1 MB 27th Nov 2013 Actes du forum Addictions 2007 consacré à la

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1 MB 27th Nov 2013 Actes du forum Addictions 2007 consacré à la
Avec le soutien de la Commission consultative en matière
d'addiction et de la Direction générale de l'action sociale
Vous présentent les actes du 16ème forum addictions
du vendredi 23 février 2007
à la Maison des Associations
La géopolitique des drogues illicites: enjeux locaux
pour une problématique internationale
Document réalisé par Christelle Mandallaz
Coordinatrice des forums addictions
TABLE DES MATIERES
1
INTRODUCTION
4
2
SYNTHESE DE MONSIEUR GERALD SAPEY
5
2.1 INTERVENTIONS
5
2.1.1 MONSIEUR FRANÇOIS LONGCHAMP, CONSEILLER D’ETAT
5
2.1.2 MONSIEUR ALAIN LABROUSSE, SOCIOLOGUE ET ANCIEN DIRECTEUR DE L’OBSERVATOIRE GÉOPOLITIQUE
DES DROGUES À PARIS.
6
2.1.3 MONSIEUR JEAN-LUC PITTET, SECRETAIRE GENERAL DE TERRE DES HOMMES SUISSE
7
2.1.4 MONSIEUR OLIVIER GUENIAT, CHEF DE LA POLICE DE SURETE DU CANTON DE NEUCHATEL
7
2.1.5 EN CONCLUSION
8
3
INTERVENTIONS
3.1
3.1.1
3.1.2
3.1.3
3.1.4
3.2
3.2.1
3.2.2
3.2.3
3.2.4
3.2.5
3.3
3.3.1
3.3.2
3.3.3
3.3.4
3.3.5
3.3.6
3.3.7
3.4
3.4.1
3.4.2
3.4.3
3.4.4
3.4.5
3.4.6
3.4.7
3.4.8
3.4.9
MONSIEUR FRANÇOIS LONGCHAMP, CONSEILLER D’ETAT CHARGE DU DEPARTEMENT DE LA
SOLIDARITE ET DE L’EMPLOI
INTRODUCTION
FONDS DROGUE
REALITES ECONOMIQUES ET BUDGETAIRES
CONCLUSION
LA GEOPOLITIQUE MONDIALE DES DROGUES ET LA RESPONSABILITE DES ETATS, MONSIEUR
ALAIN LABROUSSE, ANCIEN DIRECTEUR DE L’OBSERVATOIRE GEOPOLITIQUE DES
DROGUES, PARIS
LES CULTURES DE COCA ET « L’EFFET BALLOON »
LA PRODUCTION DE HASCHISCH MAROCAIN
OPIUM DE GUERRE ET OPIUM DE PAIX EN AFGHANISTAN
LES INTERETS GEOPOLITIQUES DES ETATS
CONCLUSION
PRESENTATION DE LA LOI GENEVOISE SUR LE NARCOTRAFIC ET DES PROJETS ETABLIS DANS
LES PAYS PRODUCTEURS, MONSIEUR JEAN-LUC PITTET, SECRETAIRE GENERAL DE TERRE
DES HOMMES SUISSE
INTRODUCTION
OBJECTIFS DE L’INTERVENTION
PRESENTATION DE LA LOI
CARACTERISTIQUES DE LA LOI ENTREE EN VIGUEUR LE 1ER JANVIER 1995
PROJET « BARRILETE »
PROJET « COOPERATIVES LA FLORIDA ET ALTO PALOMAR »
CONCLUSION
LE TRAFIC DE LA COCAÏNE, MONSIEUR OLIVIER GUENIAT, CHEF DE LA POLICE DE SURETE DU
CANTON DE NEUCHATEL
AVANT-PROPOS
DEFINITIONS
HISTORIQUE
LA PRODUCTION MONDIALE
DONNEES ECONOMIQUES
LE TRAFIC INTERNATIONAL
LES SAISIES DE COCAÏNE DANS LE MONDE
L'EVOLUTION DE LA SITUATION EN SUISSE
CONCLUSION
9
9
9
9
10
12
13
13
15
16
18
21
23
23
23
23
24
24
26
29
30
30
30
30
34
35
40
43
43
48
4
CONCLUSION
49
5
SITES INTERNETS & DIVERSES ADRESSES
51
5.1
5.2
SITES INTERNET
DIVERSES ADRESSES
51
51
2
6
6.1
6.2
BIBLIOGRAPHIE & ARTICLES SUR INTERNET
BIBLIOGRAPHIE
ARTICLES SUR INTERNET
52
52
53
3
1 INTRODUCTION
« La géopolitique des drogues illicites : enjeux locaux pour
une problématique internationale»
Vous découvrirez à travers ces Actes, le côté captivant mais aussi complexe du
sujet qui nous préoccupe aujourd’hui. Heureusement, les intervenants nous
ont aidé à saisir les interactions et les enjeux que le trafic de drogues implique
à une échelle mondiale, ainsi qu’à celle de la Suisse.
La dimension géopolitique met en évidence d’importants enjeux: conflits de
pouvoir, contrôle de territoires et des richesses, celui des hommes qui les
habitent et les exploitent...
Dans le domaine des drogues illicites, des gouvernements, des groupes
insurgés ou des organisations criminelles et terroristes se disputent les
ressources des zones de culture du pavot, de la coca ou du cannabis, sans
oublier les drogues de synthèse, ainsi que les routes d’acheminement de ces
substances. Nous découvrirons comment les pays riches qui proclament la
guerre à la drogue ont une attitude ambiguë lorsque des intérêts géopolitiques
ou économiques sont en jeu.
Par sa présence, Monsieur Longchamp, Conseiller d’Etat, nous fait l’honneur de
conclure cette session 2006 et nous présente aussi son nouveau programme
concernant l’insertion. Dans son exposé, Monsieur Labrousse nous décrit le
fonctionnement de la géopolitique mondiale des drogues et nous montre la
responsabilité des Etats. Monsieur Pittet nous présente la loi genevoise sur le
narcotrafic et deux projets réalisés dans les pays producteurs de plantes à
drogue. Et pour terminer Monsieur Guéniat nous explique comment s’organise
le trafic de cocaïne au niveau international et nous montre les conséquences
que cela a sur le plan local, tout cela dans une perspective historique.
Nous verrons quelles sont les possibilités qu’a la Suisse pour se positionner
face à ce marché. Cela nous donnera l’occasion d’acquérir, en tant que citoyen
autant qu’en tant que professionnel des addictions un meilleur niveau de
conscience du problème. Une connaissance accrue de la complexité de ce
contexte pourrait amener un nouveau positionnement dans nos pratiques
quotidiennes…
Bonne lecture.
Christelle Mandallaz
Coordinatrice des forums addictions
____________________
4
2 SYNTHESE DE MONSIEUR GERALD SAPEY
Modérateur du forum, ancien directeur de la Tribune de Genève et de la Radio
Suisse Romande.
2.1
Interventions
Les participants ont été invités non plus à s’informer essentiellement sur des
produits ou des problèmes locaux, mais sur la dimension internationale de la
production et du trafic des stupéfiants.
2.1.1 Monsieur François Longchamp, Conseiller d’Etat
Au préalable, les participants, nombreux, ont entendu Monsieur François
Longchamp, conseiller d’Etat, évoquer l’activité de son département relative
aux problèmes de la drogue d’une part. D’autre part, Monsieur Longchamp a
présenté les diverses initiatives ou mesures en cours, destinées à faciliter la
réinsertion des personnes sans emploi dans le monde du travail.
A cet égard, il a été rappelé que les sommes prélevées lors de la découverte
des trafics de drogue sont précisément affectées à la lutte contre ce grave
phénomène social et notamment utilisées pour la résinsertion des personnes
concernées.
Le chiffre donné par Monsieur Longchamp concernant les divers dispositifs de
réinsertion n’a pas manqué d’étonner par son ampleur. On a également pu
avoir le sentiment que cette question bénéficie actuellement d’un certain
nombre d’orientations nouvelles. Ainsi, une politique innovatrice tend à casser
le cloisonnement des individus au chômage. Il est également envisagé que les
personnes en réinsertion puissent, parallèlement, continuer à bénéficier de
l’aide sociale dans une certaine mesure. Plusieurs dispositifs sont mis en
œuvre, afin de rendre plus efficaces les services de l’emploi. Et un certain
projet « Mamac » tend à réunir en réseau des spécialistes de diverses
disciplines, afin de faciliter les prises en charge des personnes concernées et
les résultats attendus.
Monsieur Longchamp, au-delà de ces perspectives intéressantes, a cependant
rappelé que la formation professionnelle de base est généralement garante,
pour celles et ceux qui en ont bénéficié, d’échapper au chômage.
Par son intervention, le Conseiller d’Etat chargé du département de la solidarité
et de l’emploi, concluait la dernière session des quatre forums programmés
pour 2006.
5
2.1.2 Monsieur Alain Labrousse, sociologue et ancien directeur de
l’Observatoire géopolitique des drogues à Paris.
Bien évidemment, le phénomène de la toxicomanie n’est pas limité à des zones
locales ou à des entités nationales. Et c’est, bien sûr, sa dimension
internationale qui le rend encore plus complexe. Les participants ont donc pu
accéder à cette réalité grâce au regard de trois intervenants d’expérience, dont
celui de M. Alain Labrousse, rompu, depuis de nombreuses années, à cette
observation fortement documentée.
On estime, selon les chiffres fort nombreux donnés par M. Labrousse à 200
millions le nombre des consommateurs de drogues dans le monde. Ce chiffre
peut être décomposé en 161 millions de consommateurs de cannabis, 30
millions de consommateurs de drogues de synthèse, 14 millions de cocaïne et
16 millions d’autres drogues, dont 11 millions pour l’héroïne.
Ce constat chiffré reflète assez clairement l’inefficacité des campagnes de
prévention et de lutte menées jusqu’à ce jour. Deux causes majeures peuvent
expliquer partiellement cette évolution : les divers conflits dans le monde qui
sont financés par les trafics de drogues, ainsi que le jeu de divers
gouvernements et des grandes puissances qui privilégient leurs intérêts
politiques plutôt que la lutte contre les cultures et leurs transformations en
produits consommables, sans parler des freins aux trafics.
Monsieur Labrousse a illustré cette analyse par l’exemple de trois régions:
l’Amérique latine, qui produit 60% de la cocaïne consommée dans le monde, le
Maroc, producteur de 40 à 50% du hachich et l’Afghanistan producteur de 92%
de l’opium.
Au Maroc, les zones de cultures sont en augmentation et quelque 200 familles
du Rif en vivent. Mais ici comme ailleurs, les paysans, comparés aux
trafiquants, sont les moins bénéficiaires de cette activité. En Afghanistan, la
production des opiacés est également en augmentation depuis 2002. La culture
du pavot rapporte dix fois plus que celle du blé, par exemple.
Indépendamment de l’utilisation des seigneurs de guerre par les occidentaux
ou la corruption du gouvernement afghan, on comprend donc les choix des
paysans.
Sauf certaines exceptions, par exemple quelques campagnes efficaces de lutte
comme au Pérou ou en Bolivie, l’évolution des cultures et des trafics s’explique
au moins par trois causes : l’attitude des gouvernements privilégiant leurs
intérêts, en dépit de leurs déclarations contraires, la corruption à tous niveaux,
les ressources de survie recherchées par les cultivateurs.
Monsieur Labrousse n’exclut pas que la production, le trafic et la
consommation de drogues soient le reflet de l’évolution de notre société. Il
6
estime que la clé du succès de la lutte se situe davantage dans les actions sur
la demande plutôt que sur l’offre des produits offerts sur le marché.
2.1.3 Monsieur Jean-Luc Pittet, secrétaire général de Terre des
Hommes Suisse
M. Pittet a présenté, de manière imagée, deux initiatives fort intéressantes de
Terre des Hommes Suisse en Uruguay et au Pérou. Les deux projets présentés
visent à proposer aux paysans de ces deux pays des cultures de substitution.
La difficulté est de trouver des cultures dont le rendement peut être jugé
comme satisfaisant. D’autre part, repérer des terrains propices à ces cultures
nouvelles n’est pas non plus la chose la plus simple.
En dépit de ces difficultés, on a pu percevoir par l’exposé de M. Pittet que ces
projets connaissent un réel succès, d’autant plus que la phase des cultures
débouche sur d’autres mesures liées à leur commercialisation.
2.1.4 Monsieur Olivier Guéniat, chef de la police de sûreté du canton de
Neuchâtel
Enfin, il appartenait également à M. Guéniat d’évoquer le trafic international et
ses conséquences sur le marché local.
Monsieur Guéniat a d’abord dressé la liste des enjeux liés aux trafics : enjeux
économiques, sociaux, sanitaires, judiciaires, etc. Il a constaté qu’on a assisté
ces dernières années à une évolution de la norme sociale et pénale, même
d’un canton suisse à l’autre. Si la volonté de protéger la jeunesse demeure une
norme stable, le marché des produits, en revanche, a évolué au point d’exercer
également une influence sur les comportements des consommateurs.
Face à ces enjeux divers, la répression policière se décline sur plusieurs plans :
l’application de la loi, intervention sur les pratiques de la vente et de la
consommation, la lutte contre les trafics. Monsieur Géniat a toutefois remarqué
que dans cette démarche, il n’existe pas de véritable coordination nationale
entre les polices cantonales. Par ailleurs, Monsieur Guéniat a relevé que
contrairement à ce qu’on croit dans l’opinion, l’action de la police dans l’espace
public n’est pas une démarche de lutte contre le trafic, mais une action de
sécurisation de cet espace.
Les véritables acteurs du trafic de la drogue ne sont pas les dealers identifiés
dans nos rues ou autres établissements. L’identification des vrais acteurs n’en
est pas moins difficile. Le marché est mouvant, les prix variables, comme les
structures de l’écoulement des produits.
Monsieur Guéniat, par une démonstration des structures de la vente, a mis en
évidence des chiffres de profits impressionnants qui ne peuvent, bien
évidemment, qu’encourager les grands trafiquants à poursuivre leurs activités.
7
Confirmant la conviction des observateurs du phénomène, Monsieur Guéniat a
rappelé que les stupéfiants sont ancrés dans toute l’histoire de l’humanité
comme ils le sont aujourd’hui dans notre milieu social.
Il n’en reste pas moins qu’il existe une volonté politique, dans nos pays, de
mettre les trafics hors la loi, mais que ceux qui ont pour mission d’intervenir,
notamment la police, rencontrent d’énormes difficultés pour le faire.
2.1.5 En conclusion
Ce 16e forum a permis de « boucler la boucle », c’est-à-dire d’accéder à la
connaissance relativement complète des diverses facettes de l’addiction et, en
particulier, du phénomène de la toxicodépendance. Les participants ont ainsi
pu se familiariser avec les produits, leur fabrication, les cultures à la base de
ces produits, les marchés, les trafics, sans parler, bien évidemment, des
politiques et des moyens mis en œuvre pour faire cesser ou, pour le moins,
freiner, un phénomène socialement grave.
Bien entendu, le fil rouge de ces seize forums a été celui du consommateur,
c’est-à-dire les milliers d’hommes, de femmes et de jeunes contraints par des
habitudes dont la plupart souhaiteraient se libérer, mais qui rencontrent pour
ce faire d’immenses difficultés.
Pour le première fois, il n’avait pas été prévu d’ateliers dans ce forum, mais
plutôt de permettre aux intervenants un temps de parole plus généreux. Les
organisateurs ont également préféré donner l’occasion à la salle de pouvoir
s’exprimer en séance plénière.
Il semble que les participants ont apprécié cette nouvelle formule.
____________________
8
3 INTERVENTIONS
3.1
Monsieur François Longchamp, conseiller d’Etat chargé
du département de la solidarité et de l’emploi
Présentation de son programme concernant l’insertion
3.1.1 Introduction
Monsieur Longchamp commence sa présentation en remerciant l’assistance. Il
se dit honoré et heureux d'intervenir à l'occasion de ce forum qui conclut la
session organisée en 2006 et 2007.
À l’origine, il était souhaité qu’il intervienne lors du précédent Forum sur
l’insertion. Un problème d'agenda l’en a empêché.
Pour aborder toutefois ce thème qui le préoccupe, Monsieur Longchamp a
présenté aujourd’hui les diverses initiatives ou mesures en cours, destinées à
faciliter la réinsertion des personnes sans emploi dans le monde du travail.
3.1.2 Fonds drogue
En lien avec le thème de la géopolitique des drogues, il mentionne cependant
qu'il existe à Genève un "Fonds destiné à la lutte contre la drogue et la
prévention de la toxicomanie", plus communément appelé "Fonds drogue". Ce
dernier est alimenté chaque année par une partie des sommes confisquées
dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ce fonds finance et
soutient deux types d'actions : d'une part des actions de nature sociale ou
médicale, menées sur le plan cantonal, qui sont supervisées par le
Département de la solidarité et de l'emploi, d'autre part, des actions menées
sur le plan international. Celles-ci sont suivies par le service "Solidarité
internationale Genève" du Département des institutions.
Ces actions ont concerné notamment pour les années 2004-2006 un projet
mené au Honduras, qui porte sur la réhabilitation d'un centre pour enfants
défavorisés. Elles ont encore soutenu un projet de développement de cultures
alternatives à la coca et au pavot en Colombie. D'autres encore ont été ou
seront engagées sur la base de projets à l'étranger suivis par la Fédération
genevoise de coopération.
Il revient ensuite à la question de la réinsertion, notamment des personnes
toxico-dépendantes et de manière plus générale des personnes atteintes dans
leur santé ou dans leur capacité de travail.
9
3.1.3 Réalités économiques et budgétaires
Les nouvelles réalités économiques et budgétaires – et l’explosion du nombre
de situations - induisent des mécanismes et des processus plus compliqués
qu'auparavant pour pouvoir bénéficier d'une aide sociale ou de prestations
d’assurance.
Le déficit et les dettes de l'assurance-invalidité sont abyssaux. Cela amène à
revoir les conditions d'octroi de ces prestations et à inventer des modèles de
réinsertion plus efficaces. Ces dispositifs sont au cœur de la 5ème révision qui
sera bientôt soumise au peuple suisse.
La LAMAL a certains effets pervers. Des personnes se sont ainsi vues privées
de traitements indispensables à leur vie, comme les trithérapies par exemple.
Ceci a par ailleurs motivé une intervention urgente de la part des autorités
genevoises pour garantir l’accès des soins à tous.
À travers ces deux exemples, on voit bien qu'il est urgent de renforcer le
processus de réinsertion, de manière à pouvoir répondre à ces nouvelles
réalités.
Un premier élan a été donné dans ce sens par le Conseil d'Etat, lors de son
entrée en fonction il y a un an. Il a voulu que les secteurs du chômage et de
l'aide sociale soient rapprochés, dans une formule nouvelle et inédite, au sein
du même département dont Monsieur Longchamp est en charge. Cela a été un
signe fort d'une volonté de supprimer un cloisonnement nuisible à l'efficacité,
d'un désir d'accentuer la mise en place de mesures dirigées vers la personne,
et qui mettent l'accent sur son implication dans le processus de sa réinsertion.
C’est aussi la prise en compte d’une évidence : le travail n’est pas seulement
ce qui offre à chacun les moyens matériels de vivre, mais il est aujourd’hui le
plus puissant moyen d’insertion dans la société. Être exclu, ou éloigné,
durablement du marché du travail est la principale cause d’exclusion sociale.
Ce constat est à la base de la volonté actuelle de ne plus séparer les personnes
selon leur statut administratif, qu'ils soient chômeurs, qu'ils bénéficient de
l'aide sociale ou qu'ils reçoivent des prestations de l'assurance-invalidité.
Parler d'insertion, y compris dans le cadre d'un forum consacré aux drogues et
à la toxicomanie, c'est donc aujourd'hui vouloir parler d'insertion en général.
Les actions qui sont menées de façon ciblée à l'intention de cette population
s'inscrivent dans le concept plus large des dispositifs d'insertion qui sont
actuellement mis en place. Ils ont pour finalité de permettre à toute personne
fragilisée de retrouver dans notre société la place qui lui revient.
10
Cette volonté de prévenir les ruptures et de réorienter la façon dont doit être
conçue l'action étatique se manifeste par deux projets législatifs actuellement
en chantier : le premier est la réforme de la loi cantonale sur le chômage. Elle
a pour but de favoriser la possibilité d'un emploi pour tous, y compris pour les
moins favorisés. Cela est possible : Genève est le canton suisse qui crée le
plus d’emplois.
Le chômage, s’il n’est pas traité à temps, est une porte grande ouverte vers la
désinsertion sociale, personnelle et familiale de ceux qu’il frappe. Le projet
genevois vise à lutter prioritairement contre le chômage de longue durée. Les
emplois dit temporaires seront supprimés, puisqu’ils sont dans les faits une
puissante machine à fabriquer des chômeurs de longue durée. Toutefois,
seront préservés les moyens financiers qui leur étaient affectés, pour soutenir
la mise en place de mesures de formation de gens peu qualifiés.
Le second projet est la mise en place de la LASI, la loi sur l'aide sociale
individuelle. Dans ce cadre, le CASI, contrat d'aide sociale individuelle, tient
compte des possibilités et de la capacité des bénéficiaires. De plus, il
permettrait à ceux qui retrouvent une activité professionnelle, même très
partielle, d’être encouragés à le faire, en leur permettant de conserver un de
leurs acquis financiers. D'assistée, la personne concernée devient
véritablement actrice de sa réinsertion.
Certes, il existera toujours des personnes qui risquent de ne pas pouvoir entrer
dans le cadre des dispositifs qui sont en train d'être mis en place, parce que
leur problématique est complexe.
C'est pour ces dernières que Monsieur Longchamp souhaite mettre en place à
Genève le dispositif "MAMAC". Ce projet vise à réunir des intervenants des
secteurs du chômage, de l'assurance-invalidité et de l'aide sociale. Ceux-ci font
équipe de manière à pouvoir effectuer ce que l'on appelle, dans le jargon, un
"assessment". Il s'agit de recevoir une personne en difficulté et de déterminer
quelle structure doit intervenir, de quelle manière et à quel moment, le tout
dans le souci de la réinsérer le plus rapidement et le plus durablement
possible.
À Genève, "MAMAC" a tout récemment quitté le stade du projet pour entrer
dans une phase opérationnelle, puisqu'une équipe plurisectorielle a déjà été
constituée, et commencera son travail dès la mi-avril 2007.
Ce dispositif a pour but de réinsérer des personnes dans le circuit économique
« normal », celui du « premier marché ». Mais ce circuit, même avec une aide
à la réinsertion, n'est encore pas à la portée de tous. Il est pourtant clair que
personne ne doit être laissé de côté.
Cette intention de répondre aux besoins de tous se manifeste aussi dans la
nouvelle loi sur le chômage, qui sera vraisemblablement votée avant l'été.
11
La loi permettra que soient développées de nouvelles opportunités de
placement dans des emplois de solidarité. Moins contraignantes quant aux
conditions de travail, ces structures font partie de ce que l'on appelle le
marché complémentaire, soit celui de l'économie sociale et solidaire.
Elles s'adressent à des personnes dont les capacités ne leur permettent pas
encore d'intégrer le monde économique, en leur offrant la possibilité de trouver
un emploi dans des entreprises adaptées. Elles y trouveront une nouvelle
stabilité et l'occasion de renouer des liens sociaux. Cela constitue souvent un
premier pas vers une réinsertion plus poussée.
L'action des pouvoirs publics sera alors de soutenir financièrement les
organismes qui offriront ces postes de travail, sans pour autant concurrencer le
circuit économique « normal ».
3.1.4 Conclusion
Selon Monsieur Longchamp, il n'y a évidemment pas de "remède miracle" qui
permettrait que chacun puisse se réinsérer d'une manière aisée. Il existe déjà
des initiatives publiques ou privées, qu'il s'agit de soutenir et d'élargir par un
dispositif complémentaire. C’est ce à quoi, mené par l’énergie de Monsieur
Longchamp, le département de la solidarité et de l'emploi s'est attelé en
priorité.
____________________
12
3.2
La
géopolitique
mondiale
des
drogues
et
la
responsabilité des Etats, Monsieur Alain Labrousse,
ancien directeur de l’observatoire géopolitique des
drogues, Paris
Selon le rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime
(UNODOC) pour 20051, 200 millions de personnes consomment annuellement
des substances illicites dans le monde et ce marché ne cesse de progresser, en
particulier dans les pays en voie de développement. Les consommateurs se
distribuent de la façon suivante : 161 millions pour le cannabis ; une trentaine
de millions pour les drogues de synthèse, particulièrement les amphétamines et
les méthamphétamines ; 14 millions pour la cocaïne et 16 millions pour les
opiacés dont 11 millions pour l’héroïne. Cela tend à suggérer que les coûteuses
campagnes lancées depuis une quinzaine d’années par les organisations
internationales et les pays riches contre la production et le trafic des drogues
n’ont pas eu de résultats très probants. Ce relatif échec a des causes diverses.
D’abord, depuis le début des années 1990, l’impact géopolitique des trafics de
drogues a été favorisé par la multiplication des conflits locaux, effet pervers de
la fin de l’antagonisme des blocs et des soubresauts provoqués par
l’effondrement de l’Union soviétique. Si les organisations terroristes ont
davantage recours à l’argent légal (charité islamique, pétrole, etc.) qu’à celui
de la criminalité, en revanche de nombreuses organisations de guérilla, qui ont
perdu l’appui de leurs puissants protecteurs de l’Est ou de l’Ouest, se financent
désormais grâce aux profits tirés de la drogue qui, de ce fait, constituent un
obstacle à la résolution de plusieurs conflits, au premier rang desquels ceux de
la Colombie et l’Afghanistan, sur lesquels Monsieur Labrousse s’arrêtera. Enfin
et surtout, les grandes puissances qui ont proclamé « La guerre à la drogue »
dans les faits, la sacrifient à leurs intérêts économiques et géopolitiques. Ce
point est au centre de son intervention.
Afin de présenter quelques-uns des grands enjeux politiques à l’origine
desquels sont la production et le trafic des drogues, Monsieur Labrousse
envisagera d’abord le cas de la cocaïne en Amérique latine, du haschich au
Maroc et des opiacées en Afghanistan.
3.2.1 Les cultures de coca et « l’effet balloon2 »
Il est difficile de mesurer les effets des politiques anti-drogues en fonction des
seules variations de « l’offre » des produits interdits. Des changements
importants au niveau de la nature de leur « demande » doivent en effet être
1
En anglais, United Nations Office on Drugs and Crime
le ballon baudruche : lorsque on appuie sur un point de la surface cela s'enfonce, mais ça grossit sur un
autre point de la superficie.
2
13
pris simultanément en compte. Par exemple, aux États-Unis, la consommation
récréative de cocaïne est incontestablement en net recul depuis une dizaine
d’années, mais elle a fait place à une hausse très importante des usages
problématiques de l’héroïne et des dérivés amphétaminiques.
En Europe, si la consommation des drogues chimiques, en particulier de
l’ecstasy ont également fait une percée depuis la seconde moitié des années
1990, elle s’est ensuite stabilisées.
En ce qui concerne les drogues élaborées à partir de plantes dont la culture est
illicite, on observe un phénomène inverse de celui que connaissent les EtatsUnis : la consommation d’héroïne stagne ou régresse tandis que la cocaïne
constitue désormais une menace.
En dépit de ces réserves, les Nations unies s’étant fixées comme objectif une
réduction substantielle des cultures illicites, l’évolution de ces dernières est un
des critères applicables à l’évaluation des politiques répressives.
Depuis le début des années 1980, le Pérou et la Bolivie étaient les plus
importants producteurs mondiaux de feuilles de coca (respectivement sur
120 000 ha et 50 000 ha en 1994), et de pâte base de cocaïne, matière
première du chlorhydrate de cocaïne fabriqué, pour l’essentiel, en Colombie.
Les États-Unis en ont conclu que si l’on parvenait à interrompre la ligne
aérienne permettant aux trafiquants de ce dernier pays de s’approvisionner en
matière première (pâte base) au Pérou et en Bolivie, le prix de la feuille de
coca ne trouvant plus preneur s’y effondrerait. Au milieu des années 1990, les
Américains ont donc mis en place une chaîne de radars dans le nord du Pérou
afin de repérer les avionnettes colombiennes se préparant à atterrir sur des
pistes de fortune dans la forêt amazonienne. Ce dispositif était relié à l’aviation
de chasse péruvienne qui forçait à atterrir les appareils ne s’étant pas identifiés
ou les abattait. Ce dispositif, appelé Air Bridge Denial3 s’est révélé relativement
efficace, le nombre d’appareils abattus passant de moins d’une demi-douzaine
en 1994 à plus de 20 en 1996. Cela a entraîné l’effondrement des prix des
productions illicites boliviennes et péruviennes et donc de leur production.
Au Pérou, un autre phénomène a favorisé cette opération : la déroute de la
guérilla maoïste du Sentier lumineux à partir de 1993 qui a permis à l’Etat de
reprendre le contrôle de vastes zones de la région amazonienne (vallée du
Huallaga notamment) et d’en retirer une armée qui avait été largement
corrompue, tout comme les révolutionnaires, par les prébendes du narcotrafic.
En Bolivie, c’est l’élection du général Hugo Banzer à la présidence, en 1997,
qui a favorisé la politique américaine. En effet, ce dernier, durant sa dictature
militaire (1971-1978) avait contribué à installer l’économie de la cocaïne dans
son pays. Il devait donc faire oublier à la communauté internationale et surtout
aux Etats-Unis, les turpitudes de son premier gouvernement. C’est la raison
pour laquelle il a lancé une vague de répression pour éradiquer les champs de
coca qui, au prix d’une centaine de morts chez les paysans, a obtenu des
3
Theo Roncken (ed) “The Drug War in the Skies, The U.S “Air Bridge Denial” Strategy : The Success of a
Failure”, Accion Andina/Transnational Institute, Cochabamba (Bolivie), mai 1999.
14
résultats probants. Les superficies de cultures illicites sont ainsi
fin des années 1990, à moins de 40 000 ha au Pérou et à moins
en Bolivie. Indirectement cette politique a contribué à projeter
cocaleros, Evo Morales sur le devant de la scène, avant
triomphalement élu président, il y a un an.
passées, à la
de 10 000 ha
le leader des
qu’il ne soit
Mais, ce que n’avaient pas prévu les États-Unis, c’est que les trafiquants
colombiens, privés de leurs sources d’approvisionnement dans les pays voisins,
développeraient chez eux les superficies de cocaïers qui sont ainsi passées de
40 000 hectares en 1995 à près de 170 000 ha en 2001. La réduction de la
production obtenue en Bolivie et au Pérou a donc été plus que compensée par
son accroissement en Colombie. Plus grave, cette délocalisation des cultures a
permis un accroissement considérable des effectifs des guérillas d’extrême
gauche et des paramilitaires d’extrême droite qui financent leurs achats
d’armes à travers les revenus de la drogue.
Cette situation a amené les États-Unis à financer d’intenses campagnes de
fumigations en Colombie qui, au prix de graves dommages causés à
l’environnement et à la santé humaine, ont obtenu une réduction des cultures
qui, entre 2002 et 2004, sont redescendues à environ 80 000 ha. Mais l’année
suivante elles sont reparties à la hausse et pourraient avoir atteint, selon les
Etats-Unis, 140 000 ha en 1985.
Simultanément on observe de nouveau un accroissement des cultures de coca
en Bolivie où elles atteignent 27 000 ha et au Pérou plus de 50 000 ha. En
2003, près de 400 t de cocaïne ont été saisies dans le monde. Les États-Unis
estiment que 300 t de cocaïne sont annuellement importées dans leur pays
dont une centaine de tonnes ont été saisies en 20034. L’Europe est le second
marché de cette drogue avec environ 200 t importées en 2004, dont 90 t ont
été saisies. On observe en France une augmentation continue des saisies qui
sont passées de 2 t en 2001, à 4,5 en 2005. Des pays comme l’Afrique du Sud,
l’Australie ou le Japon sont également des marchés importants de la cocaïne.
Jusqu’à la fin de l’année 2005, on ne perçoit aucun impact de la réduction de la
production de cocaïne en Colombie sur sa disponibilité sur le marché
international ni sur son prix.
3.2.2 La production de haschisch marocain
La production de haschisch, élaboré à partir de la plante de cannabis, est
également à la hausse sur tous les continents, excepté en Océanie. Le premier
exportateur mondial de haschisch est le Maroc. Environ 80 % du haschisch
consommé en Europe et 90 % en Espagne et en France, proviennent de ce
pays. Les superficies de culture sont passées dans la chaîne du Rif, au nord du
4
Interpol « Global Situation on Criminal Oragnizations and Illicit Drug Trafficking, 2002”, p.26. D’autres
sources estiment que le niveau d’importation de cocaïne est en fait beaucoup plus élevé et pourrait
atteindre 600 t annuellement.
15
pays, d’une trentaine de milliers d’hectares dans les années 1980 à 134 000 ha
selon la première étude systématique dont les résultats ont été publiés par
l’UNODC en décembre 20035. Selon le gouvernement marocain, la production
serait retombée deux ans plus tard à 70 000 ha, mais ces chiffres sont
considérés comme peu fiables par les pays importateurs.
La pauvreté et le sous-développement sont les causes principales de cette
production, dont les plus gros profits ne vont pas aux paysans mais aux
dealers de rue qui, selon le même rapport de l’ODC, engrangent chaque année
en Europe une dizaine de milliards d’euros. Mais le rapport « oublie » d’évaluer
le montant des profits des importateurs, marocains et européens, qui doivent
s’élever à plusieurs milliards d’euros supplémentaires.
Dans le Rif, le développement de la production de haschisch depuis une
vingtaine d’année n’a pas été utilisé pour financer des conflits, mais il évite au
gouvernement d’investir dans le développement d’une région surpeuplée,
enclavée et délaissée par le pouvoir central. Cependant, des enquêtes de la
police espagnole à la suite des attentats du 11 mars 2004, ont permis d’établir
que huit des marocains impliqués avaient des antécédents liés au trafic de
drogues. Les explosifs utilisés pour les attentats contre les trains ont été
échangés contre une trentaine de kilos de haschisch, faciles à se procurer dans
le nord du Maroc.
3.2.3 Opium de guerre et opium de paix en Afghanistan
En dépit de la réduction de la production en Birmanie qui est passée de 2500 t
au milieu des années 1990 à environ 400 t en 2004, la production mondiale
d’opiacés est globalement à la hausse. Cela est essentiellement dû à un
accroissement de la production en Afghanistan qui après avoir représenté en
moyenne environ 3000 t chaque année entre 1995 et 1998, a été de 4 500 t
en 1999 et de 3300 t en 20006. L’interdiction de semer, prononcée en août
2000 par le chef des talibans, le Mollah Omar, a été suivie d’effet, les
superficies dans les régions contrôlées par le gouvernement islamiste n’ayant
été que de 17 ha en 2001.
Cette interdiction avait à la fois des intérêts politiques – avoir éradiqué l’opium
afin de renforcer la candidature du gouvernement taliban au siège de l’ONU au
début de l’année 2001 – et économiques : du fait des récoltes record des deux
années précédentes, il existait des stocks considérables de drogues dont la
mise sur le marché aurait pu provoquer un effondrement des prix. Il est
d’ailleurs très vraisemblable que l’apport monétaire des trafiquants au
gouvernement a compensé la perte de revenu des taxes perçues sur l’opium.
5
UNODC/Royaume du Maroc « Maroc. Enquête sur le cannabis 2003 », décembre 2003.
United Nations Office on Drugs and Crime (ODC) « The Opium Economy in Afghanistan. An International
Problem”, New York/Vienne, 2003.
6
16
En août 2001, Mollah Omar a renouvelé son interdiction de semer le pavot,
mais les évènements de la fin de l’année n’ont pas permis aux talibans de la
faire respecter. Bien que le 17 janvier 2002, le gouvernement intérimaire du
président Ahmid Karzaï ait interdit la culture du pavot et les activités liées au
narcotrafic et que le Royaume-Uni ait dépensé une vingtaine de millions de
dollars pour subventionner l’arrachage des plantations, la production d’opium a
retrouvé en 2002 son niveau de l’année 1999, soit 3 400 t.
Il est plus étonnant que cette production ait continué ensuite à progresser en
dépit des efforts du gouvernement afghan et de ses alliés occidentaux. En
2003, la production a représenté 3600 t et 4200 t en 2004. En 2005, on a
observé une diminution de 20% des superficies, mais, du fait de bonnes
conditions climatiques, la réduction de la production d’opium n’a été que de
100 t, soit 4 100t.
La communauté internationale espérait que la tendance à la baisse se
confirmerait en 2006. Mais ce fut la douche froide : avec 6 100 t produites sur
165 000 ha, tous les records étaient battus et l’on s’attend à une récolte
équivalente en 2007. À un prix moyen de 125 dollars par kilo d’opium séché
payé aux paysans, les revenus tirés de la culture du pavot ont représenté pour
l’ensemble des agriculteurs des revenus s’élevant à 755 000 000 de dollars.
Même si chacune des 356 000 familles de producteurs d’opium, soit plus de 2
millions de personnes (10 % de la population de l’Afghanistan), ne cultive en
moyenne que 0,3 hectare, cela représente un revenu de 1700 dollars
annuellement par famille (avec de fortes disparités selon les régions et les
unités familiales). Mais si on regarde maintenant le revenu par tête d’habitant,
la différence n’est pas énorme : 280 dollars alors qu’elle est de 226 dollars en
2006 pour l’ensemble de la population afghane.
Des études ont en effet montré que les métayers, qui composent l’essentiel de
la paysannerie afghane, ne reçoivent au maximum qu’un tiers du prix de la
vente de l’opium à la ferme, après avoir payé en nature le prix de location de
la terre et celui de la main d’œuvre, voire un sixième s’ils ont dû contracter un
crédit.
En revanche ceux des trafiquants d’opium, de morphine et d’héroïne qui
exportent via la route représentent 2,34 milliards de dollars. L’ensemble de ces
revenus constituent 52% du PNB en 2005 et 46 % en 2006 du fait de la
progression sensible de ce dernier.
Pourquoi les Occidentaux paraissent-ils jusqu’ici impuissants à endiguer le
phénomène ? Outre les raisons qui tiennent à la grande géopolitique et que
nous aborderons en conclusion, on peut remarquer que l’aide internationale qui
a représenté entre 2002 et 2005 environ 5 milliards de dollars, s’est surtout
17
déversée dans les villes et n’a que très peu touché les campagnes. Les paysans
n’ont donc pas vu leur situation s’améliorer. Lorsqu’ils sont touchés par
l’éradication comme sous les talibans ou dans le Nangrahar en 2005, leur
situation devient dramatique du fait de la pratique des trafiquants qui consiste
à payer la récolte jusqu’à deux ans à l’avance.
D’une façon plus générale, les Américains pour combattre les talibans
s’appuient sur des seigneurs de la guerre qui sont des trafiquants de drogue.
Le président Karzaï a repris cette politique à son compte pour consolider son
pouvoir dans certaines provinces. Le résultat, selon une très sérieuse enquête
menée par un Institut de recherche au sujet des élections législatives du
printemps 2006 est le suivant: « Sur 249 parlementaires, 24 appartiennent à
des gangs criminels, 17 sont des trafiquants de drogues notoires, et 40 sont
des commandants liés à des groupes armés illégaux ».
Pour toutes ces raisons, la situation ne s’est pas améliorée et l’on parle de plus
en plus d’utiliser contre le pavot des fumigations d’herbicides, avec tous les
inconvénients que Monsieur Labrousse a signalé à propos de la Colombie, mais
en plus grave encore.
3.2.4 Les intérêts géopolitiques des Etats
Ce sont les Etats-Unis qui au titre de première puissance mondiale et leaders
incontestés de la « guerre à la drogue » font l’usage le plus systématique de
cet outil géopolitique, comme le montre leur intervention en Colombie.
Jusqu’en décembre 1999 en effet, les États-Unis avaient espéré maintenir une
présence militaire dans la zone du canal de Panama. À cette fin, ils tentaient
de vendre l’idée d’un Centre multilatéral antidrogues (CMA) basé dans ce pays.
Mais les pourparlers avec l’ancien président Balladares ayant été dévoilés et la
nouvelle présidente, Mireya Moscoso, ayant refusé l’implantation du CMA sur
son territoire au nom de la souveraineté nationale, les États-Unis ont dû
parcourir les Caraïbes à la recherche de gouvernements plus conciliants.
Ainsi, les bases qui coordonnaient depuis 80 ans la politique militaire
américaine en Amérique latine se sont redéployées in extremis en Floride, à
Porto Rico (île de Vieques), à Cuba (Guantanamo), en Équateur (Manta), au
Honduras et dans les îles de Curaçao et Aruba (gouvernement néerlandais). La
plupart de ces concessions étant annuelles, elles doivent être renégociées.
À cela s’est ajouté le fait que le gouvernement nationaliste vénézuélien d’Hugo
Chavez a interdit le survol de son espace aérien aux avions militaires des
États-Unis et que le Panama a refusé de s’engager à protéger les agents de la
DEA opérant à partir de son territoire.
18
La plupart des voisins de la Colombie ont manifesté en 2000 et 2001 contre le
projet d’une force multinationale d’intervention dans ce pays à propos de
laquelle les États-Unis avaient lancé des ballons d’essai. Ces mêmes pays se
sont également opposés au « Plan Colombie » qui, à leurs yeux, risque
d’exporter chez eux les problèmes de ce pays (guérilla, drogue et migrants). Il
est a noter que l’Union européenne a elle aussi refusé de participer au
financement du Plan Colombie, même en ce qui concerne ses aspects civils,
pour ne pas légitimer les aspects militaires et répressifs qui sont omniprésents.
L’UE finance au contraire des initiatives de la société civile, appelées les
laboratoires de paix.
Outre le contrôle du territoire, les Etats-Unis ont d’autres motifs pour
intervenir en Colombie sous le prétexte de lutter contre la drogue !:
• D’abord des compagnies américaines opèrent dans le nord-est du pays et
c’est dans le cadre du Plan de Colombie qu’un demi-millier de militaires
américains forment des corps de l’armée colombienne pour protéger
l’oléoduc de Cañon Covenas des attentats de la guérilla de l’ELN qui n’est
pas impliquée dans le trafic de drogues.
• Ensuite il existe un projet de canal alternatif à celui de Panama qui
unirait, dans le nord de la Colombie, l’Amazone au Pacifique.
• Le sud des Etats-Unis manque cruellement d’eau et il existe des projets
d’y faire venir de l’eau de l’Amazonie. Or les militaires brésiliens, qui sont
nationalistes même lorsqu’ils sont ultraconservateurs, ne le permettront
jamais. La Colombie apparaît, de ce point de vue, comme un maillon
faible.
• Enfin, l’industrie pharmaceutique américaine voudrait avoir un accès sans
restriction à la richesse de la biodiversité amazonienne, phénomène à
rapprocher de la guerre des brevets qui est en train de se dérouler entre
les Etats-Unis et les pays en développement.
Tout cela explique pourquoi les Etats-Unis ont investi plus de 4 milliards de
dollars dans la guerre à la drogue en Colombie entre 2000 et 2005.
Dans le cas de l’Afghanistan, la lutte contre la drogue et le terrorisme luimême dont les Etats-Unis sont les leaders, servent d’écran de fumée à des
objectifs beaucoup plus fondamentaux :
• L’Afghanistan constitue un tremplin vers le pétrole de l’Asie centrale et de
la Caspienne. Il y a d’abord le projet d’Oléoduc acheminant le pétrole
Turmen du gisement de Daoulatabad-Donmez à travers l’Afghanistan
jusqu’au Pakistan et qui pourrait être transporté par Tanker jusqu’aux
Etats-Unis; mais surtout l’Afghanistan permet l’accès à l’Asie centrale.
L’opération de 2001 a permis l’accès de l’aviation américaine à une base
de l’Ouzbékistan et l’aide anti-drogue au Tadjikistan.
19
• Le second intérêt des USA est de faire de l’Afghanistan une base arrière
permettant de surveiller l’Iran et, éventuellement de l’attaquer. C’est la
raison pour laquelle de nombreux aéroports afghans ou des bases,
comme celles de Bagram, Kandahar, Djelalabad, Shindand, près d’Hérat,
sont l’objet de développements considérables et secrets qui tendent à les
transformer en centres logistiques pour les troupes américaines. D’où le
souhait de ces dernières de confier à l’OTAN l’affrontement avec les
talibans et Al Qaida dans certaines régions pour se fortifier sur des bases.
La volonté des Etats-Unis d’être depuis cinquante ans les chefs de la guerre à
la drogue rend plus visibles les contradictions de leur politique, mais ils ne sont
pas les seuls à faire passer leurs intérêts géopolitiques avant les nécessités de
la lutte contre la drogue. Cette tendance est perceptible également dans le cas
des pays européens et de l’Union elle-même comme le révèlent par exemple
les politiques à l’égard du Maroc et de la Turquie.
L’Europe a une façon très différente d’aborder le problème, davantage axée sur
le développement, la prévention, l’éducation et le renforcement de l’Etat de
droit. Mais elle se révèle incapable d’offrir un modèle alternatif à l’Amérique
latine.
D’abord il n’existe pas une vraie volonté politique d’affronter les Etats-Unis sur
ce terrain. L’Amérique latine est considérée par ces derniers comme une
chasse gardée, à l’image de l’Europe qui cherche à garder l’Afrique sous sa
coupe. De plus, dans le domaine de la drogue, les responsabilités sont
dispersées, au niveau européen, entre différents services. Même s’il existe un
Commissaire chapeautant ces divers organismes, cela ne représente qu’un de
ses multiples domaines de compétence et il n’a pas le poids pour s’opposer au
« Tsar antidrogue américain ».
Enfin l’Europe, qui est le principal agent du développement dans le monde, ne
met pas en Amérique latine, à tort ou à raison, les moyens financiers
équivalents à ceux des Etats-Unis. Pour toutes ces raisons, ces derniers
gardent leur leadership mondial en matière de lutte contre la drogue, même si
cette croisade, qui n’est pas exempte d’arrières pensées, se révèle depuis vingt
ans un échec.
En revanche l’Europe et les pays européens ont des attitudes proches de celle
des Etats-Unis dans ce qu’ils considèrent comme leur pré carré : l’Afrique.
C’est particulièrement vrai de l’attitude de la France à l’égard du Maroc, son
ancien protectorat.
On observe, en particulier au niveau des responsables de la politique
répressive, c'est-à-dire les ministres de l’Intérieur, un double discours : d’un
côté on diabolise la consommation de cannabis, dont on dit qu’elle conduirait
20
inévitablement à la consommation des drogues dures; de l’autre on refuse
l’idée même de nommer le Maroc comme un pays producteur.
La première conséquence de cette crainte est qu’au cours des visites officielles
du roi du Maroc en France, et bien sûr de responsables français au Maroc, le
thème du haschisch n’a jamais été à l’ordre du jour !
On note de nombreux témoignages de policiers se plaignant des interdictions
officielles mises à leurs tentatives de remonter les filières des drogues jusqu’au
Maroc.
La presse reflète également cette volonté officielle de ne pas mettre en avant
le rôle de ce pays. On observe que lorsqu’il est rendu compte de saisies, ou
même dans des articles d’investigation, il n’est fait mention que de l’Espagne
comme pays d’origine du haschisch.
Le fait que la France est le premier partenaire économique du Maroc et que
près de 600 000 ressortissants marocains vivent en France contribuent à
expliquer ces liens privilégiés. Ensuite, Hassan II, auquel il ne faut pas nier un
sens aigu de la politique dans le domaine international, a joué un rôle
important dans les négociations au Moyen-Orient en étant notamment le
deuxième pays arabe, après l’Égypte, à reconnaître Israël.
Autre contribution aux efforts des pays occidentaux, dans les années 1970, les
troupes marocaines sont intervenues à deux reprises au Zaïre pour sauver
Mobutu. Enfin, le Maroc a été considéré par la France comme un rempart
contre la montée des islamistes, particulièrement depuis que ces derniers se
sont révélés une menace en Algérie. C’est sans doute la raison pour laquelle
non seulement les partis politiques français de tous bords, mais également
l’ensemble des pays occidentaux et les autorités de l’Union européenne, ont
craint de déstabiliser le régime marocain en soulevant le thème de ses
responsabilités dans le trafic des drogues.
3.2.5 Conclusion
Ces différents exemples nous montrent que les pays riches mènent sur le plan
international une lutte contre la drogue, parfois fort coûteuse. Cette dernière
est d’ailleurs réclamée par leur population, alarmée par des campagnes qui
tendent à diaboliser ces produits. Mais, dès que cette lutte entre en
contradiction avec les intérêts géostratégiques ou économiques des États, la
lutte contre la drogue passe inévitablement au second plan.
Dans une telle situation, la première solution serait, au lieu de mettre l’accent
et les moyens prioritairement sur la répression, que les différents pays
concernés concentrent leurs efforts sur la prévention, les soins et la
21
réinsertion. Il soulève également qu’une des mesures les plus efficaces pour
lutter contre la drogue est la réduction des risques.
Une étude menée aux Etats-Unis avec l’appui de la Rand Corporation montre
qu’un dollar investi dans ces domaines est aussi efficace que 7 dollars dans
celui de la répression.
Une seconde solution serait la légalisation universelle des drogues dont la
vente serait étroitement contrôlée par l’État qui proposerait simultanément des
traitements aux personnes toxicomanes. Une telle politique provoquerait
inévitablement une baisse considérable de la délinquance liée aux drogues, des
activités des mafias dans ce domaine (lesquelles se reconvertiraient dans
d’autres activités illégales ou criminelles), des conflits, etc. Mais l’inconnu reste
les effets sur la consommation. Ils seraient vraisemblablement contrôlés dans
les pays riches, mais risqueraient de connaître un développement exponentiel
dans les pays en développement où les politiques sanitaires ne bénéficient pas
de moyens.
Mais l’éventualité d’une telle mesure devrait faire l’objet d’un large débat d’où
devraient être exclues les considérations idéologiques pour se concentrer sur
ses effets pratiques dans un cadre de Santé publique.
____________________
22
3.3
Présentation de la loi genevoise sur le narcotrafic et
des projets établis dans les pays producteurs, Monsieur
Jean-Luc Pittet, Secrétaire général de Terre des
Hommes Suisse
3.3.1 Introduction
Que peut-on faire et quelles sont les alternatives possibles pour les populations
du Sud pour éviter qu’elles soient condamnées à planter des plantes à
drogues ?
On sait qu’il y a du commerce de drogue et donc qu’il y a de l’argent qui
circule. À Genève, l’enjeu a été de se poser la question : que fait-on de cet
argent confisqué ? Cela a été un défi pour la Fédération de coopération qui
regroupe 45 organisations de coopération au développement à Genève et qui
gère une grande partie de l’argent de l’Etat et des communes consacré au
développement.
3.3.2 Objectifs de l’intervention
• Présentation de la loi sur la création d'un fonds destiné à la lutte contre
la drogue et à la prévention de la toxicomanie
• Présentation de deux projets de développement financés par ce fonds
3.3.3 Présentation de la loi
Cette loi est née assez simplement. Marc Schneider, ancien parlementaire au
Grand Conseil, a vécu 10 ans en Colombie et gardait toujours des contacts
avec ce pays. Il voyait régulièrement dans les journaux : prise de cocaïne –
confiscation de telle somme d’argent. Un jour, ses amis colombiens lui
demandent où passe l’argent confisqué de la prise de drogue en Suisse?
En tant que parlementaire, Monsieur Marc Schneider pose la question au Grand
Conseil. Le ministre des finances de l’époque lui dit que cet argent entre dans
les caisses de l’Etat. Il soulève l’incohérence du système : comment se fait-il
que l’argent de la criminalité entre dans les caisses de l’Etat comme n’importe
quelle taxe ou impôt ? Il trouve que cet argent doit plutôt être utilisé pour
lutter contre la drogue, pour prévenir la consommation, ou la production de
plantes à drogues. Le ministre des finances lui suggère de faire une
proposition.
23
Sur ce fait, Monsieur Marc Schneider prend contact avec la Fédération
genevoise de coopération pour élaborer un projet. Il a été défini de faire une
proposition de loi qui stipule qu’avec la saisie d’argent, cette somme doit être
redistribuée pour moitié pour la prévention de la consommation à Genève et
l’autre moitié pour les pays producteurs dans le Sud.
Puis après une longue collaboration entre les parlementaires genevois de la
commission des finances, la FGC et différentes ONG, ils ont abouti à un
nouveau projet de loi présenté en mai 1994 au Grand Conseil.
3.3.4 Caractéristiques de la loi entrée en vigueur le 1er janvier 1995
• Fonds alimentés par la moitié des montants confisqués provenant du
trafic de stupéfiants jusqu'à concurrence de CHF 3 millions par an au
maximum.
• Fonds répartis en parts égales :
- Pour la prévention de la toxicomanie à Genève
- Pour la prévention de la production de plantes à drogue dans le
tiers monde (projets de coopération au développement)
Le montant total du Fonds de 1995 à 2005 est de CHF 15,5 millions. Cela veut
dire qu’il y a eu sur dix ans, 7 millions 750 mille francs pour la prévention à
Genève et la même somme versée dans les les pays du sud. Dans notre
canton cela équivaut à 80 projets qui ont pu être soutenus, comme par
exemple mettre sur pied les Forums addictions. Dans les pays du sud, il y a eu
à peu près 50 programmes qui ont pu être financés.
Actuellement, il y a toujours des prises mais elles sont moindres car les
narcotraficants sont toujours plus malins. Nous sommes victimes de l’éclosion
des banques du genre Western Union, car l’argent n’est pas contrôlé jusqu’au
dernier franc quand on envoie par ces organismes bancaires. C’est seulement à
partir d’un certain montant qu’on s’inquiète de la provenance de cet argent.
3.3.5 Projet « Barrilete »
Prévention de la consommation de drogue et assistance à des enfants et des
jeunes toxicodépendants dans les quartiers populaires de Montevideo en
Uruguay.
Ce projet est soutenu par Terre des Hommes Suisse. C’est un exemple parmi
les nombreux projets financés par la FGC.
24
Objectifs
Aide intégrée à des enfants et jeunes de milieux défavorisés et en situation
d’exclusion, quotidiennement confrontés aux problèmes de drogues.
En Uruguay, il y a beaucoup d’immeubles qui n’ont pas été rénovés dans le
centre ville de Montevideo, et les personnes y vivent dans une grande
insalubrité. Le gouvernement a décidé de les déplacer en dehors de la ville du
fait de la forte marginalisation de cette population. Aujourd’hui, ces gens se
trouvent dans des quartiers populaires, voire des bidonvilles.
Aspects novateurs
• Travailler avec des jeunes dans leur milieu de vie.
En général en Amérique du sud, quand des jeunes se droguent, la
démarche est plutôt répressive (prison, psychiatrie).
• Minimiser les risques de consommation problématique.
• Encourager à adapter un style de vie saine.
Ce travail se fait avec la communauté pour que le jeune puisse se
réinsérer socialement.
Principales activités :
• Travail en réseaux (institutions publiques : santé, éducation) et au sein
de la communauté (familles, associations de quartier, municipalité)
• Formation et sensibilisation des différents acteurs (jeunes, enseignants,
personnel soignant, police, patrons de bar)
• Production et diffusion de matériel d’information auprès des jeunes
(milieux festifs, écoles)
• Socialisation à travers des activités pratiques
25
3.3.6 Projet « Coopératives La Florida et Alto Palomar »
Prévention, par un développement rural intégré, de la production de plantes à
drogue en Haute Amazonie péruvienne.
Dans ce projet, nous allons découvrir quelles sont les alternatives possibles
pour les populations qui produisent de la coca. C’est-à-dire comment faire pour
qu’elles produisent autre chose !
En avant propos, Monsieur Pittet veut rappeler que les familles paysannes
cultivant de la feuille de coca veulent simplement acquérir un niveau de vie
descent. Si malheureusement pour vivre ou survivre, il faut se mettre à cette
culture, elles le feront. Ces paysans ne veulent pas s’enrichir, ils veulent
simplement vivre. Donc, s’il est possible de leur proposer des conditions de vie
favorables, ces personnes préfèrent rester dans leur village, dans leur
communauté où ils sont nés.
Objectif
• Amélioration du niveau de vie de 1500 familles productrices de café par
l’appui des coopératives agricoles de services.
Les coopératives agricoles sont des structures qui pallient les manques
de l’Etat.
Aspects novateurs
• Prise en compte de l’ensemble des besoins essentiels de populations
rurales marginalisées.
• Exportation directe des producteurs de café sur le marché international.
En 1990, pour la première fois, le café a été directement exporté en
Suisse. Si on arrive à se passer des intermédiaires, le prix du café
devient plus décent et ainsi on enlève également toutes les tricheries
possibles, soit sur la qualité ou sur le poids du café. En plus, le fait d’être
payé directement évite la fluctuation du prix. Cette exportation directe en
Europe a été une petite révolution. En Suisse c’est l’entreprise Blazer
Café à Berne qui a pris le risque d’acheter 500 sacs de café. Conséquence
directe de cet acte, le même jour le prix du café a augmenté d’un dollar
et demi au Pérou parce que les « brokers » ont eu peur que tous les
producteurs prennent directement contact avec les importateurs.
• Approche communautaire, par le système coopératif pour promouvoir le
développement durable.
26
Principales activités
• Contrôle de la filière café
Il est évident que s’il l’on veut vraiment avoir des prix intéressants, il faut
tout contrôler, du semi jusqu’à la toréfaction. La Florida a même réussi à
avoir sa propre banque. Par exemple, si la coopérative n’a pas d’argent
quand les producteurs arrivent et comme ces derniers en ont un besoin
impératif, ils sont prêts à aller vers n’importe quel commerçant, même s’ils
savent qu’ils sont exploités. C’est donc grâce à ce fonds de 169'000.- dollars
du fonds drogue et développement que la coopérative a pu se développer.
On est passé en quelques années de 40 personnes à 1400 membres.
• Diversification agricole
Il ne faut pas dépendre que du café et avoir de quoi s’alimenter. Mais il est
important aussi de développer d’autres cultures qui permettent, si le prix du
café baisse, de pouvoir gagner un peu d’argent pour le revenu familial.
• Centre de formation
• Développement des infrastructures de base dans la région.
Indispensable si l’on désire retenir les gens dans leur village (école,
hôpital)
Le Pérou comprend 25 millions d’habitants, dont 8 millions habitent à Lima. Ce
pays vit un grand problème d’exode rural, car dans la région de la Sierra, à
4000 mètres d’altitude, il est extrêmement difficile de vivre. Et surtout que
cultiver ?
Actuellement, on parle d’une plante à la mode, la macca, qui augmente la
résistance de l’organisme. Dernièrement des producteurs péruviens ont trouvé
des importateurs pour commercialiser ce produit. L’autre possibilité pour
gagner de l’argent, pendant les périodes sèches pour la culture, est l’artisanat.
Hélas, ces paysans - artisans sont très peu payés et n’arrivant pas en vivre, ils
quittent cette région pour aller à la ville. Ils se retrouvent dans des bidonvilles
dans des conditions infra-humaines de vie, où ils n’arrivent pas non plus à
vivre décemment avec tous les risques que cela comporte, exploitation des
enfants au travail, prostitution, etc. Il faut toutefois rappeler que certains s’en
sortent quand même.
Une autre possibilité est la forêt amazonienne. 60% du territoire péruvien est
composé de la forêt amazonienne. Comme ces personnes ont très peu de
connaissance et pas de moyens pour cultiver dans cette région, la première
chose qu’elles font c’est de tout brûler, puis de cultiver du maïs ou du café. De
ce fait, il y a un appauvrissement des terrains et de gros problèmes d’érosion.
27
Il n’y a pas hélas non plus d’aide de l’Etat pour leur montrer comment cultiver
en forêt amazonienne.
L’alternative possible est d’aller dans la région toute proche et de cultiver ou
travailler dans les champs de plantes à drogue. 70'000 familles vivent de la
production de coca. Au Pérou on dénombre 65 mille hectares de champs de
coca. Aujourd’hui, on arrive à produire plus de 2000 kilos de feuilles de coca
par hectare. Le prix de la feuille de coca est passé en six ans de 90ct de dollars
à plus de 2 dollars. Il n’est donc pas aisé de trouver des cultures qui peuvent
rivaliser en prix.
Les enfants sont les personnes qui payent le plus lourd tribut de toute cette
problématique (problèmes de santé). Ils sont payés seulement 3 à 4 soles par
jour, ce qui correspond à CHF 1.50.-, alors que le salaire minimum est de 15
soles par jour. Il y a donc une exploitation des plus faibles. S’il n’y a pas
d’alternative, ces gens vont partir dans cette région pour cultiver.
86% de cette culture sont consacrés à l’exportation de la cocaïne et le reste
pour la consommation. Il n’y a hélas pas de politique gouvernementale de
consommation légale de coca au Pérou. On diabolise souvent la feuille de coca
mais c’est la cocaïne qui est à diaboliser. La coca, cela fait des siècles qu’elle
est consommée dans certains pays.
28
Il faut se battre pour le commerce équitable, pour les logos biologiques, pour
arriver sur les marchés internationaux et être payé correctement. Maintenant,
grâce par exemple au café Bio et Maxavellar, il est possible de payer 141
dollars les 46 kilos au lieu de 40.- 50.- 60.- dollars dans les mauvaises années.
Même si aujourd’hui le prix du café a augmenté à 100.- 120.- dollars, le café
bio reste mieux rémunéré.
Il y a également d’autres emplois qui se font dans cette coopérative : élevage
de cochons d’Inde, formation à travers les femmes, cultiver un jardin potager
scolaire, des postes de santé, s’occuper des personnes qui ont des problèmes
sociaux et des écoles.
Dans ces coopératives ce n’est pas seulement le café qui est important mais
aussi cet appui au développement régional pour que les enfants aient un
avenir possible dans cette région.
3.3.7 Conclusion
• 15,5 mio CHF pour financer des projets de prévention à Genève et dans
les pays du Sud
• Impacts concrets encourageants des projets réalisés
• Exemple pour d’autres cantons
• Sensibilisation des politiciens et de la population
La préparation du projet de loi, puis son acceptation au Parlement genevois, a
eu des effets positifs, directs et indirects, à différents niveaux.
D'abord, cette loi a permis de sensibiliser la population, et en particulier les
politiciens genevois, à l'interdépendance Nord-Sud concernant la production et
la consommation de drogues. Elle a aussi donné l'occasion de rappeler les
causes profondes de la production de plantes à drogue dans le Sud, à savoir
avant tout les prix dérisoires des produits agricoles payés aux paysans.
D'autre part, cette nouvelle loi a pu servir d'exemple à d'autres régions de
Suisse. La Fédération vaudoise de coopération, par exemple, l'a utilisée pour
sensibiliser l'Etat de Vaud à cette problématique, alors qu'à Fribourg, une
partie des fonds confisqués a aussi été utilisée dans des projets de
sensibilisation et de prévention. Enfin et surtout, cette nouvelle loi a permis de
financer de nombreux projets de prévention concernant la problématique de la
drogue, à Genève et dans les pays du Sud.
____________________
29
3.4
Le trafic de la cocaïne, Monsieur Olivier Guéniat, Chef
de la police de sûreté du canton de Neuchâtel
3.4.1 Avant-propos
Ce document a été réalisé en collaboration avec Monsieur Pierre Esseiva,
professeur-assistant à l’Ecole des Sciences Criminelles, Institut de Police
Scientifique et de Criminologie à l’Université de Lausanne.
3.4.2 Définitions
La cocaïne est un alcaloïde présent naturellement dans les feuilles de la plante
Erythroxylum coca. L’alcaloïde est une substance azotée d’origine végétale
dont la molécule comporte au moins un atome d’azote salifiable.
L’Erythroxylum coca, ou cocaïer, classifiée botaniquement comme un arbuste,
peut être cultivée sous différents climats et sur des sols variés. Son niveau de
culture primaire est toutefois situé dans la forêt tropicale montagneuse le long
des pentes est des Andes, principalement entre 500 et 1'500 mètres d’altitude.
Il existe plus de 200 espèces distinctes d’Erythroxylum parmi lesquelles seules
deux, l’Erythroxylum coca et l’Erythroxylum novogranatense, contiennent une
quantité significative de cocaïne. En Amérique latine sont cultivées avant tout
les variétés suivantes :
•
•
•
•
Erythroxylum
Erythroxylum
Erythroxylum
Erythroxylum
coca var. coca,
coca var. ipadu,
novogranatense var. novogranatense,
novogranatense var. truxillense.
En 2001, la culture de la coca est répartie du centre au nord de la cordillère
des Andes, approximativement 60% en Colombie (<10% en 1995), 25% au
Pérou (60% en 1995), 8% en Bolivie (30% en 1995) et le reste (à peu près
dans l’ordre d’importance), en Equateur, Venezuela, Brésil, Argentine et
Panama.
3.4.3 Historique
L’histoire de la cocaïne est moins dense et moins compliquée que celle de
l’opium, vraisemblablement du fait que l’Amérique latine est une région de
moindre importance stratégique, pour l’Europe en particulier, que ne l’ont été
l’Asie et l’Orient. Mais c’est certainement aussi parce cette région reste l’une
des seules où la coca pousse naturellement.
30
Les découvertes archéologiques montrent que les feuilles de la plante étaient
déjà consommées 3'000 ans av. J.-C. Les traces les plus significatives de
l’usage des feuilles ont été découvertes sur les sites de Valvidia en Equateur,
et Huaca Prieta au Pérou. Elles ont été datées respectivement de 2'100 et
2'500-1'500 ans av. J.-C.
L’archéologie
est
cependant
tributaire
des
conditions
climatiques,
particulièrement lorsqu’elle concerne la conservation du matériel végétal. Les
climats très différents selon les régions d’Amérique du Sud ont donc une
incidence directe sur les indices retrouvés et leur interprétation.
Ce sont les dynasties Incas qui, les premières, ont révélé tout le potentiel
contenu dans la feuille de coca et qui ont contribué à ancrer sa culture jusqu’à
la rendre indissociable des hauts-plateaux sud-américains. Elles n’ont pas non
plus tardé à hausser les fameuses feuilles au rang d’argument politique et
économique. L’arbuste prend un essor géographique considérable au fur et à
mesure du développement de l’Empire inca et de ses conquêtes. Sa culture
s’étend, à l’époque de la dynastie Tahuantisuyu, du sud de la Colombie au nord
de l’Argentine. Les Incas développent dans leur territoire, composé de régions
d’altitudes très diverses, une économie de culture propre à chaque niveau
géographique et d’échanges entre ceux-ci. Les cultures sont ainsi extrêmement
variées et diversifiées. La culture des feuilles de coca y occupe une place
importante et se voit attribuer une valeur supérieure, attendu qu’elle est
réservée à l’élite de la hiérarchie sociale, nobiliaire et sacerdotale.
La colonisation des Espagnols va amplifier l’importance de la culture de la coca
qui reste une pierre importante de l’édifice économique sud-américaine.
L’attitude de l’Eglise n’est pas étrangère à cela, dans la mesure où elle prélève
un impôt sur le commerce de la coca, bien qu’elle la considère comme le
« talisman du diable » des tribus autochtones.
En plus de l’argument économique que représente la coca, ses feuilles sont
particulièrement efficaces pour faire oublier aux Indiens les fatigues du travail
dans les mines et les conditions inhumaines dans les fermes des nouveaux
propriétaires espagnols. Sous l’ère espagnole, la coca représente la production
agricole la plus importante de toutes les Andes. Parallèlement, la
consommation de feuilles de coca se perpétue chez les indigènes, que ce soit
dans un contexte purement récréatif, médical ou rituel.
Dès 1573, l’impôt sur la production de coca rapporte gros à la Couronne
espagnole, qui encourage l’extension de sa culture à de nouvelles terres
vierges. Les Espagnols créent même des fermes agricoles spécialisées dans la
coca, les haciendas cocaleras.
La fin du XVIIIe siècle est marquée par les rébellions indiennes. Elles
interviennent entre 1779 et 1781 et sont dirigées en Bolivie par Julian Apas,
dit Tupac Katari, et au Pérou par Gabriel Condorkaqui, dit Tupac Amaru. La
coca joue dans ces conflits un rôle important, car les régions reconquises par
31
les révolutionnaires privent la Couronne espagnole des revenus sur le
commerce des feuilles de coca. Lorsque les Espagnols reprennent le contrôle
de ces zones et mettent fin à l’insurrection, les propriétaires proposent de
céder leur prochaine récolte aux troupes rebelles afin de financer la suite de la
révolution, à la seule condition que les soldats se chargent de récolter les
feuilles. La coca est placée au centre des négociations de la guerre, comme
l’opium l’avait été dans les colonies britanniques.
Les guerres d’indépendance qui débutent en 1809 contribuent encore à asseoir
et à consolider la place stratégique que la coca occupe au cœur de la guerre et
dans la période de l’après-guerre. L’indépendance une fois acquise, c’est
l’économie des nouveaux pays qui devient esclave des revenus tirés du
commerce des feuilles de coca.
L’usage de la coca se fait connaître dès le XIXe siècle en Europe, grâce aux
voyageurs et aux savants qui relatent les vertus de la plante. Parmi eux, il y a
lieu de mentionner le naturaliste allemand Edouard Poeppig, qui voyage au
Pérou et au Chili entre 1827 et 1831, le naturaliste suisse Von Tschudi, qui
voyage au Pérou en 1831, tout comme le savant anglais Richard Spruce qui
décrit l’usage de la coca dans tout le Brésil occidental. L’isolement de la
cocaïne à partir de 1860 transforme l’engouement des Occidentaux jusqu’à ce
que cette « plante magique » devienne une véritable toxicomanie.
En effet, comme ce fut le cas pour l’héroïne, c’est la chimie qui a bouleversé la
consommation de la coca. Jusqu’à l’isolement de la substance première tirée
de sa matrice végétale, la mastication des feuilles était la voie d’absorption la
plus répandue de la coca. Lorsque le naturaliste Karl von Sherger revient d’un
voyage accompli durant les années 1857-1859 avec les bagages pleins de
feuilles de coca, il confie les feuilles aux chimistes allemands Albert Nieman et
Wilhelm Lossen. Le temps de la mastication est révolu à jamais en Occident.
Les alcaloïdes sont isolés par Albert Nieman en 1859 et la chimie du
chlorhydrate de cocaïne est décrite par Wilhelm Lossen en 1862. Cette
dernière passe ensuite dans les mains des pharmaciens, puis est diffusée dans
les foyers européens, reconnue comme un élixir miraculeux, guérisseur de tous
les maux.
En 1863, le pharmacien corse Angelo Mariani fabrique le fameux vin contenant
une dose de cocaïne comprise entre 35 et 70mg par verre. Au vu du succès de
son vin, Angelo Mariani commercialise un élixir contenant trois fois plus de
cocaïne que d’alcool, puis des pastilles, et enfin le thé Mariani, à base de
feuilles de coca. Le succès remporté par ces produits est impressionnant. Dans
le livre d’or d’Angelo Mariani figurent les plus grandes célébrités, parmi
lesquelles le pape Pie X, Emile Zola, Sarah Bernard ou Anatole France.
La naissance du Coca-Cola s’effectue de la même façon. Le renom des produits
Mariani ayant traversé l’Atlantique, un chimiste américain, John Styh
Pemberton, crée un mélange composé de caféine, de cocaïne, d’un extrait de
noix de cola, d’eau et de gaz carbonique. Il n’imagine pas avoir inventé ce qui
32
deviendra la boisson commerciale la plus connue du XXe siècle et qui
contribuera à socialiser et mondialiser la cocaïne. Aujourd’hui encore, la
multinationale Coca-Cola utilise des feuilles de coca pour constituer le fameux
breuvage, mais après les avoir décocaïnisées, la cocaïne extraite servant à
l’industrie pharmaceutique en tant qu’anesthésique local.
Dans les années 1880, les travaux de Von Anrep et de Karl Koller permettent
de découvrir le potentiel anesthésique de la cocaïne. À la même époque, Freud
fait l’apologie de la cocaïne en lui attribuant la faculté de libérer la conscience,
avant de reconnaître plus tard les inconvénients de la substance.
Dès 1885, les scientifiques considèrent la cocaïne comme une drogue d’abus
dont la dangerosité est forte, notamment lorsque le produit est injecté ou
inhalé. Mais la cocaïne reste malgré tout en vente dans les pharmacies
d’Europe et d’Amérique durant plus de 20 ans.
Dès 1910, la cocaïne quitte le cercle restreint des consommateurs fortunés et
gagne, à Paris, les milieux de la prostitution et de la jeunesse. Elle se trouve
dans les salons des Champs-Élysées ou de la Porte Maillot où l’on se rencontre
pour priser « la neige » ou la « coco ». Les surréalistes s’en emparent
également et la hissent au rang de muse, tel Robert Desnos qui publie, en
1919, une Ode à la Coco. Durant l’année 1920, la police française saisit 65kg
de cocaïne et en 1924, Paris compte plus de 80'000 cocaïnomanes. À la veille
de la Seconde Guerre mondiale, la cocaïne est associée par les médias français
à un « fléau germanique », puis sa consommation s’atténue et passe de mode
jusqu’à l’approche des années 1970 où elle revient en force.
Jusqu’au début des années 1920, l’industrie pharmaceutique produit des
centaines de tonnes de cocaïne en Allemagne, en Hollande, en France, en Italie
et en Grande-Bretagne.
Les premières restrictions légales apparaissent en 1906, après la parution aux
Etats-Unis du Pure Food and Drug Act, suivi à l’échelle internationale des
résolutions des conférences de Shanghaï en 1909 et de la Haie en 1912. Les
grandes discussions résultant des ravages de l’opium finissent par intégrer la
cocaïne, sans qu’aucune restriction de production ne soit décrétée.
Si l’Erythroxylum coca est dans une très large mesure localisée en Amérique
du Sud, elle a tout de même été implantée après 1850 dans les îles de Ceylan
(Sri Lanka), de Java, Sumatra, Bornéo et Bali par les colons anglais et
hollandais qui avaient découvert tous les usages de la feuille de coca et les
enjeux économiques qui lui étaient associés. Ainsi, au début du XXe siècle, la
quasi-totalité du marché de la cocaïne industrielle se fournit au Pérou et à Java
à parts plus ou moins égales. La coca péruvienne est avant tout destinée à
l’Allemagne et aux Etats-Unis, celle de Java allant surtout aux Pays-Bas et au
Japon. Entre 1912 et 1939, Java exporte entre 1'000 et 1'500 tonnes de coca
par an et la production dépasse 1'700 tonnes par an.
33
En 1926, la Hollande est le premier pays importateur de coca, avec 600 tonnes
par an, suivie du Japon avec 150 tonnes. Ce dernier inonde à son tour la Chine
et tout le marché asiatique, Russie y comprise. L’industrie allemande absorbe
environ 60 tonnes par an, la France 18 tonnes et l’Egypte 6 tonnes. La culture
de la coca dans l’île de Java passera ensuite momentanément en mains des
Japonais à la suite de son annexion, jusqu’au départ de ces derniers. Les
mesures d’interdiction promulguées au cours des Conférences internationales
entre 1946 et 1961 sont appliquées de manière stricte dans les îles asiatiques
et marquent le déclin de la culture de la coca en Asie du Sud-Est. À partir de
là, la cocaïne qui inonde les marchés américains et européens provient
essentiellement d’Amérique latine.
Entre 1931 et 1953, six nouvelles Conventions viennent renforcer le contrôle
du marché licite des stupéfiants et les sanctions du commerce illicite. En 1961,
la Convention unique sur les stupéfiants, adoptée dans le cadre de
l’Organisation des Nations Unies, établit le cadre juridique actuellement en
vigueur. Elle règle l’interdiction mondiale de plus de 100 plantes et substances
naturelles ou synthétiques.
La culture licite des plantes à drogue est rigoureusement réglementée. En
1971, la Convention de Vienne sur les psychotropes étend ce contrôle aux
drogues industrielles : hallucinogènes, dérivés amphétaminiques, barbituriques
et tranquillisants.
Les années 1980 sont marquées par le triomphe de la doctrine américaine de
« guerre à la drogue ». En 1988, la Convention de Vienne contre le trafic illicite
des stupéfiants et des substances psychotropes définit les principes de la
coopération internationale en matière de répression, d’extradition,
d’intervention des services répressifs dans les eaux internationales, de
livraison surveillée des drogues par les services répressifs, de lutte contre le
blanchiment des revenus tirés du commerce illicite. La Convention de 1988
pose également les bases du contrôle des précurseurs et des produits
chimiques nécessaires à la fabrication des drogues illicites. Le pivot du système
est l’Organe international du contrôle des stupéfiants, l’OICS, dont le siège est
à Vienne et qui dépend des Nations Unies. Il dispose d’importants pouvoirs
économiques et commerciaux pour veiller à l’application des Conventions.
3.4.4 La production mondiale
La culture de feuilles de coca peut être qualifiée d’endémique, puisqu’elle est
concentrée presque exclusivement dans les pays andins, en l’occurrence la
Bolivie, le Pérou et la Colombie. L’Erythroxylum coca est cultivée pour ses
feuilles dont la mastication est restée une pratique traditionnelle courante dans
les Andes. Mais son utilisation en vue de produire de la cocaïne destinée à
l’exportation vers les pays consommateurs du « Nord » a très vite multiplié les
surfaces cultivées en Amérique latine. L’aire concernée par la culture de la coca
34
apparaît nettement plus réduite que celle du cannabis et de l’opium. Seuls
5 pays sont exportateurs, ce qui est sans commune mesure avec le nombre
d’Etats exportateurs d’opium (23) et de cannabis (56).
Selon les estimations, en 2002, de l’ONU et de l'International Narcotics Control
Strategy Report, la production des pays exportateurs de feuilles de coca se
répartit comme suit :
• Colombie
• Pérou
• Bolivie
222'100
52'500
19’800
tonnes
tonnes
tonnes
(contre 40'800 en 1995)
(contre 169'500 en 1995)
(contre 71'590 en 1995)
Depuis 1991, le Pérou et la Bolivie ont vu leur production de feuilles fortement
diminuer, alors que celle de Colombie a augmenté de manière significative. La
Drug Enforcement Administration estime, quant à elle, qu’en 1988, les 193'916
hectares connus de cocaïers en Amérique latine auraient produit 227'055
tonnes de feuilles séchées, donc moins que les estimations des productions du
Pérou, de Bolivie et de Colombie en 1995. L’Amérique centrale est également
concernée, notamment le Panama et le Guatemala, qui produisent leur propre
coca.
3.4.5 Données économiques
Le commerce des drogues illicites ne répond pas aux mêmes lois économiques
que celui des produits licites, vraisemblablement à cause du caractère illégal
du marché. La marge de bénéfice réalisée entre la production et la vente au
détail est gigantesque et sans commune mesure avec ce que connaissent tous
les autres biens de consommation. Le facteur multiplicateur entre les coûts de
production et les prix du marché de la vente au détail constitue en quelque
sorte le « prix de l’illégalité ». De plus, le marché n’est pas aussi structuré et
rigide que l’est l’organisation d’une entreprise multinationale, même si les
acteurs qui en détiennent les clefs sont eux bel et bien organisés. Les
intermédiaires sont nombreux, la chaîne entre la production, la transformation
et la vente contient plusieurs maillons de forces inégales, et jouissent souvent
d’une grande autonomie les uns par rapport aux autres. La concurrence existe
sur ce marché, mais elle est inattendue, brutale, multiple et mouvante.
Le marché de la drogue est caractérisé par son dynamisme, sa souplesse et sa
capacité à s’adapter à des contraintes changeantes. En effet, le réseau allant
de la production à la distribution est largement parcellisé en entités autonomes
dont la position au sein de l’organisation est évolutive et provisoire. À
l’exception du producteur, chacun peut dans le réseau, créer de nouveaux
marchés, substituer son activité, ou la diversifier, ou encore se retirer,
indépendamment de la place particulière qu’il occupe. Il se dégage de cette
structure de marché un caractère hautement imprévisible et une répartition
35
des risques par entité indépendante. Toute action répressive ou prohibitive ne
peut donc être que ponctuelle et temporaire, du moins tant qu’elle ne touche
pas directement le producteur.
La demande dans ce type de marché est inélastique, alors que l’offre est
élastique. Il s’agit d’un cas particulier de l’économie de produits illicites, pour
lequel la consommation et la production peuvent être ajustées selon des
modalités particulières et conjoncturelles. La demande est caractérisée par
l’accoutumance et la dépendance aux produits de la part des consommateurs.
Une baisse volontaire des prix augmente le nombre d’adeptes, mais une
hausse consécutive ne fera pas baisser, ou du moins que très faiblement, le
nombre de consommateurs. Le facteur retardateur sur la loi de l’offre et de la
demande est directement lié à la nature du produit qui implique une
dépendance chez le consommateur, et donc la nécessité absolue de se
procurer le produit.
D’autres facteurs entrent en ligne de compte pour fixer le prix du produit,
comme sa qualité et sa pureté (coupage). Il n’existe aucun contrôle de la
qualité des drogues « propre » à réguler le marché. Les variations sur la pureté
du produit peuvent plus que doubler la quantité vendue au détail par rapport à
la quantité produite. La marge réalisée entre le kilo de feuilles de coca et la
vente au détail de sel hydrochloré de cocaïne est aussi gigantesque que pour
l’héroïne.
La consommation de cocaïne n’a connu qu’un rebondissement avec la mode du
crack et de la fumigation de la cocaïne sous cette forme particulière. Mais ce
changement n’a eu aucune incidence particulière sur les prix du marché,
puisque les procédés et les coûts de fabrication sont restés inchangés dans les
pays producteurs.
Ce sont donc les manipulations sur la pureté du produit, l’accoutumance et la
dépendance des consommateurs qui expliquent le mieux l’inélasticité de la
demande et l’élasticité de l’offre. Les variations de la pureté de la cocaïne
influencent énormément la différence entre les quantités produites et celles
effectivement consommées. Ainsi, entre 1981 et 1985, le degré de pureté de la
cocaïne du marché américain du Nord est passé de 30% à 50%, le prix au
détail baissant, quant à lui, de 120 à 100 dollars par gramme. Pour un même
kilo de cocaïne pure, le revenu avait ainsi baissé de 60% (de 500'000 à
200'000 dollars par kg) en fonction de l’augmentation du degré de pureté alors
que le prix au détail n’avait, lui, baissé que de 16%.
Lorsque l’offre est restreinte, un phénomène comparable se développe :
l’augmentation de 40% des prix de gros de la cocaïne colombienne à la suite
de la guerre déclarée aux narcotrafiquants par le gouvernement colombien n’a
pas eu d’incidence sur le prix au détail, mais par contre, la pureté du produit a
diminué de 50 à 60%. « Ainsi, la transformation de la qualité du produit par
une pureté croissante lorsque la demande est stable, permet au revendeur de
36
chercher de nouveaux clients tout en maintenant son revenu lorsque l’offre est
en baisse »7.
L’inélasticité de la demande de cocaïne et l’élasticité de son offre ne sont pas
tout à fait comparables à celles de l’héroïne. Selon Lewis8, « la demande de
cocaïne tend à être plus flexible que celle de l’héroïne ». En effet, la
consommation d’héroïne implique une toxicomanie plus fortement
contraignante, une plus forte dépendance, moins récréative pour le toxicomane
de l’héroïne que pour le cocaïnomane.
En ce qui concerne les profits réalisés par les trafics, le Groupe d’action
financière internationale (GAFI), créé et composé par les membres du G7,
estime à 35 milliards de dollars le produit de la vente de cocaïne (contre 75
milliards pour le cannabis et 12 milliards pour l’héroïne).
Sur ces 35 milliards, seuls 1.5 milliards iraient au Pérou où 750 millions à 1
milliard seraient changés en monnaie locale; 1.5 milliards iraient en Bolivie,
dont 500 à 700 millions seraient injectés dans l’économie locale, et 5 milliards
iraient aux barons de la cocaïne colombienne qui utiliseraient environ 1.5
milliards dans l’économie nationale. Ainsi réparti, le revenu total des pays
producteurs avoisinerait les 8 milliards de dollars, alors que 27 milliards
correspondraient aux bénéfices réalisés dans les pays consommateurs,
essentiellement aux Etats-Unis et en Europe.
En 1995, le Pérou, qui était de loin le plus grand producteur de feuilles de coca
d’Amérique latine, réalisait ainsi un revenu nettement moindre que celui de la
Colombie, dont les ressortissants détenaient 80% des exportations de coca et
de cocaïne produites au Pérou et en Bolivie. Néanmoins, selon Samuel Doria
Medina, conseiller économique du président bolivien Jaime Paz Zamora, le
commerce de la drogue aurait représenté le quart du produit intérieur brut
national en 1989, et les 500 millions de « coca-dollars » recyclés en Bolivie
équivaudraient à 80% du revenu des exportations légales. Aujourd'hui, il n'est
pas étonnant de constater que la Colombie est devenue le premier producteur
mondial de feuilles de coca.
Pour estimer les marges bénéficiaires réalisées sur le trafic de la cocaïne d’un
bout à l’autre de la chaîne, soit de la production à la vente au détail, il est
nécessaire de connaître l’importance de la production, le rendement à l’hectare
et les prix de vente aux différentes étapes de la filière. Ainsi, les rendements
moyens des cultures de coca varient d’un pays à l’autre et selon les régions,
mais la quantité de cocaïne produite varie également en fonction du mode de
transformation chimique employé par les trafiquants.
7
Rodrigo Uprimmy in Centre Tricontinental, 1996, Drogues et narco-trafic, le point de vue du Sud, Paris,
l’Harmattan
8
Lewis P et Lewis E, 1984, Peuples du Triangle d’Or, Olizane, Genève
37
On estime qu’il faut 1'000 kg de feuilles à haute teneur en cocaïne (0.6 à
0.85% au Pérou et en Bolivie) pour obtenir 10kg de pâte de coca, alors que le
même poids de feuilles à faible teneur (0.2 à 0.3% en Colombie) ne permet
d’obtenir que 4kg de pâte de coca. Il faut ensuite 2.5kg de pâte de coca pour
produire 1kg de cocaïne-base, puis environ 1kg de sel hydrochloré de cocaïne.
Les rendements à l’hectare sont estimés à (tonne par hectare) :
• Pérou
• Bolivie
• Colombie
1.4 à 1.9 selon les années (1.6 en 1995)
1.4 à 1.9 selon les années (1.75 en 1995)
0.8
Les variations annuelles du rendement font que toute estimation de l’évolution
des surfaces cultivées doit être interprétée avec nuance. Entre 1991 et 1995,
le maintien des rendements a permis à la Colombie de voir sa production de
feuilles de coca s’accroître de 36%, compte tenu d’une augmentation de
surface cultivée de 35.7%, alors qu’en Bolivie les rendements s’accroissaient
de 3 à 6% avec des superficies cultivées en régression de 33%. À l’inverse, au
Pérou, entre 1992 et 1993, les tonnages diminuaient de 30.5% et les
superficies de 15.7%.
En Bolivie, les cultures de coca du Chapare et des Yungas ont des rendements
de 2.7 à 1.8 tonnes à l’hectare. Compte tenu de leur teneur en alcaloïdes de
0.72 et 0.85%, il faut environ 390 et 330kg de feuilles pour produire 1kg de
cocaïne. Ainsi, avec des productions de 42'000 et 28'000 tonnes de feuilles de
coca en 1995, respectivement au Chapare et aux Yungas, la production serait
environ de 110 et 87 tonnes de cocaïne. Une tonne de feuilles de coca du
Chapare permettrait donc l’élaboration de 2.6kg de cocaïne contre 3 pour une
tonne provenant des Yungas.
Les feuilles de coca se vendent en principe par cargas, des lots de 50kg dont le
prix peut connaître des fluctuations très importantes et très rapides. Ainsi, en
1986, la carga de feuilles de coca bolivienne se négociait en moyenne à 125
dollars. En juillet 1986, après l’opération Blast Furnace de la Drug Enforcement
Administration qui visait la destruction de plusieurs laboratoires, le cours de la
carga a été divisé par 6 pour plafonner à 20 dollars. Trois ans plus tard, en
1989, la carga est négociée à 85 dollars, mais la guerre entre le cartel de
Medellín et le gouvernement colombien fait chuter le prix de la carga à 10
dollars.
Sur la base d’un prix moyen de la carga à 40 dollars et de rendements moyens
de 0.8, 1.5 et 1.9 tonnes de feuilles à l’hectare, les producteurs cultivant des
parcelles de 2 hectares en moyenne disposeront respectivement de revenus
annuels de 1'280, 2'400 et 3'040 dollars. Lorsque le prix de la carga chute de
10 dollars, leurs revenus tombent à 320, 600 et 760 dollars, et lorsqu’il monte
à 60 dollars, les revenus atteignent 1'920, 3'600 et 4'560 dollars.
38
Sachant qu’au Pérou, où les estimations sont les plus fiables, il faut en
moyenne 85 à 125kg de feuilles de coca pour produire 1kg de pâte de coca,
c’est-à-dire 1.7 à 2.5 cargas à 40 dollars l’unité en moyenne, et sachant qu’en
1992 le prix de la pâte de coca oscille entre 250 et 350 dollars, le coût de la
coca nécessaire à la production de 1kg de pâte de coca se situe entre 68 et
100 dollars, ce qui permet de réaliser à ce premier stade une marge de 150 à
280 dollars par kilo de pâte.
2.5kg de pâte de coca à 250 ou 350 dollars le kilo étant nécessaires à la
confection de 1kg de cocaïne-base qui est vendu entre 1'500 et 1'750 dollars le
kilo, la marge réalisée à ce second stade de la production de cocaïne est
comprise entre 625 et 875 dollars le kilo de cocaïne-base.
Enfin, 1kg de sel hydrochloré de cocaïne pure se négocie entre 1'900 et
2'500 dollars à l’exportation, la marge par rapport à la cocaïne-base étant ici
de 250 à 1'000 dollars.
En résumé, le tableau ci-dessous montre la répartition des prix aux différentes
étapes de production et de distribution aboutissant à la vente de 1kg de sel
hydrochloré de cocaïne :
Feuilles de coca
Pâte de coca
Cocaïne-base
250 à 310kg
2.5kg
1kg
Sel hydrochloré de
cocaïne sur le site de
production
Sel hydrochloré de
cocaïne
à
l’exportation
Sel hydrochloré de
cocaïne
à
l’importation
Sel hydrochloré de
cocaïne sur le marché
étasunien
Sel hydrochloré de
cocaïne
au
détail
après dilution
1kg
200 à 250 dollars
625 à 875 dollars
1'500
à
1'700
dollars
1'900
à
2'500
dollars
1kg
4'000 dollars
1kg
20'000 dollars
1kg
25'000 dollars
1kg
105'000 dollars
Le facteur multiplicateur du prix de la cocaïne par rapport à celui de la coca
étant de 500 pour le marché américain, les bénéfices réalisés tout au long de
la chaîne sont donc considérables et permettent de comprendre l’engouement
des trafiquants face aux revenus.
39
En 1993, le prix du kilo de sel hydrochloré de cocaïne sur le marché européen
était approximativement de 45'000 dollars et de 65'000 dollars sur le marché
asiatique. La pureté joue également un rôle important : après avoir connu une
pureté de 90% en 1988, la pureté moyenne de la cocaïne en gros est tombée
à 83% en 1994, alors que celle vendue au détail avait tendance à être plus
pure en 1994 qu’en 1995, respectivement 63% contre 55%.
3.4.6 Le trafic international
Pour des raisons essentiellement climatiques, la culture de la coca n’a pas suivi
le même développement géographique que l’opium. À l’exception de l’île de
Java, elle est restée une spécialisation sud-américaine et est devenue, au
cours des siècles, un acteur économique prépondérant des pays d’Amérique du
Sud, que la révolution industrielle et l’industrie pharmaceutique occidentale ont
contribué à asseoir et à consolider. L’assujettissement des pays producteurs de
feuilles de coca par les pays consommateurs n’a jamais été aussi fort et
marqué qu’il ne l’a été pour l’opium. Le fort ancrage traditionnel de la feuille de
coca dans la culture sud-américaine en est probablement la justification
principale.
Dès le début du XXe siècle, le Mexique devient le principal grenier des EtatsUnis en matière de drogues illicites. On y cultive intensivement la marijuana,
et l’opium y trouve une terre fertile et des conditions propices. Les problèmes
rencontrés par les pays d’Asie et par la Turquie face à la communauté
internationale vont catalyser la production mexicaine d’opium, qui connaîtra
une explosion dès 1970. De plus, la situation géographique de ce pays en fait
la plaque tournante du transit Sud-Nord de la production de cocaïne sudaméricaine.
En Colombie, le trafic de cocaïne s’est développé à la suite des activités de
contrebande dont le département d’Antioquia, avec Medellín pour capitale,
s’est fait une spécialité depuis la fin du XVIe siècle. La guerre d’indépendance
de 1810 amplifie encore le phénomène du fait de la présence des corsaires
anglais qui cherchent à déstabiliser la colonie. Les échanges avec les ports de
Maracaïbo (Venezuela), Panama et la Jamaïque s’étendent alors aux côtes du
Mexique et des Etats-Unis.
Le passage du trafic illicite des drogues par la Colombie devient une véritable
obligation vers la fin des années 1960, alors que le Mexique n’est plus à même
de répondre seul à la demande du marché nord-américain et que ses
trafiquants subissent les foudres de la répression policière. Ainsi vers 1970
apparaissent sur la scène de la drogue les trafiquants des cartels de Medellín et
de Cali.
Dès cette époque, du fait de la demande colombienne, la production de feuilles
de coca cultivées en Bolivie, au Pérou et au Chili depuis plus de 2'000 ans, est
40
telle qu’elle occupe la première place des biens agricoles en Amérique latine
durant le XXe siècle et connaît une véritable explosion. Sous les différentes
dictatures militaires boliviennes, les généraux Hugo Banzer, García Meza et
leurs successeurs s’investissent dans la production et l’exportation de cocaïnebase et de chlorhydrate de cocaïne. Parallèlement, les cultures du Brésil, du
Venezuela et de l’Equateur restent marginales et ne connaissent pas le
développement de celles du Pérou et de la Bolivie en particulier.
Durant les années 1980, les cartels colombiens mettent sur pied un réseau de
production et de diffusion. Les feuilles de coca proviennent du Pérou et de
Bolivie alors que la Colombie débute dans la production de coca. Les
précurseurs nécessaires aux transformations chimiques de la cocaïne sont
importés d’Equateur, du Brésil et du Chili. L’argent de la drogue est blanchi au
Venezuela, au Brésil, au Panama et dans les Caraïbes, les Bahamas, les îles
Caïmans, ainsi que dans les pays producteurs andins. Le Venezuela, les
Guyanes, le Surinam, les Caraïbes, le Paraguay et l’Argentine deviennent des
pays de transit de la cocaïne vers les Etats-Unis.
Après l’assassinat le 18 août 1989 de Luis Carlos Galan, pré-candidat du Parti
libéral à l’élection présidentielle en Colombie, et à la suite de la déclaration de
guerre au cartel de Medellín, les mafieux colombiens éclatent et décentralisent
la production de cocaïne dans toute l’Amérique latine. Des laboratoires de
production de cocaïne apparaissent au Chili, au Brésil et en Argentine alors que
l’Uruguay devient un pays de blanchiment d’argent. Parallèlement, les routes
vers l’Amérique du Nord se démultiplient pour déjouer les actions répressives
et la lutte internationale contre le trafic de drogue.
La mafia colombienne, dès le début des années 1990, commence à diversifier
la production de drogue et, non contente de détenir la grande majorité du
trafic de marijuana et de cocaïne, implante la culture de l’opium en Colombie,
au Pérou, en Equateur, au Venezuela et en Argentine. Aujourd’hui, il n’existe
pas un seul pays d’Amérique latine et des îles anglophones des Caraïbes qui ne
soit profondément intégré dans le réseau du trafic Sud-Nord des drogues
illicites.
Comme dans le cas de l’opium dans le Triangle d'Or, la culture de la coca a été
utilisée par certains mouvements révolutionnaires pour permettre le
financement de la lutte armée, par exemple la guérilla du Sentier Lumineux et
le mouvement révolutionnaire Tupac Amaru au Pérou, ou les Forces armées
révolutionnaires, l’Armée de libération nationale, l’Armée populaire de
libération et le mouvement nationaliste de gauche M-19 en Colombie.
Au Pérou, dans le milieu des années 1990, dans les 13 grandes vallées du
territoire amazonien, on compte plus de 200 pistes d’atterrissage clandestines
aux mains des révolutionnaires qui permettent d’exporter annuellement plus
de 500 à 600 tonnes de cocaïne-base. De plus, dès 1995, de nombreux
laboratoires de synthèse de sel hydrochloré de cocaïne apparaissent au Pérou,
à la suite de l’effondrement, en Colombie, des cartels de Cali et de Medellín,
laissant le Pérou développer ses propres filières d’exportation.
41
En Colombie, les Forces armées révolutionnaires entretiennent de bonnes
relations avec le cartel de Cali, ainsi qu’avec Carlos Lehder et Pablo Escobar.
En revanche, le trafiquant Rodriguez Gacha voit ses laboratoires attaqués par
les révolutionnaires, mais parvient, à l’aide de groupes paramilitaires, à les
chasser de son territoire vers 1985. On estime qu’à cette époque, les
révolutionnaires sont capables d’écouler 2 à 3 tonnes de cocaïne par semaine à
partir de certaines régions dont ils ont le contrôle, et cela évidemment avec le
cautionnement des cartels de la cocaïne. Dès le début des années 1990, les
révolutionnaires introduisent également la culture du pavot.
Les cartels de la drogue se sont également spécialisés dans le trafic d’armes,
dont une partie est destinée aux révolutionnaires. Trafics de drogue et d’armes
sont d’ailleurs interdépendants, dans la mesure où la cocaïne s’échange
souvent contre des armes vice-versa. Ainsi, durant un certain temps, chaque
avion qui part de Colombie avec un chargement de cocaïne y revient avec un
chargement
d’armes,
à
l’intention
des
révolutions
colombienne,
nicaraguayenne et péruvienne. La mafia italienne assure même le transit
d’armes entre la Colombie et les pays en guerre de l’ex-Yougoslavie. Une
cargaison est découverte à Vérone en 1994. Les Colombiens échangent des
armes contre de la cocaïne acheminée en Italie, en Espagne et aux Pays-Bas.
À Milan et en Calabre, la police démantèle un réseau qui échange de la cocaïne
contre des armes avec des trafiquants boliviens, colombiens et péruviens; la
drogue sert à payer par la suite les armes alimentant principalement les
conflits en ex-Yougoslavie.
La cocaïne destinée à l’Europe transite au sud par le Sénégal et les îles du Capvert, et au nord par Anvers, Rotterdam et Amsterdam. De là partent en sens
inverse les drogues de synthèse et les précurseurs chimiques détournés, dont
l’Allemagne et la Suisse restent, en 1995, les premiers exportateurs. Les
cartels colombiens introduisent la drogue en Europe par différentes zones : les
côtes espagnoles de Galice et les côtes du nord du Portugal, sur un axe VigoPorto, les îles Canaries et l’Espagne en général. Les ports et les aéroports
d’Afrique de l’Ouest constituent également des relais d’envois provenant
d’Amérique du Sud. De là, la cocaïne transite par le détroit de Gibraltar à
destination de l’Italie. Depuis le nord du Maroc, la cocaïne utilise la voie du
haschisch et entre directement en Espagne par la côte. Dans cette zone où la
contrebande entre l’Afrique et le continent européen est une véritable tradition,
la cocaïne passe des bateaux de pêche marocains aux vedettes ultra rapides
des trafiquants espagnols. Alger, Tunis, Benghazi, Alexandrie, Le Caire font
également partie, dans des mesures variables, de cet espace du trafic. Depuis
deux ans environ, il semble que la cocaïne passe par cargos de manière
renforcée et intensive par Gibraltar et la Méditerranée.
L’effondrement du bloc soviétique ouvre aussi un nouveau marché à la
cocaïne, ainsi que de nouvelles voies de pénétration vers l’Europe occidentale
par la route de l’héroïne à travers les Balkans. Les routes clandestines de la
cocaïne doivent devenir de plus en plus sophistiquées pour échapper à la
répression policière. Ainsi, en 1997, les polices américaines et italiennes
42
démantèlent un réseau qui, depuis le Brésil, expédie la cocaïne colombienne en
Italie au moyen de « mules » originaires du Nigeria voyageant sous de fausses
identités américaines. De là, la cocaïne est prise en charge dans une base
américaine où elle est stockée, puis expédiée aux Etats-Unis dans des malles
militaires. Des centaines de kilos de drogue ont ainsi alimenté durant plusieurs
mois le marché américain.
3.4.7 Les saisies de cocaïne dans le monde
Selon les données publiées par l'ONU, les saisies mondiales de cocaïne ont
diminué entre 1999 et 2000, poursuivant une tendance à la baisse qui s'est
amorcée en 1998 et reflétant, selon cet organisme, un recul de la production.
Plus de 90% de l'ensemble des saisies de cocaïne dans le monde s'effectuent
dans les Amériques et 8% en Europe occidentale. Dans les Amériques, les
caractéristiques du trafic ont changé: il a diminué en Amérique du Nord (EtatsUnis, Mexique et Canada) et dans la plupart des pays d'Amérique du Sud, mais
il a augmenté en Colombie et au Venezuela.
En 1999, 37% de l'ensemble des saisies de cocaïne avaient été réalisées aux
Etats-Unis et 18% en Colombie.
En 2000, la tendance s'est inversée: les saisies en Colombie représentaient
43% et celles réalisées aux Etats-Unis 30% des saisies mondiales de cocaïne.
En Europe occidentale, les saisies de cocaïne ont diminué de 1999 à 2000,
mais les indications de 2001 laissent prévoir une augmentation.
En 2000, l'ONU estime que 38% de l'offre mondiale de cocaïne a été
interceptée. Cependant, l'extrapolation doit tenir compte que les saisies sont
comptabilisées en poids brut et ne tiennent pas compte de la dilution. Ainsi, les
335 tonnes de cocaïne annoncées interceptées ne reflètent pas de la cocaïne
pure. La cocaïne disponible sur le marché mondial est estimé à 544 tonnes
(pour une production mondiale estimée à un minimum de 879 tonnes).
3.4.8 L'évolution de la situation en Suisse
Contrairement au trafic de l'héroïne, celui de la cocaïne n'a pas connu de très
grands bouleversements en Suisse durant ces vingt dernières années.
S'agissant d'un produit naturellement présent dans les feuilles de coca, elle est
extraite dans les sites de production, transformée en pâte de coca par les
cultivateurs eux-mêmes, puis transformée et purifiée en sel hydrochloré de
cocaïne proche des sites de production, dans des laboratoires bien équipés
fonctionnant comme de petites PME.
43
Elle est quasi systématiquement exportée sous forme de sel hydrochloré; en
tous les cas c'est quasi essentiellement sous cette forme qu'elle est saisie en
Europe. Il n'arrive pas de "crack"9 en Suisse en provenance de l'Amérique du
Sud. Contrairement aux Etats-Unis où le crack est apparu dès la fin des années
70 (en France dès le début des années 90, à Paris notamment) et a été
consommé en masse dans la plupart des grandes villes, la fumigation de
cocaïne-base (crack) en Suisse est très récente (moins de 5 ans) et nécessite
la transformation chimique du sel hydrochloré de cocaïne en cocaïne-base par
le toxicomane (il existe plusieurs recettes relativement simples et qui figurent
toutes sur Internet).
La cocaïne fut longtemps, en Suisse, la drogue privilégiée de milieux socioculturellement aisés et sa consommation, son trafic, étaient relativement
discrets durant les années 1970 et 1980. Son accessibilité était donc
relativement limitée et son prix assez prohibitif (souvent plus de CHF 300.- le
gramme). La cocaïne (anesthésique local, mais surtout stimulant-euphorisant)
était traditionnellement sniffée, rarement injectée, quand bien même elle est
très soluble dans l'eau. Le principal problème du sniff réside dans le fait que les
cristaux de sel hydrochloré de cocaïne sont assez tranchants et produisent
ainsi des dégâts irréversibles dans les cloisons nasales (où la cocaïne se
solubilise dans les muqueuses avant d'entrer dans le réseau sanguin).
Ce sont avant tout les hispanophones (Espagne, Portugal, Amérique du Sud)
qui ont détenu quasi unilatéralement les clefs de l'importation et de la diffusion
de la cocaïne sur le marché de la consommation suisse. S'agissant d'une
consommation traditionnelle en Amérique du Sud, cette communauté en
consomme également en Europe. Puis, se sont greffés à la vente et au trafic
international les ressortissants libanais, au plus fort du conflit qu'a connu le
Liban dans le milieu des années 80, puis les ressortissants des Balkans au gré
des guerres (tant de Croatie, de Bosnie que du Kosovo). La consommation de
cocaïne étant très fréquente dans le milieu de la prostitution en Suisse,
notamment dans les cabarets où les prostituées ("artistes") d'Amérique du Sud
et d'Afrique du Nord se côtoient souvent, le marché de la vente a également
séduit bon nombre de ressortissants du Maghreb qui détiennent une partie du
trafic illicite de cocaïne (en plus du marché du haschisch). Parallèlement, la
mafia italienne a toujours gardé un oeil attentif sur ce marché juteux et joue
encore aujourd'hui un rôle d'intermédiaire important dans le transit de la
cocaïne d'Amérique du Sud vers l'Europe.
Le plus grand changement qu'a connu la Suisse en matière de cocaïnomanie
est survenu en deux étapes: d'une part le marché de la cocaïne a été
9
Il s’agit de cocaïne-base, normalement précipitée à partir du sel hydrochloré de cocaïne. Le crack est
produit par dissolution du sel hydrochloré de cocaïne dans l’eau et de bicarbonate de sodium que l’on
porte à ébullition. La cocaïne-base précipite la solution bouillante. Elle est ensuite séchée complètement.
Elle est alors sous forme de morceaux agglomérés (“rock”) très durs qu’il faut casser. Le nom “crack”
vient du bruit que fait la cocaïne-base lorsqu’elle est chauffée pour la fumigation et que des molécules
d’eau résiduelles se dilatent dans la matrice en craquant.
44
fortement dynamisé par l'émergence du mouvement Techno; en effet, tous les
stimulants ont été absorbés par cette mode largement basée sur la résistance
à la fatigue. D'autre part, la fin du conflit du Kosovo (fin 1999 - début 2000) a
provoqué une pénurie de l'héroïne dont le marché de la vente en Suisse était
tenu sous la forme d'un véritable monopole par les ressortissants
albanophones. Le fort ralentissement des flux migratoires des communautés
albanophones a donc coïncidé à une accessibilité diminuée à l'héroïne que les
héroïnomanes ont très rapidement substituée par la cocaïne.
Parallèlement, un nouveau flux migratoire était apparu en Suisse par
l'émergence des Africains de l'Ouest (dès 1996), notamment du Nigeria, de la
Sierra Leone, de Guinée, du Bénin, etc. Ceux-ci s'étaient appropriés, dans un
premier temps, le marché de la vente de marijuana, puis dans un deuxième
temps, mais assez rapidement, le marché de la vente au détail de cocaïne.
Cette opportunité résultait en fait d'une nouvelle voie d'acheminement de la
cocaïne en Europe, une nouvelle stratégie de la part des cartels sudaméricains. La cocaïne transitait par voie navale, en cargos (par centaines de
kilos, voire par tonnes), d'Amérique du Sud vers l'Afrique de l'Ouest,
notamment le Nigeria, puis utilisait le flux migratoire vers l'Europe. Il était
donc logique de retrouver les Africains de l'Ouest dans le commerce de la
vente au détail sur le territoire helvétique. De plus, l'héritage colonial du
Nigeria avait déjà ancré cette communauté dans bon nombre de pays
européens, comme en Hollande de manière prépondérante, mais aussi en
Amérique latine dont la Colombie.
Ceux-ci ont vite compris l'intérêt pécuniaire inhérent à la vente de cocaïne sur
rue. En effet, la cocaïne n'était plus vendue aux toxicomanes par grammes ou
par cinq ou dix grammes, mais sous la forme de boulettes de 0.1 gramme à
0.2 grammes. Un requérant d'asile d'Afrique de l'Ouest pouvait ainsi multiplier
les gains de manière impressionante. Dans la plus pure tradition africaine, tous
les rapports entre les intermédiaires sont basés sur la confiance et la parole
donnée. La mafia nigériane, gérant les stocks dans les grandes villes de Suisse
(Zurich, Berne, Bâle), était capable d'avancer un kilo de cocaïne à un
revendeur sans que celui-ci ne doive avancer un centime sur la marchandise. Il
devenait redevable à l'organisation criminelle d'un montant (pour 1 kilo) de
CHF 40'000.-- après la vente du kilo, la cocaïne lui étant cédée à CHF 40.-- le
gramme.
Le revendeur avait alors deux solutions:
• il pouvait transporter la drogue vers un marché de distribution secondaire
(par exemple Neuchâtel, Lausanne, Genève ou Soleure, etc), en prenant
le risque du transport et du contrôle fortuit de police, et revendre le kilo
de cocaïne pour un montant compris entre CHF 60'000.- et 80'000.- à un
intermédiaire capable de le faire écouler sur un marché de consommation
local. Son rôle d'intermédiaire lui permettait de gagner entre CHF
20'000.-- et CHF 40'000.-- en une seule transaction;
45
• il pouvait aussi procéder lui-même ou avec des compatriotes à la vente
sur rue sous la forme de boulettes. Avec un gramme, il pouvait
confectionner 8 boulettes (soit 0.125 grammes par boulette) et revendre
les boulettes aux toxicomanes pour le prix de CHF 50.- la boulette
(parfois CHF 80.-). Ainsi, le bénéfice pour chaque gramme vendu était de
CHF 360.-. La vente d'un kilo lui rapportait CHF 360'000.-, net!.
C'est la raison évidente pour laquelle, dès 1997, la vente des boulettes est
devenue très agressive de la part des revendeurs. Aujourd'hui, la vente des
boulettes est toujours détenue en grande partie par les Africains de l'Ouest, à
la différence près que la mafia du Nigeria (ou plutôt les mafias d'Afrique de
l'Ouest) est devenue beaucoup plus restrictive sur les marges de bénéfices
laissées aux revendeurs. Elle s'est structurée aujourd'hui en une parfaite
organisation criminelle capable d'approvisionner le marché suisse et de faire
remonter l'argent de la drogue en Afrique, sur d'autres places financières
européennes et dans des paradis fiscaux. En Suisse, elle utilise souvent des
autochtones pour prêter leurs noms nécessaires aux transferts d'argent par la
Western Union (par exemple) vers l'Afrique ou pour ouvrir des comptes
bancaires. Elle utilise également le flux migratoire pour les transferts d'argent.
La substitution de l'héroïne par la cocaïne a eu des effets dramatiques sur les
toxicomanes. Ce changement a coïncidé avec une toxicomanie compulsive
(jusqu'à 20 ou 30 injections par jour!), une très nette détérioration sanitaire
des toxicomanes et une augmentation des maladies transmissibles. De plus, il
n'existe pas de substitut thérapeutique de la cocaïne, comme c'est le cas de la
méthadone pour l'héroïne.
Parallèlement, les ventes de cocaïne ont été dopées par l'intérêt des "nouveaux
consommateurs" des amphétamines thaïs (en fait de la méthamphétamine).
Ceux-ci, contrairement à ce que l'on pourrait penser, n'ingèrent pas les pilules
thaïs, mais les fument. Ils sont également pour la plupart poly-toxicomanes en
consommant marijuana, haschisch, méthamphétamine, cocaïne, etc. Le point
commun de leur consommation réside dans la fumigation de toutes ces
drogues. En ce qui concerne la cocaïne, ils la fument sous la forme de crack
dans des pipes en verre. La cocaïne devient alors terriblement dangereuse, car
elle transite en masse par voie sanguine (échange au niveau des poumons)
vers le cerveau et sature les récepteurs quasiment en masse. Les toxicomanes
ressentent alors un "flash", une défonce, qu'ils décrivent comme terrible et
qu'ils recherchent. Les dégâts cérébraux dus autant à la fumigation de la
cocaïne que de la méthamphétamine sont de véritables bombes à retardement
dont nous connaîtrons certainement l'ampleur réelle par l'augmentation des
coûts des prises en charges psychiatriques.
46
Le trafic de cocaïne pénètre en Suisse par différentes voies:
• Par le traditionnel trafic de la "fourmi", par avion (vols internationaux) et
portant sur de petites quantités, soit par ingestion ("body packing" de 1 à
2 kilos), soit dans les bagages (1 à 20 kilos). L'aéroport de Kloten est le
plus utilisé en Suisse, puis Genève (qui a perdu son intérêt par la
suppression des vols internationaux), Bâle-Mulhouse, Belp et Agno.
• Les données douanières concernant les saisies montrent que le fret
représente une part importante de l'importation de cocaïne en Suisse; la
plupart du temps, la cocaïne est cachée dans des biens de consommation
très variés périssables ou non (ananas, lampes, peinture, habits et tissus,
etc.).
• Par le train, principalement en provenance d'Allemagne en passant par
Bâle, en provenance d'Italie par Chiasso, en provenance de France par le
TGV et par Genève; le transport se fait souvent par "body packing" dans
les voies anales ou vaginales ou alors dans les bagages.
• Par voiture et par camion, notamment en provenance d'Allemagne et
d'Italie, parfois de France, en principe dans des caches spécialement
aménagées (entre 10 et plusieurs centaines de kilos).
Les statistiques de l'Office fédéral de la police montrent une diminution des
saisies de cocaïne entre 1997 et 2001, passant de 350 kilos à 170 kilos (dont
122 kilos dans le canton de Zurich). Au total, ce sont 8206 personnes qui ont
été dénoncées pour usage (consommation) de cocaïne en Suisse durant
l'année 2001 et 2921 pour trafic de cocaïne. La statistique ne donne
malheureusement aucune indication sur la nationalité des trafiquants par type
de drogue illicite.
La pureté de la cocaïne a nettement chuté ces dix dernières années. Si elle
était souvent d'une pureté supérieure à 80% dans les années 1980 à 1990,
elle est aujourd'hui d'une moyenne inférieure à 30%. De plus, elle était
souvent importée non coupée avant les années 1990. Aujourd'hui, il est
fréquent qu'elle soit déjà diluée (plus de 20%) lorsqu'elle est interceptée à la
frontière. Elle est traditionnellement diluée au moyen de sucres, tels le lactose,
le mannitol, le glucose, ou avec des anesthésiques locaux, comme la lidocaïne
ou la procaïne. On observe, chaque année en Suisse, une vingtaine de produits
de coupages différents dans la cocaïne.
Une estimation de 15'000 toxicomanes achetant chaque jour un gramme de
cocaïne pour une moyenne minimale de CHF 150.-- le gramme, suppose
l'écoulement de 15 kilos par jour en Suisse, donc de plus de 5.4 tonnes de
cocaïne par année, pour un chiffre d'affaire global annuel supérieur à 810
millions de francs.
47
Et demain
• Le risque majeur est de voir arriver sur le marché suisse de la cocaïne•
•
•
•
base
On aura alors le même phénoméne que l’on a vécu avec l’héroïne
La cocaïne va voir son prix chuter
Les consommateurs vont consommer la cocaïne par fumigation
Le nombre de consommateurs va augmenter
3.4.9 Conclusion
• Il y a moins d’une quinzaine d’années, la toxicomanie était très cloisonnée
par rapport aux différents types de drogues
• Aujourd’hui, la poly-toxicomanie est la règle
• Le symbole de la fumigation a fait exploser la poly-toxicomanie, donc le
nombre de consommateurs
• La consommation de cocaïne est plus pernitieuse et perfide que celle de
l’héroïne
• La fumigation des amphétamines est à considérer comme une bombe à
retardement compte tenu des soins psychologiques qui surviendront ces
dix prochaines années
• La politoxicomanie, c’est la recherche de la défonce sans qu’aucune vision
philosophique ne prédomine
La présentation de Monsieur Guéniat quant à la cocaïne s’arrête là. Cependant
ce dernier m’a aimablement fourni un autre document relatif à l’héroïne, que je
tiens à votre disposition si vous le désirez.
____________________
48
4 CONCLUSION
Avant d’entamer plus précisément la conclusion du thème de ce Forum, je
tiens à reprendre certains propos de Monsieur Longchamp (pour plus
d’informations sur le sujet de l’insertion, je vous encourage à lire les Actes du
15ème Forum sur le site www.premiereligne.ch).
Ce dernier nous a rappelé bien sûr la dure réalité budgétaire et sociale qui est
la nôtre actuellement. En plus de la péjoration de cette situation, force est de
constater le nombre grandissant de personnes désinsérées. Pour amener plus
de cohérence et limiter autant que faire se peut la durée de chômage,
plusieurs services ont été rapprochés : Assurance invalidité, Assistance
publique et chômage.
******
La drogue existe depuis la nuit des temps; dès lors, imaginer son abolition
tient de l’utopie !
Il n’est pas aisé de rédiger la conclusion d’un sujet aussi complexe que la
géopolitique des drogues, car elle englobe une foule de paramètres, difficiles à
résumer. Les intervenants ont cependant réussi à nous offrir un éclairage
précieux sur la question et les enjeux liés au marché mondial de la drogue.
Les enjeux mondiaux sont tels qu’aucun gouvernement n’est prêt à bouger. Il
est édifiant de constater que la culture du pavot rapporte dix fois plus que celle
du blé par exemple. Il est bien évident que les cultivateurs voient bien plus
d’intérêts personnels et financiers à ce genre de culture. Les gourvernements,
à leur niveau, profitent également très largement de ce frutueux marché. De
plus, divers exemples ont montré que certaines mesures, par exemple pour
lutter contre la culture illicite, ont également leurs effets pervers (dans ce cas
là, profits détournés en faveur de la guérilla ou du trafic d’armes).
Les chiffres évoqués parlent d’eux-mêmes : on estime à 200 millions le
nombre de consommateurs de drogues dans le monde. Ce chiffre peut être
décomposé en 161 millions de consommateurs de cannabis, 30 millions de
consommateurs de drogues de synthèse,14 millions de cocaïne et 16 millions
d’autres drogues, dont 11 millions pour l’héroïne.
En ce qui concerne la saisie de ces substances, on évalue par exemple à 300
tonnes le poids de cocaïne annuellement importée aux Etats-Unis, dont seule
une centaine a été saisie.
La répression est presque d’office inefficace, sachant l’ampleur du problème,
tant au niveau du nombre de consommateurs, que de la prédominance de la
corruption ou encore que de la facilité à accéder à diverses substances : il est
49
plus facile de trouver un paquet d’héroïne au milieu de la nuit qu’un litre de
lait ! De plus, le marché de la drogue se caractérise par un dynamisme et un
polymorphisme qui en font un ennemi redoutable.
On constate l’échec d’une politique concentrant ses moyens sur la répression.
En effet, l’effort consacré à la prévention, aux soins et à la réinsertion est bien
souvent insuffisant.
Si l’on se place du côté des revendeurs, une fois de plus on ne peut qu’être
accablé par les chiffres : par exemple, malgré les risques inhérents à la
détention de cocaïne, une unique transaction peut amener un bénéfice allant
jusqu’à CHF 80'000.- !
Une solution serait la légalisation universelle des drogues, avec bien sûr un
contrôle serré des États. Une telle politique amènerait une importante baisse
de la délinquance, des activités maffieuses, des conflits. Toutefois, on ignore
quel en serait l’impact réel à d’autres niveaux.
Certes, soutenus par une partie de leur population alarmée par la
consommation de drogues, les pays riches mènent sur le plan international une
lutte parfois fort coûteuse. Malheureusement, aussitôt qu’apparaissent des
intérêts géostratégiques ou économiques, la lutte contre la drogue passe
inévitablement au second plan.
À Genève, tel que nous l’ont rappelé nos intervenants, l’introduction de
nouvelles dispositions légales quant à l’utilisation des fonds récupérés du
marché de la drogue a permis l’institution du « fonds drogue », oeuvrant tant
dans des structures de prévention à l’échelle genevoise (par exemple Forums
addiction !) que dans la mise en place de projets de développement dans les
pays producteurs.
De telles mesures sont sans doute à même de nous apporter une vision plus
optimiste, quant à une évolution possible de la situation. Toutefois, nous avons
bien conscience de leur infime influence dans le monstrueux contexte mondial
décrit.
« La guerre à la drogue ne peut pas être gagnée parce que c’est une guerre
contre la nature humaine. » (Sir Keith Morris, ancien ambassadeur du
Royaume-Uni en Colombie)
____________________
Christelle Mandallaz
Coordinatrice des forums addictions, 12 août 2007
50
5 SITES INTERNETS & diverses adresses
5.1
Sites Internet
http://www.pa-chouvy.org
Information
et
publication
relatives
aux
problématiques de la géopolitique des drogues illicites en Asie
www.geopium.com Information en anglais relative aux problématiques de la
géopolitique des drogues illicites
www.terredeshommes.ch
http://laniel.free.fr Site dédié à l'étude des drogues illicites par la sociologie,
la géopolitique et les études stratégiques
www.droguesnews.com tous types d’informations sur la drogue
www.espacepolitique.org revue en ligne de géographie politique et géopolitique
http://www.usdoj.gov/dea/ Drug Enforcement Administration
http://www.premiereligne.ch/blog Revue de presse de Première Ligne – Toute
l’actualité « addiction » sur le net
5.2
Diverses adresses
Association la Florida-Pérou (appui au développement communautaire)
c/o Ch. Pittet
2, Faïence
1227 Carouge
CCP 12-10273-5
Fédération genevoise de coopération (FGC)
Rue Amat 6
1202 Genève
Tel. : +4122 908 02 80
www.fgc.ch
Terre des Hommes Suisse
Ch. Frank-Thomas 31
1223 Cologny
Tel. : +4122 737 36 36
www.terredeshommes.ch
Monsieur Alain Labrousse
[email protected]
Monsieur Olivier Guéniat
[email protected]
51
6 BIBLIOGRAPHIE & ARTICLES SUR INTERNET
6.1
Bibliographie
 Alain Labrousse, Géopolitique des drogues, Que sais-je ?, Presses
Universitaires de France – PUF, Paris, 2006
 Alain Labrousse, Afghanistan : Opium de guerre, opium de paix, Mille et
une nuits, 2005
 Alain, labrousse, Dictionnaire géopolitique des drogues, De Boeck, 2002
 Alain Labrousse, Sur le chemin des Andes à la rencontre du monde
indien, L'Harmattan, 2000
 Alain Labrousse, Michel Koutouzis, Géopolitique et Géostratégie des
drogues, Economica, 1996
 Alain Labrousse et Alain Wallon, Observatoire géopolitique des drogues.
Colloque international (1er : 1992 : France), La Planète des drogues,
Seuil,
 Alain Labrousse, La Drogue, l'Argent et les Armes, Fayard, 1991
 Olivier Guéniat, La délinquance des jeunes, L’insécurité en question,
Presses polytechnique et universitaires romandes, collection le savoir
suisse, 2007
 Olivier Guéniat et Pierre Esseiva, Le profilage de l’héroïne et de la
cocaïne : une méthodologie moderne de lutte contre le trafic illicite,
Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, Lausanne, 2005
La commande du livre peut s’effectuer sur le site : www.ppur.org
 Pierre-Arnaud Chouvy, Les territoires de l’Opium. Conflits et trafics du
triangle d’Or et du croissant d’Or, Olizane, Genève, 2002
 Sylviane Bourgeteau, Mules les forçats de la coke, L’esprit du livre
éditions, Paris, 2005
 Michel Koutouzis et Jean-François Thony, Le blanchiment, Que sais-je,
Presses Universitaires de France – PUF, 2005
 Atlas mondial des drogues, Observatoire géopolitique des drogues, Paris,
PUF, 1997
52
 La Dépêche internationale des drogues, Observatoire géopolitique des
drogues, Revue le monde diplomatique, N° 95, novembre, 1999
 Drogue et reproduction sociale dans le tiers monde, Ed. de l’Aube,
ORSTOM, 1998
 Rodrigo Uprimmy in Centre Tricontinental, Drogues et narco-trafic, le
point de vue du Sud, l’Harmattan, Paris, 1996
 Lewis P et Lewis E, Peuples du Triangle d’Or, Olizane, Genève, 1984
 Dupuis M.-C., « Stupéfiants, prix, profits. L’économie politique du
marché des stupéfiants industriels », collection Criminalité internationale,
Paris, Puf, 1996
6.2
Articles sur Internet
 Loi sur la création d’un fonds destiné à la lutte contre la drogue et à la
prévention de la toxicomanie
http://www.geneve.ch/legislation/rsg/f/s/rsg_E4_70.html
 Pierre-Arnaud Chouvy, Le défi afghan de l’opium, http://www.revueetudes.com Revue de culture contemporaine, Etvdes décembre 2006
 Pierre-Arnaud Chouvy, La face cachée du monde : les relations
internationales illicites no 368, http://www.aaeena.fr/publications.php
 United Nations office drugs and crime, World
http://www.unodc.org/unodc/en/world_drug_report.html
drug
report
 Article
paru
dans
Liberation
mars
2005
http://www.pachouvy.org/ITWLiberation120305-CHOUVY_Eradication_pavot.pdf
 Brochure de vulgarisation sur les relations Nord-Sud et la mondialisation
http://www.evb.ch/fr/p25008774.html
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