DSI_101_F-16BELGES - DSI – Défense et Sécurité Internationale
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DSI_101_F-16BELGES - DSI – Défense et Sécurité Internationale
Dossier Armées Atterrissage d’un F-16 belge en Pologne. Les carénages du système de détection d’alerte radar sont visibles sous l’entrée d’air et sur la partie supérieure du carénage abritant le parachute de queue. (© Konflikty.pl) Remplacement des F-16 belges Les données du débat Entrés en service en 1980 et depuis lors modernisés à plusieurs reprises, les F-16 de la force aérienne belge devraient atteindre la fin de leur carrière opérationnelle au début des années 2020. Longtemps reportée – en 1999, la Belgique a choisi de ne pas participer au développement du JSF –, la décision belge de les remplacer est récemment revenue sur le devant de la scène médiatique. Ce sera au prochain gouvernement, issu des élections du 25 mai 2014, de trancher. Par Joseph Henrotin, chargé de recherche au CAPRI L es tenants et les aboutissants de la question sont nombreux et sont rendus plus complexes du fait de la structure fédérale du pays, mais aussi de sa culture politique – l’importance donnée au consensus – et des particularités de son processus décisionnel. Si c’est au gouvernement fédéral de prendre effectivement la décision de 60 Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014 www.dsi-presse.com remplacer les appareils – et d’annoncer le vainqueur d’une compétition qui serait lancée –, l’exécutif doit mettre en œuvre un programme de gouvernement négocié entre les partis membres de ladite coalition au moment de sa formation. Les partis politiques, qui peaufinent actuellement leurs programmes électoraux respectifs et les éventuels chapitres «défense» qui y sont inclus, jouent donc un rôle central dans ce processus, sans doute plus en Belgique qu’ailleurs en Europe. C’est pourquoi, dans ce dossier, nous avons choisi d’interviewer deux représentants des deux plus grands partis francophones, le Parti socialiste (PS, 13,71% à la chambre des députés en 2010) et le Mouvement réformateur (MR, centre droit, 9,28%), en sachant que les positions des plus grands partis flamands sont connues. L’actuel ministre de la Défense, Pieter De Crem, issu du CD&V (démocrate-chrétien, 10,85%), n’a jamais fait mystère de sa préférence pour le F-35 et la N-VA (nationalistes flamands, 17,4%) s’oriente elle aussi vers cette option, en raison de la logique qu’elle poursuit en matière de politique de défense (1). La position des autres partis est également connue, tout en étant susceptible d’évoluer au fur et à mesure de la rédaction de leurs programmes de défense. Le SP-A (socialistes flamands), Ecolo et Groen (écologistes francophones et flamands) prônent le nonremplacement des appareils de combat, le CDH (centre francophone) et l’Open VLD (libéraux flamands) – des partis de l’actuelle coalition qui pourraient jouer un rôle pivot dans la prochaine – ont une attitude plus attentiste. Le rôle particulier des avions de combat en Belgique De facto, la question même du remplacement des F-16 fait débat, quoique d’une manière très limitée, comme habituellement lorsqu’il s’agit de défense. Ce débat s’est pour l’instant réduit à quelques rares interviews et articles dans la presse et à quelques questions parlementaires posées à l’issue de déclarations du ministre de la Défense. Ce dernier indiquait en décembre 2013 que le remplacement des F-16 était indispensable si la Belgique voulait rester un « partenaire fiable » pour ses alliés, précisant dans la foulée que 40 appareils seraient nécessaires. La composante de combat de la force aérienne belge joue en effet, depuis une vingtaine d’années, un rôle central dans la politique de défense belge, qui s’explique par une culture militaire là aussi spécifique. La défense territoriale y tient une place importante, à la fois héritage des années de neutralité – de l’indépendance du pays en 1830 à la Seconde Guerre mondiale – et reliquat de la guerre froide, qui favorise naturellement les forces terrestres. Or le tournant des années 1990 a été celui de la recherche de la projection en tant que mode principal d’action (2). Mais le déploiement de forces belges dans la mission des Nations unies au Rwanda (1993) fut un fiasco : avec une force mal équipée du fait du refus politique d’engager les moyens nécessaires et soumise aux très restrictives règles d’engagement de l’ONU, il a débouché sur la mort de dix parachutistes tués dans une embuscade en plein génocide. Ce qui apparaît comme un traumatisme a induit des conséquences profondes sur les structures de forces, d’autant plus qu’il s’est produit sur un terreau antimilitariste important dans le nord du pays et dans un contexte marqué par un consensus politique généralisé et structurel sur la nécessité de réduire les dépenses de défense. Ancien ministre de la Défense, André Flahaut déclarait ainsi en 2012 que « la défense n’a jamais constitué, et aujourd’hui moins qu’hier, une priorité. Il faut s’accommoder de cette réalité (3) ». L’érosion du budget de défense belge est donc patente : de 1998 à 2012, en valeur constante, il a diminué de 26%. Les dépenses de défense représentent ainsi 1,1% du PIB en 2011 – 2,7 milliards d’euros en 2013 (hors pensions) –, la part dévolue aux nouveaux matériels étant systématiquement une des trois plus faibles de l’OTAN depuis ces dix dernières années, soit 6,4% en 2011 (4). Dans pareil cadre, au fil des réformes, les forces terrestres, dont l’engagement est politiquement considéré comme risqué, ont subi un processus de minorisation Alignement de Mirage 5R (reconnaissance) dans les années 1980. Les choix matériels de la force aérienne belge n’excluent pas historiquement les appareils non américains. (© DoD) qui s’est traduit, en 2000, par un plan de modernisation évinçant l’option du combat de haute intensité, conséquence logique d’une vision centrée sur la «spécialisation des forces», mais aussi de l’adoption d’une approche fondée sur les familles de véhicules (5). De facto, à partir de ce moment, les forces terrestres belges ont essentiellement été engagées dans des missions de «force protection» ou de formation, y compris en Afghanistan. Le corollaire de ces évolutions fut une mise en avant des capacités navales (6) et, surtout, aériennes, dont l’engagement était considéré comme moins risqué. La stratégie des moyens de la force aérienne s’est, par ailleurs, révélée adaptée. Elle a fait décroître le nombre de ses appareils de combat plus rapidement que n’importe quelle autre force aérienne d’Europe occidentale, mais a utilisé les économies engendrées pour moderniser en profondeur ceux qu’elle a conservés, renouveler ses munitions, acheter une série de pods (désignation, brouillage électronique) ainsi que des viseurs de casque, tout en maintenant un haut degré d’entraînement de ses pilotes. De la sorte, la force aérienne est apparue comme l’instrument le plus adapté aux opérations de haute intensité, des points de vue qualitatif comme quantitatif, mais aussi du point de vue du poids politique qu’elle conférait à la Belgique dans les processus de montage de coalition. Les appareils de la force aérienne ont ainsi été engagés au Kosovo, en Afghanistan et en Libye. Au-delà, le rôle du F-16 dans la politique de défense belge est d’autant plus important que ceux du 10e Wing tactique basés à Kleine-Brogel sont les vecteurs potentiels des bombes nucléaires à gravité B61 qui y sont stockées, dans le cadre de l’OTAN, sous le régime de la double clé (7). En fin de compte, l’enjeu du remplacement du F-16 est donc celui du maintien des capacités de combat belges de haute intensité, mais aussi de l’influence politique – relative – découlant de la capacité nucléaire. Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014 www.dsi-presse.com 61 Dossier Armées Les paramètres du débat L’enjeu stratégique sera sans doute un facteur d’influence mineur dans les débats à venir dès lors que les partis mettent systématiquement en avant l’importance des retombées économiques potentielles dans l’hypothèse d’un achat d’appareil de combat. Le processus décisionnel belge en matière d’acquisition de matériels militaires implique la recherche de compensations économiques – quitte à ce que ces dernières entraînent des coûts plus élevés (en moyenne, de 15 à 30%) qu’un achat classique sur étagère. Wally Struys, professeur d’économie de défense, a calculé que le choix d’un matériel particulier repose sur une pondération représentant, en moyenne, 50% pour la qualité opérationnelle, 30% pour le prix et 20% pour les retombées économiques (8). Par ailleurs, plus le volume budgétaire du contrat est important, plus grands doivent être les retours sur investissement. Pour ne rien simplifier, la répartition de ces compensations doit concerner des entreprises établies en Flandre et en Wallonie. Historiquement, l’industrie aéronautique belge est puissante comparativement à la taille du pays. La SONACAetlaSociétéAnonymeBelgede Constructions Aéronautiques (SABCA, détenue à 53,28% par Dassault) ont participé à l’assemblage des F-104G, des Mirage 5 et des F-16 belges et danois. La division «moteurs» de la FN Herstal, entre-temps devenue Techspace Aero (Safran) reste positionnée dans le secteur de la motorisation. Thales et Thales Alenia Space disposent aussi d’implantations. L’industrie représente elle-même un lobby puissant dans un pays dont la politique économique est historiquement interventionniste et où les enjeux liés à l’économie et à l’emploi priment les autres. Tout fabricant voulant vendre ses appareils en Belgique devra donc proposer un schéma industriel en bonne et due forme. À ce stade, Asco (Flandre) est déjà impliqué sur le F-35, fournissant des cloisons internes, dont le berceau du réacteur et Barco (Flandre également) travaille sur une partie 62 Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014 www.dsi-presse.com F-16 belges De l’efficacité économique à l’efficacité militaire D ans les années 1970, la Belgique choisit le F-16 en remplacement du F-104 Starfighter, rejoignant ainsi les trois membres du « contrat du siècle » (EPAF – European Participating Air Forces). Une première commande porte sur 116 appareils (96 monoplaces et 20 biplaces), devant être construits sous licence sur la chaîne de la SABCA (Société Anonyme Belge de Constructions Aéronautiques) qui produit également les avions danois – de même que trois autres pour l’US Air Force. Ils seront livrés entre 1978 et 1985 tandis que 40 nouveaux monoplaces et quatre biplaces sont commandés en février 1983. Pour l’industrie locale, le F-16 est source de retombées importantes : outre les appareils construits et qui continuent d’être entretenus en Belgique, tous les réacteurs F-100 sont assemblés à la FN Herstal. Il faut cependant attendre la fin des années 1980 pour que les avions soient équipés de leur système d’alerte radar, le Dassault Carapace : un système interne de contre-mesures électroniques, le Loral RAPPORT III devait initialement être intégré, mais son développement avait été interrompu au début des années 1980. Mais la force aérienne belge, qui compte 263 appareils de combat en 1992, va subir une restructuration dès l’année suivante : les Mirage quittent le service et seuls 72 F-16 restent opérationnels, 18 autres étant tenus en réserve. Mais le F-16, qui devait sortir de service en 1999 selon les plans initiaux, ne trouve aucun successeur. Les membres de l’EPAF s’engagent alors, dans les années 1990, aux côtés des États-Unis dans le programme Mid-Life Update (MLU) – l’essentiel du coût du MLU étant payé par les États-Unis qui escomptent bien en retour, le moment venu, vendre le JAST (qui deviendra ensuite le JSF) dont le programme est lancé en 1993. Les 90 appareils belges bénéficieront effectivement de cette modernisation d’ampleur. L’ordinateur de bord est remplacé et les avions sont dotés de la version (v)2 du radar APG-66, plus puissante, plus polyvalente et plus fiable. Ils sont également câblés pour l’usage de l’AIM-120 AMRAAM ou du pod de contre-mesures ALQ-131, en plus de nouveaux pods de reconnaissance. Le cockpit est doté de nouveaux écrans ; la navigation GPS, une liaison de données IDM (Improved Data Modem), un système de gestion de la guerre électronique et les systèmes nécessaires à l’utilisation de viseurs de casques (effectivement achetés par Bruxelles) et à celle de systèmes d’atterrissages à guidage par micro-ondes sont installés. Le renforcement structurel de l’appareil permet par ailleurs le positionnement de pods de désignation sur les flancs de l’entrée d’air. In fine, les dernières évolutions sont d’ordre logiciel (possibilité d’intégration de l’AIM-120D, de l’AIM-9X, de l’IRIS-T, de l’AGM-154 JSOW, de la GBU-39 SDB ou de la GBU-54 LJDAM) ou matériel (IFF Mode 5, Liaison-16). Les F-16AM/BM, dont 54 exemplaires sont actuellement en service, sont certainement les meilleurs avions de 4e génération au monde. La mutualisation des dépenses a quant à elle permis à la Belgique de les obtenir à très bon compte, en sachant que l’industrie belge, qui reste discrète sur la question, en a très largement profité. Reste que la success-story trouve également ses limites : pour les États-Unis, il était vital de disposer de forces aériennes fortes durant la guerre froide. Mais ces derniers, lors de la mise en place du schéma industriel du JSF, ont rapidement écarté toute possibilité de reproduire un type de partenariat qui s’est avéré coûteux pour eux, ne laissant entrevoir aux États participant à son développement que la perspective d’une coopération industrielle, ce qui exclut la Belgique. des écrans – avec ou sans commande belge. Comparativement, la SONACA, la SABCA et Techspace Aero (toutes trois situées en Wallonie) sont habituées à travailler avec Dassault, Airbus ou Safran, mais ne semblent pas concernées par un appareil de combat européen. À voir donc, d’autant plus que si le F-35 est industriellement relativement bien placé – mais sans plus de marges de manœuvre au vu d’une planification déjà serrée –, son coût reste prohibitif, pour autant qu’il soit possible de le calculer honnêtement. Actuellement, hors R&D, il est de 159 millions de dollars pour un F-35A de l’US Air Force commandé en 2014, soit nettement plus que les concurrents potentiels : Rafale, Gripen NG ou Typhoon. Le Gripen NG n’a pour l’instant volé qu’à l’état de démonstrateur du futur Gripen E/F. Sauf modernisation des actuels F-16, c’est a priori l’option la moins coûteuse. (© Saab) Le Rafale est l’option la plus polyvalente et potentiellement la plus évolutive. Mais son coût est aussi plus élevé que celui du Gripen… (© Anthony Jeuland/armée de l’Air via Dassault Aviation) Les concurrents en lice Le choix d’un appareil européen, s’il serait cohérent avec le positionnement pro-européen de la Belgique, serait tout sauf anodin, militairement comme budgétairement. Militairement, le Typhoon paraît le plus mal placé industriellement (le schéma est bien établi entre les différents États participants au programme), mais aussi techniquement : sa polyvalence est plus un slogan qu’une réalité. Le GripenNG paraît une bonne option, mais sa conception même l’oriente plus vers des missions de police du ciel que vers des opérations expéditionnaires. Le Rafale, biréacteur, semble mieux placé pour les fonctions demandées à la force aérienne belge. À la condition, toutefois, que l’intégration des systèmes de pods et d’armement – y compris nucléaire (9) – soient réalisés et que ces derniers ne doivent pas être remplacés par d’autres qui alourdiraient la facture. À côté de ces options européennes, plusieurs pilotes, certains ayant pu «voler» sur simulateur, ne cachent pas leur préférence pour le F-35 et mettent en avant les avantages procurés par la furtivité comme par la fusion de données dans la gestion de la charge de travail de bord. Il faut cependant noter que les performances en simulateur sont par définition Avions et/ou navires ? S i le remplacement des F-16 doit être conduit entre 2023 et 2028, une question de nature existentielle va se poser pour la marine. Achetées d’occasion en 2005, les deux frégates de classe M (première entrée en service en 1991) belges devraient parvenir au terme de leur vie opérationnelle au même moment, tout comme les chasseurs de mines Tripartite. La culture navale belge est historiquement faible en dépit d’une réelle culture maritime, qui s’appuie sur une importante flotte marchande et les ports d’Anvers et de Zeebrugge. Si une marine royale a été mise en place en 1830, elle fut dissoute en 1865 et aucune marine en bonne due forme (des marins belges ont toutefois embarqués sur des navires français et britanniques durant la Grande Guerre) n’a été reformée avant 1939. Ayant déjà la plus petite marine des États européens de taille moyenne, la Belgique est engagée dans une structure binationale (amiral BENELUX) avec les Pays-Bas. Ceuxci entendent également remplacer leurs deux dernières Type M en ligne, la marine néerlandaise ayant présenté en novembre 2013 le design d’une frégate de 145 m conçue par ses soins et qui entrerait en service à partir de 2023. Le bâtiment, de conception classique, comporterait une mâture intégrée, 16 lanceurs verticaux VLS, un canon de 76 mm et des armes téléopérées. Mais, si les Pays-Bas verraient d’un bon œil un achat groupé avec la Belgique afin de réduire les coûts, rien ne dit cependant que celle-ci disposera effectivement des budgets nécessaires au renouvellement de sa flotte, une capacité pourtant indispensable au vu de la dépendance des exportations belges à la mer... Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014 www.dsi-presse.com 63 Dossier Armées théoriques – en matière de performances de vol, le F-35 est inférieur à ses concurrents européens (voir tableau) –, que la fusion de données dépendra de la résolution des problèmes logiciels rencontrés et que la furtivité ne procurera qu’un avantage transitoire, sachant que l’appareil resterait en service au-delà des années 2060. Si l’on écarte ces options, il restera celles de la revalorisation des actuels F-16 et de l’achat du F-16 Block 60. Si la première est moins coûteuse qu’un achat sur étagère, elle ne fait cependant que repousser le problème d’une dizaine d’années. Elle porterait en effet essentiellement sur leur structure, dès lors que les mises à jour logicielles dans le cadre du programme EPAF (voir encadré p. 56) ne sont pas appelées à durer, les autres États membres basculant vers de nouveaux appareils. Quant au F-16 Block 60, son prix unitaire estimé varie entre 80 et 100 millions de dollars selon les sources : mécaniquement, une construction en tout ou en partie en Belgique lui ferait dépasser les Performances comparées des concurrents sur le marché belge Lockheed Martin F-35A Lightning II Saab Gripen JAS 39E/F Eurofighter Typhoon Dassault Rafale B/C Équipage 1 1(E), 2(F) 1 ou 2 1(C), 2(B) Moteurs 1 1 2 2 28 000 (43 000 avec postcombustion) 13 000 (22 000 avec postcombustion) 26 000 (40 000 avec postcombustion) 22 500 (34 000 avec postcombustion) 0,87 1,06 1,07 0,99 1,6 2 2 1,8 Non 1,2 (avec 4 missiles air-air) 1,3 (avec 6 missiles air-air) 1,4 (avec 6 missiles air-air) Rayon d’action au combat (mission air-air) 1 100 km (carburant interne) 1 300 km (avec réservoir ventral) 1 389 km 1 250 km Distance franchissable en convoyage (avec réservoirs auxiliaires) (km) 2 220 (carburant interne) 4 000 3 790 3 700+ 60 000 50 000 55 000 55 000 91,4 68,8 64 57,81 Classifiée 50 000 62 000 60 000 AN/APG-81 AESA Raven AESA (à terme) CAPTOR-E AESA (à terme) RBE2-AA AESA AAQ-40 EOTS Selex Skyward G PIRATE IRST Sagem OSF Viseur de casque HMDS (toujours en développement) Cobra HMDS Eurofighter HMSS TopSight Points d’emport 4 internes, 6 externes 10 13 14 Charge utile (livres) 18 000 (avec pylônes externes) 15 875 16 500 21 000 21 000 4 700 18 000 16 500 Puissance (livres) Ratio poids/ puissance (charge maximale de carburant et armement air-air) Vitesse maximale (Mach) Supercroisière (Mach) Plafond opérationnel (pieds) Charge ailaire (livres/pieds carrés) Vitesse ascensionnelle (pieds/minute) Radar Infrared Search and Track Coût à l’heure de vol (incluant le carburant, les pièces détachées et le soutien) (dollars) 64 Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014 Sources : Lockheed Martin, Saab, Eurofighter, Dassault Aviation, CAPRI et IHS Jane’s (coûts) www.dsi-presse.com Le Typhoon emportant deux missiles de croisière KEPD-350 pour des essais en vol. Conçu comme intercepteur, l’appareil n’est rendu polyvalent que par extension de capacité. Un processus qui aboutirait en théorie vers 2018… (© J. Gietl via Eurofighter) 130 millions de dollars. Et ce, pour un monoréacteur dont le potentiel d’évolution restera faible comparativement aux options européennes… Le bourbier politico-budgétaire Reste que la question la plus délicate n’a pas encore été abordée : celle de l’équation budgétaire fédérale. En théorie, l’achat de nouveaux appareils de combat s’effectuerait sur un budget fédéral spécifique, le budget matériel annuel des forces belges étant à peine supérieur à 180 millions d’euros. En pratique, l’état des finances publiques belges est plus précaire que celui de la France. Au troisième trimestre 2013, la dette publique était de 393,6 milliards pour 11 millions d’habitants (103,7% du PIB) contre 1900,8 milliards pour 65,6 millions d’habitants (92,7% du PIB) pour la France. De là à ce que le débat se polarise non sur des aspects stratégiques ou industriels, mais sur des aspects de budget public – en dépit du peu d’attention portée à sa défense par Bruxelles et des sacrifices consentis par les forces armées –, il pourrait n’y avoir qu’un pas. � J. H. Des F-16E/F Block 60 émiriens. L’option est a priori intéressante, mais se révèle sans doute aussi coûteuse qu’un Rafale, et plus qu’un Gripen. (© US Air Force) Notes (1) En l’occurrence, il s’agirait de mettre en place une «Leger van de Lage Landen», soit une armée des Pays-Bas, au sens bourguignon du terme. Dans pareil cadre, les forces armées belges seraient alignées sur les néerlandaises, approfondissant un processus déjà lancé. Depuis 1996, le commandement opérationnel des marines belge et néerlandaise est intégré et les membres du BENELUX vont mettre en place une police commune du ciel. Voir http://www.legervandelagelanden.be/. (2) L’essentiel des forces belges déployées au Congo relevaient de la «force publique», distincte des forces armées, mais dont les cadres en étaient issus. Les interventions extérieures belges ont été relativement rares durant la guerre froide, en dehors de l’envoi d’un bataillon en Corée, de l’opération sur Kolwezi ou de quelques opérations de maintien de la paix. (3) André Flahaut, « Interview du président de la Chambre André Flahaut, ancien ministre de la Défense nationale (14.07.1999 – 23.12.2007) », Pyramides, no 21, 2012, p. 53-64. (4) L’ensemble de ces chiffres est tiré de Financial and Economic Data Relating to NATO Defence, Bruxelles, 13 avril 2012 – http://www.nato.int/nato_static/assets/ pdf/pdf_2012_04/20120413_PR_CP_2012_047_rev1.pdf. (5) Les véhicules de combat les plus lourds sont les Piranha IIIC, déclinés en version de tir direct de 90 mm (18 véhicules pour remplacer 130 Leopard 1), de transport de troupes, de combat d’infanterie ou de soutien du génie. Seuls 138 exemplaires sont achetés, de même que 220 Dingo (en remplacement de 1000 blindés disponibles en 2000). L’adoption du (6) (7) (8) (9) Piranha III exclut d’emblée toute déclinaison en obusier de 155 mm et les 72 M-109 disponibles en 2000 sont remplacés par 24 canons tractés de 105 mm (Raymond Dory, « La transformation de la Défense : une étape aboutie? », Pyramides, no 21, 2012, p. 65-76). Actuellement, seules deux brigades sont disponibles, dont une – la seule qui peut être considérée comme opérationnelle dans son intégralité – est centrée sur les parachutistes et les forces spéciales. Deux frégates de classe Karel Doorman ont été achetées d’occasion aux Pays-Bas en 2005. Le gouvernement belge, contrairement aux gouvernements néerlandais, allemand ou italien, ne reconnaît pas officiellement la présence de ces armes. La littérature en la matière est toutefois suffisamment claire. La planification américaine prévoit de déployer en Belgique la version B61-12 de l’arme d’ici à 2019-2020. Voir Alain Lallemand, « Bombes B61-12 : l’interview extensive de Kristensen », blog Bienvenue dans le monde réel, 31 janvier 2014 – http://alainlallemand. be/bombes-b61-12-linterview-extensive-de-kristensen/. Voir André Dumoulin, Philippe Manigart et Wally Struys, La Belgique et la politique européenne de sécurité et de défense, Bruylant, Bruxelles, 2003. Techniquement et contrairement à ce qui a pu être affirmé, les armes américaines peuvent être installées sur des appareils européens. Il en avait été un temps question pour le Mirage 5, et les missions nucléaires allemandes et italiennes seraient réalisées par des Tornado. Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014 www.dsi-presse.com 65 Dossier Entretien Armées Un F-16AM belge en vol avec deux GBU-12 à guidage laser et un pod Sniper. (© DoD) « Le Mouvement réformateur n’a pas arrêté son choix » Entretien avec Denis Ducarme, député fédéral belge (Mouvement réformateur), vice-président de la commission de la défense du Parlement fédéral belge Le remplacement des F-16, utilisés depuis 1979, fait peu débat en Belgique. En septembre, le ministre de la Défense s’est positionné en faveur du F-35 – il n’a jamais fait mystère de sa préférence pour cet appareil –, le PS réagissant rapidement en indiquant que l’option était inenvisageable. Faut-il, selon vous, renouveler la composante de combat de la force aérienne belge ? Le remplacement de nos F-16 est une question fondamentale qui scellera une part majeure du destin de notre défense nationale. Resituons un peu la Belgique en termes militaires : c’est un pays moyen, fondateur de l’UE et militant pour 66 Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014 www.dsi-presse.com une convergence européenne en matière de défense. La Belgique est souvent aux avant-postes en la matière. La Présidence belge de l’Union en 2010 a œuvré à la préparation des avancées du sommet européen de novembre 2011 en matière de pooling and sharing, un résultat «pas trop pâle» à côté de l’échec total du sommet de décembre 2013. C’est actuellement un Belge qui commande l’Eurocorps à Strasbourg. Nous abritons également le siège de l’OTAN. Nous avons participé aux opérations de l’ISAF en Afghanistan, à «Unified Protector» en Libye, aux opérations en Somalie, au Liban. Nous étions aux côtés de la France en soutien logistique dans le cadre de «Sangaris», pour laquelle je me suis engagé personnellement devant le Parlement belge; ou encore à ses côtés au Mali, avec un appui logistique aérien et médical, puis en soutien de l’EUTM (European Union Training Mission). Voilà quelques éléments qui peuvent aider vos lecteurs à se faire une idée synthétique du plat pays en matière militaire. Pour être plus complet, on pourrait ajouter que, comme tous les pays européens, la part du budget de défense belge dévolue à l’investissement diminue de manière récurrente et que notre armée de 32000 militaires a subi plusieurs vagues de réformes qui seront vraisemblablement complétées dès la formation du prochain gouvernement. Certains journalistes écrivent par ailleurs que la Belgique hébergerait des bombes B61 sur la base de Kleine-Brogel. Bref, la Belgique conserve une ambition militaire et la volonté d’assumer sa part de responsabilités et de ne pas laisser aux pays amis de l’Union et de l’OTAN la charge de faire le boulot en son nom et à sa place. Pour dire vrai, le remplacement des F-16 fait en réalité plus que débat, il est au cœur de toutes les conversations portant sur l’avenir de notre défense nationale. La tension politique s’accentue à ce propos. Ce choix, en effet, s’il est budgétaire, est aussi presque de nature philosophique. La fiabilité de la composante de combat de notre force aérienne est reconnue internationalement, les importantes modernisations successives de nos F-16 et la qualité de nos pilotes sont appréciées par nos alliés. Notre participation à l’opération l’ISAF ou en Libye et nos participations aux exercices conjoints à l’échelle de l’OTAN ont parfait cette bonne réputation. Mais nos F-16, dans leur configuration actuelle, arrivent néanmoins en bout de course et devraient être remplacés progressivement à partir de 2023. La gauche traditionnelle ou les Verts sont dans leur majeure partie opposés au remplacement du F-16, comme ils sont la plupart du temps opposés à la présence d’armes nucléaires en Belgique ou sont régulièrement réticents à la participation des forces belges sur des théâtres d’opérations internationaux. Vingt ans après le décès de dix paras commandos belges au Rwanda, c’est la peur de revivre cet événement qui dicte la politique à la gauche. Il aurait suffi d’un décès parmi les 14200 Belges engagés en Afghanistan depuis 2003 pour que le débat à ce propos tourne à la crise politique et aux revendications de retrait. Quand je les écoute dans nos débats au Parlement, on croirait presque qu’au prétexte que la guerre froide est terminée, la menace n’existerait plus. Leur manque de réalisme est parfois affligeant. Quand on parle du remplacement du F-16, on croirait entendre Foch, tout au début du XXe siècle, qui refusait d’envisager l’aviation comme une nécessité du schéma militaire moderne. À l’heure où toutes les défenses européennes sont en restructuration, bon nombre de ces parlementaires reviennent régulièrement avec des propositions où les missions prioritaires de l’armée évolueraient vers l’aide à la nation ou l’humanitaire, ce qui s’oppose au programme politique que nous construisons au sein de ma famille politique de centre droit. Leurs diatribes reviennent naturellement sur le coût du remplacement du F-16, «pharaonique», «démesuré», «inapproprié en temps de crise»… et prennent à témoin l’opinion publique, désignant du doigt nos thèses comme celles de petits prodigues capricieux qui voudraient s’acheter un nouveau jouet… Bref, comme vous le voyez, j’ai un peu de mal à le cacher, leur discours facile et déresponsabilisant, populiste, m’irrite. Il n’est, en fait, pas vraiment digne du parti d’un Premier ministre. Plongés dans le confort duveteux d’une Europe sans conflits, ayant même rayé de leur mémoire la guerre des Balkans et la démonstration de notre impuissance, ils ignorent ou feignent d’ignorer ce qui se trame en Afrique, au Moyen-Orient, en Eurasie ou en Asie et qui peut, à terme, constituer une menace pour la sécurité en Europe. Il faut oser être réaliste en matière de défense, voler à contrevent de ces «ramiers (1)» et être parfois politiquement ferme. Prendre le temps d’éduquer aussi l’opinion sur ces principes essentiels. C’est tellement plus aisé de lui dire que les armes et la guerre, c’est mal et ça coûte cher… Conserver une puissance de feu, une capacité de projection, une part de dissuasion est une nécessité au cœur de laquelle se situe la question du remplacement du F-16. Et si tous les pays européens suivaient la doctrine portée par la gauche belge dans les médias traditionnels et ne remplaçaient pas leur composante de combat en fin de vie? L’Europe serait tout simplement en insécurité, politiquement inerte et complètement dépendante des États-Unis. Je ne peux pas adhérer à ce destin-là. Par ailleurs, la gauche des petits et moyens pays n’intégrera Le Rafale montrant ici sa configuration d’emport incluant deux points supplémentaires sous les ailes. Un candidat parmi d’autres. (© Dassault Aviation/Sébastien Randé) sans doute jamais que, quel que soit le thème de la négociation abordé par un pays ou une alliance, le poids de ses arguments sera, aussi, fonction de son poids militaire. La realpolitik a encore de beaux jours devant elle. L’oublier constitue une faute politique majeure. Pour répondre à l’option privilégiée par notre ministre de la Défense, qui serait par ailleurs candidat à une fonction importante au sein de l’OTAN, je souhaite m’autoriser Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014 www.dsi-presse.com 67 Dossier Entretien Armées un court rétroacte. J’ai pu négocier l’accord de gouvernement belge au nom de ma formation politique, troisième derrière les nationalistes flamands et les socialistes francophones. Personne ne voulait d’un débat sur le remplacement du F-16. Après plusieurs réunions, j’ai toutefois obtenu un accord qui verra notre commission parlementaire de la défense aborder la question dans les semaines qui viennent. Le ministre de la Défense a pris les devants et présentera sans doute quelques options. Il a pu avancer sa thèse personnelle, celle du F-35. Sa candidature à l’OTAN l’influencet-elle en faveur de l’option américaine? Certains le disent. Difficile de faire intégralement l’impasse sur cette hypothèse, mais il faut se garder d’ériger certaines suppositions en vérité. Par ailleurs, vous le savez, en Belgique, l’aspect communautaire n’est jamais très éloigné. Les nationalistes flamands plaident pour une convergence militaire avec les Pays-Bas que certains qualifient parfois d’armée «orangiste», ce qui renvoie à Guillaume d’Orange et à une Belgique sous la tutelle des Pays-Bas après Waterloo. Un des axes de cette «collaboration» repose sur l’acquisition du F-35. Chacun sait que les Pays-Bas se sont engagés dès le départ dans le programme JSF. Différentes thèses se rejoignent ainsi au nord de Bruxelles, qui verraient la Belgique reprendre à sa charge une partie de la commande initiale de F-35 abandonnée par les PaysBas sous la contrainte budgétaire. L’option pourrait séduire, mais ce n’est pas à la lumière de rapprochements flamando-néerlandais ou à celle de positionnements personnels proaméricains que nous devrons juger des qualités du remplaçant du F-16. Une interview parue le 13 décembre dans La Libre Belgique indiquait que le F-35 68 Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014 www.dsi-presse.com était le choix du Mouvement réformateur, ce à quoi vous ajoutiez que les appareils européens « sont moins multirôles que les F-35, sur lesquels il est possible d’embarquer une bombe B61 ». Le pensez-vous vraiment ? Nous n’avons jamais dit cela. Les approximations sur ce type de dossier sont irresponsables. Les choses sont évidemment moins simples que cela… Le Mouvement réformateur n’a pas arrêté son choix. Nous travaillons sur les différentes options. Le F-35 demeure une possibilité comme les autres : le Gripen, le Rafale, le Typhoon. Une autre option également envisageable à court ou moyen terme réside en une ultime prolongation du F-16, avantageuse sur le plan antimilitariste, gagne ce bras de fer, est ce que j’appelle le «syndrome Léopold III» : une obsession de la neutralité, de retrait du monde réel et de négation de la menace qui implique un désengagement et un désinvestissement en matière militaire. Pour ce qui concerne l’adaptation d’une arme nucléaire B61, celle-ci est parfaitement adaptable sur d’autres chasseurs que les américains. En ce sens, même si la Belgique devait demeurer liée à la dissuasion nucléaire de l’OTAN, ce n’est pas cet aspect qui devrait guider notre choix. Il est clair que certains lobbies se sont mis en marche et tendent à nous désigner la voie américaine comme la seule opportunité viable. Je n’y crois pas. Le Gripen, un appareil certes adapté à la police du ciel, mais dont les qualités expéditionnaires sont limitées. (© Saab) financier et qui vaudrait pour 10 à 15 années. Quelle que soit l’option retenue, elle vaudra mieux que le vide. Ce que je redoute le plus est l’absence de décision dans les cinq ans à venir : cela impliquerait probablement que la Belgique n’investirait plus jamais dans ce domaine. À terme et de manière générale, ce qui nous guette, si la gauche politique, de plus en plus Le F-35 subit nombre de critiques, que ce soit de la part du Pentagone ou d’instituts de recherche indépendants. Quels seraient les déterminants d’un éventuel choix de l’appareil ? Nous n’avons pas arrêté notre choix, je viens de vous le dire. Un des déterminants de notre choix reposera naturellement sur les retombées économiques en faveur Le Typhoon excelle dans les missions air-air, mais n’a entamé que récemment sa longue marche vers la polyvalence. (© Eurofighter/Geoffrey Lee) de nos entreprises. Selon une information que j’ai reçue, Lockheed Martin estimerait que le marché belge est trop petit pour envisager toute compensation. Et nous ne ferons naturellement pas comme les Japonais : installer une chaîne de montage pour garantir les retombées économiques et sociales. Il faut être clair sur ce dossier, si Lockheed Martin estime notre marché «trop petit», je n’ai aucun problème à affirmer que le F-35 est «trop cher» et à plaider pour que les seuls F-35 que la Belgique acquièrent soient, à la limite, des modèles réduits. La problématique des petits marchés et des coûts prohibitifs soulèvent une question qui devra voir les États européens envisager à terme davantage de programmes, des commandes et des coopérations opérationnelles multinationales. L’exigence du retour industriel complexifie naturellement ces engagements. Je pense néanmoins que cette option s’imposera davantage à l’avenir, dût-elle réunir davantage les petits et moyens pays. Les pays membres du BENELUX ont signé un accord de principe autour de la gestion commune de la police du ciel à partir de 2016. Dans le même temps, les Alphajet belges basés à Cazaux dans le cadre de l’AJETS sont en fin de potentiel. Est-ce à dire que les coopérations francobelges dans le domaine aérien sont condamnées, à terme ? Je ne le pense pas, au contraire. La France a récemment lancé une étude sur sa vision future de la formation. La Belgique est invitée à la réflexion. Une partie de la formation commune future pourrait aussi s’organiser sur notre territoire et intéresser d’autres pays. Nous sommes ouverts à ces possibilités. En matière de police du ciel, comme avec la chasse hollandaise, nous avons des accords avec la France pour des exercices communs. Je suis favorable à un élargissement de ce travail commun pour assurer la sécurité de nos espaces aériens. Par ailleurs, le premier pilote français breveté F-16 arrivera prochainement à Florennes. Voilà encore un exemple de coopération que j’encourage. Nous pourrions cependant aller plus loin et faire davantage. La France a en effet parfois manqué de réactivité à nos propositions. La coopération franco-belge pourrait être accentuée sous la prochaine législature. Nous avons pu avoir plusieurs réunions avec nos homologues français pour plaider le renforcement de notre collaboration. Le problème de fond réside sans doute dans le fait que la France demeure parfois assez imperméable aux appels de pays moyens et axerait plus volontiers sa collaboration avec de grands pays européens. Je ne suis pas certain que cette option favorise son rayonnement, je ne suis pas certain non plus que l’axe franco-britannique porte les fruits escomptés, mais ce n’est pas à moi d’en juger. Néanmoins, j’ai eu des contacts avec l’ambassade de France et ai demandé à mes homologues français, à l’occasion de l’Université d’été de la défense 2013, qu’une rencontre s’organise à l’Assemblée nationale afin de dresser la liste des opportunités de collaboration, qui se déroulera fin février. J’ai également demandé une entrevue avec les services du ministre français de la Défense; j’avais pu avoir des contacts avec Gérard Longuet dans ce sens avant que l’UMP ne quitte les responsabilités. J’espère que nous concrétiserons davantage d’axes de collaboration. On verra si la France regarde au nord avec un peu d’attention; si ce n’est pas le cas, c’est nous qui regarderons un peu plus ailleurs. Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 6 février 2014 Note (1) NDLR : militaire fainéant. Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014 www.dsi-presse.com 69 Dossier Entretien Armées « Il faut arrêter de faire croire aux citoyens que tout est possible » Entretien avec Christophe Lacroix, député fédéral belge (PS) Le remplacement des F-16, utilisés depuis 1979, fait peu débat en Belgique. En septembre 2013, le ministre de la Défense s’est positionné en faveur du F-35 – au demeurant, il n’a jamais fait mystère de sa préférence pour cet appareil. Vous aviez réagi rapidement en indiquant que l’option n’était pas envisageable… Même si la question du remplacement des F-16 n’est pas évoquée quotidiennement en Belgique, le sujet fait débat en raison des deux enjeux majeurs qu’il représente, l’un stratégique, l’autre budgétaire. L’interopérabilité constitue mon 70 Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014 www.dsi-presse.com cheval de bataille en matière de défense. Ceci implique une vision stratégique et une volonté politique d’intégrer notre armée dans un échelon européen, ainsi que des investissements, tant en ressources humaines qu’en matériel militaire. Le PS est favorable à une rigueur budgétaire saine et réfléchie. Toutes les dépenses de l’État ont été passées au crible et les investissements mûrement réfléchis. La Défense nationale n’échappe pas à la règle. Ce département fait, comme tous les autres, des efforts. Il faut donc arrêter de faire croire aux citoyens que tout est possible. On ne pourra pas à la fois renouveler notre flotte et nos avions de chasse, signer une lettre d’intention pour des drones, acheter de nouveaux véhicules pour l’armée de terre et investir dans la composante médicale sans définir une vision stratégique. Si certains veulent, avec légèreté, dépenser des sommes de cinq à six milliards d’euros sans réflexion globale, ce sera sans nous! Il faut cesser d’investir dans un océan de projets sans savoir où l’on va. Concentrons nos efforts au profit de nos capacités militaires, mais aussi des emplois et de l’indépendance technologique européenne. La défense est l’un des derniers leviers tangibles dont dispose l’État fédéral pour consentir des investissements de relance majeurs. Or, à l’heure actuelle, je ne vois aucun Atterrissage d’un F-16 belge à Azraq (Jordanie) au cours du Falcon Air Meet 2007. Sur les 160 appareils commandés – et construits sous licence en Belgique –, seuls 54 restent opérationnels. (© DoD) sur les investissements militaires majeurs se tienne avant la fin de cette législature, conformément à l’accord de gouvernement. Ensuite, il faut rechercher des synergies européennes en faisant l’inventaire des besoins de nos partenaires. Nous attendons la rédaction d’un véritable plan stratégique couplé à un plan d’investissements. Notre préférence va à un modèle fiable et correspondant aux spécificités de notre armée, dans le contexte européen et OTAN. Nous exigeons enfin des retours économiques et technologiques pour l’industrie belge et européenne de la défense. À l’heure actuelle, aucune de ces conditions n’est remplie. Au contraire, une série de rapports jugent que le F-35 n’est pas totalement fiable. L’Inspection générale Le développement du F-35 s’avère des plus complexes. Cœur du système, le logiciel de plus de 8,5 millions de lignes de code ne permet toujours par d’utiliser le canon de bord… (© US Air Force) de ces éléments dans le débat sur le remplacement des F-16. Le PS n’accepte pas les prises de position, sans concertation, en faveur du F-35 pour remplacer les F-16. Mais il ne ferme pas pour autant la porte au débat et à la possibilité de faire de tels investissements. Nous demandons, au préalable, le respect de plusieurs règles élémentaires. Il faut d’abord un débat parlementaire. Mon groupe a demandé officiellement que celui du Pentagone a, par exemple, répertorié 343 problèmes liés à la conception et à la réalisation du F-35 Lightning II. Est-ce vraiment ce choix – à neuf zéros et sans retour démontré pour notre économie – que nous voulons pour assurer l’excellence de l’armée belge? Mon devoir de parlementaire est de poser des questions et, surtout, d’y apporter des réponses, en toute transparence, et en disposant de toutes les informations. Vous aviez également demandé : « Faut-il encore une chasse belge ? Peut-être a-t-on besoin d’une chasse européenne ? » Au vu des faibles progrès réalisés dans le domaine de la coopération européenne de défense, comment y parvenir selon vous ? Les armées nationales sont à un tournant de leur histoire pour des raisons tant budgétaires qu’historiques ou géopolitiques. La Belgique doit continuer d’être un acteur fiable, reconnu en matière de chasse. Mon but est de lancer un débat au niveau européen. Car, quel est le coût de la «non-Europe» en la matière? Je pense aux frais de développement, de maintenance ou d’entraînement et à l’absence de retombées économiques potentielles. L’accord de gouvernement prévoit que le ministre de la Défense rédige un plan stratégique. C’est ce plan qui devra guider la réponse à ces questions. Nous l’attendons toujours… Il ne suffit pas d’acheter un avion de chasse «Ikea», il faut penser à l’avenir, aux conséquences financières et stratégiques. L’objectif est de construire une souveraineté militaire européenne mutualisée, non d’entretenir une dépendance dangereuse vis-à-vis de tel ou tel État membre, notamment pour le rachat coûteux de certains équipements majeurs. Le dossier des F-16 est de ce point de vue symptomatique. Ma formation politique est à l’origine d’une résolution relative à l’avenir de l’armée belge dans un cadre européen. Le texte, adopté par la Chambre, a servi de base à la position de la Belgique au sommet européen de décembre dernier. Hélas, toutes les délégations ne disposaient pas d’un mandat aussi clair et volontariste. Le réflexe national l’emporte trop souvent. Mais je crois qu’à moyen ou long terme, beaucoup se rendront compte que l’Europe ne peut continuer d’être un géant Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014 www.dsi-presse.com 71 Dossier Entretien Armées économique et un nain diplomatique. La défense européenne est, en partie, une réponse à ce problème. Cela prendra sans doute encore du temps, mais je ne désespère pas, sous l’impulsion de pays comme la Belgique, un jour tout ceci se fera. La Belgique et le PS ne se sont jamais contentés de mots, aussi forts soient-ils. Notre pays a ainsi multiplié les initiatives : développement de B-FAST (Belgian First Aid and Support Team) et volonté d’impulser une nouvelle dynamique au système d’aide humanitaire EUFAST, participation à des programmes industriels ambitieux comme l’A400M, formation commune en France des pilotes belges et français, etc. Aujourd’hui, pour relever ces défis européens, le PS belge met en avant trois priorités : • rationaliser les structures existantes tant au niveau national qu’au niveau européen. Il ne s’agit pas de fusionner ou de juxtaposer les armées des États membres, mais, d’améliorer les structures de décision de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), en mettant en place une structure d’état-major opérationnelle au niveau européen (Military Planning and Conduct Capacity), de rationaliser les quartiers généraux européens, de désigner des attachés militaires au sein des délégations de l’UE, d’optimaliser le système européen de financement des opérations militaires et de transformer les Battle Groups en force de réaction rapide, interarmées et effective; • privilégier une approche duale civile-militaire dans la recherche scientifique et technologique. L’indépendance stratégique européenne doit passer par la consolidation de sa base industrielle et technologique de défense, ainsi que par la compatibilité des équipements lors des opérations. Cette cohérence doit permettre une convergence européenne en matière d’achats militaires et de politique industrielle, notamment via des outils technologiques innovants et compétitifs, avec des synergies entre les domaines civil et militaire dans la recherche et développement. Une telle coopération aura des retombées positives pour l’emploi, la croissance, l’innovation et la compétitivité industrielle de l’Union européenne; • développer un véritable esprit de corps entre les personnels et étudiants militaires en formation des États membres de l’UE. Il s’agit d’approfondir l’application, dans les institutions militaires d’enseignement supérieur, du processus de Bologne et du programme La Belgique a commandé neuf A400M – un achat politiquement plus consensuel que celui d’appareils de combat – qui doivent remplacer les 11 C-130 actuellement en service. (© Airbus Military) 72 Défense & Sécurité Internationale - No 101- Mars 2014 www.dsi-presse.com Un NH90 TTH néo-zélandais. Le premier des quatre TTH belges (quatre NFH ont également été commandés) a été livré le 2 octobre 2013. En Belgique, l’ensemble des hélicoptères relève de la force aérienne, à l’exception, pour le moment, des Alouette III de la marine. (© Airbus Helicopters/Anthony Pecchi) Erasmus, à l’instar de ce qui se fait dans les universités européennes civiles, et d’amplifier la version militaire du programme Erasmus, l’EMilYO (Exchange of Military Young Officers). La construction d’une «Europe de la défense» au service des populations européennes et du monde entier est un défi cher à la gauche belge et européenne. Car les premières victimes de violences, de catastrophes naturelles ou humanitaires sont souvent les plus faibles. La remise en question de l’existence de la chasse belge dépasse la seule force aérienne : depuis 1993 et l’embuscade ayant causé la mort de dix parachutistes, la Belgique je tiens à préciser que les recommandations existantes restent bel et bien en vigueur et que l’on doit s’y tenir. est particulièrement frileuse en matière d’engagement au combat au sol, ce qui implique de sa part un rôle accru dans les opérations aériennes dès qu’il s’agit de peser dans une coalition. C’est donc une fonction centrale. Quelle est votre vision de ce que devrait être la politique de défense belge ? Plus qu’une remise en question, il convient de mettre en perspective l’engagement belge dans le monde et de mener un débat sur l’ensemble des missions à l’étranger, qu’elles aient lieu dans le cadre de l’ONU, de l’OTAN ou de la PSDC. La priorité est et reste l’opérationnalité de la défense belge, sans fixer de «quotas» sur le nombre de militaires belges à maintenir en opération. Certaines régions, au regard de leur contexte géopolitique, restent essentielles, notamment vis-à-vis de nos engagements onusien et européen : Liban, Corne de l’Afrique, Mali, RDC. Les débats autour d’une hypothétique aide belge pour le démantèlement de l’arsenal chimique syrien ou en République centrafricaine illustrent l’importance et la reconnaissance internationale de notre expertise. Malgré un contexte budgétaire difficile, le gouvernement a affiché une ambition forte pour la défense belge : celui d’être un partenaire fiable capable de se projeter sur les théâtres d’opérations extérieurs tout en lui permettant d’assumer ses missions sur le territoire national. La proactivité de notre pays en Libye, au Liban, dans la Corne de l’Afrique ou ailleurs en Afrique en témoigne. Notre présence, en soutien à la diplomatie belge ou européenne, apparaît essentielle. Les défis qui se posent à l’échelle internationale notamment en termes de maintien de la paix et de défense des valeurs démocratiques sont des priorités de même que la formation et l’ « empowerment » de forces étrangères comme c’est le cas notamment aujourd’hui au Mali ou en RDC. Cette présence en opération doit rester une priorité pour le prochain gouvernement en impliquant pleinement le parlement dans un processus transparent. Concernant le débat « postRwanda », les socialistes estiment que, plus de quinze ans après les conclusions du Sénat sur le drame du Rwanda, dont nous commémorerons bientôt le 20e anniversaire, ce débat important mérite d’être rouvert. Si nous voulons renforcer notre contribution à une mission précise dans le monde, en ce compris avec des « boots on the ground », nous devons vraiment être sûrs que sa valeur ajoutée soit réelle. Pour nous cependant, en attendant une éventuelle ouverture d’un débat général et parlementaire sur le sujet, Vous indiquiez le 10 octobre sur votre site qu’« il [était] plus vraisemblable d’envisager [le retrait du F-16], entre 2025 et 2030, et si nécessaire [de procéder] alors [à] une dernière mise à niveau à coût modeste. Il n’y a donc pas d’urgence à remplacer ces avions ». Mais au vu du potentiel des appareils – déjà bien entamé – et des mécanismes spécifiques de modernisation des F-16 (qui dépendent largement des Américains), comment faire ? Nous pouvons (devons?) nous donner le temps nécessaire à la réflexion et répondre aux contraintes budgétaires actuelles sans que notre capacité à nous déployer soit atteinte. La modernisation en cours des F-16 nous permet de joindre ces deux impératifs jusqu’en 2025 au moins. La décision prise en septembre dernier par le gouvernement va dans ce sens. Les futures décisions de remplacement de nos F-16 devront se baser sur les besoins opérationnels de notre composante aérienne, mais aussi sur les propositions formulées par les pays et par les industriels qui sont susceptibles de fournir ces systèmes d’armes. Le débat que j’ai demandé en commission des achats militaires doit permettre de « dépassionner » cette question et d’apporter tous les éclairages nécessaires, tant sur le prolongement des F-16 que sur leur remplacement échelonné. Avant de prendre des options politiques, nous devons connaître les possibilités qui s’offrent à nous, leurs implications budgétaires et technologiques, mais surtout nous devons connaître le rôle stratégique que veut se donner la Belgique. Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 6 février 2014 Défense & Sécurité Internationale - No 101 - Mars 2014 www.dsi-presse.com 73