nécessité du
schéma militaire moderne. À l’heure
où toutes les défenses européennes
sont en restructuration, bon nombre
de ces parlementaires reviennent
régulièrement avec des propositions
où les missions prioritaires de l’armée évolueraient vers l’aide à la nation ou l’humanitaire, ce qui s’oppose
au programme politique que nous
construisons au sein de ma famille
politique de centre droit. Leurs diatribes reviennent naturellement sur le coût
du remplacement
du F-16, «pharaonique», «démesuré»,
«inapproprié en
temps de crise»…
et prennent à témoin l’opinion
publique, désignant du
doigt
nos
thèses
comme celles
de petits prodigues
capricieux qui voudraient
s’acheter un nouveau jouet…
Bref, comme vous le voyez, j’ai un
peu de mal à le cacher, leur discours facile et déresponsabilisant,
populiste, m’irrite. Il n’est, en fait,
pas vraiment digne du parti d’un
Premier ministre. Plongés dans
le confort duveteux d’une Europe
sans conflits, ayant même rayé de
leur mémoire la guerre des Balkans
et la démonstration de notre impuissance, ils ignorent ou feignent
d’ignorer ce qui se trame en Afrique,
au Moyen-Orient, en Eurasie ou en
Asie et qui peut, à terme, constituer une menace pour la sécurité en
Europe. Il faut oser être réaliste en
matière de défense, voler à contrevent de ces «ramiers (1)» et être parfois politiquement ferme. Prendre
le temps d’éduquer aussi l’opinion
sur ces principes essentiels. C’est
tellement plus aisé de lui dire que
les armes et la guerre, c’est mal et
ça coûte cher…
Conserver une puissance de feu,
une capacité de projection, une part
de dissuasion est une nécessité au
cœur de laquelle se situe la question du remplacement du F-16. Et
si tous les pays européens suivaient
la doctrine portée par la gauche
belge dans les médias traditionnels
et ne remplaçaient pas leur composante de combat en fin de vie?
L’Europe serait tout simplement
en insécurité, politiquement inerte
et complètement dépendante
des États-Unis. Je ne peux pas
adhérer à ce destin-là. Par
ailleurs, la gauche des petits et moyens pays
n’intégrera
Le Rafale montrant ici sa configuration
d’emport incluant deux points supplémentaires
sous les ailes. Un candidat parmi d’autres.
(© Dassault Aviation/Sébastien Randé)
sans doute jamais que, quel que soit
le thème de la négociation abordé
par un pays ou une alliance, le
poids de ses arguments sera, aussi,
fonction de son poids militaire. La
realpolitik a encore de beaux jours
devant elle. L’oublier constitue une
faute politique majeure.
Pour répondre à l’option privilégiée
par notre ministre de la Défense,
qui serait par ailleurs candidat à
une fonction importante au sein
de l’OTAN, je souhaite m’autoriser
Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014
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Dossier
Entretien
Armées
un court rétroacte. J’ai pu négocier
l’accord de gouvernement belge au
nom de ma formation politique,
troisième derrière les nationalistes
flamands et les socialistes francophones. Personne ne voulait d’un
débat sur le remplacement du F-16.
Après plusieurs réunions, j’ai toutefois obtenu un accord qui verra
notre commission parlementaire
de la défense aborder la question
dans les semaines qui viennent.
Le ministre de la Défense a pris les
devants et présentera sans doute
quelques options. Il a pu avancer sa
thèse personnelle, celle du F-35. Sa
candidature à l’OTAN l’influencet-elle en faveur de l’option américaine? Certains le disent. Difficile
de faire intégralement l’impasse
sur cette hypothèse, mais il faut se
garder d’ériger certaines suppositions en vérité.
Par ailleurs, vous le savez, en
Belgique, l’aspect communautaire
n’est jamais très éloigné. Les nationalistes flamands plaident pour
une convergence militaire avec les
Pays-Bas que certains qualifient
parfois d’armée «orangiste», ce
qui renvoie à Guillaume d’Orange
et à une Belgique sous la tutelle des
Pays-Bas après Waterloo. Un des
axes de cette «collaboration» repose
sur l’acquisition du F-35. Chacun sait
que les Pays-Bas se sont engagés dès
le départ dans le programme JSF.
Différentes thèses se rejoignent ainsi
au nord de Bruxelles, qui verraient
la Belgique reprendre à sa charge
une partie de la commande initiale
de F-35 abandonnée par les PaysBas sous la contrainte budgétaire.
L’option pourrait séduire, mais ce
n’est pas à la lumière de rapprochements flamando-néerlandais ou à
celle de positionnements personnels
proaméricains que nous devrons
juger des qualités du remplaçant
du F-16.
Une interview parue le
13 décembre dans La Libre
Belgique indiquait que le F-35
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Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014
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était le choix du Mouvement
réformateur, ce à quoi vous
ajoutiez que les appareils
européens « sont moins
multirôles que les F-35,
sur lesquels il est possible
d’embarquer une bombe B61 ».
Le pensez-vous vraiment ?
Nous n’avons jamais dit cela. Les
approximations sur ce type de dossier sont irresponsables. Les choses
sont évidemment moins simples
que cela… Le Mouvement réformateur n’a pas arrêté son choix.
Nous travaillons sur les différentes options. Le F-35 demeure
une possibilité comme les autres :
le Gripen, le Rafale, le Typhoon.
Une autre option également envisageable à court ou moyen terme
réside en une ultime prolongation
du F-16, avantageuse sur le plan
antimilitariste, gagne ce bras de fer,
est ce que j’appelle le «syndrome
Léopold III» : une obsession de
la neutralité, de retrait du monde
réel et de négation de la menace
qui implique un désengagement et
un désinvestissement en matière
militaire.
Pour ce qui concerne l’adaptation d’une arme nucléaire B61,
celle-ci est parfaitement adaptable sur d’autres chasseurs que
les américains. En ce sens, même
si la Belgique devait demeurer
liée à la dissuasion nucléaire de
l’OTAN, ce n’est pas cet aspect qui
devrait guider notre choix. Il est
clair que certains lobbies se sont
mis en marche et tendent à nous
désigner la voie américaine comme
la seule opportunité viable. Je n’y
crois pas.
Le Gripen, un appareil certes
adapté à la police du ciel, mais
dont les qualités expéditionnaires
sont limitées. (© Saab)
financier et qui vaudrait pour 10 à
15 années. Quelle que soit l’option
retenue, elle vaudra mieux que
le vide. Ce que je redoute le plus
est l’absence de décision dans les
cinq ans à venir : cela impliquerait probablement que la Belgique
n’investirait plus jamais dans ce
domaine. À terme et de manière
générale, ce qui nous guette, si la
gauche politique, de plus en plus
Le F-35 subit nombre de
critiques, que ce soit de la part
du Pentagone ou d’instituts de
recherche indépendants. Quels
seraient les déterminants d’un
éventuel choix de l’appareil ?
Nous n’avons pas arrêté notre
choix, je viens de vous le dire. Un
des déterminants de notre choix
reposera naturellement sur les retombées économiques en faveur
Le Typhoon excelle dans les
missions air-air, mais n’a entamé
que récemment sa longue
marche vers la polyvalence.
(© Eurofighter/Geoffrey Lee)
de nos entreprises. Selon une information que j’ai reçue, Lockheed
Martin estimerait que le marché
belge est trop petit pour envisager
toute compensation. Et nous ne
ferons naturellement pas comme
les Japonais : installer une chaîne
de montage pour garantir les retombées économiques et sociales.
Il faut être clair sur ce dossier, si
Lockheed Martin estime notre
marché «trop petit», je n’ai aucun
problème à affirmer que le F-35
est «trop cher» et à plaider pour
que les seuls F-35 que la Belgique
acquièrent soient, à la limite, des
modèles réduits.
La problématique des petits marchés et des coûts prohibitifs soulèvent une question qui devra voir
les États européens envisager à
terme davantage de programmes,
des commandes et des coopérations
opérationnelles multinationales.
L’exigence du retour industriel
complexifie naturellement ces engagements. Je pense néanmoins que
cette option s’imposera davantage
à l’avenir, dût-elle réunir davantage
les petits et moyens pays.
Les pays membres du BENELUX
ont signé un accord de principe
autour de la gestion commune
de la police du ciel à partir de
2016. Dans le même temps, les
Alphajet belges basés à Cazaux
dans le cadre de l’AJETS sont en
fin de potentiel. Est-ce à dire
que les coopérations francobelges dans le domaine aérien
sont condamnées, à terme ?
Je ne le pense pas, au contraire. La
France a récemment lancé une étude
sur sa vision future de la formation.
La Belgique est invitée à la réflexion.
Une partie de la formation commune
future pourrait aussi s’organiser sur
notre territoire et intéresser d’autres
pays. Nous sommes ouverts à ces
possibilités. En matière de police du
ciel, comme avec la chasse hollandaise, nous avons des accords avec la
France pour des exercices communs.
Je suis favorable à un élargissement
de ce travail commun pour assurer la
sécurité de nos espaces aériens. Par
ailleurs, le premier pilote français
breveté F-16 arrivera prochainement
à Florennes. Voilà encore un exemple de coopération que j’encourage.
Nous pourrions cependant aller plus
loin et faire davantage.
La France a en effet parfois manqué
de réactivité à nos propositions. La
coopération franco-belge pourrait
être accentuée sous la prochaine législature. Nous avons pu avoir plusieurs réunions avec nos homologues
français pour plaider le renforcement
de notre collaboration. Le problème
de fond réside sans doute dans le fait
que la France demeure parfois assez imperméable aux appels de pays
moyens et axerait plus volontiers sa
collaboration avec de grands pays
européens. Je ne suis pas certain que
cette option favorise son rayonnement, je ne suis pas certain non plus
que l’axe franco-britannique porte les
fruits escomptés, mais ce n’est pas à
moi d’en juger. Néanmoins, j’ai eu des
contacts avec l’ambassade de France
et ai demandé à mes homologues français, à l’occasion de l’Université d’été
de la défense 2013, qu’une rencontre
s’organise à l’Assemblée nationale afin
de dresser la liste des opportunités de
collaboration, qui se déroulera fin
février. J’ai également demandé une
entrevue avec les services du ministre
français de la Défense; j’avais pu avoir
des contacts avec Gérard Longuet
dans ce sens avant que l’UMP ne
quitte les responsabilités. J’espère
que nous concrétiserons davantage
d’axes de collaboration. On verra si
la France regarde au nord avec un
peu d’attention; si ce n’est pas le cas,
c’est nous qui regarderons un peu
plus ailleurs.
Propos recueillis par Joseph Henrotin,
le 6 février 2014
Note
(1) NDLR : militaire fainéant.
Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014
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Dossier
Entretien
Armées
« Il faut arrêter de faire
croire aux citoyens que
tout est possible »
Entretien avec Christophe Lacroix,
député fédéral belge (PS)
Le remplacement des F-16,
utilisés depuis 1979, fait
peu débat en Belgique. En
septembre 2013, le ministre de
la Défense s’est positionné en
faveur du F-35 – au demeurant,
il n’a jamais fait mystère de sa
préférence pour cet appareil.
Vous aviez réagi rapidement
en indiquant que l’option
n’était pas envisageable…
Même si la question du remplacement des F-16 n’est pas évoquée
quotidiennement en Belgique, le
sujet fait débat en raison des deux
enjeux majeurs qu’il représente,
l’un stratégique, l’autre budgétaire.
L’interopérabilité constitue mon
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Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014
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cheval de bataille en matière de
défense. Ceci implique une vision
stratégique et une volonté politique d’intégrer notre armée dans
un échelon européen, ainsi que
des investissements, tant en ressources humaines qu’en matériel
militaire.
Le PS est favorable à une rigueur budgétaire saine et réfléchie.
Toutes les dépenses de l’État ont
été passées au crible et les investissements mûrement réfléchis.
La Défense nationale n’échappe
pas à la règle. Ce département
fait, comme tous les autres, des
efforts.
Il faut donc arrêter de faire croire
aux citoyens que tout est possible.
On ne pourra pas à la fois renouveler notre flotte et nos avions de
chasse, signer une lettre d’intention pour des drones, acheter de
nouveaux véhicules pour l’armée
de terre et investir dans la composante médicale sans définir une
vision stratégique.
Si certains veulent, avec légèreté,
dépenser des sommes de cinq à six
milliards d’euros sans réflexion
globale, ce sera sans nous! Il faut
cesser d’investir dans un océan
de projets sans savoir où l’on va.
Concentrons nos efforts au profit
de nos capacités militaires, mais
aussi des emplois et de l’indépendance technologique européenne.
La défense est l’un des derniers leviers tangibles dont dispose l’État
fédéral pour consentir des investissements de relance majeurs. Or,
à l’heure actuelle, je ne vois aucun
Atterrissage d’un F-16 belge à
Azraq (Jordanie) au cours du
Falcon Air Meet 2007.
Sur les 160 appareils
commandés – et construits sous
licence en Belgique –, seuls 54
restent opérationnels. (© DoD)
sur les investissements militaires
majeurs se tienne avant la fin de
cette législature, conformément à
l’accord de gouvernement. Ensuite,
il faut rechercher des synergies
européennes en faisant l’inventaire des besoins de nos partenaires.
Nous attendons la rédaction d’un
véritable plan stratégique couplé
à un plan d’investissements. Notre
préférence va à un modèle fiable et
correspondant aux spécificités de
notre armée, dans le contexte européen et OTAN. Nous exigeons enfin
des retours économiques et technologiques pour l’industrie belge
et européenne de la défense.
À l’heure actuelle, aucune de
ces conditions n’est remplie. Au
contraire, une série de rapports
jugent que le F-35 n’est pas totalement fiable. L’Inspection générale
Le développement du F-35 s’avère
des plus complexes. Cœur du
système, le logiciel de plus de
8,5 millions de lignes de code ne
permet toujours par d’utiliser le
canon de bord… (© US Air Force)
de ces éléments dans le débat sur
le remplacement des F-16.
Le PS n’accepte pas les prises de position, sans concertation, en faveur
du F-35 pour remplacer les F-16.
Mais il ne ferme pas pour autant la
porte au débat et à la possibilité de
faire de tels investissements.
Nous demandons, au préalable,
le respect de plusieurs règles élémentaires. Il faut d’abord un débat parlementaire. Mon groupe a
demandé officiellement que celui
du Pentagone a, par exemple, répertorié 343 problèmes liés à la
conception et à la réalisation du
F-35 Lightning II. Est-ce vraiment
ce choix – à neuf zéros et sans retour démontré pour notre économie – que nous voulons pour assurer l’excellence de l’armée belge?
Mon devoir de parlementaire est
de poser des questions et, surtout,
d’y apporter des réponses, en toute
transparence, et en disposant de
toutes les informations.
Vous aviez également demandé :
« Faut-il encore une chasse
belge ? Peut-être a-t-on besoin
d’une chasse européenne ? »
Au vu des faibles progrès
réalisés dans le domaine de
la coopération européenne
de défense, comment y
parvenir selon vous ?
Les armées nationales sont à un
tournant de leur histoire pour des
raisons tant budgétaires qu’historiques ou géopolitiques. La Belgique
doit continuer d’être un acteur fiable, reconnu en matière de chasse.
Mon but est de lancer un débat au
niveau européen. Car, quel est le
coût de la «non-Europe» en la
matière? Je pense aux frais de développement, de maintenance ou
d’entraînement et à l’absence de
retombées économiques potentielles. L’accord de gouvernement
prévoit que le ministre de la Défense
rédige un plan stratégique. C’est ce
plan qui devra guider la réponse
à ces questions. Nous l’attendons
toujours…
Il ne suffit pas d’acheter un avion
de chasse «Ikea», il faut penser à
l’avenir, aux conséquences financières et stratégiques. L’objectif est de
construire une souveraineté militaire européenne mutualisée, non
d’entretenir une dépendance dangereuse vis-à-vis de tel ou tel État
membre, notamment pour le rachat
coûteux de certains équipements
majeurs. Le dossier des F-16 est de
ce point de vue symptomatique.
Ma formation politique est à l’origine d’une résolution relative à
l’avenir de l’armée belge dans un
cadre européen. Le texte, adopté
par la Chambre, a servi de base à
la position de la Belgique au sommet européen de décembre dernier.
Hélas, toutes les délégations ne disposaient pas d’un mandat aussi clair
et volontariste. Le réflexe national
l’emporte trop souvent. Mais je crois
qu’à moyen ou long terme, beaucoup
se rendront compte que l’Europe
ne peut continuer d’être un géant
Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014
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Dossier
Entretien
Armées
économique et un nain diplomatique. La défense européenne est, en
partie, une réponse à ce problème.
Cela prendra sans doute encore du
temps, mais je ne désespère pas,
sous l’impulsion de pays comme la
Belgique, un jour tout ceci se fera.
La Belgique et le PS ne se sont jamais contentés de mots, aussi forts
soient-ils. Notre pays a ainsi multiplié les initiatives : développement
de B-FAST (Belgian First Aid and
Support Team) et volonté d’impulser une nouvelle dynamique au système d’aide humanitaire EUFAST,
participation à des programmes
industriels ambitieux comme
l’A400M, formation commune en
France des pilotes belges et français, etc. Aujourd’hui, pour relever
ces défis européens, le PS belge met
en avant trois priorités :
• rationaliser les structures
existantes tant au niveau national
qu’au niveau européen. Il ne s’agit
pas de fusionner ou de juxtaposer
les armées des États membres,
mais, d’améliorer les structures de
décision de la Politique de Sécurité
et de Défense Commune (PSDC),
en mettant en place une structure d’état-major opérationnelle
au niveau européen (Military
Planning and Conduct Capacity),
de rationaliser les quartiers généraux européens, de désigner
des attachés militaires au sein des
délégations de l’UE, d’optimaliser
le système européen de financement des opérations militaires et
de transformer les Battle Groups
en force de réaction rapide, interarmées et effective;
• privilégier une approche
duale civile-militaire dans la recherche scientifique et technologique. L’indépendance stratégique européenne doit passer
par la consolidation de sa base
industrielle et technologique de
défense, ainsi que par la compatibilité des équipements lors
des opérations. Cette cohérence
doit permettre une convergence
européenne en matière d’achats
militaires et de politique industrielle, notamment via des outils
technologiques innovants et compétitifs, avec des synergies entre
les domaines civil et militaire dans
la recherche et développement.
Une telle coopération aura des
retombées positives pour l’emploi, la croissance, l’innovation
et la compétitivité industrielle de
l’Union européenne;
• développer un véritable esprit
de corps entre les personnels et
étudiants militaires en formation
des États membres de l’UE. Il s’agit
d’approfondir l’application, dans
les institutions militaires d’enseignement supérieur, du processus de Bologne et du programme
La Belgique a commandé neuf A400M – un achat politiquement plus
consensuel que celui d’appareils de combat – qui doivent remplacer
les 11 C-130 actuellement en service. (© Airbus Military)
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Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014
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Un NH90 TTH néo-zélandais. Le premier
des quatre TTH belges (quatre NFH
ont également été commandés) a été
livré le 2 octobre 2013. En Belgique,
l’ensemble des hélicoptères relève de
la force aérienne, à l’exception, pour le
moment, des Alouette III de la marine.
(© Airbus Helicopters/Anthony Pecchi)
Erasmus, à l’instar de ce qui se fait
dans les universités européennes
civiles, et d’amplifier la version
militaire du programme Erasmus,
l’EMilYO (Exchange of Military
Young Officers).
La construction d’une «Europe de la
défense» au service des populations
européennes et du monde entier
est un défi cher à la gauche belge
et européenne. Car les premières
victimes de violences, de catastrophes naturelles ou humanitaires
sont souvent les plus faibles.
La remise en question de
l’existence de la chasse belge
dépasse la seule force aérienne :
depuis 1993 et l’embuscade
ayant causé la mort de dix
parachutistes, la Belgique
je tiens à préciser que les recommandations existantes restent bel
et bien en vigueur et que l’on doit
s’y tenir.
est particulièrement frileuse
en matière d’engagement au
combat au sol, ce qui implique
de sa part un rôle accru dans
les opérations aériennes dès
qu’il s’agit de peser dans une
coalition. C’est donc une fonction
centrale. Quelle est votre
vision de ce que devrait être la
politique de défense belge ?
Plus qu’une remise en question, il
convient de mettre en perspective
l’engagement belge dans le monde
et de mener un débat sur l’ensemble
des missions à l’étranger, qu’elles
aient lieu dans le cadre de l’ONU, de
l’OTAN ou de la PSDC. La priorité
est et reste l’opérationnalité de la
défense belge, sans fixer de «quotas» sur le nombre de militaires
belges à maintenir en opération.
Certaines régions, au regard de leur
contexte géopolitique, restent essentielles, notamment vis-à-vis de
nos engagements onusien et européen : Liban, Corne de l’Afrique,
Mali, RDC. Les débats autour d’une
hypothétique aide belge pour le démantèlement de l’arsenal chimique
syrien ou en République centrafricaine illustrent l’importance et la
reconnaissance internationale de
notre expertise.
Malgré un contexte budgétaire difficile, le gouvernement a affiché
une ambition forte pour la défense
belge : celui d’être un partenaire
fiable capable de se projeter sur les
théâtres d’opérations extérieurs
tout en lui permettant d’assumer
ses missions sur le territoire national. La proactivité de notre pays
en Libye, au Liban, dans la Corne
de l’Afrique ou ailleurs en Afrique
en témoigne. Notre présence, en
soutien à la diplomatie belge ou
européenne, apparaît essentielle.
Les défis qui se posent à l’échelle
internationale notamment en termes de maintien de la paix et de
défense des valeurs démocratiques
sont des priorités de même que la
formation et l’ « empowerment » de
forces étrangères comme c’est le cas
notamment aujourd’hui au Mali ou
en RDC. Cette présence en opération doit rester une priorité pour
le prochain gouvernement en impliquant pleinement le parlement
dans un processus transparent.
Concernant le débat « postRwanda », les socialistes estiment
que, plus de quinze ans après les
conclusions du Sénat sur le drame
du Rwanda, dont nous commémorerons bientôt le 20e anniversaire,
ce débat important mérite d’être
rouvert. Si nous voulons renforcer
notre contribution à une mission
précise dans le monde, en ce compris avec des « boots on the ground »,
nous devons vraiment être sûrs que
sa valeur ajoutée soit réelle. Pour
nous cependant, en attendant une
éventuelle ouverture d’un débat général et parlementaire sur le sujet,
Vous indiquiez le 10 octobre
sur votre site qu’« il [était] plus
vraisemblable d’envisager [le
retrait du F-16], entre 2025
et 2030, et si nécessaire [de
procéder] alors [à] une dernière
mise à niveau à coût modeste.
Il n’y a donc pas d’urgence à
remplacer ces avions ». Mais au
vu du potentiel des appareils
– déjà bien entamé – et des
mécanismes spécifiques de
modernisation des F-16 (qui
dépendent largement des
Américains), comment faire ?
Nous pouvons (devons?) nous
donner le temps nécessaire à la
réflexion et répondre aux contraintes budgétaires actuelles sans que
notre capacité à nous déployer soit
atteinte. La modernisation en cours
des F-16 nous permet de joindre
ces deux impératifs jusqu’en 2025
au moins. La décision prise en septembre dernier par le gouvernement va dans ce sens. Les futures
décisions de remplacement de nos
F-16 devront se baser sur les besoins
opérationnels de notre composante
aérienne, mais aussi sur les propositions formulées par les pays et par
les industriels qui sont susceptibles
de fournir ces systèmes d’armes.
Le débat que j’ai demandé en commission des achats militaires doit
permettre de « dépassionner » cette
question et d’apporter tous les éclairages nécessaires, tant sur le prolongement des F-16 que sur leur remplacement échelonné. Avant de prendre
des options politiques, nous devons
connaître les possibilités qui s’offrent
à nous, leurs implications budgétaires
et technologiques, mais surtout nous
devons connaître le rôle stratégique
que veut se donner la Belgique.
Propos recueillis par Joseph Henrotin,
le 6 février 2014
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