Retentissements psychologiques du cancer du sein - Saint

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Retentissements psychologiques du cancer du sein - Saint
OCTOBRE ROSE 2014
Retentissements psychologiques du cancer du sein
Natacha Espié psychologue –psychanalyste- Paris
Devant un aussi vaste sujet, retentissements psychologiques du cancer du sein, j’ai décidé de
façon totalement arbitraire de dérouler le fil de mes associations au long du parcours de la
patiente en me fixant plus particulièrement sur certains aspects mais en vous faisant
également part de quelques interrogations et agacements, qui évidemment, n’appartiennent
qu’à moi.
J’ai eu ainsi d’abord envie de vous parler de la découverte et de l’annonce du cancer parce
que je crois que c’est un moment particulièrement éprouvant pour les patientes, puis de
m’attarder après sur les atteintes somatiques, corporelles du cancer, pour me situer dans la
suite d’Edwige, qui vont entrainer des répercussions psychologiques et pour terminer par
l’après cancer évidemment, parce que oui , il y a un après cancer mais qui n’est pas non plus
exempt d’effets psychiques.
On va commencer par le début. Le début, c’est cette maladie, d’autant plus terrible je crois
qu’elle reste inexpliquée. Parce que, ne pas la comprendre, encore moins la maîtriser, je crois
que c’est terrorisant pour les patientes : on ne sait pas d’où ça vient et puis il faut bien le dire,
c’est aussi insupportable pour les médecins, parce que ça va mettre à mal, un certain
sentiment de toute puissance et ça les confronte en tant que sujets, à leurs propres inquiétudes
face à la maladie. Les mots parfois semblent bien impuissants à restituer l’effroi qui va saisir
les femmes lorsque le mot cancer apparaît. Et pourquoi est-ce qu’il y a de l’effroi ? Par la
disgrâce de ce couple infernal, cancer et mort, un couple qui est indissociablement lié dans
l’imaginaire collectif. Le mot « cancer » ça renvoie brutalement à la notion de mort et ça c’est
quand même extrêmement difficile pour tout humain, d’accepter sa finitude. D’autant plus
que l’on vit dans le fantasme de notre immortalité et au fond on sait bien qu’on va mourir
mais on l’oublie.
Freud, en psychanalyse je vous cite Freud. Donc Freud nous le rappelle, « notre propre mort
ne nous est pas représentable et aussi souvent que nous tentons de nous la représenter, nous
pouvons remarquer qu’en réalité on continue à être là en tant que spectateur. » C’est quoi
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penser à la mort ? C’est penser à une limite de la vie et ça, ça va forcément entraîner une
chaîne de pensées et d’interrogations.
Isabelle, une de mes patientes e me dit : « Depuis que j’ai senti cette boule dans mon sein
gauche, je me sens à peine en équilibre, au bord du précipice et je redoute le moindre
mouvement en avant et je me demande si c’est bien raisonnable tous ces projets
professionnels, j’ai envie de tout mettre en suspend, d’attendre… » Qu’est ce qu’elle nous dit
Isabelle ? Et bien elle nous dit que dès la première alarme, il va y avoir des effets psychiques,
qui vont apparaître, avec un mécanisme de doutes et de craintes qui va s’enclencher dès le
début. On peut se figer, comme c’est le cas pour Isabelle. Ca va apparaître dès le début parce
qu’on vit aujourd’hui dans un monde de surinformation, internet va y participer largement. Et
du coup comment peut-on faire taire ses peurs quand on va sentir une boule dans le sein ou
alors quand c’est l’image de la mammographie qui va poser questions ?
Evoquer, imaginer ce cancer, bien sûr c’est renoncer à une certaine insouciance et c’est entrer
dans une problématique de l’incertitude et du danger et ça, ça va persister jusqu’au diagnostic.
A ce moment là , me confie Laura, « Ma vie a basculé et la mort a déboulé, tout à coup c’était
possible, on pouvait mourir, tout à coup c’était possible, je pouvais mourir » et Isabelle
ajoute : « Et bien le temps s’est arrêté, enfin mon temps à moi, mais je vois bien qu’il
continue pour les autres et parfois je les déteste pour leur insouciance, je les déteste pour leur
innocence » Parce qu’on a vite fait de sortir de la ronde des bien portants , l’ombre de la
maladie va opérer une faille, une coupure on pourrait dire, qui s’apparente à une rencontre
vertigineuse, y’a rien qui ne sera plus comme avant, y’a une rupture inévitable. Le présent qui
se délite dans un cortège de doutes et d’incertitudes. Il y a un avant, ça c’est une chose dont
on est sûrs et on espère bien qu’il va y avoir un après.
C’est le temps des premiers mécanismes d’adaptation si on peut dire, sinon d’adaptation,
sinon de défense. Alors, bien sûr il y a l’angoisse et l’identité va vaciller, la pensée se fige et
cette pensée va pouvoir être mobilisée mais progressivement. Et la « presque » patiente va
entrer dès la première alarme dans un engrenage qui sera sans retour en arrière possible, bah
oui, là il va y avoir qu’une seule sortie, la sortie c’est le diagnostic, c’est oui ou non et c’est
tant de choses qui vont dépendre de ce diagnostic. Alors ça va être le temps des premières
intrusions dans cet univers médical, qui deviendra peut-être désagréablement familier. Il y a
d’abord la mammographie bien sûr, avec la plaque froide qui va vous écraser le sein.
Parfois, il va y avoir une micro biopsie, et ça, qui est ce qui accepterait sans appréhension,
cette aiguille qui s’enfonce dans le sein ? Et puis après, il y a l’examen clinique, ça c’est la
première rencontre avec le médecin. Vous pouvez voir cette première rencontre à travers les
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âges…Cette première rencontre, elle est souvent vécue comme intrusive, et ça même si
l’examen clinique est effectué avec la plus grande empathie. Il y a autant de craintes suscitées
par ces examens que d’espérance de quêter une ré assurance dans le regard et dans la parole
des soignants. Et puis, va arriver l’annonce du diagnostic, et ça, ça vient confirmer et
renforcer les inquiétudes apparues lors de la découverte de la tumeur. « La vie bascule »,
disent les patientes, ça c’est quelque chose que l’on entend très souvent. Qu’est ce qui va la
faire basculer cette vie ? C’est la parole du médecin, qui va projeter la femme dans l’univers
de la maladie. Parce que là, il n’y a plus de tergiversation possible, le cancer est là. « Quand
on m’a annoncé mon cancer, je ne pouvais plus penser, c’est comme si tout s’était arrêté, il ne
fallait pas y penser, il fallait y aller. » Ce sont les paroles d’une patiente. Alors ça c’est
vraiment un moment crucial dans la relation : médecin-malade. C’est tellement crucial, que
cette consultation d’annonce a été codifiée dans un dispositif que je ne vous détaillerai pas ici,
parce qu’il y a beaucoup de choses qui ont été dîtes et écrites sur ce sujet. Simplement
quelques remarques…Alors d’abord, concernant les médecins, une fois n’est pas coutume,
mais vous allez voir que ça va vous concerner au premier chef. Le médecin va devoir
comprendre que son information, son annonce va avoir des retentissements psychiques avec
lesquels il va devoir compter. C’est à ce moment là que vont se nouer les liens de confiance et
c’est l’assurance pour les patientes que l’on va être soutenue jusqu’au bout, c'est-à-dire que le
médecin sera là jusqu’au bout, pendant les traitements mais aussi, après, pour la surveillance
etc. Alors, j’ai trouvé, je ne sais plus où mais cette phrase connue et qui résume bien ce qu’on
attend ou ce qu’on pourrait attendre de son médecin à ce moment. L’annonce idéale, ça
devrait comporter, l’honnêteté de l’information, la reconnaissance des besoins exprimés et
l’établissement d’une distance pour chacun. Voilà l’un de mes agacements, parce que cette
phrase, elle est très juste, mais sa concrétisation nécessite du temps. Le temps pour le
médecin de prendre en compte les réactions des patientes et par exemple le temps des
silences, c’est vraiment important en consultation. Parce qu’il faut ménager aux patientes,
l’espace pour qu’elles puissent faire part de leurs ressenti, c’est extrêmement important. Mais
malheureusement le temps dont on dispose à l’hôpital, il n’est pas extensible et surtout il tente
à diminuer comme peau de chagrin. Ce qui explique la lutte permanente des médecins avec
l’administration. Comment, en effet, concilier ce double souci de rentabilité de la part des
pouvoirs publics, plus de consultations et de préoccupations des patientes de la part des
médecins. Pourquoi dans ces conditions, se donner la peine d’instituer une consultation
d’annonce et ne pas prendre les moyens de remplir cette mission le mieux possible ?
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Parce qu’il faut bien comprendre que le temps de la consultation d’annonce, ce n’est pas celui
d’une consultation par exemple de surveillance. C’est super important une consultation de
surveillance, mais ce n’est pas le même temps qu’une consultation d’annonce. Le médecin est
ainsi amené à dire en très peu de temps beaucoup de choses, et ce sont des choses qui ne vont
pas forcément être audibles pour la patiente à cet instant là.
Stéphanie, par exemple, avait l’impression de se mouvoir dans du coton et d’entendre de très
loin ce que le cancérologue lui annonçait. D’ailleurs, le cancérologue va s’arrêter pour lui
demander si elle pouvait l’entendre. D’où, je crois la très grande importance de la
consultation avec l’infirmière d’annonce, car ça, ça va permettre une reformulation de toutes
ces informations. C’est ce que dit Corinne, elle dit « Quand le médecin m’a annoncé mon
cancer, j’ai été un peu sonnée, je n’ai pas tout compris et j’aurais bien aimé lui poser d’autres
questions mais j’ai bien vu qu’il n’avait pas le temps, heureusement que j’ai pu voir
l’infirmière après. » Parce qu’il est évident que pour les patientes, l’intégration du diagnostic
et de ses conséquences, ça peut prendre du temps. Mais un temps psychique qui n’est pas
celui de la pendule et qui n’est pas non plus celui de l’hôpital. La patiente, elle va devoir
intégrer sa maladie dans l’histoire de sa vie et tout cela peut prendre du temps. Mais c’est un
temps singulier et c’est un temps qui n’appartient qu’à elle. Peuvent alors apparaître
différentes
manifestations psychologiques : déni, hyperactivité, paralysie physique et
psychique, et ça , c’est autant de mécanismes de défense qui vont se mettre en place, et ça sert
à quoi ? Ca va permettre de protéger la patiente, ça va lui permettre de traverser cette annonce
et de ne pas s’effondrer. Et ces défenses et bien, elles sont nécessaires aux patientes, elles sont
le reflet du retentissement psychologique de cette annonce de cancer. Mais ça ne signifie
nullement que ce sont des procédés pathologiques.
Sylvie raconte que lorsque le médecin lui a annoncé son cancer du sein, elle ne pouvait pas
s’arrêter de pleurer : « c’était plus fort que moi » dit-elle « c’était la seule réponse, à ce
moment, comme si toute l’horreur de ce cancer allait finir dans mes larmes, je sentais bien
que moi, il fallait que je passe par là, mais je n’ai pas compris pourquoi le médecin m’a
prescrit des antidépresseurs et m’a également proposé de rencontrer là, tout de suite, la psy du
service, moi il me semble que pleurer quand on vous annonce une telle nouvelle c’est normal
» Alors, souvent le souhait des médecins et des services hospitaliers c’est d’envoyer la
patiente chez le psy, au moment de l’annonce. C’est dans un désir bien sûr louable d’endiguer
la souffrance provoquée par l’effraction de l’annonce. Bien sûr que les patientes devraient se
voir offrir la possibilité de rencontrer un psy et d’en être informée dès le début de leur
parcours. Mais je crois, et on pourra échanger là-dessus, je crois qu’il y a un temps pour tout,
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y compris pour la psychothérapie. Peut-être que le moment de l’annonce ce n’est pas le
meilleur temps et ce, même si la patiente paraît en grande souffrance. Ce qui, encore une fois,
n’est pas pathologique, mais plutôt en rapport avec la gravité de cette annonce.
Et puis, est ce qu’il y aurait une bonne façon de réagir à cette annonce ? Une façon normale ?
L’élaboration des ressentis et des affects liés à l’annonce ne va parfois se faire encore là, que
longtemps après, dans le temps singulier qu’est celui de chaque patiente. Et je crois que c’est
très important, voir primordial, de respecter ce temps. De toute façon, je ne suis pas certaine,
que l’on puisse adresser une femme à un psy dans un désir de prévention.
Revenons à l’annonce, c’est certes, comme son nom l’indique, l’annonce de la maladie mais
ça peut-être également l’annonce du plan d’action, des mesures de guerre pour endiguer ce
cancer. Et là, la patiente se retrouve dépossédée, d’une part de son temps, auquel va se
substituer un temps médical, occupé par les protocoles et les soins et puis d’autre part, la
patiente voit son corps lui échapper, puisque c’est en effet, le début des hostilités. Là, des
mots, nous allons passer aux actes, et ces actes, ils vont entraîner une rupture des liens
habituels avec ce corps que l’on connaissait. Et puis quand le corps ça ne va plus de soi, on
perd un encrage, on ne se reconnaît pas ou plutôt on ne se reconnaît plus. Et les réactions de
ce corps et notre identité ils dérivent, c’est ce que nous dit Elodie, elle nous dit : « Je ne
comprends rien, du moins je ne comprends plus, d’abord je ne me reconnais pas, mes urines
sont rouges après la chimio, mes goûts alimentaires changent, j’ai des cicatrices partout, le
sein, le cathéter, je n’ai plus de cheveux mais qui suis-je ?
Afin de mieux comprendre les retentissements psychologiques qu’engendre le cancer en
attaquant le corps, je vais essayer de vous montrer comment se construit l’image corporelle,
alors n’y voyez pas un désir de vous encombrer, à supposer que ça vous encombre, avec des
concepts psychanalytiques, mais plutôt une tentative pour vous montrer combien la vision de
notre corps nous appartient. C’est éminemment subjectif et combien au fond, on pourrait tirer
parti de la compréhension de sa construction pourquoi pas pouvoir un jour faire la paix avec
lui. Evidemment, vous vous doutez bien que l’image du corps, ce n’est pas seulement le reflet
de l’apparence de ce corps, mais c’est le fruit d’une trame serrée, de représentations refoulées,
oubliées, de signifiants maternels et paternels : d’expériences infantiles pour être plus claire,
ça vient du père de la mère, de ce qu’on va rencontrer pendant l’enfance etc. Et au fond c’est
quoi l’image de notre corps ? Bah c’est un peu comme un légo, on va additionner les
expériences. Mais ce sont des pièces disparates et parfois on peut avoir du mal à les associer,
à les assembler, à les aligner. C’est pas toujours symétrique, y’a pas vraiment d’ordre làdedans et c’est cette désorganisation qui ne va pas nous rendre la tâche facile. Par exemple, on
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va commencer à aimer certains aliments et puis on va en détester d’autres. Telle sensation
douloureuse sera tolérée, alors qu’une autre d’intensité analogue, pourra déclencher une
souffrance intense. Il y a des patientes qui ne supportent pas une piqûre, pour d’autres
l’opération va être dramatique, pour d’autres encore, ça va être la pose du cathéter. Ca c’est la
mémoire affective de notre corps.
Et notre corps il peut se vivre de manière totalement différente de l’image qu’il donne. On va
réinterpréter notre corps et en un mot on va dire qu’on le fantasme et comment ? Et bien on va
mêler le psychique et somatique.
Aline, par exemple, n’a pas aimé voir son corps se modifier à la puberté, c’est son problème à
elle. Elle a vu à ce moment là, l’augmentation de ses seins comme une insulte personnelle. Ca
la gênait, ça se voyait beaucoup, elle détestait les vêtements moulants. Quand le médecin lui a
parlé de mastectomie, alors elle, elle a balayé la chose d’un revers de main. En revanche, la
perte de sa chevelure, ça c’était insupportable. Freud, encore lui, il nous le rappelle : vous
touchez le corps, c’est l’esprit qui frémit. Et il frémit d’autant plus, qu’on va s’attaquer à un
organe fortement investi, n’en déplaise à Aline, parce que le cancer du sein, ça occupe une
place particulière parmi les cancers. En schématisant, on pourrait dire que le sein ça a trois
fonction : identité, sexualité, maternité et que ces fonctions vont se croiser et s’entrecroiser
dans un lien indissociable tout au long de notre vie de femme. Qu’il s’agisse de chirurgie, de
chimiothérapie ou de radiothérapie, les traitements vont marquer l’image et ils vont donc
entamer le psychisme. Mais là aussi ces singularités ces mots : si retentissements
psychologiques il y a le vécu des patientes va varier de l’une à l’autre. Leurs réactions sont
toutes différentes, parce que les représentations du cancer et de ses traitements se construisent
à partir de leur histoire personnelle et la personnalité de chacune. On arrive au cancer avec
chacune notre bagage psychique. Puis, être cancéreuse, ça n’est pas une structure psychique,
c’est encore moins une psycho-pathologie. Lorsqu’on écoute une patiente, ce n’est pas une
émanation de son cancer, c’est un sujet qui parle et c’est un sujet qui vient dire son histoire.
Donc une histoire qui est touchée physiquement et psychiquement par la chirurgie. L’angoisse
première, c’est évidemment la mutilation : « mastectomie, mutilation, ces mots me terrifient,
je n’imagine rien, c’est trop pénible, je ne sais qu’une chose, je ne veux pas laisser partir mon
sein », ça c’est une de mes patientes qui m’a dit ça avant son opération. Alors qu’est ce
qu’elles disent ? Qu’est ce qu’elles pensent les femmes de cette atteinte à leur sein, parce que
dans l’imaginaire collectif, il s’agit forcément d’un geste tragique et insupportable pour toutes
les femmes. Bien sûr que les patientes et les femmes redoutent ce futur, évidemment,
comment imaginer, l’inimaginable ? L’inimaginable, c’est pour beaucoup, une image altérée,
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dissymétrique, un vide, un trou et des fantasmes de morcellement, de castration vont
apparaître.
Alors selon Freud, toujours lui, le complexe de castration ça constitue le fondement de la
structuration du sujet et cancer et mastectomie et bien ça vient brutalement réactiver dans la
réalité une castration symbolique.Juliette, refuse cette mastectomie de tout son être : « sans
mon sein, je ne suis plus rien. » Parce que la question cruciale c’est bien évidemment que va
devenir mon image de femme ? Et Christine me le demande : « Qu’est ce que je suis sans mon
sein ? »
L’attente de l’opération est souvent un moment particulièrement difficile, le fantasme étant
parfois plus terrifiant que la réalité. Alors, après l’ablation, là où il y avait un sein, il n’y a
plus rien. Il y a une cicatrice sur un torse plat. Effectivement, il y a une dissymétrie corporelle,
l’enveloppe protectrice a été touchée et c’est de manière indélébile. Mais là aussi, encore pour
les patientes, le maître mot c’est encore « singularité », ça peut-être un supplice mais ça ne
l’est pas toujours. Vivre sans seins, ça peut être insupportable et inacceptable mais on peut
aussi être soulagée d’être débarrassée qui était colonisé par cet envahisseur sinistre et
terrifiant. Certaines vont regarder, d’autres ne le peuvent pas, en tout cas, le peuvent pas tout
de suite. Ne pas regarder n’est en aucune façon une question de courage, mais chacune doit
pouvoir bénéficier d’un temps singulier, pour accepter de voir et de se regarder.
Et à propos de temps, quelques mots sur cette modalité qui se développe et dont Edwige a à
peine parlé, moi je ne vous parlerai pas de cette formidable innovation qu’est la radiothérapie.
Edwige a un tout petit peu abordé la pratique de l’opération en ambulatoire, donc quelques
mots pour après, échanger avec vous. La technique, c’est on entre le matin et on ressort en fin
d’après-midi. A Saint-Louis, ça concerne les tumorectomies et parfois ailleurs, les
mastectomies. Je crois qu’il ne faut pas se voiler la face, le but est aussi de réaliser des
économies. Alors, on m’a expliqué il y a quelques temps, dans une association qui s’occupe
des cancers du sein qu’il faut aller dans le sens de la marche du train, certes ! Alors oui, j’ai
bien conscience que des économies sont nécessaires, mais préoccupation essentielle, elle est
et elle demeure : ce sont les patientes.
Alors, c’est vrai, et je crois qu’Edwige ne me contrariera pas, la chirurgie du sein est une
chirurgie techniquement simple et à priori peu risquée somatiquement pour les patientes, ce
qui va autoriser cette pratique. Mais ce qui ne veut pas dire sans risques ni sans répercussions
psychologiques, ça c’est deux choses différentes. Pour certaines patientes, cette chirurgie
ambulatoire correspond à une demande , à un véritable désir : ne pas rester à l’hôpital. Parce
que l’hospitalisation ça peut être angoissant et elles préfèrent donc, de beaucoup, retrouver
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leur compagnon, leur famille, leur cadre familier et bien sûr, c’est tout à fait compréhensible.
Pour d’autres au contraire, ça peut-être très angoissant de devoir rentrer après une opération,
peut-être qu’elles ont besoin de ce temps avec les soignants, de cette médiation que peut
représenter l’hôpital. Alors bien sûr, il faudrait toujours tenir compte du contexte sociofamilial, parce que revenir à la maison le jour même après une tumorectomie et par exemple,
retrouver ses 3 enfants, et bien ça peut se révéler insurmontable, si on n’a pas d’aide. De
même que sentir la douleur, se réveiller, en dehors des murs de l’hôpital, ça peut être
angoissant. Alors, je crois qu’il faut être vigilant et refuser si on le peut encore, une
systématisation de cette pratique, encore une fois dictés par des principes politicoéconomiques, si il n’y a pas d’accord des patientes. Je continue à croire, certainement de
façon utopique que l’on peut encore agir, et si on ne le peut plus, tout au moins organiser,
comme c’est le cas ici, comme nous le dira Edwige. Organiser le parcours des patientes pour
qu’elles y trouvent, sécurité et confort. Parce que toutes ces réactions sont diverses, vous
l’avez compris, et elles ne sont pas prévisibles. Et parfois, la sécurité de l’hôpital, ça s’avère,
et je parle également de la sécurité psychique. Et ces réactions ne sont pas fonction de
l’ampleur de l’intervention ou de la taille de la cicatrice. Parce que si on parle cancer du sein,
on va tout de suite imaginer une mastectomie et beaucoup de patientes subiront ou
bénéficieront (comme vous voulez), d’une tumorectomie, dont on s’imagine, parfois, à tort,
émerger indemne, après on garde son sein donc de quoi se plaint-on ? Un regard extérieur,
certaines atteintes somatiques peuvent paraître minimes, alors que pour la patiente, il s’agit
quand même d’une cassure dans son corps et dans son existence. Parce que des changements
tels que l’acceptation de cette nouvelle image de soi, ça ne se décrète pas, ça s’apprivoise, le
temps est ici le maître mot. En effet, l’acceptation de cette atteinte ou de la mutilation de cet
organe si fortement investi ne pas de soi. Il est question de deuil à faire : deuil de ce sein,
deuil de cette image de soi. Qu’est ce que c’est, faire le deuil, lorsqu’il est question de corps,
de sein et de cancer ? C’est peut-être accepter l’inacceptable. Perdre un sein, l’organe bien
sûr, mais également le sein psychique, ça va donner lieu à toute une série de questions et
d’associations. Ca veut dire quoi le sein psychique ? Ca veut dire : « Qu’est ce qu’il
représente ce sein pour moi ? » la femme, la mère, est-ce que j’avais du plaisir grâce à lui ?
Sylvie, elle me confie : « Moi mes seins, je m’en fiche, je n’ai pas aimé allaiter et mes seins,
c’était juste pour mon mari » Alors que pour Myriam, c’était un véritable appât, elle, elle les
exposait dans de magnifiques décolletés et elle, elle avait énormément de plaisir sexuel grâce
à ses seins. Alors, qu’est ce que j’ai perdu ? Parce que de la même manière qu’après la perte
d’un être cher, il y a la nécessité d’une élaboration psychique autour de la douleur.
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Ce fameux travail de deuil, Freud va le décrire comme un mécanisme à 3 temps dans le deuil
et mélancolie. Le temps, c’est d’abord le temps du déni de la perte, le temps de la dépression
et enfin, le temps d’un nouvel investissement objectal. Et c’est là, dans cet interstice où il faut
renoncer à celle que l’on n’est plus et trouver celle qui va émerger, que se situent les moments
les plus difficiles. Imaginez par exemple que le temps se fige, qu’on rate une étape, qu’on rate
une marche. Et si le temps s’arrêtait au déni, déni qui est parfois organisé par les proches. Ca
c’est la mère d’Elsa qui lui dit : « Mais tu vois c’est rien cette opération, et puis un sein c’est
pas vital » Et bien, s’il n’y a pas de perte et bien il n’y aura pas de dépression, mais il n’y aura
pas non plus d’investissement d’un nouvel objet, une nouvelle image de soi et peut-être d’un
nouveau sein. Parce qu’évidemment, comment ne pas évoquer la reconstruction ? Mais
l’évoquer simplement parce que je crois qu’il faudrait un exposé entier pour en parler et je ne
me lancerai pas non plus dans un débat avec vous sur la reconstruction immédiate ou différée.
Simplement dire que les reconstructions des répercussions psychologiques c’est un
euphémisme, ainsi si la reconstruction du sein, ça joue un rôle déterminant dans le travail de
reconstruction psychique, il faut aussi en connaître les limites et les bénéfices, parce que,
aussi préparées, aussi réalistes que soient les patientes, une certaine déception peut apparaître,
aux vues des résultats immédiats. Peut-être subsiste t-il encore, le secret espoir de retrouver ce
qui était avant la mastectomie. Ainsi Catherine, elle, elle voulait cette reconstruction, mais
aujourd’hui, elle est déçue, et elle me dit : « Il est moins beau, il est trop dur, je ne l’aime
pas. » Et quand je lui demande : « Moins beau que quoi ? » et bien évidemment, sa réponse
fuse immédiatement : « Bah moins beau que celui d’avant bien sûr » Cela nous dit, donc, que
reconstruction psychique et reconstruction somatique, ça n’a pas forcément le même temps,
mais que cependant c’est associé dans un travail de restauration de soi même. Et puis avec la
reconstruction, et bien les femmes elles ont un projet. C’est quoi leur projet ? C’est réparer les
effets de la mutilation. Et avec le temps, les patientes se réconcilient avec leur nouveau sein et
sont généralement satisfaites. Catherine, dont je vous parlais juste avant, et bien elle, elle a
fini par tout à fait adopter son sein reconstruit.
Je me suis attardée sur la chirurgie du sein, afin de me situer dans la continuité de l’exposé
d’Edwige, mais j’aimerais vous parler plus brièvement de chimiothérapie.
Chimio et cancer, c’est souvent associé et c’est également redouté, à part égal. On parle à cet
égard, de maladie dans la maladie. C’est d’ailleurs, par ce biais que la plupart des auteurs
évoquent la chimiothérapie, et quand j’ai cherché ce qu’en disaient les auteurs d’onco-psy
etc.et bien je n’ai pas trouvé tellement d’autres choses que ça, cette association de la maladie
dans la maladie. Et moi j’ai cherché comment aborder cette question des répercussions
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psychologiques dans la chimiothérapie, et la seule réponse qui me soit venue, elle est un peu
brutale : Si vous ne l’avez jamais vécu, vous pouvez avoir de l’empathie, de la sympathie,
mais comprendre tout à fait, ça je ne crois pas, quant à l’éprouver c’est encore une autre
histoire. Sandra, elle, par exemple, elle n’avait jamais rien senti de son cancer, mais la chimio,
ça c’est autre chose : « je suis malade, je n’aime plus les mêmes aliments, je suis fatiguée et
quand mes cheveux sont tombés, j’ai eu l’impression que je me perdais complètement. »
Parce qu’il me semble qu’effectivement on perd quelque chose de son identité. Comment faiton quand on n’a plus la certitude d’être soi ? Comment se confronter à son image ? Alors si
on n’est pas trop dépendante de cette image, et bien ce que le miroir peut renvoyer avec le
cancer, ça peut devenir un mot haïssable, bien loin du moi idéal. C’est pourquoi la chute des
cheveux est parfois si difficile à accepter pour les patientes. Parce que accepter la vision de ce
crâne chauve, ça peut être particulièrement éprouvant et en tout ça induit sûrement un
sentiment d’étrangeté. Plus de cheveux, voilà qui supprime la différence entre hommes et
femmes, voilà qui rapproche également du nourrisson, surtout si l’on considère l’absence de
poils pubiens. Et puis voilà, qui peut amener aussi à une certaine isolation, parce que voilà, si
nous on se regarde étrangement, mais les autres également, ils ne savent pas toujours
comment se comporter. Et puis, il y a autre chose, il y a toujours cette fatigue, spécifique de la
chimio, qui vient rien arranger. C’est vrai qu’ils sont fatigants ces cancéreux. Stéphanie, elle
me le dit : « Je suis tellement fatiguée avec les traitements, et je vois bien que mon mari en a
marre que je parle de ma fatigue, comme le médecin d’ailleurs. » Ne perdons cependant pas
de vue que la survie psychique, ça peut également être préservé dans la tourmente. L’essentiel
ça réside dans cette confiance de base en soi, dans cette certitude d’exister quoiqu’il arrive
dans cette « mêmeté » d’être, dont parle Françoise Dolto.
Marina se contemple dans le miroir, elle n’a plus de cheveux, elle ne comprend pas
exactement ce qu’elle voit, elle trouve ça plutôt déshumanisant, c’est probablement pas le bon
le mot dit-elle, mais elle ne sait pas comment le qualifier, en tout cas elle fait avec et son mari
également. Et d’ailleurs, lui, il trouve son crâne tout doux, et au fond ce qu’il lui dit, c’est :
« tu es toi, quoiqu’il arrive et je serai là quoiqu’il arrive » Et puis un jour, le bout du tunnel se
profile, heureusement, il n’y a plus qu’une séance de chimio. Alors bien sûr, il va falloir
supporter la radiothérapie mais on imagine avec joie, le moment où l’on enlèvera la perruque,
le temps de l’après. Mais au fait, c’est quand l’après cancer ? Quand subsistent des traitements
pendant 5 ans, comme pour l’hormonothérapie, un an avec l’Herceptin® et puis le temps qui a
été rythmé par un calendrier médical pendant les traitements, et bien ça le sera encore
aujourd’hui, alors de façon plus réduite bien sûr avec les contrôles. Mais ce temps il paraît
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bien incertain aussi, puisqu’encore une fois, on ne parle pas de guérison. « Vous allez bien
aujourd’hui. » affirme le médecin. Alors que la patiente, elle, elle voudrait une assurance pour
demain. Ainsi va persister un sentiment de danger et de vulnérabilité et c’est un sentiment qui
est renforcé par la perte de ce lien médical, qui était parfois si pesant, mais faut bien le dire,
aussi très rassurant. Et alors du coup, comment vivre, à découvert ? Le psychisme doit encore
se mobiliser pour tenter de s’approprier cette nouvelle réalité que constitue l’après cancer. Il
va falloir réinvestir cette vie, prendre l’ampleur du décalage entre ce qui était, ce qui est et
peut-être ce qui ne sera plus.
Elodie comptait sur temps, elle a tout supporté : l’opération, la chimio, la radiothérapie, en se
disant : « Je serre les dents et après ce sera comme avant. » Et là, la désillusion a été brutale,
parce que le temps qui passe, ça ne la ramène pas vers l’avant, mais ça lui fait réaliser
qu’aujourd’hui, il faut s’adapter et accepter cette nouvelle image de soi. Mélanie, elle est en
colère, elle est en colère contre tout, la vie, la maladie, son chirurgien, ce sein manquant, les
autres. Les autres qui lui conseillent de tout oublier et d’être positive. Mais comment oublier
ce sein en moins, ces cheveux qui repoussent mal et cette peur ressentie devant la chimio,
devant la machine de radiothérapie et surtout devant la mort, rendue possible.
Alors notre vie est émaillée de failles, de deuils et avoir un cancer, bah non ça n’est pas
positif, c’est inquiétant, c’est difficile. Mais en revanche, la possibilité de panser cette épreuve
et bien ça permettra peut-être de la penser avec cette orthographe là.
C’est ainsi pour Mélanie, la possibilité d’être en colère, dans cette période de l’après cancer.
Mais c’est aussi pouvoir comprendre, appréhender cette violence qui a traversé la vie,
permettre aux émotions d’émerger, même si elles sont négatives. Notre personnalité c’est un
canevas compliqué de joies et de fêlures et c’est ce qui signe notre unicité. C’est aussi notre
capacité à intégrer les épreuves et les deuils que l’on traverse. Mettre des mots, là où il n’y a
que souffrances, ça amènera à se réapproprier cette triste expérience. Aujourd’hui Mélanie,
elle a cessé de pleurer son sein, elle pense à la reconstruction. Elle y pense sans illusions mais
elle y pense. Elle connaît le prix dont elle s’est acquittée pour sauver sa vie, son sein, mais
elle a aussi compris que sa féminité ça ne tenait pas uniquement à son sein droit. Elle a pu
permettre à la souffrance de trouver une place dans son existence. Au fond, elle a su s’adapter
à cette situation de risque extrême. Et puis ce travail de mise en mots, de mise en pensées, ça
sert à répondre à une question : Qu’est ce que je suis aujourd’hui ? Après ce cataclysme.
Qu’est ce que je veux ? Qu’est ce qui est possible ? Cette question s’avère être un immense
travail, mais un travail qui est nécessaire. Parfois ce travail, il va s’effectuer seule, et parfois il
va se faire par l’intermédiaire du psy. Alors le temps psychique, je le re souligne encore une
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fois, ça n’a rien à voir avec le temps réel. L’arrêt des traitements, ça ne suffit pas pour que les
patientes se sentent bien. En revanche, la cicatrisation psychique, le temps, ça permet
certainement au cancer de trouver place dans le cancer de chacune. Et là, à ce moment là, on
va oser s’aventurer vers des expériences futures. Ainsi les patientes vont pouvoir vivre sans
être prises dans la fatalité d’un destin et elles vont retrouver un espace de liberté dans leur vie.
Pour conclure, on peut rappeler ce que vous avez bien compris, à savoir que lorsque le cancer
s’installe dans le corps, celui souffre et la psyché se fige, mais que l’après cancer c’est
également pouvoir remplacer les modes de défenses nécessaires au moment des traitements
pour trouver ou retrouver le plaisir de penser, le plaisir de désirer et ainsi la confrontation à
l’angoisse de mort, et bien ça peut amener à des aménagements de l’existence, à un nouveau
regard sur soi, à une nouvelle parole. Justine elle a eu très peur, elle a trouvé ses traitements
douloureux, aujourd’hui, elle s’angoisse à chaque contrôle. Elle peste contre le Tamoxifène®
mais ça la rassure aussi. Avec son mari, Pierre, ils ont décidé d’en profiter, de travailler, de
réfléchir ensemble. Profiter de quoi ? Et bien de cette vie de funambule, de cette vie qui
s’arrêtera peut-être un jour, mais ça c’est pour tout le monde pareil. Aujourd’hui Justine se
souvient encore de sa joie, en enlevant sa perruque, elle se souvient de cette liberté, qui tout à
coup la saisit avec ce sentiment si particulier que la vie lui appartenait de nouveau.
Questions
Edwige Bourstyn – Pour parler de l’ambulatoire et des sous. Il y a eu un rapport de l’Igas
qui ne permet pas de savoir si ça fait gagner de l’argent malgré les apparences et la logique.
Tout ce qui est logique, n’est pas forcément vrai. L’Igas c’est l’Inspection générale des
affaires sociales qui a montré que le nombre de patientes pouvant avoir accès à l’ambulatoire
n’est pas aussi important que ce qui a été dit. Moi je pense que l’ambulatoire c’est bien quand
c’est bien organisé. Si je prends l’exemple de l’endroit où je travaille ça été très bien organisé.
L’hôpital ça fait peur. Etre la nuit dans la chambre avec un voisin que l’on n’as pas choisi, qui
ronfle ou quelqu’un qui a été opéré dans la nuit et que l’on vient voir toutes les 30
secondes….ce n’est pas idéal et il y a une véritable demande d’ambulatoire. Quand tu dis
s’approprier les cicatrices, toutes les chirurgies font des cicatrices. . Même quand on enlève
un adénofibrome, on fait une cicatrice, pareil quand on enlève l’appendice. C’est un
traumatisme connu du chirurgien et qui le fait souvent réfléchir quand il tient son bistouri.
Cette attaque contre l’ambulatoire, me paraît aussi difficile à soutenir que ceux qui disent
qu’il faut en faire 80%.
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Natacha Espié – Ce qui n’était pas tout à fait une attaque, mais qui était l’idée que c’est très
bien pour certaines patientes, je pense que ça répond tout à fait à leur vœu. Moi je m’inquiète
de deux choses : D’abord pour les patientes à qui ça peut être proposé de façon systématique
et qui n’y trouvent pas leur compte. Et ensuite parce que l’on sait aussi que le traumatisme ou
les répercussions psychologiques, elles ne vont pas arriver dans la journée, mais elles vont
peut-être arriver dans un temps postérieur
Edwige Bourstyn – Mais quel temps ? Faut il garder les patientes 4 jours, 5 jours ?
Natacha Espié – Le temps singulier de chacune, et peut-être que l’hospitalisation servait de
médiation à ce moment là, notamment pour regarder la cicatrice. Même si elles vont la
regarder avec l’infirmière qui va faire le soin. Moi je m’inquiète simplement de ce qui
pourrait être un caractère systématique de la chose. Mais je n’ai rien contre la chirurgie en
ambulatoire.
Edith Bouchemal – Je voulais abonder dans ton sens Natacha, car on m’a proposé de sortir le
soir ou sortir le lendemain matin. Parce que c’est vrai que c’est souvent dans la nuit que les
angoisses arrivent, quand on est seule à la maison, alors que dans le milieu hospitalier, on se
sent en sécurité. Il est important de donner le choix à la patiente de rester une nuit ou pas.
Intervention de la salle – Oui parce que si on vit seule ….c’est pas facile
Bernadette Carcopino – Attention, on ne laisse pas une femme seule, qui a une autre
pathologie et qui surtout ne le souhaiterait pas. On lui demande son avis. Je comprends ce que
veut dire Natacha, il ne faudrait pas que ça devienne « aller hop le cancer du sein, c’est
ambulatoire, voilà ». Comme on dit maintenant l’hystéroscopie en gynécologie c’est
obligatoire de la faire en ambulatoire. Mais ça là-dessus, il faut absolument se battre. Mais
quand tous les indicateurs sont bons et que la patiente est participante, il n’y a aucune raison à
ne pas lui proposer.
Edwige Bourstyn – Il y a des règles extrêmement strictes sur l’ambulatoire, on n’est pas
autorisé à faire de l’ambulatoire pour une personne qui, par exemple, sera toute seule la nuit
suivant l’intervention. Il faut arrêter de prendre en référence ce qui n’est pas référent. Il y a
des règles, elles sont publiées par la Haute autorité en santé et ça n’est pas n’importe quoi.
Donc si on vous propose n’importe quoi, vous avez le droit de dire que c’est n’importe quoi.
C’est de l’endoctrinement, on n’est plus dans la pratique de la médecine correcte. Les règles
ne sont pas faîtes pour mettre les malades en danger.
Nicole Zernik – Oui, je voulais déjà remercier Edwige et Natacha pour leur brillant exposé et
je voulais revenir sur la notion d’ambulatoire. En France, on rentre le matin, on sort le soir,
c’est de l’ambulatoire. Dans beaucoup de pays étrangers, l’ambulatoire c’est moins de 24h,
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donc c’est la première nuit. Je pense que c’est là qu’il faut voir ce que l’on peut faire pour
l’ajustement de l’ambulatoire.
Intervention de la salle – Moi j’avais envie de revenir sur l’après cancer, c’est une drôle de
définition car nous sommes extrêmement nombreuses à être déboussolées à la sortie de ces
traitements. On se sent abandonnées dans cette période où finalement on est fragiles. Je me
demandais donc si vous, vous préconisiez quelque chose d’autre. C'est-à-dire qu’on a la
consultation d’annonce, est ce qu’on pourrait avoir ce qu’on appellerait une « consultation de
sortie », on est cocoonés par nos médecins chéris, ça pourrait donc nous aider à traverser cette
période.
Natacha Espié – Vous avez raison, c’est une très bonne idée, c’est ce que propose l’Inca. Je
ne sais pas si c’est ce qui se passe en ce moment, on y réfléchit ? On y réfléchit voilà, mais
c’est évidemment une très bonne proposition oui. Ca cadrerait les choses et ça rassurerait
peut-être les patientes à ce moment là.
Bernadette Carcopino – Tu as beaucoup parlé de l’image corporelle des femmes avec leur
mastectomie. Mais justement, ça me ramenait à l’histoire d’Edwige, qui disait qu’il y avait
beaucoup plus de mastectomies bilatérales qu’autrefois, chez des femmes évoluées, qui
étaient au courant. Et ça nous pose vraiment un problème, pourquoi y a-t-il beaucoup plus de
demandes de mastectomies bilatérales alors qu’on voit qu’il n’y a pas de bénéfices sur la
suite …Ca, ça nous pose vraiment un problème
Intervention de la salle – Il y a peut-être une explication sur le fait, que face à une double
mastectomie, on n’envisage à ce moment là, plus de reconstruction, le problème ne se pose
plus
Bernadette Carcopino – Non, il y a des femmes qui font des reconstructions bilatérales.
Natacha Espié – Non, moi je pense, et je ne répondrai pas sur le côté médical, mais
probablement y a-t-il quelque chose de fantasmatique aussi. Etant donné ce que je vous disais
au début, on ne sait pas d’où ça vient au fond et peut-être qu’on a l’impression comme ça
qu’on se prémunirait contre ce risque. Et puis là récemment aussi, il y a eu une grande
confusion avec ce qui s’est passé avec Angelina Jolie…
Edwige Bourstyn - Ce qui n’a rien à voir puisque c’est bien antérieur
Edith Bouchemal – En terme de qualité de vie, en terme de surveillance, la surveillance elle
est reste bien entendu importante aussi, par contre elle est simplifiée aussi, y’a pas de
mammographie, y a une simple palpation des aisselles et des prothèses
Bernadette Carcopino – On fait des échographies
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Edith Bouchemal – Maintenant en terme de chirurgie plastique, quand vous avez un sein
avec une tumorectomie, il en manque un petit bout, un peu trafiqué, pas toujours équilibré par
rapport à l’autre.
Natacha Espié – C’est vrai
Edith Bouchemal – Donc ça nécessite une opération de chirurgie plastique éventuellement, il
y a aussi les effets « Angelina Jolie »
Bernadette Carcopino – Il y a quand même de très beaux résultats des tumorectomies. Il y a
des femmes qui ont subi une tumorectomie et ça ne se voit pas …Alors qu’une mastectomie,
ça se voit forcément. Donc ça nous pose vraiment un gros problème, pourquoi cette
demande ?
Marc Espié – Non mais je pense qu’il y a beaucoup de femmes qui se disent qu’ainsi elles
vont se débarrasser de la maladie et qu’elles vont augmenter leurs chances de guérison.
Malheureusement, non ! C’est ça qui est difficile à comprendre. Ce n’est pas parce qu’on va
faire l’ablation des deux seins que l’on va augmenter ses chances de guérison. Les études
montrent même que ça n’augmente pas les chances de guérison. Pourquoi, parce que, j’ai
failli dire, on ne meurt pas d’un problème local mais on meurt du fait que des cellules sont
parties se promener ailleurs. Et donc ça n’est pas le fait de retirer le sein qui va enlever
quoique ce soit au problème. Parfois c’est nécessaire de retirer le sein, parce que ça participe
au traitement, mais ce n’est pas en soi ça qui va augmenter les chances de guérison, surtout
quand le sein est normal. Et quand on retire un sein normal, on n’augmente pas ses chances de
guérison. Par contre, irrationnellement on peut penser qu’en s’en débarrassant on va aller
mieux, mais y’a un petit côté « on retire tout » et on va aller mieux. Enfin moi c’est comme ça
que je le comprends…Et en plus y’ a des problèmes culturels, par exemple aux Etats-Unis ça
se pratique beaucoup mais je pense que c’est très lié aussi à l’éducation anglo-saxonne et
aussi une certaine forme de protestantisme, qui n’est pas la même culture qu’en France, bon
ça n’est pas la même chose qu’Angelina Jolie mais c’est vrai que ça a beaucoup augmenté, et
pas chez les bonnes personnes
Bernadette Carcopino – Et puis, il y a des médecins aussi qui proposent
Intervention de la salle – Parce qu’avant d’avoir mon cancer du sein, c’est ma femme qui en
avait eu un et j’ai fait du même côté qu’elle…Ce qui m’interpelle dans cette question c’est
que certaines femmes ne sont pas au courant (mutation ou pas mutation), il y a un flou, et
c’est vrai que quand on dit ce qu’on a dit à femme, à savoir qu’il y a 70% de chance de
récidive sur l’autre sein et sur les ovaires. C'est-à-dire que est-ce que tout le monde sait si il y
a une mutation ou pas. C'est-à-dire que quand on entend ce genre de formule, est ce que la
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personne a été prévenue, est ce qu’elle sait si elle a une mutation ou pas et peut-être que les
gens cherchent, comme vous le disiez tout à l’heure, cherchent à faire le ménage, comme ça
au moins peut-être que je vais être tranquille. La surinformation peut-être nocive.
Natacha Espié – Mais vous avez raison, car après ce qu’Angelina Jolie a dévoilé, il y a une
étude américaine qui a montré qu’il y avait 75% des personnes interrogées qui savaient pour
la double mastectomie d’Angelina Jolie. Mais il n’y avait qu’une moitié de ces 75% qui savait
pourquoi elle l’avait fait. Forcément, ça amène à un mélange, à une confusion, avec ce
fantasme qui dit que l’on pourrait se prémunir contre le cancer.
Intervention de la salle – J’avais une question par rapport au temps, parce que vous avez
défini cette différence entre le temps clinique et le temps psychique.
Natacha Espié – Alors, à chacune son temps. Il y a des femmes qui vont réagir et se re
projeter dans un futur extrêmement rapidement et puis pour d’autres, ça va prendre plus de
temps. Ce n’est pas pour éviter votre question mais je crois que le temps nous appartient à
chacun et à chacune. On va réagir comme on peut à ce cataclysme, et c’est difficile de vous
répondre comme ça.
Intervention de la salle (homme) – Dans ce que vous avez évoqué, vous avez beaucoup
évoqué la femme, seule. J’ai été conjoint de ma femme qui a eu un cancer du sein, je pense
qu’il y a quelques maris ici. Je pense que les maris sont un peu trop laissés de côté
Natacha Espié – Vous avez raison, moi j’ai insisté sur la solitude de l’expérience, c'est-à-dire
que je pense quand même que la chimiothérapie est une expérience extrêmement singulière,
on peut être, très empathique, on peut essayer de la communiquer à son conjoint ou
d’expliquer ce qui passe. Mais c’est quand même quelque chose que l’on ressent que si on l’a
vécu. Et rien que ça, je pense que ça peut mettre la femme, ou l’homme d’ailleurs dans une
certaine forme de solitude. Ca plonge le patiente dans une solitude car c’est une expérience
tellement extraordinaire, mais pas au bon sens du terme et que ça, je pense, on ne peut pas
l’inventer. On peut avoir de la sympathie et de l’empathie, mais on ne peut pas l’inventer.
Après en ce qui concerne le conjoint, après, effectivement, d’ailleurs pourquoi ne pas aller
consulter, quand on est conjoint aussi pour aller en parler à un psy, c’est tout à fait légitime. Il
y a aussi de la souffrance chez le ou la conjoint(e). Les paroles, là, ça garantit beaucoup de
malentendus, en tout cas, ça tente de les éviter. C’est donc tout à fait légitime pour les
conjoints d’aller en parler, même si ça n’est que pour quelques séances, aller confier ses
doutes, ses difficultés avec sa femme ou son mari à ce moment là
Intervention de la salle – Je voulais vous faire remarquer, vous parliez de la mort, il n’y a
pas, je crois, seulement, cette idée de la mort en soi, mais l’idée des dégradations physiques
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qui vont accompagner la personne. Et je trouve ça presque pire que l’idée de la simple
disparition de la personne.
Natacha Espié – Vous avez raison, moi j’ai surtout parlé de ce couple : cancer-mort, parce
que c’est souvent présent dans l’imaginaire collectif, mais vous avez raison, les dégradations
physiques sont aussi souvent présentes et souvent aussi associées à la chimiothérapie, parce
qu’au fond, ça va continuer à altérer l’image que l’on a de soi ou en tout cas de ce qu’on
montre. Simplement, il faut souligner que ces dégradations, en tout cas en ce qui concerne la
chimio, bah ça va se remettre en place, ça ne va pas être des dégradations permanentes. Les
patientes vont sortir de ce moment là.
Intervention de la salle – Il y a autre chose qui me choque dans le milieu hospitalier, c’est
que dès qu’on a une maladie, qu’on a quelque chose, on n’est plus personne, on devient « des
organes », on devient un corps, des humeurs, du sang etc. C’est un peu comme si il y avait
une dépersonnalisation aussi …
Natacha Espié – Vous trouvez que vous n’êtes plus sujet à ce moment là, vous perdez votre
qualité de sujet.
Réponse : Oui !
Natacha Espié – Je pense que c’est effectivement très difficile, c’est certainement pas vrai
partout. Peut-être que là aussi, la relation avec le médecin, son médecin, est importante, le fait
d’en parler, ça aussi ça peut se dire. Réclamer ou un peu plus d’empathie ou un peu plus de
paroles, ça peut tout à fait légitimement se demander et se poser.
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