Obésité abdominale
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Obésité abdominale
III Obésité abdominale : La mesure du tour de taille Jacques ROSINE, épidémiologiste, CIRE Antilles-Guyane III.1. Contexte Il est admis que l’obésité est un facteur de risque pour la survenue de certaines maladies métaboliques (diabète) et cardiovasculaires [1]. Afin de caractériser l’obésité, on utilise l’indice de masse corporelle (IMC). Cependant la relation entre IMC élevé et présence de maladies vasculaires ou métaboliques n’est pas systématique [2]. Par contre, les travaux de Vague dès 1947 [3] ont mis en évidence une relation entre l’obésité abdominale et la présence de certaines maladies. Depuis, de nombreuses études ont conforté cette théorie [4,5,6]. De nos jours, il est ainsi admis que l’obésité abdominale est un marqueur majeur pour certaines maladies notamment les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 et la mortalité. Des travaux menés aux Etats-Unis ont permis d’établir que le risque de survenue de maladies cardiovasculaires est 2,3 fois plus important chez les femmes classées obèses et présentant un tour de taille élevé [7]. En Martinique, aucune information sur le tour de taille n’était disponible. Même si des études sur l’obésité ou les maladies cardiovasculaires existent, aucune n’avait pris en compte l’obésité abdominale comme marqueur de maladies métaboliques et vasculaires. Il a donc été décidé de mesurer le tour de taille et le tour de hanches dans le cadre de l’enquête ESCAL. III.2. Méthode La mesure du tour de taille est un moyen simple d’estimer l’obésité abdominale. Elle s’effectue à mi-distance entre la base thoracique et la crête iliaque. La circonférence doit être inférieure à 88 cm chez les femmes et à 102 cm chez les hommes (8). Ces limites, en vigueur au moment de l’enquête ESCAL, ont été portées en 2005 à 94 cm chez les hommes et 80 cm chez les femmes. Au dessus de ces valeurs de tour de taille, on parle d’obésité abdominale. III.3. Résultats Le tour de taille n’a été mesuré que chez les adultes de 16 ans et plus. Les femmes enceintes ont été exclues de l’échantillon. L’effectif final est donc de 1 495 personnes. En prenant pour valeur limite 88 cm pour les femmes et 102 pour les hommes, on observe que 34,6 % [31,7 37,6] des individus présentent une obésité abdominale. L’obésité abdominale est plus marquée chez les femmes puisque 47,4 % [43,3 – 51,6] d’entre elles ont un tour de taille supérieur à la valeur seuil (88 cm), contre seulement 16,4 % [13,5 – 19,8] des hommes (valeur seuil : 102 cm), p<0,05. Le tour de taille moyen des hommes est de 90,4 cm [89,4 – 91,4]. Le plus petit tour de taille observé est de 62 cm et le plus grand de 174 cm. Chez les femmes, le tour de taille moyen est de 88,1 cm [87,1 – 89,2] avec pour valeurs extrêmes 40 cm et 176 cm. Rapport tour de taille sur tour de hanches Le rapport tour de taille / tour de hanches (WHR) est un autre indicateur qui permet de classer les sujets à risque de survenue de maladie métabolique ou vasculaire ou non. Ce seuil est fixé à 0,85 chez les femmes et à 0,95 chez les hommes. Dans notre échantillon, 20,6 % [17,1 – 24,5] des hommes contre 40,4 % [36 – 45] des femmes sont classés à risque (p<0,05). - 37 - Obésité abdominale en fonction de l‘âge La figure III.2 présente le pourcentage de personnes ayant une obésité abdominale soit en tenant compte du tour de taille, soit en prenant le WHR, en fonction de la tranche d’âge. On remarque que ce pourcentage est directement lié à l’âge et qu’il croît quand l’âge augmente, que ce soit pour le tour de taille ou pour le WHR. Près de 60 % des personnes âgées de 65 ans et plus sont classées à risque compte tenu de leur WHR. Ce pourcentage est maximal aux âges élevés et augmente en fonction de l’âge. On constate cependant que 10,9 % [6,3 – 18,2] des 16-24 ans sont classés à risque. Obésité abdominale en fonction de l’IMC La mesure de l’IMC permet de classer les individus adultes en 3 grands groupes : normal, surpoids, obésité. Le tour de taille est d’autant plus grand que l’IMC est élevé, aussi bien chez les hommes que chez les femmes (Tableau III.1). Il n’y a pas d’obésité abdominale chez les hommes qui ont un IMC normal. Par contre, 14 % [9,6 – 19,8] des hommes en surpoids et 76,8 % [66,5 – 84,7] des hommes obèses, ont aussi une obésité abdominale. Chez les femmes, 7,5 % [4,7 – 11,5] de celles qui ont un IMC normal, présentent une obésité abdominale. Ce chiffre s’élève à 56,9 % [49 – 64,5] pour les femmes en surpoids et à 95,1 % [91,2 – 97,4] chez celles qui sont obèses. - 38 - Si on prend en compte le rapport tour de taille sur tour de hanches Chez les hommes, 10,7 % de ceux qui ont un IMC normal (< 25) sont classés à risque contre 23,3 % de ceux qui sont en surpoids et 44,7 % des obèses. Chez les femmes, on observe la même tendance mais le pourcentage de femmes classées à risque parmi celles qui présentent un IMC normal est deux fois plus important (20,2 %) que celui observé chez les hommes. Plus de 50 % de celles qui sont en surpoids sont classées à risque ainsi que 56,7 % des obèses. (Tableau III.3). Obésité abdominale en fonction de la consommation de tabac Dans notre échantillon, 11 % des personnes enquêtées (sexe et âge confondus) sont des fumeurs réguliers. En stratifiant sur l’âge, on constate que le fait de fumer ou pas a une répercussion sur le tour de taille ; les fumeurs ayant un tour de taille inférieur à celui des non fumeurs (87,4 vs 89,6 cm ; p<0,05). Obésité abdominale en fonction du niveau socio-économique Comme le montre le tableau III.4, dans cette étude, le tour de taille est inversement proportionnel au niveau socio-économique. La tendance est la même si on prend en considération le pourcentage d’obésité abdominale ou le WHR. III.4. Discussion Afin de pouvoir extrapoler les résultats de l’enquête ESCAL à l’ensemble de la population martiniquaise, l’échantillon a été redressé. Les valeurs redressées montrent que 43,5 % des femmes et 14,6 % des hommes martiniquais présentent une obésité abdominale. Le tour de taille moyen des hommes est de 89,5 cm et celui des femmes de 86,6 cm. Une étude réalisée en Guadeloupe en 1999, sur un échantillon de 5 149 femmes ayant consulté un médecin au centre hospitalier universitaire de Pointe à Pitre, a montré que ces patientes avaient un tour de taille moyen inférieur à celui observé en Martinique (82,1 cm). Cette comparaison n’est qu’indicative car les deux échantillons ne sont pas strictement comparables. Si on s’intéresse aux personnes obèses, on observe que le tour de taille moyen est de 108,4 cm chez les hommes et de 102,2 cm chez les femmes. En 2000, en France métropolitaine le tour de taille moyen des - 39 - obèses était de 109,7 cm pour les hommes et de 103,2 pour les femmes [9]. Le tour de taille moyen de la population de France métropolitaine (sexe et âge confondus) était de 87,2 cm selon l’enquête OBEPI de 2003 ; en Martinique, en 2004, il est de 88 cm. Les travaux menés au niveau international sur le tour de taille ont montré que c’était un indicateur prédictif de la survenue des maladies métaboliques et vasculaires dans les pays développés. Dans des pays en voie de développement comme la Jamaïque, il a été montré que cet indicateur pouvait aussi être utilisé pour caractériser des populations à risque [11]. Dans cette étude réalisée sur un échantillon de la population jamaïcaine, le tour de taille moyen des hommes est de 80,3 cm et de 82,6 cm chez les femmes. Ces valeurs sont plus basses que celles mesurées dans la population martiniquaise, ce qui laisse supposer une obésité moins marquée à la Jamaïque. La tendance est à l’augmentation de la prévalence de l’obésité et de l’obésité abdominale. Pour la Martinique, il n’existe pas de données antérieures permettant de savoir si l’obésité abdominale a augmenté. Sur le plan national, l’enquête OBEPI de 2000 a montré que près de 25 % de la population française présentait une obésité abdominale [9]. Les enquêtes OBEPI menées en 1997, 2000 et 2003 ont montré que le tour de taille moyen des Français a progressé de 2,6 cm en 6 ans. Cette augmentation est associée à une augmentation des facteurs de risques diabète et hypertension artérielle. Cette même tendance a été observée aux Etats-Unis entre 1988 et 1994. Le tour de taille moyen des hommes passant sur cette période de 95,3 à 98,6 cm et celui des femmes, de 88,7 à 92,2 cm [10]. Près d’un tiers (30,6 % exactement) de la population martiniquaise présente une obésité abdominale soit environ 120 000 personnes. En France métropolitaine, en 2000, on estimait à 24,7 % la proportion de personnes présentant une obésité abdominale (différence statistiquement significative ; p<10-5). Les femmes présentent plus souvent une obésité abdominale : elles sont 35,9 % à être classées à risque pour la survenue de maladies métaboliques ou vasculaires contre 17,5 % des hommes. La présence d’une obésité abdominale chez près de 36 % des femmes martiniquaises est un élément à prendre en considération, notamment dans le cadre des programmes de périnatalité puisqu’on sait que jusqu’à la 16ème semaine de grossesse, le tour de taille est un facteur prédictif pour la survenue d’hypertension et de pré éclampsie [12]. Enfin, le tour de taille moyen des individus et leur appartenance au groupe à risque pour la survenue de pathologies métaboliques ou vasculaires sont statistiquement liés à leur niveau socio-économique. Les pourcentages de personnes à risques chez les classes les plus aisées (niveau 1 et 2) sont respectivement de 22 et 23,5 %. Chez les classes modestes (3 et 4), les pourcentages sont respectivement de 28,1 et 34,4 %. Il existe un gradient statistiquement significatif (p=0,02). Cette relation a déjà été observée dans d’autres études notamment sur des travaux menés sur des populations Américano-mexicaines où une obésité abdominale a été directement reliée au lieu de naissance et au niveau d’éducation des enquêtés [13]. III.5. Conclusion L’enquête ESCAL montre qu’une proportion importante de la population martiniquaise présente une obésité abdominale et que les femmes sont plus concernées que les hommes. Certains travaux laissent supposer que des modifications génétiques au niveau des récepteurs glucocorticoïdes pourraient contribuer à l’accumulation des graisses abdominales, expliquant ainsi en partie l’obésité abdominale [14]. Néanmoins, les habitudes de vie, la pratique régulière d’une ou de plusieurs activités physiques et une bonne hygiène alimentaire, restent les déterminants majeurs pour l’apparition ou non d’une obésité abdominale. Le tour de taille est un indicateur fiable permettant de cibler les populations à risque de survenue de maladies cardiovasculaire ou métaboliques. Il est donc indispensable d’en tenir compte pour définir les populations qui devraient bénéficier en priorité de programmes d’éducation à la santé. Un des objectifs de ces programmes pouvant être une diminution de l’obésité abdominale. Au regard de l’enquête ESCAL Martinique, les femmes et plus particulièrement celles issues des milieux les plus défavorisées sont celles vers lesquelles des actions ciblées devraient être entreprises. De plus la femme martiniquaise étant souvent le « poto mitan4 » de la famille, elle est un interlocuteur privilégié pour faire passer des messages d’éducation sanitaire. 4 Poto Mitan : Poutre centrale - 40 -