Formes, potentiels et limites
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Formes, potentiels et limites
8 dossier dossier Formes, potentiels et limites du pilotage dans le champ de la formation continue Katrin Kraus Professeure, co-responsable de l’Institut de formation continue et de conseil de la Haute école pédagogique de la Haute école spécialisée de la Suisse du NordOuest (PH FHNW) Contact : [email protected] Traduit de l’allemand par Alexander Wenzel, co-rédacteur EP En politique, la notion de pilotage est fréquemment évoquée. Dans sa première acception, elle signifie l’acte de diriger, de manœuvrer quelque chose dans une direction ou vers un but spécifique.* Dans le domaine de la formation et plus particulièrement de la formation continue, cette opération représente une entreprise complexe. Par ailleurs, on ne saurait traiter de pilotage de la formation continue sans aborder les limites de cette entreprise. Cet article se propose de cerner la notion du pilotage en rapport avec la formation continue, notion centrale de ce dossier thématique. Pour ce faire, l’auteure différencie divers aspects et champs d’application de la notion et met en évidence les défis que pose le pilotage dans le contexte de la politique de formation. Considérons d’abord le sens général de pilotage. Dans son acception concrète, originaire du contexte technologique de la navigation et du transport, « piloter » veut dire : diriger ou conduire un véhicule en direction d’un point spécifique. On peut rapprocher la notion des expressions « prendre les commandes » et « tenir le gouvernail » qui expriment le fait d’avoir le pouvoir sur le dispositif de contrôle, de mettre le cap sur une destination spécifique et de prendre les mesures nécessaires pour que ce cap soit tenu. A la différence d’expressions telles que « flotter au gré du vent » ou « partir à la dérive », la notion de piloter comporte les trois éléments suivants : la directionnalité (dans le sens d’une orientation dans une direction donnée), l’activité et le mouvement. Si tout cela a l’air relativement simple au premier abord, c’est en vérité une opération complexe qui exige une grande maîtrise de l’appareil en question, des connaissances contextuelles approfondies à propos du milieu où l’on évolue, et la capacité intellectuelle de formuler un but approprié. Sans parler d’autres compétences éventuellement nécessaires, comme la discipline et la maîtrise de soi dont il faut souvent faire preuve afin d’atteindre le but, ou la capacité à convaincre d’autres personnes de la pertinence de l’objectif et à les motiver à faire les efforts qui permettront d’y arriver. Pilotage politique Dans le cas du pilotage politique, la notion de pilotage va au-delà de cette conception concrète. Traditionnellement, on distingue dans le contexte politique trois paradigmes de pilotage, trois principes de gouvernance qui correspondent à autant d’instances qui dominent dans chaque cas le pilotage : à savoir le marché, l’Etat et la communauté. En ce qui concerne les modes de fonctionnement de ces principes, le pilotage par le marché se base principalement sur le mécanisme de l’offre et de la demande, la gouvernance étatique (ou hiérarchique) sur des processus de négociation au sein d’une constellation de positions de pouvoir, et la gouvernance communautaire sur des engagements réciproques et sur des systèmes de valeurs partagés jusqu’à un certain degré. Apparu récemment, le principe de pilotage par un réseau implique des acteurs égaux qui coopèrent temporairement afin de réaliser des objectifs communs. Dans la réalité, ces différents principes de pilotage peuvent se combiner (cf. p. ex. Kraus 2013). Gouvernance de l’éducation C’est sur la base d’un certain nombre d’études que le concept de la gouvernance de l’éducation a été introduit dans la discussion sur le pilotage du domaine éducatif, cautionnant ainsi le fait que dans cette discussion, une manière de voir s’est imposée d’après laquelle le pilotage implique toujours la coordination des actions de différents acteurs agissant en fonction de leurs intérêts et de leurs ressources de pouvoir (cf. Schemmann 2014 pour le contexte de la formation continue). Cette manière de voir met en évidence la complexité du Education Permanente 2015-2 Weiterbildung steuern Piloter la formation continue dossier dossier « Par ailleurs, on ne saurait traiter de pilotage de la formation continue sans aborder les limites de cette entreprise. » pilotage qui, en plus, embrasse souvent plusieurs niveaux politiques dans le domaine éducatif. Par ex. dans le domaine de la formation continue, il existe des programmes internationaux portés par des acteurs tels que l’OCDE, l’UNESCO ou l’UE. Une grande importance revient également au contexte politique national qui, en Suisse, est actuellement dominé par la Loi fédérale sur la formation continue, mais où existent aussi des dispositifs comme les « Recommandations relatives à la formation continue d’adultes » de la CDIP (2003). Pour finir, les échelons cantonaux ou régionaux ont aussi leurs rôles à jouer; c’est à ces niveaux-là que des lois, ordonnances et autres dispositions créent les conditions-cadres pour la formation continue et les déclinent en détails concrets. Gouvernance « douce » ou « à la dure » Par rapport à la coordination des actions des acteurs, on peut encore distinguer entre, d’un côté, des formes « souples » ou « douces » et, de l’autre côté, des formes « dures » ou « rigides » de pilotage (« soft » vs « hard governance »). Une forme « pure et dure » de pilotage présuppose qu’un des acteurs dispose du pouvoir de donner des instructions à l’autre acteur, ce qui permet au premier, le cas échéant, d’imposer certains objectifs au deuxième et d’ordonner les mesures nécessaires pour atteindre ces objectifs, fût-ce contre le gré de l’acteur subordonné. Les formes douces de pilotage s’appuient plutôt sur des mesures incitatives, p. ex. en allouant des fonds d’encouragement à certains projets. Ces dernières années, une forme de pilotage souple a gagné en importance, surtout dans la politique internationale ; elle consiste à créer des situations qui font jouer la compétition. Dans le domaine de la formation continue, ce principe est appliqué p. ex. dans le cadre d’études comparatives internationales telles que PIAAC, le Programme de l’OCDE pour l’évaluation internationale des compétences des adultes. Ces études cherchent à provoquer un engagement renforcé pour la formation continue, entre autres en exploitant le fait qu’un Etat ne souhaite pas se trouver en fin de classement lorsqu’il est comparé à d’autres Etats. Cette façon de piloter peut être combinée avec l’engagement volontaire des acteurs de poursuivre un objectif donné, comme dans l’exemple de la « Méthode ouverte de coordination » de l’Union européenne. Dans ce cas, les Etats membres conviennent d’objectifs comme Annonce NOUS NE FAISONS PAS DE VOUS DES HÉROS, MAIS DES LEADERS AVEC FORMAT. superheros.ch / swissmem-kaderschule.ch scanner et gagner format Education Permanente 2015-2 Weiterbildung steuern Piloter la formation continue 9 10 dossier dossier p. ex. d’un certain taux minimum de participation aux formations continues. Chaque Etat est libre de déterminer ses propres mesures à mettre en place pour atteindre l’objectif, mais l’UE rassemble et publie régulièrement des données comparatives indiquant le degré de réalisation des objectifs. Lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des objectifs politiques, il y a en général plusieurs des formes de pilotage mentionnées qui interagissent. « La relation entre politique et pédagogie est d’un intérêt particulier lorsqu’il est question des limites du pilotage. » Les limites du pilotage Quant aux limites du pilotage, elles résultent d’une part de la complexité – déjà abordée plus haut – des interactions entre les différents acteurs de la politique éducative, d’autre part, elles naissent également dans la transition entre politique et pratique pédagogique, respectivement entre recherche académique et politique. Cette dernière interface joue un rôle important par rapport aux « informations de pilotage » tant réclamées, c’est-à-dire les connaissances indispensables pour effectuer un pilotage. S’il est vrai que des études et enquêtes peuvent mettre des résultats utiles à la disposition des acteurs politiques, ce sont néanmoins les exigences inhérentes au champ politique qui déterminent en fin de compte la manière dont ces informations sont réellement utilisées. La relation entre politique et pédagogie est d’un intérêt particulier lorsqu’il est question des limites du pilotage. D’après le modèle répandu dit du « cycle de politique publique » (« policy cycle »), les processus politiques se déroulent en commençant par l’élaboration d’un programme (« agenda setting »), c’est-à-dire par la recherche d’un accord au sujet d’une situation nécessitant un changement, en passant par le processus de prise de décision en vue des mesures particulières à prendre, puis par la mise en œuvre concrète de ces dernières, jusqu’à l’évaluation de leur efficacité – le tout éventuellement suivi par un nouveau cycle, recommençant par un travail de planification et de programmation politique. La phase critique d’un tel cycle se situe dans la mise en pratique des programmes politiques qui représente toujours un processus de transfert au cours duquel le programme en question se voit transformé. Les acteurs du champ politique et leurs actions sont soumis à d’autres exigences et contraintes que les acteurs professionnels de la pratique pédagogique. Par conséquent, un programme politique ne saurait jamais être appliqué tel qu’on l’a conçu. Le transfert de la politique de formation vers la pratique pédagogique modifie le programme afin de l’adapter aux exigences de l’activité pratique. De plus, les organismes édu- catifs possèdent une grande force d’inertie, ce qui signifie que souvent, de nouvelles directives ne sont pas simplement mises en œuvre, mais plutôt assimilées aux processus et aux orientations déterminant les actions à prendre qui sont déjà en place dans l’organisation. En ce qui concerne en plus la formation continue, les participants exercent une fonction de pilotage relativement importante, p. ex. par leur décision de participer ou non à une offre de formation spécifique ou d’en choisir une plutôt qu’une autre. Conclusion – le pilotage de la formation continue Le pilotage comporte toujours les aspects de directionnalité (c’est-à-dire d’orientation vers un but) et de comportement actif. Mais il ne faut pas le concevoir de manière linéaire – encore moins dans le domaine de la formation continue où les acteurs sont si hétérogènes. Le pilotage implique une interaction complexe d’actions que les acteurs doivent coordonner à travers différents niveaux reliés plus ou moins étroitement les uns aux autres. Dans la formation continue en particulier, une importance relativement haute revient aux participants (potentiels) ce qui différencie ce domaine d’autres domaines de l’éducation où les apprenants n’ont guère de possibilités d’influence, en dehors du processus d’apprentissage lui-même. Mais ce pouvoir d’influence que possèdent les participants de la formation continue, crée davantage d’injustice sociale dans ce domaine, comparé à d’autres domaines de la formation. La formation continue se différencie aussi au niveau des principes classiques de pilotage qui y sont actifs, puisque la gouvernance étatique y joue un rôle moins important que p. ex. pour la scolarité obligatoire; en revanche, la gouvernance par le marché, la gouvernance communautaire et la gouvernance par les réseaux sont plus importants pour la formation continue. n * A la différence de l’allemand où « steuern » et « Steuerung » désignent plus largement le fait de diriger toutes sortes d’objets, le sens originel du mot français « piloter » concerne plus spécifiquement l’acte de conduire un navire; et plus tard, d’autres véhicules, comme des aéronefs ou des voitures de course. S’ajoute le sens maritime moderne du pilotage et du pilote qui guide un navire dans un port, une passe ou un chenal (lamanage, lamaneur) (note du traducteur). Références bibliographiques : Kraus, Katrin (2013). Eine politische Weichenstellung in der Schweiz. Das Bundesgesetz über die Weiterbildung. In : Weiterbildung. (1). S. 36-39. Schemmann, Michael (2014) : Handlungskoordination und Governance-Regime in der Weiterbildung. In : Maag Merki, Katharina / Langer, Roman / Altrichter, Herbert (Hrsg.) : Educational Governance als Forschungsperspektive. Wiesbaden et al. : Springer. S. 109-126. Education Permanente 2015-2 Weiterbildung steuern Piloter la formation continue