Vincent Ganivet ou l`Art du parpaing,God bless America, qu`ils
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Vincent Ganivet ou l`Art du parpaing,God bless America, qu`ils
Vincent Ganivet ou l’Art du parpaing Jeans, baskets, cheveux surpris au réveil, le jeune homme de 33 ans en tenue de chantier reçoit à l’heure du café dans son immense atelier, rue du Bocage à L’île-Saint-Denis (93). Il paraît qu’il est artiste. Et que l’air de rien, ses œuvres sont en ce moment même au Palais de Tokyo à Paris dans le cadre de Dynastie, une grande exposition sur la nouvelle génération d’artistes contemporains. Quand l’Art rencontre la maçonnerie. (A droite, Vincent Ganivet devant son atelier épaulé par Momo un collègue et ami qui travaille avec lui ses constructions en équilibre) Les fondations « L’idée du Domino cascade ( une des premières performances de l’artiste) est parti d’un délire sur un chantier. Pourquoi ne pas faire s’écrouler des parpaings comme l’on ferait s’écrouler des dominos ou des cartes à jouer ? Depuis, le parpaing m’a poursuivi ! » C’est décidé, ce sera donc ces curieux Lego de plus de 10 kilos que l’artiste utilisera au service de son art. L’idée « est de les disposer de travers, autrement que lorsque j’étais payé pour le faire. » Car des chantiers, Vincent en a fait pour financer ses études aux Beaux-Arts de Paris. « Après avoir fait la seule prépa publique en France, j’ai fait de l’image 2D et de la vidéo aux Beaux-Arts. A côté, je gagnais ma vie en faisant de la maçonnerie. Du coup, les deux se sont rejoints logiquement. Il y a une dizaine d’années, un copain avait devant sa galerie des parpaings là depuis toujours. J’ai fait un igloo avec qui leur a plu. Ils l’ont laissé exposé dans la galerie. Un jour, un visiteur avec qui j’ai sympathisé m’a proposé d’occuper un atelier sur l’Ile-Saint-Denis. J’ai aussitôt accepté. » Depuis 7 ans, l’atelier de Vincent prend peu à peu forme pour offrir de l’espace aux divers artistes qui s’y côtoient et à tout projet proposé. Le chantier Aujourd’hui, il est le témoin des constructions monumentales de Vincent. « On travaille d’abord sur des maquettes puis, on construit des gabarits, les formes en bois qui vont être les clés de voûte des constructions. » A son actif ? Igloo, autres roues et arches en équilibre, feux d’artifice picturaux, fontaines, fuite d’eau…« Il y a un côté raide minimal, brut dans ce que je fais. L’idée étant de recréer un équilibre précaire que l’on sent fragile. J’aime ce rapport aux spectateurs qu’impliquent mes œuvres : passer sous un arche en parpaings tu le fais ou tu le fais pas !» Surtout qu’ils ne sont pas collés entre eux, l’œuvre n’étant pas pérenne. « Après l’expo, les parpaings retournent à leur vie de parpaings. Ils s’en vont faire des pavillons en banlieue » explique Vincent, heureux de présenter les vestiges de ses œuvres devenus murs et cloisons de l’atelier. Des parpaings, un objet pas très convoité, plutôt ingrat. « Peu importe le matériau, c’est une histoire de gestes. Rien n’oblige à travailler le bronze pour faire de belles sculptures. C’est l’énergie qu’on met dedans qui importe. » Ainsi de la fuite d’eau, première installation dans une galerie: « Le public n’avait à se mettre sous la dent qu’un seau et une coulée de gouttes d’eau en provenance du plafond. Une provocation, oui mais qui implique tout le monde : le galériste qui doit aller vider le seau toutes les 2 heures et le public car c’est une proposition visuellement raide : tourner autour du seau (du pot?). Mais la démarche était de faire d’une galère de chantier qui est un poncif, une espèce de philosophie zen ! On pourrait appeler ça du minimalisme monumental ! » Travaux finis Un art intellectualisé qui ne se veut tout de même pas trop intello : « Mon travail plaît autant à une personne qui pose des parpaings pour gagner sa vie qu’à d’autres qui ont une culture beaux-arts. Moi-même, je ne vais pas souvent voir des expos, l’art contemporain n’est pas toujours généreux et de ce côté là, l’échange, est fondamental pour moi. Je donne un truc à voir dont la motivation première n’est pas de se triturer les méninges, même si après, chacun peut y mettre autant d’interprétations qu’il veut. » Un art contemporain tourné vers l’autre, en interaction avec un public diversifié, c’est la vision de Vincent Ganivet, personnalité aussi éclectique que son art. « Un jour tu manges un kebab, le lendemain, c’est cacahouètes et champagne, c’est le propre de l’artiste d’être une identité transgressive ! » L’exposition au palais de Tokyo a donné une bonne impulsion à l’artiste qui a déjà des galeristes sur le dos et des projets pleins la tête. Vincent Ganivet, dans le cadre de l’exposition Dynastie au Palais de Tokyo jusqu’au 5 septembre. www.vincentganivet.fr http://www.dynasty-expo.com/d/fr/artistes/artistes.php?art=43 God bless America, disaient... qu'ils La Terre promise pour un jeune juif dans les années 50, c’est aussi et surtout les petits boulots, le taudis avec WC communs, la chemise crasseuse et les filles de joie pas beaucoup plus propres. Voilà pour le point de départ. On approfondit avec Edgar Hilsenrath. Fuck America commence comme son titre le suggère, pas dans la finesse. Mais dans un échange épistolaire complètement absurde entre le père du héros et le consul d’Amérique. Ce dernier refusant à la famille juive allemande d’émigrer, en 1939, pour la bonne raison que «des bâtards juifs comme vous, nous en avons déjà suffisamment en Amérique». Le livre se poursuit ensuite d’un «Fuck America» bien senti à la face de la statue de la Liberté, et d’écriture d’un roman intitulé «Le Branleur». La critique du Nouveau Monde est cependant loin d’être aussi primaire que le style voudrait (pourrait) le faire croire. L’histoire tient en quelques mots, celle d’un jeune juif rescapé de la Shoah, et dont la famille a immigré aux EtatsUnis au début des années 50. Et qui, écrivain en devenir, cumule les jobs miteux et les putes qui ont bien voulu lui faire un rabais (parce que les vraies femmes, celles qui sont secrétaires de direction, ne regardent pas les rangs grouillants d’étrangers). Rien de larmoyant ni de pathétique au premier degré dedans, néanmoins. Bien au contraire. Mais un enchaînement de situations entre le caustique et le burlesque, et qui permettent à Hilsenrath d’évoquer avec pudeur une double histoire : celle de l’immigré dont le pays ne sait que faire et qui se heurte – mais sans jamais les toucher – à des Américains pure souche – heum heum – et celle du traumatisme du génocide. D’ailleurs, ce qu’il y a de bien dans ce livre, c’est que la fameuse écriture du Branleur qui occupe le héros, Jacob Bronsky, et tout le roman – et dont nous ne saurons jamais rien – est un moyen pour Hilsenrath d’accoucher de sa propre histoire avant l’Amérique. Le tout dans un style très cinématographique. Comme dans un film de Jim Jarmusch, Hilserath nous balade de séquences en séquences, mais avec un seul personnage : Jacob à la cafétéria des immigrants, Jacob chez sa logeuse qui compte combien de tranches de pain et de noix de beurre il peut voler sans que son voisin ne s’en aperçoive, Jacob à l’agence pour l’emploi ou dans l’un de ses jobs à la petite semaine, Jacob au restaurant chic et qui en sort par la fenêtre… On entend presque le clap entre deux scènes, on imagine le jeune écrivain en Charlot voûté. Avec la trogne du Roberto Benigni de chez Jarmusch encore, absurde, irritant, pathétique, émouvant. L’impression visuelle est renforcée par de longs dialogues sibyllins qui habillent la page de grattes-ciel lithographiques, et de passages écrits en gras et en police obèse. Et par des scènes restituées comme en direct, au présent ou au passé composé, à la première personne, ponctuées d’interpellations à soi-même par le personnage : «Bronsky, je me suis dit…». La dernière fois qu’on m’a dit : «Si tu aimes Bukowski et Fante père, tu aimeras le fils», raté, j’avais trouvé que le fils se débattait entre ces deux images sans parvenir à trouver sa propre plume. Pour Hilsenrath, difficile d’y couper : c’est écrit sur la quatrième de couverture. Sauf qu’ici, c’est vrai. Non seulement il y a du Henry Chinaski dans Jacob Bronsky, et du Bukowski dans Hilsenrath. Mais surtout, il s’en éloigne. Certes, cela fait beaucoup de «i». Pour le reste, il suffit d’ouvrir le livre. Fuck America, Edgar Hilsenrath, aux éditions Attila "Circulez, y'a rien à voir" Juillet 2006, une énième guerre éclate au Liban. Comme de nombreux Libanais, les cinéastes, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige se retrouvent coincés en France, n’ayant du pays des nouvelles que par le flux d’images des journaux TV. Deux ans plus tard, caméra au poing et la légende Deneuve sur les terres libanaises, ils signent un opus quelque part entre le document et la fiction. Si le film adopte l’esthétique du reportage, on reste loin du regard sans âme des images télévisées. Là, c’est un regard dense, douloureux, âpre, amoureux. « Je veux voir » est l’histoire de la rencontre entre un pays, une icône de cinéma, une étrangère et un autochtone assommé par la guerre, le représentant d’une génération. Il est aussi le récit d’un voyage initiatique, celui de Catherine Deneuve et celui de son guide comédien, Rabih. C’est par Deneuve qu’on s’étonne, par Rabih Mroué qu’on s’émeut. Les questions sans équivoque de la comédienne font écho à l’incertitude grandissante de Rabih. Car, plus la voiture s’éloigne de la ville, plus les réponses de ce dernier se font floues, celles d’un « touriste dans son propre pays », plus les silences se prolongent. Il n’y a en effet rien à dire. Le paysage mutilé parle de lui-même. Des ruines décharnées, des squelettes de bâtiments, des débris à perte de vue. Lors de la recherche de la maison familiale, l’image de Rabih, forme minuscule, hésitante, sombre, noyée dans une mer de ruines frappe. Rabih, c’est à ce moment un peu le Moine au bord de la mer de Caspar David Friedrich. Une coulée de prés, un vert presque irlandais, on en oublierait le chaos que recèle la région. Des champs de blé vert qui tendent vers le flou, on pense au travail des Impressionnistes. On devine le regard encore endormi de Catherine mais aussi celui tâtonnant des Libanais contemplant leur pays après la tempête, les repères, les référents, les souvenirs ayant été balayés d’un souffle. Il n’en reste plus que les couleurs, l’essence, la sensation. Et lorsque des pelleteuses jettent mécaniquement à la mer par tonnes les débris des villes décédées, on sait le voyage fini. Les yeux fixent le zénith. Ils ne peuvent ou refusent de voir. Un tunnel pour nous ramener de cet éprouvant périple, un tunnel noir de lumières vives, qui défilent, transition poétique entre les Enfers et le Purgatoire. Catherine retourne à ses mondanités, arborant un sourire rayonnant en voyant celui qui « sait ». Les images d’un Beyrouth nocturne défilent, les lumières de la ville exécutent pour nous une dernière danse, la paix est là. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Je veux voir de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Avec Catherine Deneuve et Rabih Mroué. 1H15. 2008. Disponible en DVD. MapJazzy : Du jazz au poprock, le duo « s’aime » sa musique au fil des bars Au hasard d’un soir, dans un café, MapJazzy m’est tombée dessus… Un regard, un échange. Puis un secret susurré par cette chanteuse à la voix suave et son joueur de clarinette basse, dont on ne sait plus bien s’il joue l’instrument ou si l’instrument se joue de lui; une nuit à y repenser… Pas question que ça reste un coup d’un soir. Je tente l’initiative risquée du premier appel. MapJazzy répond, le début d’une relation ? Possible… Pour se connaître, j’ai jeté ça et là des mots sur lesquels j’ai laissé MapJazzy ricocher. MapJazzy… Raul: C’est un hommage à l’histoire de la musique du XXème siècle avec une relecture jazz. On emprunte au jazz sa liberté, son instabilité, le fait qu’avec lui, tout puisse changer d’un jour à l’autre. Map pour les initiales de MerleAnne Prins-Jorge, notre chanteuse à la voix extraordinaire. C’est aussi une référence à la mappemonde, pour mieux traverser les frontières. Merle-Anne: Avec MapJazzy, on essaie de lutter contre la mort de la vie nocturne à Paris. D’apporter un peu de douceur à cette capitale qui se fait moins bruyante qu’avant. L’idée, c’est de pouvoir venir jouer partout, dans le maximum de lieux publics ou chez des particuliers pour faire découvrir le jazz aux amateurs autant qu’aux non-initiés. Si en buvant un coup, un air fredonné attire leur attention, nous sommes les grands gagnants de la soirée. La transmission est quelque chose de très important. Pour nous, elle fait partie de la musique. Références… Merle-Anne : On emprunte à tous les répertoires connus que l’on aime : aussi bien des classiques du jazz comme Ella Fitzgerald, Janis Joplin, Louis Armstrong, Sarah Vaughan, que de la pop ou des musiques du monde : les Beatles, U2, Police, Joao Gilberto, Henri Salvador. On tourne avec une trentaine de morceaux mais on continue d’élargir notre palette. Il y a tellement de belles chansons. Raul : Il y a aussi Bobby Mac Ferrin ! Tuck and Patti, un duo couple que nous aimons beaucoup et Eric Dolphy, grand saxophoniste clarinettiste. Pour le silence : Miles Davis, pour cette envie de jouer notre musique dans les bars : Akosh, enfin, Musica Nuda, un groupe italien pour l’hommage aux grands standards de la musique. Mais en règle générale, on aime la soul, le jazz, le funk, le groove. On est très black music ! Je pense vraiment que le rôle du chanteur, c’est d’être un guide, emmener à la découverte ou la redécouverte de plusieurs sons. Nous travaillons actuellement sur un album plus pop-rock : Big Biz (comprendre « Big bisous », un mot doux coutumier du duo musical) (Pour l’énergie, pas de doute! Allez voir l’extrait vidéo de Taratata, chanson extraite de l’album en cours) Voyages… Raul (rêveur) : Ce projet a débuté par un voyage : celui d’un italien venu tout droit de Catanzaro en Calabre à Paris pour passer son bac et étudier le Jazz. Puis, un autre voyage, plus récent, celui de Merle-Anne en Italie qui a donné lieu au projet Mapjazzy. Merle-Anne : Tout est histoire de voyages depuis mes origines… La traversée d’un homme venu d’Afrique (Angola) qui a fait la rencontre d’une femme en France. Ils conçoivent un enfant à Rome qui naîtra à Paris. (Merle-Anne) Le voyage est aussi le but de ce projet : chercher à transporter les musiques. On est basé à Paris mais le disque sortira d’abord en Italie, car nos premiers concerts se sont déroulés là-bas. Un voyage encore dans le monde du silence parce qu’il est aussi musique. Amour…( le duo est aussi couple dans la vie) Merle-Anne : Ma grande tante Juliette disait: « Tu n’as pas connu l’amour tant que tu n’as pas connu un Italien! » (Rires) Raul : Nous, c’est l’histoire d’amour d’un être avec son double (…) Merle-Anne (l’interrompant) : « Il est bavard! Intarissable sur ce sujet! » me glisse-t-elle en aparté. Disons que Nous, c’est depuis toujours. J’aime à dire que c’est un France-Italie sans coup de boule à la fin ! Raul : On s’est mis ensemble il y a 15 ans durant notre formation musicale au CIM de Paris (école de jazz et de musiques actuelles) puis, pendant 10 ans chacun a vécu sa propre histoire. On s’est finalement retrouvé autour d’envies musicales. J’avais écrit des chansons que je pensais chanter moi-même, mais j’ai vu en Merle-Anne la parfaite interprète. Un amour qui a donné naissance à un disque, mais aussi à un bébé! Merle-Anne: Justement, dans le titre Dans mes rêves qui est une de nos compositions, je parle de cet amour partagé entre la musique et la maternité : « J’ai laissé ma fille dormir seule à la maison pour vivre mes rêves…. ». Il y a un côté utopiste à vouloir faire l’artiste… De toute façon, on est très love, très spirituels… Raul : Très soul quoi (…) Merle-Anne: Un autre mot vite! (rires) Alors ce sera : Paris… Merle-Anne: Ah ! C’est là que tout a commencé ! Là où l’on habite, où l’on démarre nos projets, notre histoire. C’est la plus belle ville du monde. Mais pour y être bien, il faut voyager. Paris ne tolère pas la médiocrité. Il y a ici une intellectualisation de tout qui stimule mais qui est peut-être un peu trop présente… Les échanges dans les bars, tout ce bouillonnement, c’est à ça que nous sommes attachés. Raul : C’est une vraie ville métisse. Merle-Anne me donne ce petit côté parisien, cet amour du bouillonnement. N’étant pas natif de la capitale, je n’en suis pas encore blasé ce qui me permet de lui redonner à mon tour régulièrement le goût de Paris. C’est un échange. Merle-Anne : C’est vrai que je ressens une déprime générale : ici mais aussi partout ailleurs, les gens sont las, exténués. Ce monde est trop violent. Ce nouveau temps que l’on impose est trop violent : il faut aller toujours plus vite, devenir star à 20 ans avant que cela ne soit trop tard. Le fameux « time is money » a fait des ravages. La musique, c’est avant tout de l’air qu’on déplace et qui vient faire vibrer les petits duvets des oreilles. Une sensation qui fait du bien. Un côté doux, enveloppant, le côté féminin de Paris. Improvisation… Merle-Anne: Là maintenant tout de suite?! Raul: Oh oui!!!! Bobby McFerrin- Don’t worry, Be Happy- par MapJazzy. Version a cappella sur fond sonore d’ambiance de bar! MapJazzy- Don’t Worry, Be Happy – MapJazzy c’est aussi une actualité: – Le projet Mapjazzy: Enregistrement du disque Voice Link prévu fin juillet. Plus d’info sur le myspace : http://www.myspace.com/mapjazzy (Attention la qualité son est bien meilleure en vrai que dans les vidéos !!) – Le projet Big Biz : L’album est déjà enregistré. Il sortira d’abord en Italie mais seulement après la sortie et la digestion de Voice Link. Photos: (c) Manon El Hadouchi La tête en friche loin des têtes d’affiches Au départ, un livre aux ingrédients pourtant pas bien « folichons »: vieille mamie attachante et benêt au cœur tendre, le tout agrémenté de gras pigeons armés de sobriquets, de livres et dico en passe d’être apprivoisés. Pourtant, La tête en Friche de Marie-Sabine Roger est un de ces bouquins qui réussit à donner naissance à un plat doux et relevé. Miraculeusement le mélange prend vie, senteur, goût, odeur et sens. Parce que les phrases sont brutes, osent le nu. Le lecteur assiste à un étrange accouplement où les mots de tous les jours n’ont pas peur de se dresser fièrement à côté de mots nouveaux, un rien prétentieux parfois, mais pourtant si délicats…Tout ça sous la plume aguerrie de Marine-Sabine Roger, qui, ancienne enseignante, connaît bien son sujet. Le sujet justement : une rencontre entre Germain, un « gars de la terre » en manque d’amour et Margueritte une vieille dame passionnée de livres et avide de transmission. Mais aussi le langage des mots, la confrontation d’un Savoir que l’on croit inaccessible et d’une naïveté parfois mangée par ce premier. Bien des fois, je me suis sentie Germain, bien des fois, je me sens encore Germain, perdue dans un tourbillon de mots, d’images et de références loin de mon quotidien… Pour cela, je suis allée voir l’adaptation cinématographique…Le film quoi, le film tiré du bouquin. Petite hésitation déjà en voyant le Germain de Jean Becker: Depardieu ?! Pff… Curiosité oblige, je franchis malgré tout la porte de la salle et me voilà partie…Moins loin que je l’aurai aimé. Entrée en matière trop brutale, performances d’acteurs douteuses, poésie enfuie, flashs back mielleux….Quand l’image s’emmêle, c’est une friche qui n’est plus. Un film trop propret. Un simplet trop intello pour croire à une soudaine découverte de la magie des livres, une mamie sans brin de folie : ridée mais trop lisse, sympatoche mais trop moraliste, touchante mais finalement un peu chiante…Une Marguerite à laquelle on a enlevé son deuxième toute la différence. « t » qui faisait pourtant Autre histoire que celle de Sabine que j’avais laissé m’apprivoiser, cette adaptation ne laisse pas plus de traces qu’un bon Louis la Brocante une soirée de pluie. Il y a de ces livres qui devraient le rester. Des livres à ne pas rater. Extraits: « Margueritte dit que se cultiver, c’est tenter de grimper en haut d’une montagne. (…) Un beau matin, on prend son sac à dos, on commence sa marche. (…) On croyait que le monde s’arrêtait à la colline en face, mais non ! (…) une fois qu’on est tout en haut, on est content (…) seulement au bout d’un moment, on se gaffe d’un truc tout con : c’est qu’on est seul, sans plus personne à qui causer. (…) C’est sans doute à ça qu’elle pense Margueritte quand elle dit (…) que la culture isole. » « C’est pas parce qu’on est inculte qu’on n’est cultivable. Il suffit de tomber sur un bon jardinier. » pas La tête en friche, Marie-Sabine Roger, Ed du Rouergue, 2008 La tête en friche, un film de Jean Becker, sortie dans les salles en juin 2010 Houellebecq, where art thou? Depuis que le rejeton Cinéma a vu le jour, l’adaptation littéraire est une des figures imposées du parfait petit cinéaste. Les plus grands s’y sont frottés, parfois avec bonheur (Barry Lyndon, Lolita) mais – n’est pas Kubrick qui veut, très souvent, avec perte et fracas. L’exercice n’est pas aisé. Certains critiques et spectateurs crieront à la trahison de l’esprit de l’œuvre et du texte, d’autres à une illustration insipide et sans saveur, qui n’apporte rien de bien neuf. En 2006, le réalisateur Oskar Roehler, auteur des turbulents « Suck my dick » et « Der alte Affe Angst », se risque à l’adaptation du best-seller casse-gueule de Michel Houellebecq, les Particules élémentaires. Son passé de trouble-fête aidant, on aurait pu s’attendre à une œuvre insidieuse et aux relents de soufre. Hélas, force est pour nous de constater que M. Roehler est tombé dans les deux travers précédemment cités. De la sève vénéneuse et dense de l’univers houellebecquien, point de gouttes. Bruno (Moritz Bleibtreu) et Michael (Christian Ulmen) sont demi-frères, rejetons d’une mère folâtre, une Pamela Anderson peace and love, surfant sur la vague des plaisirs beatniks. Nos deux anti-héros, élevés séparément, sont diamétralement opposés. L’un, scientifique brillant, est un handicapé des sentiments et du sexe. L’autre, professeur de lettres, est l’archétype de l’obsédé sexuel maladroit. Sans surprise, ils sont seuls. Ils rencontreront pourtant l’amour. Michael se laisse séduire par son amie d’enfance, Annabelle. Bruno découvre sa femme idéale, Christiane, partageant ses fantasmes les plus hard. Si le film reste relativement fidèle à l’intrigue du roman, il n’en assume pas l’esprit cynique et désenchanté. La photographie arbore des couleurs criardes. Du côté bande originale, rien de bien innovant, on est dans le cliché, allant pêcher dans des classiques des années 60, utilisés déjà cent fois dans d’autres productions allemandes. La mise en scène est plate, creuse, même, à l’image du regard inexorablement vide de Christian Ulmen, qui offre là une bien piètre performance. Mais au bout de ce tunnel sans fin d’ennui et d’agacement, une lueur: l’interprétation inspirée de Moritz Bleibtreu, récompensée avec raison d’un Ours d’argent. Parmi les desserts toujours très attendus de l’adaptation littéraire, « les Particules élémentaires » ressemble à un soufflé raté, au goût insipide, dégoulinant d’une mélasse mélodramatique, un comble pour une traduction du désenchantement houellebecquien. Au début du film, Michael se pose la question si son étude sur la reproduction artificielle est digne d’être poursuivie. Après coup, on se demande si ce n’est pas là une retranscription du journal de bord de tournage de Roehler s’interrogeant sur la pertinence de sa « reproduction artificielle » du roman de Houellebecq. De toute évidence, la réponse est non. Capitaine Roehler, c’est un naufrage. Comme vous dites si bien, « Bonjour l’angoisse! ». Les particules élémentaires d’Oskar Roehler. Avec Moritz Bleibtreu, Christian Uhlmen, Franka Potente et Martina Gedeck. 1h53. 2006. Disponible en DVD. La guerre des clans aura bien lieu Coralie, la vingtaine passée, Vicky pour les intimes anonymes du téléphone rose, vit dans un bled paumé en compagnie de son « père » et d’un ex-prisonnier enamouré. Pour voisins, 3 compères, caïds de la campagne, wesh wesh made in Tabernacland, dont les principales occupations se résument à jouer au ping-pong, à traquer du Frenchy égaré, à rouler des muscles pour devenir les maîtres absolus… d’un hameau. Deux prostituées russes complètent le tableau. Ici, on pousse les indésirables de leur vélo à coups de voiture puis on achève les ennemis à bout portant. La mort plane et ce ne sont pourtant pas les coups de revolver qui l’annoncent. La mort s’est déjà installée dans les traits, les pas, les mouvements lourds de ces corps bruts mais lâches. La nature, si souvent sujet de contemplation, se révèle oppressante. Le ciel immense d’un blanc saturé menace à chaque instant de tomber sur la tête de ces hommes. Les nuages sont fixes. La vie semble s’être arrêtée. « Rien ne bouge ». Dans cette nature écrasante, tout en lignes arides, les personnages évoluent comme des ombres, des personnages de papier noir, ce qui n’est pas sans rappeler Michel Ocelot. Des pantins, en somme. Il y a à cet égard une scène éloquente. Le petit chef en devenir se trouve dans un champ à côté d’une voiture. Batte à la main, une forme noire en mouvement massacre la voiture avec rage. On est frappés par cette explosion et pourtant, à l’image de ce bâton levé, un air de marionnette, on ne peut s’empêcher de penser à Guignol et à ses coups de bâton saccadés. Car il y a bien quelque chose d’étrangement burlesque dans ce film. On pense à Mrs Murdock et le rein de la délivrance. On aurait presque honte d’en sourire largement. Le temps, aussi, est menaçant. Il passe à compte-gouttes et ce ne sont pas les tic-tac des horloges qui sonnent son inexorable lenteur mais le bruit des balles de ping-pong qu’on renvoie inlassablement au voisin en se relayant, jusqu’à se résoudre à se donner la mort, comme Alain, dans la solitude des champs de maïs. Dans ce panorama cauchemardesque subsistent pourtant quelques points de lumière, témoins les prostituées russes et la forêt. Une forêt aux allures de conte de fées, irréelle, dangereuse, hors du temps. Ce sera pourtant là que l’héroïne ira trouver refuge, se balançant sur une barrière, comme l’enfant qu’elle n’est plus. Coralie est désorientée, et nous aussi. On est incertains, parfois mal à l’aise mais fascinés. On s’aveugle d’une heure et demie de N/B intense et lorsque l’on sort du film, on se surprend, les yeux au ciel, à en vérifier le bleu et à fixer d’un regard songeur les couleurs de l’été, comme dotés de nouveaux yeux. Elle veut le chaos de Denis Côté. Avec Ève Duranceau, Nicolas Canuel, Normand Lévesque, Olivier Aubin, Laurent Lucas et Réjean Lefrançois. 1h45. 2008. Disponible en DVD. Wristcutters : suicide & love story Aussi incroyable qu’il puisse paraître, les suicidés aussi ont droit à l’amour dans le monde de Goran Dukic. En même temps, ils le méritent bien, vu que s’il n’y avait l’amour, certains se recouperaient bien les veines. La première scène pose le décor et le ton : un mec se lève de son lit, et range son appart’ de fond en comble. Puis se coupe les veines. Et la dernière vision du monde (le nôtre) qu’il a, c’est une touffe de poussière qui a échappé à son grand ménage. Imaginez vouloir en finir avec la vie parce qu’elle est trop difficile à supporter sans votre blonde, et vous retrouver dans un monde sinon pire en tout cas le même, où il faut bosser, manger, boire et même payer des PV, sans la blonde en question… et avec d’autres suicidés aussi suicidaires que dans le monde d’avant. « Heureusement », Zia (le suicidé du début et personnage principal) entend dire que sa copine – son ex – l’a rejoint dans ce monde. Alors il part, il emmène son ami de beuverie, dans un trip sur les traces de cette fille qu’il croit l’amour de sa…vie. Et sur le bord de la route, par hasard, il rencontre celle qui lui donnera envie…de vivre. Un film pas tout à fait rose ou optimiste de prime abord, mais pas totalement cynique non plus. Il n’est pas question de morale, du droit au suicide ou pas, de la vie ou de la mort. Il est question de personnes, de mal être et du sens de l’existence, et de ce qui nous fait nous lever et agir. Ce film est une ballade en voiture avec un mec qui croit être amoureux, une nana qui s’est suicidée par accident, d’autres personnages « hauts en couleur » comme dirait l’autre, et un trou noir dans le moteur qui emporte les lunettes de soleil, les fleurs et les choses importantes. Un film où les personnages ne peuvent pas sourire et où il n’y a pas d’étoile la nuit. Un film où la BO est composée de chansons de suicidés. C’est ainsi que le voulait Goran Dukic. Et sûrement est-ce cette vision qui a plu à Etgar Keret, l’auteur de Kneller’s Happy Campers (histoire dont est tirée le film), lui qui avait reçu plusieurs proposition d’adaptation. Une belle vision je trouve, et si les personnages ne sourient pas, les spectateurs, eux, si et plus d’une fois. Et une belle façon de traiter le sujet : par l’absurde. Qu’y a-t-il de plus absurde que d’avoir envie de vivre par accident, quand on s’est tué par volonté ? Wristcutters de Goran Dukic, avec Patrick Fugit, Shannyn Sossamon et Shia Whigham. États-Unis, 2006, 91 min. Probablement dispo en DVD.