CHAP 7 – LA STRUCTURE SOCIALE INFLUENCE

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CHAP 7 – LA STRUCTURE SOCIALE INFLUENCE
CHAP 7 – LA STRUCTURE SOCIALE INFLUENCE-T-ELLE ENCORE LES INDIVIDUS ?
Introduction :
1. Les sociétés démocratiques sont souvent présentées comme des sociétés égalitaires dans lesquelles le
destin des individus n’est plus déterminé par leur appartenance à un groupe social. Cependant, Il ne suffit
pas que l’égalité soit proclamée pour qu’elle soit réelle. Les sociétés démocratiques connaissent de
nombreuses inégalités qui fragilisent la démocratie. Ainsi, les groupes sociaux héréditaires (caste, ordre)
ont disparu mais ils ont été remplacés par des classes sociales hiérarchisées et inégalitaires. Il faut donc
s’interroger sur ce qu’on nomme une inégalité ? Toute différence dans l’espace des positions sociales estelle inégalitaire ? Comment peut-on mesurer ces inégalités ? Sont-elles seulement économiques ?
Comment-ont-elles évoluées ? Leur réduction a-t-elle abouti à la fin des antagonismes de classe et à une
moyennisation de la société ?
2. Les sociétés démocratiques sont également présentées comme des sociétés fluides. Les positions sociales
des individus ne seraient pas figées. Elles pourraient changer au cours de la vie d’un individu ou d’une
génération à l’autre. La démocratie favorise-t-elle la mobilité sociale ? Comment-peut on mesurer la place
d’un individu dans une hiérarchie sociale ? Comment peut-on mesurer l’ascension sociale d’un individu ou
d’un groupe ? Quel est le rôle de l’école dans cette mobilité ? Cette mobilité s’est-elle accrue ? La société
démocratique a-t-elle offert les mêmes chances à tous dans la course aux postes les plus prestigieux ? Là
encore, il existe un écart entre l’idéal et la réalité. On observe une certaine rigidité sociale. Les individus
n’ont pas les mêmes chances d’accéder aux positions sociales selon le milieu social dont ils sont issus.
Comment peut-on expliquer cette relative immobilité sociale ?
3. Enfin, les sociétés démocratiques se prétendent plus justes socialement. Les inégalités constatées ne
seraient plus héréditaires mais le fruit du talent, de l’effort, du mérite. Peut-il y avoir une inégalité qui ne soit
pas une injustice ? Dans ce cas, la société doit-elle tendre vers plus d’égalité ? L’égalitarisme ne va-t-il pas
tuer l’esprit d’invention et d’entreprise ? Toute inégalité est-elle injuste ? Quel est le niveau d’inégalité le
plus efficace pour la société ? Ne faut-il pas remplacer l’idéal égalitaire par la recherche de l’équité ? Doiton traiter tous les groupes sociaux de la même façon ? Ne faut-il pas accorder aux plus démunis plus de
droits qu’autres ?
71 – COMMENT ANALYSER LA STRUCTURE SOCIALE ?
Introduction : structure sociale et classe sociale
1. Lorsqu'on observe une société, on s'aperçoit très rapidement des différences et des inégalités qui placent les
individus ou les groupes sociaux aux différents niveaux de la hiérarchie sociale. Différences de modes de vie,
de rôles, de statuts, de pouvoirs, de prestige, de culture, inégalités des revenus...., autant de critères qui
permettent de cerner la stratification.
2. Chaque individu n’est pas seul dans la société. Il a toujours une place dans un certain groupe social et ce
groupe a lui-même une place dans la société dans son ensemble. Un groupe social est une unité sociale qui :



a une certaine homogénéité : les individus qui composent le groupe ont des situations sociales et des
manières de penser et de faire communes.
a une certaine durabilité : un groupe social est quelque chose de durable ; même si certains membres
quittent le groupe, le groupe social continue d’exister.
a une conscience collective : les membres du groupe sentent qu’ils font partie de ce groupe.
Dans une société, il existe de nombreux groupes sociaux (du groupe élémentaire comme la famille groupe de
grande taille comme une classes sociale en passant par des groupes intermédiaires comme les syndicats) et
un individu appartient à plusieurs groupes sociaux.
3. La structure sociale correspond à la répartition de la population en groupes sociaux différenciés au sein d’une
société donnée. Si ces groupes sociaux sont hiérarchisés selon le pouvoir qu'ils détiennent, la richesse
économique qu'ils concentrent et/ou le prestige qu'ils dégagent, on parlera de stratification sociale. Il existe
donc tout un ensemble possible de stratification sociale selon les époques et les pays.
 Au sens large, la stratification sociale désigne les différentes façons de classer les individus dans une société
en fonction de la position sociale qu'ils occupent. La stratification dépend alors des critères que l'on adopte
pour classer les individus. La classe est un des éléments de stratification. Les castes en est un autre. Dans la
conception européenne, les groupes sociaux sont hiérarchisés et entretiennent des rapports antagonistes.
 Au sens étroit, la stratification consiste à graduer de façon régulière les individus dans une échelle sociale en
fonction de d'un ou plusieurs critères simples comme le revenu, la profession, le pouvoir ou encore le
prestige. Dans ce cas, on insiste plus sur la continuité que les oppositions. Dans la conception américaine, on
observe la superposition des classes sans insister sur leurs relations.
Groupes sociaux
différenciés
Stratification
sociale
Inégalités
4. Plusieurs types de stratification sociale peuvent être repérés au cours de l’histoire des sociétés. Ce sont des
idéaux-types qui ne répondent pas toujours de la complexité des situations concrètes. Les structures sociales
peuvent s’entremêler. Ainsi, dans l’Inde moderne, un système de classe coexiste par un régime de castes
pourtant légalement aboli.
5. Dans les sociétés traditionnelles la stratification est légitimée par des fondements religieux : elle est le reflet
terrestre de l’ordre divin. Elle est aussi sanctionnée (organisée) par la loi. Elle donne à chaque individu en
fonction de sa naissance des droits et devoirs différents.
 Les castes sont des groupes sociaux fermés fondés sur le degré de pureté défini par la religion. On naît dans
une caste et on ne peut en sortir. La mobilité sociale est donc nulle. Les rapports entre les castes sont
marqués par la répulsion réciproque. L'esprit de caste interdit formellement les contacts physiques (les hors
castes sont des « intouchables »), les relations sexuelles (mariage endogamique), les repas en commun entre
membres de castes différentes. Si un contact impur a lieu, il faut procéder à des rites de purification.
 Les ordres sont des groupes sociaux hiérarchisés en fonction de la dignité, de l'honneur, de l'estime accordés
aux différentes fonctions sociales. Seuls les Nobles ont l'interdiction de travailler pour ne pas déchoir. Les
métiers ont tendance à être héréditaires et organisés au sein de corporations mais une certaine mobilité
professionnelle est possible. De même, on peut passer d’un ordre à un autre (achat de titres de noblesse,
choix de l’ordre religieux). La mobilité sociale est possible mais elle est faible.
6. Dans les sociétés modernes, les classes sociales existent en fait mais ne sont pas fondées en droit. Elles se
distinguent des castes et des ordres à trois niveaux :
 L'idéal méritocratique rend l'accès à tous les métiers possible quelque soit sa condition sociale même si, dans
la réalité, on observe une hérédité professionnelle partielle.
 L'idéal du brassage social permet le libre choix du conjoint, fondé sur les rapports amoureux et non sur des
nécessités économiques ou sociales, même si, dans la réalité, on observe une certaine homogamie sociale.
 L'idéal égalitaire pousse les individus à contester la hiérarchie sociale et à revendiquer une modification de
leur position sociale, même si, dans la réalité, la mobilité sociale est relativement faible.
Classes sociales
Homogénéité des pratiques
sociales
Conscience de classe
Hérédité des positions
 Les classes sont des groupes sociaux de grande taille relativement homogène dont les individus qui la
composent ont en commun :

Une unité de situation définie par la position sociale et professionnelle de l'individu, son mode de vie, sa place
dans la hiérarchie des prestiges. Les études sociologiques du travail, de la consommation, des pratiques
culturelles permettent de cerner les contours de chaque classe.

Une unité de réaction c'est à dire une conscience de classe. Toute situation commune, toute culture commune
peut entraîner le sentiment d'appartenir à la même classe, d'avoir la même condition et le même mode de
pensée, d’avoir des intérêts communs à défendre. Les études sociologiques sur la conscience de classe, les
syndicats, les partis, le vote politique, les mouvements sociaux permettent d’appréhender cette dimension des
classes.

Une hérédité des positions qui lui assure la permanence de la classe dans le temps. Pour qu'une classe ait
conscience d'elle même, il faut qu'elle ait une histoire, une mémoire, c'est à dire qu'elle se perpétue à travers
plusieurs générations. Les études sociologiques sur la mobilité sociale, les trajectoires sociales, la réussite
scolaire, le mariage, les stratégies de reproduction des classes sont utiles pour connaître la permanence des
classes. La mobilité sociale est plus grande dans les sociétés démocratiques.
CASTES
ORDRES
CLASSES
Critère qui hiérarchise
les groupes sociaux

La pureté

L’honneur
Groupes sociaux en
présence





Religieux
Guerriers
Producteurs
Serviteurs
Hors-castes



Noblesse
Clergé
Tiers-Etat
Relations entre les
groupes

Répulsion
réciproque

Le mépris de
l’inférieur

Le refus de la
domination
Mobilité sociale

Nulle

Faible

Possible

Les capitaux
possédés


Bourgeoisie
Classes
moyennes
Classe ouvrière

A – L’analyse théorique des classes sociales
1 – L'analyse de Karl Marx
a) – Une conception réaliste des classes
1. Karl Marx (1818–1883) est un philosophe, économiste, sociologue, allemand dont l’œuvre a marqué l’histoire
de la pensée économique par l’analyse critique qu’il fait du capitalisme. Il écrit dans un contexte particulier : il
observe les mutations de l'organisation de la production notamment en Angleterre. Il est frappé par une
contradiction entre l'organisation industrielle gage d'efficacité donc de progrès et la grande misère de la classe
ouvrière. Son analyse du capitalisme l’amène à une critique radicale de ce système et à un engagement dans
le combat politique contre le capitalisme.
2. Karl Marx a une conception réaliste des classes sociales. Marx considère que les classes sociales existent
véritablement dans la société et qu’il revient au sociologue de les mettre en évidence. Les classes ont donc
une réalité objective et ne sont pas uniquement des catégories construites par le sociologue. Une classe
existe en soi, avant même sa construction intellectuelle. Elle est une unité réelle et vivante d'individus
repérables à une place dans le système productif et à des modes de vie propres. Mais ceci ne suffit pas pour
en faire une classe sociale mobilisée. La lutte des classes qui s’exprime sous la forme de conflits sociaux ou
d’oppositions politiques prouve l’existence des classes sociales.
b) – Une conception antagonique des classes
3. Une classe, pour Karl Marx, se définit à partir de trois éléments :
 1ère élément : La place qu'elle occupe dans le processus de production qui est déterminée par un critère
unique : la propriété des moyens de production. Karl Marx distingue, dans tout mode de production, deux
classes fondamentales, celle des propriétaires et celles des non-propriétaires.
ème
 2
élément : Des intérêts antagonistes : les rapports de classes sont des rapports de domination et
d'exploitation. La classe des propriétaires exploite et domine celle des non propriétaires. Ces deux classes ont
donc des intérêts contradictoires et entrent en lutte pour les défendre. La lutte des classes est constitutive du
système de classe.
 3ème élément : La conscience de classe : cette opposition va faire une émerger une conscience progressive
des intérêts à défendre dans chaque camp. Les classes vont se mobiliser et s'organiser pour défendre leurs
intérêts. La lutte des classes et la conscience de classe sont inséparables. La conscience de classe est la
sensation collective de connaitre des intérêts communs liés à la place dans le processus de production.
Ainsi, les paysans parcellaires ont bien en commun un niveau de vie et un mode de vie semblables. Ils sont
pauvres, vivent en autarcie dans le cadre d’une économie domestique et ont une culture et des intérêts qui les
opposent aux autres classes de la société. A priori les paysans forment donc une classe sociale mais Marx
souligne toutefois qu’ils ne constituent pas une classe dans la mesure où leur mode de production les isole et
leur interdit de fait de constituer une communauté, de prendre conscience collectivement de leurs intérêts et
de créer une organisation politique capable de les défendre. Faute de posséder une conscience de classe, les
paysans parcellaires forment davantage pour Marx « un sac de pommes de terre », un rassemblement
d’unités domestiques partageant les mêmes conditions de travail et de vie et non un acteur social et politique
en mesure de défendre ses intérêts et de faire l’histoire, c’est à dire une classe pour soi.
4. L’existence de classes n’entraine donc pas automatiquement lutte des classes. En effet, Marx montre qu’il ne
suffit pas que de nombreux hommes soient côte à côte sur un même plan économique pour que la classe soit
véritable, il faut, avant tout, que ces hommes soient réunis par un lien psychologique qui est la conscience de
classe. C’est pourquoi Marx distingue :

La classe en soi qui est définie à partir de la place que l’on occupe dans le processus de production et
qui distingue les propriétaires des non propriétaires des moyens de production.

La classe pour soi qui est un groupe social qui a pris conscience de ses intérêts et de son opposition
aux autres classes. Les membres de cette classe vont donc se mobiliser et participer à une lutte de
classe pour défendre leurs intérêts.
Conscience de
classe
Place dans le processus
de production
Intérêts
antagoniques
Classe en soi
Lutte des classes
Classe pour soi
5. Dans le mode de production capitaliste, deux classes sociales s’affrontent définies à la fois par leur place
dans le processus de production, leur conscience de classe et leur rôle dans les luttes :

La classe ouvrière (le prolétariat) ne possède que sa force de travail qu’elle loue au capitaliste contre
un salaire de subsistance. Elle seule produit des richesses matérielles (« travail productif ») qu’elle ne
récupère qu’en partie en recevant un salaire.

La Bourgeoisie (les capitalistes) possède les moyens de production (outils, machines, usines) et
emploie les ouvriers pour en extraire de la plus-value, c’est-à-dire la différence entre la valeur du bien
produit et la valeur du travail nécessaire pour le produire. Cette plus-value se transformera en profit
lorsque le bien sera vendu sur le marché. Elle servira aux capitalistes à accumuler du capital, c’est-àdire des moyens financiers et de nouveaux moyens de production.
6. Les rapports de production correspondent à l’ensemble des relations sociales qui vont s’établir entre les
hommes dans le cadre de cette activité productive. Ces relations sociales sont de deux sortes :

Un rapport d’exploitation car les ouvriers se voient dépossédés d’une partie du fruit de leur travail et
de leurs moyens de production. L’exploitation consiste à extraire de la plus-value. Pour Marx, ce qui
fonde l’originalité de l’exploitation capitaliste, c’est l’existence d’un contrat de travail légal que le
prolétaire à la liberté d’accepter ou non. Mais sa situation misérable et l’existence de chômage sur le
marché du travail font que cette liberté n’est qu’une liberté de principe.

Des rapports de domination au niveau économique (les patrons ont le pouvoir de décision), au niveau
social (les goûts sont des goûts bourgeois et le mode de vie bourgeois est considéré comme
supérieur), au niveau idéologique (le libéralisme économique et le conservatisme social dominent la
pensée) et au niveau politique (les partis au pouvoir défendent les intérêts de la classe dominante et
l’Etat est un Etat bourgeois).
7. Dans la société capitaliste, la lutte des classes porte sur le partage de richesses produites (la valeur ajoutée)
et sur l’appropriation des moyens de production. Or cette lutte comporte sa propre contradiction :

D’une part, pour accroître sans cesse la plus-value, l’entrepreneur capitaliste accumule du capital. En
modernisant l’outil de production, cela lui permet d’accroître la productivité des travailleurs. Ce faisant,
il fait augmenter la composition organique du capital (Composition organique du capital = C/V, avec «
C » capital constant et « V » capital variable). En d’autres termes, il utilise de plus en plus de capital
(travail mort) et de moins en moins de travail (travail vivant) pour réaliser sa production. Or, seul ce
dernier type de travail est créateur de richesses et donc… source de profit. Il y a là une contradiction
importante qui aboutit à une baisse tendancielle du taux de profit (plus-value/capitaux investis x 100)
et à une concentration accrue des moyens de production dans un petit nombre de mains.

D’autre part, les ouvriers vont peu à peu se paupériser. En effet, en remplaçant de plus en plus le
travail des ouvriers par le capital, le capitaliste réduit en même temps les possibilités d’embauche des
ouvriers. De plus, les gains de productivité permettent de baisser le prix des biens produits, ce qui du
même coup fait baisser le prix des biens de subsistance et tire vers le bas le salaire des ouvriers. La
subsistance du prolétariat devient de plus en plus problématique. Prêts à tout pour survivre, les
ouvriers se font concurrence entre eux et accélèrent encore davantage la baisse de leur salaire et de
leur niveau de vie. Ainsi grossit ce que Marx appelle « l’armée industrielle de réserve », cet ensemble
des d’ouvriers éliminés de la production, réduit au chômage et à la misère. Cette paupérisation
croissante de la population salariée réduit les débouchés de la production. Le système entier est alors
menacé par des crises de surproduction.
Victime de sa propre logique, de moins en moins capable de gérer ses contradictions le capitalisme
est historiquement condamné et s’achemine vers une crise finale inéluctable qui, par une Révolution,
permettre aux ouvriers de s’emparer des moyens de production et de construire une société
socialiste.
L’antagonisme
Bourgeoisie/Prolétariat
Paupérisation de la
classe ouvrière
Polarisation de la
société
Intensification de la lutte
des classes
Révolution, renversement
du capitalisme
8. La lutte des classes ne se fait pas seulement au niveau économique. Pour se mobiliser, les classes sont
amenées à créer des organisations pour les représenter au niveau économique (syndicats) mais aussi au
niveau politique (partis) et à édifier un corpus théorique (libéralisme contre marxisme) afin d’avoir leur propre
représentation du monde. Dans cette lutte, les deux classes vont essayer de rallier à elles les autres classes
sociales. En effet, Marx admet qu’il existe d’autres classes sociales dans une « formation sociale » capitaliste
(paysans, artisans, commerçants…). Il en recense huit ! Mais, ces classes vont être polarisées par les deux
autres. Soit elles sont absorbées par l’un des deux classes. Ainsi, le devenir d’un artisan est de se prolétariser
(il devient un ouvrier) ou de s’embourgeoiser (il devient un capitaliste. Soit, elles passent des alliances de
classe au niveau politique pour mener des combats communs (rôle ambigu des classes moyennes qui
penchent tantôt vers la Bourgeoisie, tantôt vers le prolétariat).
Situation
commune
d’exploitation
Prise de
conscience et
organisation
progressive
Mobilisation
collective et
passage au niveau
politique
Renversement
du capitalisme
Contradictions du
capitalisme
9. Marx fait donc trois apports à la sociologie des conflits :

D'une part, dans les sociétés industrielles, le conflit central est un conflit du travail qui oppose la classe
ouvrière à la Bourgeoisie. La lutte des classes est un processus d’opposition forte et parfois violente entre les
classes sociales aux intérêts contradictoires portant sur la répartition des ressources.

D'autre part, la classe ouvrière est le fer de lance de ce conflit car elle met en place des syndicats, des partis
politiques (parti communiste, parti socialiste) et une idéologie (le marxisme, la social-démocratie) pour la
représenter et pour s'opposer à la classe et aux idées dominantes.

Enfin, le conflit est le principal moteur du changement social car il a pour objectif d'aboutir à un changement
de société et parce qu'il fait évoluer les rapports sociaux et les modes de vie. Ainsi, Pour Marx et Engels
l’histoire se présente sous la forme d’une succession de modes de production dont chaque étape est marquée
par la lutte des classes. La lutte opposant le prolétariat à la bourgeoisie doit conduire à la Révolution et à la
transformation de la société : le mode de production capitaliste va céder la place au mode de production
socialiste, dans lequel les moyens de production seront socialisés, les entreprises appartiendront à la
collectivité dans son ensemble et, l’Etat au lieu de défendre les intérêts égoïstes de la Bourgeoisie incarnera
l’Intérêt Général. Dans le système économique socialiste, les classes sociales, la lutte des classes sociales et
l’exploitation disparaissent, le travail n’est plus source d’aliénation mais d’émancipation, il permet à l’homme
de satisfaire ses besoins, de tisser des liens de coopération avec les autres hommes et de se réaliser en
transformant la nature.
2 – L'analyse de Max Weber
a) – une conception nominaliste des classes
1. Max Weber (1864-1920), est à la fois un juriste, un sociologue, un historien et un économiste. Avec le français
Emile Durkheim (1858-1917), Max Weber peut être considéré comme un des pères fondateurs de la
sociologie, il inscrit sa sociologie dans la philosophie « idéaliste » et s’oppose au « matérialisme » de Marx,
dans l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme (1920) il se fixe comme ambition de montrer comment les
« idées deviennent des forces historiques efficaces », il fera le lien entre les recommandations calvinistes (le
dogme protestant valorisant la réussite matérielle, l’engagement dans le travail et l’épargne) et l’essor du
capitalisme dans les pays anglo-saxons.
2. Alors que Marx est partisan d’une approche holiste et conçoit la société comme un ensemble de groupes
sociaux (classes sociales ou fragments de classes), Max Weber considère que la société est composée
d’individus ayant des ressources et des « chances de vie » différentes. Traditionnellement, on oppose les
partisans d’une sociologie holiste (holisme méthodologique) qui considèrent que la société produit les
individus et les partisans d’une sociologie individualiste pour laquelle l’individu produit la société
(individualisme méthodologique), Marx et Weber incarnent respectivement ces deux traditions.
3. Max Weber a une conception nominaliste des classes. La classe résulte d'une construction intellectuelle du
sociologue qui cherche à comprendre la réalité en regroupant de façon logique des individus ayant un certain
nombre de traits communs. Les classes sociales sont des groupes d’individus semblables partageant une
dynamique probable similaire (Max Weber parle de Lebenschancen ou « chances de vie »), sans qu’ils en
soient nécessairement conscients. La classe sociale n’est pas autre chose, a priori, que la somme des
individus (individualisme contre holisme) que le chercheur décide d’assembler selon ses critères propres. La
classe n'existe pas en soi. On la nomme. Ainsi, les classes sont des noms plus que des choses (nominalisme
contre réalisme). Mais, elle a une certaine existence puisque, pour analyser une action individuelle, il faut
pouvoir la resituer dans une perspective d'appartenance de classe.
b) – La diversité de la stratification sociale
4. Pour Weber les classes sociales ne constituent qu’une dimension de la stratification sociale et il n’y a pas
nécessairement superposition entre les classes sociales et les groupes de statut (ou de prestige). La classe
est un élément de la hiérarchie sociale, mais il n'est pas le seul. En effet, pour Max Weber, la distribution du
pouvoir dans une société se fait à trois niveaux :
 L'ordre économique est le mode selon lequel les biens et les services sont distribués et utilisés. Il est à
l'origine des classes sociales. La classe est un groupe de personne occupant le même statut de classe défini
à partir du mode de distribution, des revenus et du patrimoine. La classe n’est donc qu’une collection
d’individus regroupés par le sociologue à partir d’un niveau et d’un style de vie semblables. Cette situation de
classe dépend donc du degré de chances (de probabilité) qu'a une personne d'accéder aux biens (classe de
possession) et aux moyens de production (classe de production) qui dépend des différents capitaux dont il
dispose. La propriété des moyens de production n'est donc pas le seul critère de classe. La différenciation des
situations de classe s’opère :


Selon le type de possession dont on tire les bénéfices (classes de possession comme les rentiers/
classes d’acquisition comme les entrepreneurs). La distinction fondamentale à partir de ce critère est
la distinction opposant propriétaires et non propriétaires des moyens de production (comme chez
Marx). Mais au sein de la catégorie des propriétaires, Weber opère également une distinction entre
plusieurs classes en fonction de la nature de la propriété (foncière, financière et industrielle) et met en
évidence des oppositions d’intérêt entre ces groupes
Selon le type de services offerts sur le marché (les « classes de production positivement privilégiées »
comme les entrepreneurs et les professions libérales s’opposent aux « classes de production
négativement privilégiées » représentées par les ouvriers).
Pour Max Weber, l'existence des classes n'entraîne pas automatiquement conscience de classe et lutte de
classe. Les classes ne sont pas antagonistes mais elles peuvent le devenir. L'analyse de Marx n'est qu'une
des possibilités. Elle suppose qu'un certain nombre de conditions soient réunies :




Les intérêts de classe doivent être objectifs ;
Les individus doivent prendre conscience de ces intérêts ;
Les contrastes entre les classes doivent être suffisants pour motiver l'action ;
Les groupes d'intérêts en lutte doivent être en contact.
L'ordre social ou statutaire est le mode selon lequel le prestige se distribue au sein d'une société. Un groupe
de statut rassemble tous les individus qui ont le même degré de prestige qui est associé à son statut social.
Le statut dépend à la fois de facteurs objectifs comme la naissance, la profession, le type d'instruction et le
style de vie mais aussi d'éléments subjectifs comme la considération sociale. « La considération peut reposer
sur la situation de classe mais elle n’est pas déterminée par elle seule ». Parmi ces quatre facteurs, le style de
vie est l’élément le plus déterminant pour différencier les groupes.
L’échelle de prestige dans une société est variable et elle évolue. Le prestige peut être en rapport avec le
diplôme, les capacités physiques, la profession, … Il dépend des valeurs que reconnaît la société. Dans
chaque société on peut repérer des formes de considération positive ou négative, dans une société où la
religion joue un rôle important l’appartenance au clergé ou la profession de prêtre est source de considération,
dans une société où les médias disposent du pouvoir de consécration, les individus présents dans les médias
(journalistes, hommes politiques, acteurs, intellectuels,…) peuvent accéder à la considération et même la
monnayer sur le marché économique (vendre des produits, créer une entreprise, contrats publicitaires) ou
politique (se présenter aux élections, par exemple).


A la différence des classes, ces groupes de statut « sont toujours des communautés même si elles
sont souvent plus ou moins amorphes », leurs membres partagent des valeurs et des sentiments
communs. Ce sont des groupes conscients de leurs intérêts communs et capables d'agir en fonction
de ces intérêts. Les liens interpersonnels sont forts et la tendance à l'endogamie les renforce.
Les groupes de statut interagissent avec les classes (« les différences de classes entrent dans les
relations les plus diverses avec les distinctions de statut ») :
o Ils peuvent se recouper : une classe sociale peut coïncider avec un groupe de statut, le statut
économique privilégié pouvant aller avec une forte considération sociale ;
o Ils peuvent diverger : une classe sociale pouvant par exemple être fractionné en différents
groupes de statut (idée qui sera reprise par Bourdieu). C’est l’exemple du nouveau riche ou
de l’aristocrate ruiné, dont les positions en termes de classes sociales et de groupes de statut
ne sont pas congruentes.
 L'ordre politique est celui de la compétition pour le contrôle de l'Etat. Elle est opérée par des partis,
associations qui ont pour but d'assurer le pouvoir à un groupe afin d'obtenir des avantages matériels et de
prestige pour ses membres. Ils peuvent être constitués sur la base d'intérêts économiques ou de similitude
des statuts sociaux, leur création peut également reposer sur d'autres fondements (religieux, ethniques...).
Les partis politiques peuvent prolonger les intérêts de classe (partis de classe) mais tous les partis n’en sont
pas l’expression.
Les trois niveaux de la stratification sociale selon Max Weber
Stratification sociale
Classes sociales
Groupes de status
Ordre économique
Ordre social
Partis politiques
Ordre politique
5. Ces trois ordres ne se recouvrent pas nécessairement. Un individu peut appartenir aux classes moyennes et
un groupe de statut particulièrement prestigieux. Ainsi, l’instituteur dans les villages d’autrefois (fin XIXème–
années 60), avait un niveau de vie moyen mais jouissait d’une considération sociale importante liée à sa
fonction (instruire les jeunes générations) et à sa culture générale, bien souvent il jouait un rôle de leader
d’opinion et pouvait exercer des responsabilités politiques comme maire ou membre du conseil municipal.
Une des conséquences de ce caractère multidimensionnel de la stratification est la non congruence de statut :
la position détenue par un individu sur une échelle ne détermine pas forcément sa position sur les autres
échelles. Le pouvoir économique ne confère pas automatiquement du prestige (le nouveau riche) ou un
pouvoir politique. On peut avoir du prestige sans posséder d'immenses richesses (l'abbé Pierre) ou avoir un
pouvoir politique. La confusion des trois niveaux, évoquée par Karl Marx, n'est qu'un des cas possible.
6. Max Weber fait donc plusieurs apports à la sociologie des classes sociales :
 Dans une société de classes, la mobilité sociale est possible, même si les chances pour un ouvrier de
travailler à son compte sont minces.
 Entre la classe privilégiée et la classe défavorisée, on trouve des classes moyennes.
 La distribution inégale des ressources ne conduit pas nécessairement à la lutte des classes et à des
révolutions, et s’il y a lutte des classes l’objectif n’est pas nécessairement le changement de régime
économique mais peut être tout simplement la redistribution des ressources ou de la propriété !
 L’approche de Weber correspond à une stratification plus complexe où les élites sont plurielles : élites
économiques (les classes sociales), élites sociales (groupes de prestige) ou élites politiques (définies par la
place occupée dans les partis politiques ou dans l’appareil d’Etat).
Les classes sociales selon Marx et Weber
Karl Marx
Max Weber
Individualisme méthodologique
Approche
méthodologique
Holisme
Les structures sociales déterminent les
comportements individuels
Réaliste
Conception de la classe
sociale
Les classes ont donc une réalité
objective et ne sont pas uniquement
des catégories construites par le
sociologue
Unidimensionnelle
Analyse de la hiérarchie
sociale
Situation de classe
Définitions des classes
Nominaliste
Les classes sociales ne sont qu’une
construction de l’observateur et non
une représentation de la réalité. Elles
sont le produit de ce que le sociologue
nomme (nominaliste) et n’ont pas
nécessairement une existence « réelle
» dans la société.
Pluridimensionnelle
Il faut partir de la base économique
pour comprendre l'évolution d'une
société.
La société est structurée selon 3
ordres :
* ordre économique
* ordre politique
* ordre social
Ces 3 ordres sont à la fois autonomes
et dépendants les uns des autres.
La situation de classe définit la place
des individus : elle est l’élément
essentiel dans l’analyse de la société.
La situation de classe n’est que l’un
des éléments situant un individu et
déterminant la stratification sociale.
Classe sociales se définit par trois
critères :
* place dans le rapport de production
* conscience de classe
* conflictualité par rapport aux autres
classes
La société est polarisée autour de
deux classes principales définies par
leur position dans les rapports de
production opposant les exploiteurs et
les exploités (La Bourgeoisie et le
prolétariat dans la société capitaliste.
Conflictuelle
Lutte des classes
Approche qui consiste à étudier les
fonctionnements de la société en
analysant les actes et les motivations
des individus ainsi que leurs relations
La lutte des classes naît de la
conscience de classe au sein du
prolétariat
Les classes sociales n’existent et ne
se définissent que dans une situation
de conflit : la lutte des classes.
La lutte des classes est le « moteur de
l’histoire ».
Classe sociale se définit selon un
critère économique : accès aux biens
et services. Les individus qui partagent
une situation de classe, qui se trouvent
donc dans une situation économique
semblable ou proche :
* n’entretiennent pas nécessairement
des liens entre eux,
* n’ont pas nécessairement conscience
de classe,
* ne sont pas nécessairement
susceptibles de s’organiser
collectivement dans le cadre d’une
lutte des classes.
« Les classes ne sont pas des
communautés »
Consensuelle
Les rapports de classe ne conduisent
pas nécessairement à la lutte des
classes
Les conflits de classes ne visent pas
toujours la transformation radicale de
la société.
3 – L'analyse de Pierre Bourdieu
a) – Classes sociales et capitaux possédés
1. Pierre Bourdieu (1930-2002) a été professeur au collège de France (institution symbole de consécration
universitaire), il a écrit une trentaine d’ouvrages et peut être considéré comme l’un – sinon le plus grand sociologue français de la deuxième partie du XX. Ses travaux portent aussi bien sur l’Ecole, l’Etat, la Culture,
l’Art, l’Algérie, le journalisme, les rapports hommes-femmes, l’exclusion sociale, etc. Bourdieu n’est pas
simplement un chef de file d’une école en sociologie mais un intellectuel engagé politiquement soucieux de
dévoiler les mécanismes de domination sociale de la classe dominante (élites économiques, politiques,
administratives, académiques ou journalistiques).
2. Pierre Bourdieu essaye à la fois de concilier et de dépasser l'analyse de Karl Marx (il reprend le terme de
capital qu’il étend à d’autres domaines que l’économie) et celle de Max Weber ().
 A Marx, il reprend la notion de capital qu’il étend à d’autres domaines que l’économie. A Weber, il emprunte
l’idée que les acteurs sont en lutte pour l'accès aux biens, au prestige et au pouvoir en ayant des moyens
inégaux d’où l’importance de la domination symbolique qui s’exerce aux différents niveaux de la société.
 Il essaye de concilier la position réaliste de Marx et la conception nominaliste de Weber. Pour lui, les classes
sociales sont une construction intellectuelle même si un travail de mobilisation politique peut les conduire à
devenir des acteurs politiques (« On ne passe de la classe-sur-le-papier à une classe réelle qu’au prix d’un
travail politique de mobilisation. »). D’où la distinction entre « classe virtuelle » et « classe réelle ». Sur ce
point Bourdieu est plus proche de Weber à qui il emprunte l’idée que l’éducation (ou le capital culturel) est une
ressource - au même titre que les revenus et le patrimoine – et permet de définir une position de classe
(Weber parle de situation de classe).
 Pierre Bourdieu s’appuie aussi sur Marx et Weber en mettant l’accent sur les phénomènes de domination
sociale, en revanche il se démarque de Marx sur le rôle de la lutte des classes comme moteur du changement
social. La société n’est pas pour Bourdieu un ensemble homogène mais se compose d’espaces sociaux, de
champs, dans lesquels les enjeux des luttes et les agents en lutte sont différents.
 Enfin, Bourdieu reproche à Marx d’insister sur les enjeux matériels (la propriété privée des entreprises, les
ressources économiques) car l’enjeu des luttes est souvent symbolique : plus qu’une lutte des classes il
observe une lutte des classements, c’est dans ce sens qu’il conclut que l’existence même des classes dans
nos sociétés est un enjeu de la lutte des classes !
3. Les classes sociales sont analysées à partir de la distribution des positions dans l'espace social (ensemble de
positions sociales distinctes qui entretiennent entre elles des relations de proximité ou d'éloignement plus ou
moins importantes). Cette distribution est structurée à partir de deux critères principaux :
 Le volume de capital possédé : Pierre Bourdieu distingue le « capital économique » (revenus, patrimoine), le
« capital social » (relations familiales, professionnelles, amicales acquises par la fréquentation des mêmes
lieux et par le fait d'avoir les mêmes pratiques), le « capital culturel » (niveau du diplôme, maitrise de la culture
légitime qui conditionne les goûts et les pratiques sociales) et le « capital linguistique » (savoir parler quand il
faut, comme il faut, là où il faut). Les agents sont plus ou moins bien dotés en capitaux. Ainsi, les classes
dominantes sont fortement dotées, les classes moyennes moyennement et les classes populaires faiblement.
L'ensemble des ces capitaux se renforcent mutuellement et s'accumulent.
 La structure du capital possédé, c'est à dire la part respective du capital économique, du capital social et du
capital culturel dans le capital global. Ainsi, à l'intérieur des classes, on peut distinguer des fractions de
classes en fonction du rapport entre le capital économique et le capital culturel possédé (les patrons, qui ont
beaucoup de capital économique, s'opposent aux enseignants, qui ont beaucoup de capital culturel, au sein
de la classe dominante, par exemple).
b) – L’espace des positions sociales et lutte pour le classement
4. Ces ressources sont mobilisées par les agents pour obtenir une reconnaissance sociale par les autres agents
qui opèrent au sein du même « champ social » (pratiques et institutions sociales : le sport, la mode, la
politique, le travail, la famille, l'école, l'Etat, les médias...). Le champ représente un sous-espace social dans
lequel les agents se livrent une lutte pour l’accès aux ressources permettant de contrôler le champ considéré
(situation de domination) : capital économique (champ économique), capital scientifique (champ scientifique),
capital politique (champ politique), etc. Les sociétés modernes sont complexes, l’espace social est divisé en
sous-espaces ayant « leurs règles du jeu propres », la situation de classe ne définit pas nécessairement la
place dans un champ particulier : être un entrepreneur riche ne fait pas de vous un artiste reconnu pas plus
qu’un leader politique !
5. Le capital possédé ne suffit donc pas à déterminer la position sociale d'un individu dans un champ ou dans un
ensemble de champ : encore faut-il qu'il mobilise ce capital et le mette au service d'une stratégie. La classe
sociale est donc à la fois le produit des circonstances objectives (« champ de force » qui reflète les positions
dominantes) et de stratégies développées par les agents (« champ de lutte » pour conquérir les positions
dominantes) qui vise à subvertir ou à conserver l'ordre établi, à maintenir ou à modifier les classements qui
s'opèrent. Les classes virtuelles ne deviennent réelles qu'à la suite d'un long travail de mobilisation
économique, culturelle, sociale et politique.
Dotation en
capitaux
Position de classe
Classe virtuelle ou
probable
Habitus de classe
Le choix des
personnes :
 Amis
 Conjoint
 Elus
Type de pratiques
sociales :
 Consommation
 Sport
 Fécondité…
Représentations
sociales :
 Goûts culturels
 Opinions
politiques…
6. Mais ce jeu social dont le but est la distinction et la détermination de ce qui est légitime de faire, de penser ou
de ressentir, n'est pas libre. Il est conditionné par l'appartenance de classe. Les agents qui occupent une
même position sociale ont un certain nombre de propriétés en commun qui s'expliquent par des conditions
d'existence semblables. Ils partagent un même « habitus de classe », c'est à dire un système de dispositions
qui homogénéisent leurs pratiques et leurs visions du monde. L’habitus est le produit de la socialisation,
l’agent incorpore dans sa prime enfance et en fonction de sa trajectoire sociale une façon de penser, de se
tenir, de se conduire, d’entrer en relation avec les autres qui va s’exprimer par des choix de personnes, des
pratiques ou des représentations sociales. Cependant, ce « sens pratique » ne peut être mécaniquement
déduit d'une socialisation de classe. Il est confronté à des situations nouvelles nécessitant des adaptations ou
des modifications de la même manière que le sportif doit s'adapter aux nouvelles façons de jouer.
c) – Les classes sociales en lutte
1. Pour Pierre Bourdieu les classes sociales n’existent pas en elles-mêmes comme acteurs historiques, c’est le
sociologue qui les construit en rassemblant les individus ayant une même position de classe. La dotation en
capitaux et la structure du capital global (plus ou moins de capital culturel ou économique) permet de repérer
les individus dans l’espace social et de définir « des classes probables », « des classes sur le papier » ou «
des classes en pointillés », ces trois expressions étant synonymes.
Position des catégories sociales dans l'espace social
2. Le schéma proposé par Pierre Bourdieu permet d’isoler :
 Les classes dominantes qui dispose d’un capital culturel et économique élevé et rassemble les cadres du
privé, les professions libérales, les ingénieurs, les professeurs d’université ou une fraction des patrons de
l’industrie et du commerce.
 La petite bourgeoisie moins dotée en capital global, elle réunit les salariés hautement qualifiés des entreprises
et des administrations (professeurs du secondaire, techniciens, cadres moyens) et des indépendants (petits
patrons, les artisans, les commerçants et une partie des exploitants agricoles).
 Les classes populaires faiblement dotées en capitaux culturel et économique, elles regroupent les ouvriers,
les employés et les salariés agricoles.
3. Pour Bourdieu l’appartenance de classe « fabrique » un habitus de classe qui s’exprime dans un style de vie
ou des goûts spécifiques. Ainsi, les membres de la classe ouvrière aimeront davantage le football, la belote, le
vin rouge ordinaire ; les bourgeois préféreront le tennis, l’équitation, la voile, le bridge ou le whisky. Toutefois,
les styles de vie peuvent évoluer mais il restera toujours une distance sociale qui se traduira par des pratiques
différentes génératrices de distinction sociale. De même, le volume mais aussi la structure du capital
impactent le vote : les individus peu dotés en ressources globales et les membres de la petite bourgeoisie
possédant relativement plus de capital culturel (diplôme) que de capital économique (revenus / patrimoine)
ont tendance à voter davantage à gauche. Les membres de la bourgeoisie et les actifs travaillant à leur
compte de la petite bourgeoisie (artisans, commerçants, petits patrons ou exploitants agricoles) ont, pour leur
part, tendance à voter à droite.
Styles de vie des différentes classes
Volume de capitaux
possédés
Classes dominantes économiques
Important
Classes dominantes culturelles
Important
Petite bourgeoisie économique
Moyen
Petite bourgeoisie culturelle
Moyen
Classe populaire
Faible
Structure des capitaux
possédés
Prédominance du capital
économique
Prédominance du capital
culturel
Prédominance du capital
économique
Prédominance du capital
culturel
Pratiques culturelles et
mode de vie
Pas de prédominance
Choix du nécessaire
Goûts de luxe
Aristocratisme ascétique
Imitation du luxe
Bonne volonté culturelle
4. Tout en s'inscrivant dans le cadre d'une analyse des rapports de domination entre classes sociales, l'approche
de Bourdieu opère une triple rupture par rapport au marxisme :
 D'abord, les classes sociales ne sont pas exclusivement définies à partir du critère économique : le capital
culturel est considéré comme une autre dimension pertinente de la position sociale.
 Ensuite, les classes sociales ne sont pas appréhendées à partir des seuls critères objectifs : les luttes
symboliques par lesquelles chaque groupe social essaie d'imposer sa représentation du monde social comme
légitime constituent une dimension essentielle de l'étude des classes sociales.

Enfin, c’est une approche multidimensionnelle de la classe qui est développée. Entre ces classes le conflit
n’est pas une nécessité mais il existe bien des rapports de domination et des luttes, notamment pour le
contrôle du capital culturel, enjeu majeur selon Bourdieu. Les classes dominantes cherchent ainsi à imposer
leur modèle culturel et leur vision du monde aux autres classes par le biais de pratiques de distinction, pour
cela elles doivent contrôler les institutions productrices de légitimité comme l’école ou l’État. Il y a donc chez
elles une stratégie consciente de reproduction. Bourdieu tente de dépasser l’opposition entre classes réelles
et constructions du sociologue, qui distingue le réalisme marxien du nominalisme wébérien, en proposant la
notion de « classes virtuelles ». Celles-ci, construites par le sociologue peuvent néanmoins prendre corps à
travers un processus de mobilisation et de représentation, ce qui semble être observable pour la classe
dominante. En ce sens, la définition des classes elle-même est perçue comme un enjeu dans la lutte que se
livrent les classes.
B – Peut-on parler d’une disparition des classes sociales aujourd’hui ?
1 – Comment peut-on appréhender la structure de classes ?
a) – Les principes de construction des PCS
1. En France, pour mesurer la stratification sociale, l’Insee propose un classement de la population française en
groupes socioprofessionnels (GSP). Ce sont des groupes statistiques de professions socialement proches.
Ces catégories présentent une certaine homogénéité sociale. Les individus, qui les composent, sont
supposés « entretenir des relations entre eux, avoir des comportements et des opinions analogues et se
considérer comme appartenant à la même catégorie ».
2. Les «professions et catégories socioprofessionnelles» (PCS) sont donc une construction statistique de l’Insee
réalisée en 1950 pour étudier les modifications des comportements sociaux induits par le changement de la
structure sociale. L'Insee cherche à regrouper les individus qui ont des métiers ou des professions
socialement proches. Ceci suppose que ces individus aient :
 Une homogénéité sociale : on suppose que ces personnes ont des pratiques sociales identiques (modèles de
consommation, comportements culturels, opinions politiques…) et qu’elles entretiennent des relations :
relations professionnelles, relations de voisinage, relations amicales, éventuellement de mariage, etc.
 Un sentiment d’appartenir à la même catégorie sociale : ces personnes doivent témoigner d’un certain
sentiment d’appartenance recueillant, si possible, l’assentiment des autres membres du groupe : « je me
considère comme ouvrier, et les personnes de ce même groupe me considèrent effectivement comme tel ».
 Une reconnaissance de leur statut socioprofessionnel par les autres individus : les autres groupes sociaux
reconnaissent que cet individu appartient bien à tel groupe.
Ainsi, une caissière, une vendeuse, une aide soignante vont être rangée dans la catégorie des employés
parce qu’elles effectuent un travail salarié d’exécution dans le secteur des services.
3. Pour déterminer cette proximité sociale, l’Insee, part de la profession de l’individu (pour la population active)
ou de la « personne de référence du ménage » (pour l’étude des ménages) et utilise cinq critères principaux :





Le statut professionnel qui distingue les indépendants des salariés. Un artisan maçon sera classé
dans les artisans, commerçants et chefs d'entreprise alors qu'un maçon sera classé dans les ouvriers.
Le secteur d’activité qui sépare les activités agricoles (liées à la terre), les activités industrielles
(production de biens non agricoles) et les activités de services. Un ouvrier produit des biens non
agricoles alors qu'un employé produit des services.
Le niveau de qualification, en partie donné par le niveau de diplôme requis pour obtenir une place
dans la hiérarchie de l’entreprise. Un ingénieur fait partie des cadres supérieurs parce qu'il est recruté
à Bac + 5 ans alors qu'un technicien fait partie des professions intermédiaires car il a un bac + 2 ans.
La place hiérarchique qui est donnée par la taille de l’entreprise pour les indépendants, et par la
distinction postes d’encadrement et postes d’exécution pour les salariés. Un artisan est à la tête
d'une entreprise de moins de 10 salariés alors qu'un industriel peut diriger une entreprise de plus de
10 salariés. Un médecin est hiérarchiquement supérieur à une infirmière qui est elle même au dessus
d'une femme de salle...
Le type de travail : manuel ou non manuel. Un artisan est, en général, un manuel alors qu'un
commerçant est un non manuel.
Profession de la
personne de
référence
Activités
Biens agricoles
Biens non
agricoles
Services
Statut
professionnel
Salarié
Non-salarié
Niveau d’étude
Sans diplôme
Bep, Cap
Bac
Bac + 2 ou 3
Bac + 4 et plus
Niveau
hiérarchique
Petite/Grande
entreprise
Encadrement/
Exécution
Type de travail
Manuel
Non manuel
4. La nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles dite PCS, a remplacé, en 1982, celle
des CSP. Elle classe la population selon une synthèse de la profession (ou de l'ancienne profession), de la
position hiérarchique et du statut (salarié ou non). Elle comporte trois niveaux d'agrégation emboîtés :



les groupes socioprofessionnels (8 postes) ;
les catégories socioprofessionnelles (24 et 42 postes) ;
les professions (486 postes).
Dans l'ancienne classification de 1954, l'Insee retenait dix groupes codés de 0 à 9, en prenant en compte les
inactifs, et subdivisés en 39 catégories. Depuis 1982 et 2003, l’Insee détermine ainsi 6 PCS pour la population
active et 8 pour la population totale (la catégorie 7 regroupe les « retraités » et la catégorie 8 les « autres
personnes sans activité professionnelle »). Ces PCS sont le fruit d’une addition de 24 (niveau 2) ou de 42
(niveau 3) CSP, catégories socioprofessionnelles, qui regroupent elles-mêmes 497 professions. Ainsi, la
CSP69 « ouvriers agricoles » regroupe 7 « familles de professions » : des « ouvriers de l’élevage » (691b) aux
« marins pêcheurs et ouvriers de l’aquaculture » (692a) en passant par les « ouvriers de l’exploitation
forestière ou de la sylviculture » (691f). Plus précisément encore, un berger ou un garçon d’écurie sont dans
le sous-ensemble 691b alors qu’un matelot sur bateau de pêche est classé dans le sous-ensemble 692a.
b) – Les principales PCS
 PCS n° 1 = Agriculture exploitants. Un agriculteur exploitant est un indépendant à la tête d'une exploitation plus
ou moins grande qui produit des biens agricoles de façon manuelle (un viticulteur, un éleveur, un céréalier…).
 PCS n° 2 = Artisans, commerçants et chefs d'entreprises.



Un artisan est un non-salarié à la tête d'une entreprise de moins de 10 salariés qui vend ce qu'il a
produit (un boulanger, un plombier, un tailleur, un pâtissier…).
Un commerçant est un non salarié qui dirige une petite entreprise (moins de dix salariés) et qui vend ce
qu'il a acheté (un fleuriste, un commerçant en fruit et légume, un commerce de vêtement…).
Un chef d'entreprise est un salarié ou un non salarié (les PDG...) qui dirige une entreprise de plus de 10
salariés (un industriel, un gros commerçant, un PDG, un gérant…).
 PCS n° 3 = Cadres et professions intellectuelles supérieures. Un cadre ou une profession intellectuelle
supérieure regroupe des salariés et des non salariés (les professions libérales) très diplômés qui exercent des
postes de conception et de responsabilité (un médecin, un ingénieur, un juge, un professeur…).
 PCS n° 4 = Professions intermédiaires. Une profession intermédiaire est une profession en général salariée qui
est moyennement diplômés et qui se situe entre les salariés de conception et les salariés d'exécution (une
infirmière, un comptable, un technicien, un instituteur…).
 PCS n° 5 = Employés. Un employé est un salarié d'exécution qui produit des services. Cette catégorie est à
plus de 75% féminine en 2011 (une vendeuse, une secrétaire, une femme de ménage, une caissière…).
 PCS n° 6 = Ouvriers. Un ouvrier est un salarié d'exécution qui produit des biens non agricoles de façon
manuelle. Cette catégorie est masculine à plus de 80% en 2011 (un tourneur sur métaux, un chaudronnier, un
manutentionnaire dans l’industrie…).
Part de chaque profession et catégorie socioprofessionnelle dans l’emploi
5. La société évolue sans cesse et les métiers occupés également. Certains disparaissent (chiffonnier), tandis
que d’autres apparaissent (informaticien). Dans le même temps les qualifications progressent et le niveau de
diplôme requis pour un même métier ne reste pas forcément identique dans le temps. La grille des PSC
devient donc dépassée au fur et à mesure que ces changements sont plus nombreux. Un projet
d’harmonisation de la classification socio-professionnelle existe au niveau européen. Cette classification a
pour nom ESeC (European Socio-economic Classification). Le cadre théorique qui a servi à sa construction
est inspiré du « schéma de classes » de Goldthorpe. Le principe de base est que les comportements sociaux
s’expliquent par la position des individus sur le marché du travail et la relation des salariés à leurs
employeurs. Ce modèle insiste sur la continuité entre catégories et met la question professionnelle au centre
de la définition. Il s’agit de développer une grille de lecture pour des études empiriques, notamment sur la
question du vote ou de la mobilité sociale. Dans cette logique, les classes rassemblent des « professions dont
les titulaires partagent d’une manière typique des situations sur le marché et des situations de travail
largement similaires ». La situation sur le marché (« market situation ») est liée au revenu (sa source et son
niveau), au degré de sécurité offert par l’emploi et aux possibilités d’ascension professionnelle. Il existe deux
idéaux types extrêmes de la relation d’emploi :
 Une relation type « contrat de travail » : dans cette relation tout est entièrement définit : contenu de
l’emploi, conditions d’exercice, rémunération.
 Une relation de service : le salarié dispose d’une plus grande autonomie. Entre ces ceux extrêmes
existe tout un continuum de situations. C’est donc la relation entre le salarié et son employeur qui sont
au centre de l’analyse.
L’avenir de la grille des PCS est lié à l’avancée du projet ESeC : aucune rénovation de la grille française ne
sera probablement entreprise tant que la grille européenne ne sera pas définitivement établie, même si cette
dernière peine à s’imposer faute de consensus.
c) – L’évolution de la structure sociale par CSP
1. La comparaison au cours du temps est rendue difficile par le fait que les PCS/CSP ont connu des
modifications de dénomination et de frontières en 1982 et 2003. Les principales modifications ont consisté à :
 Reclasser certaines CSP : les salariés agricoles sont passés des agriculteurs exploitants à la CSP ouvriers,
les journalistes sont passés de cadres moyens à cadres supérieurs, les contremaîtres sont passés de la CSP
ouvrier à celle de professions intermédiaires, le clergé est passé d'une catégorie à part à celle de professions
intermédiaires, le personnel de service, qui avait sa propre CSP, est reclassé dans les employés.
 Changer la dénomination et la composition des « cadres moyens » qui sont devenus des professions
intermédiaires.
2. En 57 ans (1954-2011), la structure socioprofessionnelle de la population active a profondément changé. On
peut constater :



La diminution de la part des indépendants au profit de celle des salariés. En 1954, les agriculteurs, les
artisans, les commerçants, représentaient un actif occupé sur 3 ; de nos jours moins d’un emploi sur
10 (8,5% des emplois en 2011).
L’augmentation des emplois de salariés d’encadrement et de professions libérales. Les cadres et les
professions intermédiaires représentaient plus de 2 emplois sur 5 en 2011 (42,0%) contre un emploi
sur 8 en 1954.
La stabilité de la part des emplois de salariés d’exécution qui représentent toujours la moitié des
actifs. En 1954, plus d’un actif occupé sur 3 était un ouvrier et moins d’un actif occupé sur 5 un
employé. De nos jours, les ouvriers ne forment plus qu’un actif sur 5 et les employés plus d’un actif
sur 4.
Evolution de la structure sociale en PCS en France
PCS/CSP en %
1954
1975
2011
1 – Agriculteurs exploitants
20,7
7,8
2,0
2 – Artisans, Commerçants, Chef d’entreprise
12,0
8,1
6,5
3 – Cadres et professions intellectuelles supérieures
2,9
7,1
17,6
4 – Professions intermédiaires
10,8
16,0
24,4
5 – Employés
16,1
23,5
28,3
6 – Ouvriers
37,5
37,5
21,1
Total
100
100
100
3. On peut donner plusieurs explications à cette évolution de la structure sociale de la population active occupée
française.
 La diminution progressive des indépendants a deux raisons principales :


Les nouvelles méthodes de production agricole (tracteurs, engrais) ont permis d’augmenter la
productivité beaucoup plus vite que la demande de produits agricoles. Il n’est plus nécessaire d’avoir
beaucoup d’agriculteurs pour satisfaire aux besoins alimentaires de la population. Les exploitations se
sont donc concentrées pour affronter la concurrence.
Les artisans et les commerçants ont subi la concurrence des grandes entreprises et des grandes
surfaces qui bénéficient d’économies d’échelle et peuvent vendre moins cher que les petits
indépendants.
 La forte progression des emplois de cadres et de professions intermédiaires a trois raisons principales :



Le progrès technique exige des salariés de plus en plus qualifiés pour concevoir, entretenir et
maîtriser les nouvelles technologies. Les ingénieurs, les techniciens et les métiers d’expertise ont
connu une très forte expansion en 55 ans. Leur nombre a été multiplié par 9.
La taille des entreprises et des administrations s’est agrandie à la suite de mouvements de
concentration et du développement des services de l’Etat. Il faut donc embaucher un personnel
d’encadrement de plus en plus important pour diriger et contrôler tout le personnel de ces
bureaucraties privées et publiques.
La formation de ces salariés qualifiés a obligé l’Etat à recruter un nombre croissant d’enseignants du
secondaire et du supérieur (leur nombre a été multiplié par 9), qui font partie des professions
intellectuelles supérieures.
 On peut donner deux explications à la tertiairisation des emplois de salariés d’exécution :


La mise en place de procédés automatiques de production a augmenté la productivité des ouvriers ce
qui a permis de satisfaire la demande avec moins d’ouvriers. Par ailleurs, la délocalisation de certains
emplois d’ouvriers peu qualifiés a accentué ce phénomène.
La demande de services a augmenté beaucoup plus vite que la demande de biens. Or, la production
de services n’est pas toujours mécanisable. Il faut donc recruter plus d’employés pour produire plus
de services.
d) – Les PCS ne sont pas des classes sociales
1. L'utilisation des PCS dans l'analyse des classes sociales est une tentation permanente du sociologue. Elles
offrent un ensemble statistique commode et riche en information. L'Insee propose ainsi de considérer que les
cadres et professions intellectuelles supérieures peuvent représenter les « classes supérieures », les patrons
de l'industrie et du commerce et les professions intermédiaires, les « classes moyennes », et les ouvriers, les
employés et les agriculteurs les « classes populaires ».
2. Pourtant, les PCS présentent un certain nombre de limites dans l'analyse des classes sociales :
ère
 1 limite : Le classement des métiers dans une PCS contient toujours une part d'arbitraire. Ainsi, un
manutentionnaire qui convoie des palettes sera considéré comme un employé s'il travaille dans un
supermarché et comme un ouvrier s'il travaille dans une usine. Un boucher salarié, qui était considéré comme
un employé avant 1982, est désormais dans la catégorie « ouvrier » (métier manuel). Les « zones frontières »
entre deux CSP peuvent être plus ou moins peuplées.
 2ème limite : Les PCS peuvent être hétérogènes socialement du point de vue des classes. Ainsi, un petit
commerçant figure dans la même PCS qu'un grand industriel alors qu'ils n'ont ni le même pouvoir
économique, ni la même position sociale, ni les mêmes pratiques culturelles. Classes sociales et PCS ne se
recouvrent pas. Il faut opérer d'autres regroupements pour passer des CSP aux classes sociales. Ainsi, la
Bourgeoisie n’apparaît pas en tant que telle dans les PCS.
 3ème limite : La position sociale ne se limite pas à la profession occupée. L’Insee donne une vision de la
structure sociale limitée à la sphère professionnelle. Or, la position sociale d’un individu peut dépendre
également d’autres critères plus socioculturels (vie familiale, vie publique…). De plus, le critère de la
profession est de plus en plus insuffisant pour représenter la société à l’heure où la part des emplois
atypiques (CDD, intérim, contrats aidés) tend à augmenter et où le chômage frappe durablement ou à
répétition de plus en plus d’actifs. Un ouvrier intégré dans une grande entreprise n'a pas la même situation
sociale qu'un jeune ouvrier précaire d'une PME.
 4ème limite : La classification de l'Insee n'est que le reflet de la structure sociale de la société française à un
moment donné de son histoire. Son application à d'autres sociétés industrielles est difficile (le terme de
« cadre » n'a pas d'équivalent en GB ou en Italie). De même, la distinction ouvrier/employé, qui était nette au
début du XXème siècle (l’opposition entre les «cols bleus » et les « cols blancs »), a perdu une partie de sa
signification à la fin du siècle sous l'effet de l'automatisation, de l'informatisation et de l'amélioration de la
condition ouvrière. Enfin, les conflits catégoriels et de classe peuvent modifier la place d'une profession dans
une CSP (les instituteurs qui deviennent des "professeurs d'école"), ce qui oblige l'Insee à modifier de temps
en temps sa classification.
ème
 5
limite : Les PCS ne nous disent rien sur les relations sociales qu'entretiennent ces différents groupes
sociaux. La hiérarchie entre les groupes ne peut être établie que pour les salariés. Les relations de
domination, de coopération ou de complémentarité entre les groupes sont occultés. Ainsi, en établissant la
PCS à partir de la profession du chef de famille, on occulte la profession du conjoint. Une employée de
bureau mariée à un médecin ne connait certainement pas le même univers social que l'employée de
commerce mariée à un ouvrier, par exemple. En conséquence, les PCS donnent une certaine image de la
structure sociale mais elles ne nous donnent pas de renseignement sur la stratification sociale.
 6ème limite : L'appartenance de classe n'est pas donnée par une CSP : l'appartenance à un métier, à un
moment donné, ne nous dit pas quelle est l'origine sociale de l'individu (la position sociale de sa famille et de
sa parenté), l'origine sociale de son conjoint (une employée peut être mariée à un cadre ou à un ouvrier, ce
qui modifie sa position de classe) et quelle est sa trajectoire sociale (en ascension ou en régression). La seule
analyse des CSP ne permet donc qu'une approche sommaire de la logique d'ensemble des comportements
de classe. Tous les cadres supérieurs ne font pas partie de la Bourgeoisie, certains artisans sont très
influencés par leur origine ouvrière...
e) – Les PCS sont souvent utilisées pour analyser la structure des classes sociales
1. Pourtant, la plupart des sociologues utilisent, pour des raisons de temps et d'argent, les CSP comme
instrument d'analyse des classes sociales. Louis Chauvel donne trois arguments à cette utilisation :
 Les critères de constitution des PCS sont assez proches de ceux des classes sociales (caractéristiques
semblables, la conscience d’appartenance, la place occupée dans la production…) ;
 Les données de l’Insee permettent d’avoir une connaissance de l’évolution de la structure sociale à long
terme et sur les pratiques sociales de caque catégorie. Ainsi, 57% des cadres lisent plus de 10 livres dans
l'année en 2008 contre 18% des ouvriers. De même, 71% des cadres sont propriétaires de leur logement en
2006 contre 49% pour les ouvriers. On peut ainsi dégager les inégalités de mode de vie entre les différentes
classes sociales.
 On peut essayer de reconstituer les classes sociales à partir des données fournies sur les PCS. Il y a
cependant certaines ambiguïtés, qui font dire à Louis Chauvel que les PCS permettent de traiter des classes
sans en prononcer le mot. Les PCS assemblent des individus qui ont des perspectives comparables et des
caractéristiques sociales reconnues comme proches : on renoue donc avec la notion de styles de vie de
Weber. De plus, elles utilisent les conventions collectives pour appliquer des équivalences entre professions,
ce qui renvoie aux perceptions collectives que les groupes professionnels ont d’eux-mêmes et participe à la
validation de ces représentations, ce qui les rapproche de la notion de conscience de classe de Marx.
2. Les PCS représentent un outil indispensable pour connaître la structure sociale de la société française et son
évolution. Ainsi, l’évolution de la structure des groupes socioprofessionnels révèle les transformations socioéconomiques de la société française au cours des cinquante dernières années : tertiairisation, extension du
salariat, montée des qualifications.
3. De nombreuses études, enquêtes et sondages sont construits à partir de la nomenclature des PCS : l’étude
de la répartition des revenus, l’étude de la consommation, l’analyse du vote politique, l’étude de l’homogamie,
de la mobilité sociale… Les très nombreuses études conduites à partir des PCS permettent d’obtenir une
information assez fiable : quel que soit l’indicateur considéré, montant du revenu, taux de mortalité infantile,
degré de satisfaction dans l’existence, inscription sur les listes électorales, le classement est toujours le même
(il peut être inversé mais l’ordre est conservé, les cadres supérieurs peuvent être au premier ou au dernier
rang, mais alors les ouvriers sont au dernier ou au premier rang).
Position des professions dans l’espace social à partir du niveau de diplôme et du niveau de revenu
2 – Les classes sociales semblent disparaître
a) – La société s’est moyennisée pendant les Trente glorieuses
1. La sociologie américaine (Warner, Nisbet) considérait déjà, dans les années 1930, que les classes sociales
n’étaient qu’une superposition de strates, différenciées par les conditions de vie et le prestige, mais non
antagoniques. Avec l’enrichissement des Trente glorieuses, ces sociologues ont fini par considérer que les
classes sociales avaient disparu ou s’étaient regroupées dans une vaste classe moyenne. Il existe trois
façons de définir les classes moyennes :
Les trois façons de définir les classes moyennes
 Une définition subjective : font partie des classes moyennes, toutes les personnes qui déclarent y
appartenir. Dans ce cas, les deux-tiers de la population en fait partie.
Sentiment d’appartenance aux classes moyennes
66
50
44
40
27
30
22
21
20
5
10
6
3
2
Aisés
Privilégiés
0
Défavorisé
Classe
populaire
Classe
moyenne
inférieure
Classe
moyenne
supérieure
 Une définition économique : font partie des classes moyennes tous les ménages dont les revenus se
situent entre 0,75 fois et 1,25 fois (Ocde) ou 1,5 fois (Credoc) le revenu médian. Là encore, près de la
moitié de la population en ferait partie.
(Source : le Credoc mars 2009)
 Une définition sociologique : on regroupe les catégories sociales intermédiaires entre les salariés de
direction et d’encadrement (cadres supérieurs) et les salariés d’exécution (ouvriers, employés) aux
quels ont ajoute les artisans et les petits commerçants. On obtient alors près de 30% de la population.
Le poids des classes moyennes dans la population active occupée
2. Plusieurs arguments confortent la thèse de la moyennisation :
 1ère explication : la moyennisation est le fruit de l’enrichissement de la population et de la réduction des
inégalités. En France, malgré la crise, le pouvoir d’achat moyen progresse. Entre 1979 et 2009, le revenu
disponible brut moyen par ménage a augmenté de 46%. En 2009, le niveau de vie moyen des classes
moyennes s’élève à 1 806€ par mois pour une personne ; il était de 1 287€ par mois en 1979 à prix constant.
Il en est de même dans les autres pays d’Europe. On constate une corrélation positive entre le niveau de vie
des populations et l’importance en leur sein des classes moyennes. Les pays nordiques, la Suisse, l’Autriche,
la Belgique, la France ont un niveau de vie au dessus de la moyenne européenne et les classes moyennes y
sont plus importantes qu’ailleurs (les pays anglo-saxons font exceptions).
 2ème explication : l’Etat-providence en redistribuant les revenus a favorisé les classes moyennes. Ces résultats
invitent à revisiter l’idée selon laquelle les classes moyennes seraient les grandes perdantes du système
socio-fiscal. On entend parfois dire qu’elles seraient « trop riches pour bénéficier des aides sociales, mais
suffisamment aisées pour payer des impôts ». Or, une partie importante des populations précaires rejoignent
les classes moyennes grâce aux prestations sociales dont elles bénéficient tandis que la progressivité de
l’impôt limite les écarts de niveau de vie entre les classes moyennes et les hauts revenus. La répartition des
revenus après redistribution est donc plus ramassée autour de la médiane qu’elle ne l’est avant les
prélèvements fiscaux et sociaux et le versement des prestations sociales.
Cela explique pourquoi dans les pays anglo-saxons, où le taux de prélèvements obligatoires est faible et les
dispositifs redistributifs peu développés, les classes moyennes sont moins importantes. Par ricochet, le taux
de pauvreté est plus élevé dans les régimes non-redistributifs. Ce sont les pays où l’Etat-Providence est le
plus développé qui ont les classes moyennes les plus fournies car les prestations sociales permettent à des
catégories modestes d’entrer dans la sphère économique des classes moyennes.
 3ème explication : La réduction des inégalités et l’enrichissement de la population ont aboutit à une
harmonisation des modes de vie (l’ « american way of life ») qui se caractérise par :

Une uniformisation des modes de vie. On commence vers la fin des années 1960 à parler
« d’embourgeoisement de la classe ouvrière », car beaucoup d’entre eux vont pouvoir faire l’acquisition
des équipements de base du foyer (à l’époque, la norme de consommation comprend le réfrigérateur,
la télévision, la machine à laver, la salle de bain et, bien sûr, l’automobile) et consommer les mêmes
biens et services que les couches sociales plus aisées. Mais la classe moyenne impose également ses
valeurs et ses besoins au reste de la société : le mode de vie de la classe moyenne, d’abord marqué
par le refus des origines populaires et l’imitation de la culture bourgeoise, se développe également de
manière autonome et originale.
Ecart entre le taux d’équipement des cadres et celui des ouvriers
La démocratisation de l’école et la tertiairisation se seraient accompagnés d’une diffusion des savoirs et
des pouvoirs au sein de l’entreprise. Les employés, les professions intermédiaires et les cadres seraient
beaucoup plus proches socialement que l’ouvrier et l’ingénieur du temps de l’industrialisation
triomphante. Des pratiques de consommation spécifiques peuvent être également identifiées –
notamment l’importance accordée aux biens culturels. Ces couches intermédiaires auraient par ailleurs
un rapport à l’espace public et urbain particulier : regroupement dans des lotissements à la périphérie
des villes ou occupation d’espaces urbains jusque-là populaires.

 4ème explication : La forte progression des salariés intermédiaires. Ni paysans, ni patrons, ni ouvriers (ou
« cols bleus » selon la terminologie anglo-saxonne), ceux qu’on appelait autrefois les « cols blancs » ou
employés ou les collaborateurs sont aujourd’hui regroupés dans trois PCS : employés de bureau,
professions intermédiaires et cadres non dirigeants. Alors qu’ils ne représentaient que 15% de la population
active en 1936, ils en forment plus de la moitié dans la France contemporaine.
 Ce sont les cadres qui ont connu l’expansion la plus rapide : d’environ 500 000 en 1954 (recensement) à 4,3
millions en 2010, ils sont passés de 4,5% à 16,7% de la population active aujourd’hui. On y regroupe
l’ensemble des professions intellectuelles supérieures, y compris les professions libérales : ingénieurs et
cadres d’entreprise, journalistes et professeurs, médecins, avocats, architectes, cadres administratifs. Une
partie de ces cadres qui n’ont pas de fonction de direction ou qui n’encadrent pas vraiment font partie des
classes moyennes (au moins la moitié d’entre eux).
 Les professions intermédiaires regroupent des professions un peu moins diplômées et situées à un niveau
inférieur de la hiérarchie des entreprises et des administrations. Les plus gros contingents de ce groupe sont
fournis par les techniciens et agents de maîtrise, les professions de la santé (infirmiers, kinésithérapeutes,
etc.) et du travail social (éducateur, assistante sociale, etc.), les enseignants du primaire : au total, 24,4% de
la population active en 2010 contre 10,7% en 1954.
 Les employés, au sens strict, désignent les salariés qui effectuent des tâches d’exécution dans les fonctions
administratives et commerciales, auxquels s’ajoutent les policiers et militaires ainsi que les fonctions de
service aux personnes (coiffeurs, esthéticiennes, etc.). Ce groupe est devenu le plus nombreux de la
nomenclature : de 3 millions (16,1%) en 1954 à 7,4 millions (28,9%) en 2010, devant les ouvriers qui
regroupent encore plus de 5,4 millions de personnes.. On peut considérer que les employés les plus qualifiés
et les mieux rémunérés font également partie des classes moyennes car ils sont proches des professions
intermédiaires.
ème
 5
explication : La mobilité sociale se serait accrue. Elle serait au cœur des stratégies des classes
moyennes. Ces dernières développeraient un rapport particulier à l’éducation, l’école étant perçue comme
un moyen d’ascension sociale efficace.
 6ème explication : Cette convergence des modes de vie s’accompagnerait donc de l’émergence d’un
système de valeurs commun que les sociologues appellent le libéralisme culturel :





tolérance à l’égard de comportements autrefois jugés déviants (union libre par exemple) ;
repli sur la sphère privée (individualisme) ;
valorisation du bonheur individuel et familial (hédonisme) ;
exigence d’un traitement égal des personnes (égalitarisme) ;
revendication de la liberté de choix de son style de vie, etc.
En conséquence, on assiste à une individualisation des modes de vie. Car si tout le monde est « moyen »,
en effet, plus personne ne l’est : c’est la logique de la moyennisation. Il faut donc rechercher des clivages
ou des différences sociales ailleurs, du côté de la culture par exemple, et peut-être, de manière un peu
simpliste, des pratiques de consommation. Les individus cherchent ainsi à se distinguer, à afficher leur
identité à travers le choix de certains biens de consommation : la consommation est ostentatoire, c’est-àdire montrée publiquement, pas seulement pour symboliser une appartenance sociale (la différence entre «
Eux » et « Nous ») mais surtout pour affirmer une identité individuelle (« Toi, c’est Toi », mais « Moi, c’est
Moi ») : c’est la notion de style de vie, développée par les professionnels du marketing, qui tient peut-être le
mieux compte de cette individualisation des modes de vie.
 7ème explication : en conséquence, les individus perdraient progressivement leur conscience de classe au
profit d’un individualisme positif. L’appartenance de classe ne dicterait plus les conduites. C’est la raison
pour laquelle la conflictualité de classe diminuerait comme semble le montrer la baisse du taux de
syndicalisation et la baisse des conflits du travail.
Déclarations d’appartenance à une classe sociale selon la PCS
3. Henri Mendras, dans « La seconde révolution française » (1984) va utiliser deux critères pour montrer
l’importance de la moyennisation dans la société française : le niveau des revenus et des patrimoines et le
niveau des diplômes. Cela lui permet d’avoir une « vision cosmographique » de la société avec 5
« constellations sociales ».
L’image de la toupie révèle une société capable de réduire les inégalités et de produire de la mobilité sociale.
Il distingue six groupes sociaux :
 Une constellation populaire qui réunit la moitié de la population. Elle est constituée d’ouvriers et d’employés
aux revenus et aux diplômes faibles mais qui échappent à la pauvreté. Ce groupe a rejoint le centre de la
toupie, c’est-à-dire les classes moyennes.
 Une constellation centrale se trouve au dessus de la constellation populaire. Elle regroupe un quart de la
population. Elle est constituée de personnes ayant des revenus moyens mais des diplômes relativement
élevés.
 Les indépendants sont à la périphérie. Ils représentent 15% de la population. On y retrouve des artisans et
des petits commerçants peu diplômés et des industriels et des professions libérales très diplômés. Les
revenus de ce groupe sont plus élevés que la moyenne.
 En bas de la toupie, on trouve les pauvres (7% de la population), issus des milieux populaires, qui n’ont ni
diplôme ni revenus suffisants pour appartenir aux classes moyennes.
 Au sommet, on a les dirigeants économiques et politiques (3% de la population) dont les revenus et les
diplômes sont très élevés. Ils sont enviés par les classes moyennes.
Ainsi, la diffusion des savoirs et la redistribution des revenus conduiraient à une homogénéisation de la société
autour de sa moyenne – mesurable à la fois au niveau économique, social mais aussi culturel avec l’idée de la
diffusion des comportements et des modes de vie. Ainsi, on retient la définition du Credoc, en France, en 2009, un
individu qui gagne entre 1 220€ et 2 620€ (2 440e et 5 240€ pour un couple avec 2 enfants), soit entre 70% et
150% du revenu médian fait partie des classes moyennes. Cette présentation d’une société française fluide a
conduit progressivement à parler de « déclin » des classes sociales, puis à abandonner toute référence à cette
notion.
D’après Henri Mendras, c’est le rite du barbecue, venu d’outre-Atlantique et diffusé dans les années 80 en
France, qui symbolise le mieux cette convergence des valeurs et des comportements sociaux. Autour du
barbecue, en effet, à la faveur d’une belle soirée d’été, les inégalités sociales disparaissent : l’ingénieur attise le
feu pendant que l’ouvrier surveille la cuisson de sa brochette, les hommes servent les grillades pendant que les
femmes discutent « métier » ou « loisirs », les enfants du directeur jouent avec ceux de la concierge. Tout le
monde abandonne son rôle social pour se retrouver autour du feu et du repas, dans le jardin ou un coin de nature,
à partager un moment de loisir dans la bonne humeur.
b) – L’éclatement de la classe ouvrière
1. La classe ouvrière est la première à connaître ces mutations. Depuis le XIXe siècle, les ouvriers semblaient
former un groupe social homogène. Ils présentaient un certain nombre de traits spécifiques : un travail
manuel, salarié, d'exécution, productif de biens industriels, et une position hiérarchique au bas de l'échelle
sociale (les « cols bleus » opposés aux « cols blancs »). Au-delà de cette place spécifique dans le système de
production, la classe ouvrière avait une forte conscience d’elle-même entretenue par une « culture ouvrière »
et des organisations syndicales et politiques défendant ses intérêts (la CGT, le PC…). Enfin, l’hérédité des
positions était forte. Le destin des enfants d’ouvriers se bornait aux horizons de la classe.
2. Depuis les années 1970, la classe ouvrière a connu de profondes transformations :
 Tout d’abord, on a pu parler d’une déprolétarisation de la classe ouvrière que l’on a pu repérer à partir d’un
certain nombre d’indicateurs :

D’une part, l'enrichissement de la population et les nouvelles conditions de travail ont fait basculer une
partie des ouvriers qualifiés (contremaîtres…) et des employés (de bureau) dans les classes
moyennes. L’accès à la consommation de masse, à la propriété du logement, le développement du
travail féminin, la baisse de la fécondité seraient les indicateurs de cette moyennisation de la société.
On commence vers la fin des années 1960 à parler « d’embourgeoisement de la classe ouvrière »,
car beaucoup d’entre eux vont pouvoir faire l’acquisition des équipements de base du foyer (à
l’époque, la norme de consommation comprend le réfrigérateur, la télévision, la machine à laver, la
salle de bain et, bien sûr, l’automobile) et consommer les mêmes biens et services que les couches
sociales plus aisées.

D’autre part, l’extension de la protection sociale et des filets protecteurs en matière de salaire (Smic,
mensualisation du salaire en 1970) conjugués avec le plein emploi ont éloigné les ouvriers de la
précarité. L’extension du CDI, le partage équilibré des gains de productivité selon les principes de la
« norme fordiste » et les acquis des luttes sociales ont permis d’intégrer la classe ouvrière à la société
capitaliste. Le déclin progressif du Parti communiste et des syndicats révolutionnaires est le signe de
cette perte de culture de classe et d’homogénéité de la classe ouvrière.

Enfin, l’école semble s’être démocratisée, ce qui ouvre des perspectives de mobilité sociale aux
enfants d’ouvriers. 5% des enfants d’ouvriers nés entre 1939 et 1948 accédaient au baccalauréat.
50% de ceux nés entre 1980 et 1984 y accèdent. L’écart avec les enfants de cadres qui étaient de 65
points pour la génération des années 1940 n’est plus de 40 points de nos jours. l'hérédité des
positions est ébranlée. La diminution du nombre d'emplois ouvriers et la scolarisation croissante
obligent les enfants d'ouvriers à trouver un emploi en dehors de leur milieu social. 1% des fils
d'ouvriers devenait cadre supérieur en 1953, 6% en 1977 et 10% en 2003, ce qui témoigne d'une
mobilité sociale ascendante. L’idée de Tocqueville, selon laquelle les sociétés démocratiques
permettent « l’égalité des conditions », semble se réaliser.
 Ensuite, un certains nombre d’éléments ont pu faire penser au déclin de la classe ouvrière :

La place qu'occupe la PCS ouvrier dans la population active s'est amoindrie. Le nombre d'ouvriers est
passé de 8 millions en 1975 à moins de 6 millions en 2009. Le ralentissement de la demande de
produits industriels et la concurrence des pays émergents a poussé les firmes à automatiser les
chaînes, à délocaliser leurs usines, et à transférer une partie des tâches (entretien, gardiennage,
manutention...) à des entreprises de services sous-traitantes afin de diminuer leurs coûts de
production et de rester compétitive. En conséquence, les ouvriers représentent moins d’un quart des
actifs contre plus d’un tiers dans les années 60.

En conséquence, la place des ouvriers dans le processus de production s'est modifiée. La spécificité
du travail ouvrier s'effrite. L'ouvrier ne peut plus s'identifier totalement à l'industrie puisque les 2/5ème
des ouvriers travaillent dans le tertiaire. Il ne peut plus s'identifier non plus à un travail manuel répétitif
car l'automatisation et les nouvelles formes d'organisation du travail (Toyotisme) substituent aux
tâches manuelles des tâches d'entretien et de contrôle. Un tiers seulement des ouvriers ont des
tâches de fabrication. Les ouvriers sont devenus des « opérateurs » et la logistique l’emporte sur la
fabrication. Enfin, ce n’est plus le travail collectif qui est comptabilisé mais la performance individuelle.

A cela s’ajoute la disparition des « bastions ouvriers ». Les grandes industries ont réduit leur taille
voire ont disparu (le charbonnage). Les ouvriers sont de plus en plus dispersés dans des PME ce qui
diminue la conscience d’appartenir à un collectif de travail.

La crise a également provoqué un « éclatement » de la classe ouvrière. La politique de flexibilisation
des emplois a conduit les économistes à distinguer deux types d'ouvriers :
o « L'aristocratie ouvrière », constituée d'hommes qualifiés, intégrés au mode de consommation
capitaliste, protégés efficacement par les syndicats et bénéficiant de l'attention patronale.
o Les « ouvriers précaires » (intérimaires, stagiaires, CDD...), constitués de jeunes, de femmes
et d'immigrés peu qualifiés et peu payés, qui servent à diminuer les coûts et à faire face aux
variations de l'activité.

Cette division de la classe ouvrière par sexe, par âge, par nationalité, par statut, remet en cause
l'unité du mouvement ouvrier, sa capacité à réagir politiquement. Il est de plus en plus difficile de
mobiliser et de syndiquer une main d'œuvre aussi diverse et instable. Le taux de syndicalisation et le
nombre de jours de grève diminue fortement depuis la crise. De même, la représentation politique des
ouvriers s'est fortement éparpillée : les deux tiers des ouvriers votaient à gauche en 1981, moins de la
moitié de nos jours. Désormais, des travaux sociologiques sur le vote ouvrier montrent une dispersion
croissante des pratiques de ce groupe (notamment en faveur du FN). Les ouvriers n’ont plus la
conscience d’appartenir à un même groupe social.
c) – Les comportements seraient de moins en moins dictés par les classes sociales
1. Le clivage de classe n’est pas le seul clivage marquant de notre société. Il existe également de nombreuses
inégalités entre hommes et femmes, en fonction de la couleur de peau, de la zone d’habitat ou de l’âge. En
effet, la société moderne est caractérisée par une montée de l’individualisme au sens sociologique du terme :
l’individu s’affranchie de plus en plus de son groupe social d’origine ou d’appartenance. Il devient un
« Homme pluriel » (Bernard Lahire), multiplie des « expériences » (François Dubet) et échappe ainsi de plus
en plus aux comportements prévisibles dictés par son appartenance de classe. Un profil culturel « dissonant »
se caractérise par le fait de pratiquer une activité culturelle ou un loisir « inattendu » par rapport à son milieu
social d’origine (le professeur agrégé de philosophie qui regarde la « Star Academy »).
 Les différenciations de genre peuvent brouiller les frontières de classe. Les sociologues distinguent le sexe
qui permet de différencier les hommes et les femmes en fonction de leur physiologie et le genre qui peut être
qualifié de « sexe social ». En effet, les femmes subissent des inégalités économiques (moindre salaire à
qualification égale) et sociales (partage des tâches domestiques inégalitaire, domination masculine…) et des
discriminations dans l’emploi (importance du travail à temps-partiel subi, contrats précaires…). Les
revendications féministes concernent l’ensemble des femmes quelque soit leur appartenance sociale. Ces
revendications ont souvent été mal relayées par les syndicats et les partis politiques dominés par les
hommes. D’où la prise de conscience d’une partie des femmes de cette domination et la construction de leur
identité en dehors de l’appartenance de classe.
 Les inégalités intergénérationnelles se sont creusées. Le pouvoir et la richesse sont concentrés dans les
mains des plus âgés. Certains sociologues pensent que les conflits de génération tendent à remplacer les
conflits de classe. Louis Chauvel dans « Le destin des générations » (2010) il souligne en particulier les
risques de déclassement scolaire et social des générations nées à partir de 1950-1955, qui font face à un
déclin du rendement des titres scolaires, une baisse du pouvoir d'achat, une croissance des inégalités
intergénérationnelles et un déclin de la représentation politique. En conséquence, les jeunes générations
n’auraient pas les mêmes intérêts à défendre que les anciennes ce qui les détacherait de leur classe sociale
d’appartenance.

Enfin, les discriminations et les inégalités liées à l’origine produiraient un repli sur des identités ethniques. Les
jeunes d’origine immigrée ne se définiraient plus par leur appartenance de classe mais par leur culture
d’origine, en particulier religieuse. Ceci a pu être favorisé par la ségrégation spatiale. Ces populations fragiles
ou exclues (chômage plus important que la moyenne, échec scolaire, désunion des familles) se concentrent
dans les mêmes quartiers, alors que ceux qui sont un peu plus favorisés quittent les lieux. Cela aboutit à une
absence de mixité sociale, à une ghettoïsation, renforçant les préjugés négatifs à l’encontre de ces
populations.
2. Les années 1970 marqueraient donc la fin d’une société holiste où l’appartenance de classe est un puissant
prédicteur des styles de vie et des engagements religieux ou politiques. Les instances traditionnelles de
socialisation (famille, religion, travail) voient leur influence s’effriter au profit de l’Ecole, du marché (la
consommation de masse) ou des médias. Dans les pays industrialisés, les sociétés sont aujourd’hui
composées d’individus aux identités plurielles (genre, classe sociale, génération, religion…), l’appartenance à
un groupe est de moins en moins revendiquée, les individus défendent jalousement leur autonomie vis-à-vis
de leur famille, des communautés, des syndicats, des partis politiques ; la démocratie (la liberté) a reconfiguré
le lien social : les liens forts et imposés par le groupe ont cédé la place à des liens souples et choisis, à une
société en réseaux. Il devient donc plus difficile de distinguer les classes sociales entre elles, on pourra parler
de « brouillage de classes ».
3 – Mutation et permanence des classes sociales
a) – Le processus de moyennisation s’est arrêté
1. Le mouvement d’expansion des classes moyennes semble avoir été stoppé à partir des années 80. La
structure sociale prend alors la forme d’un « sablier » selon Alain Lipietz. Ici, la classe moyenne s'est
disloquée, une petite partie accède aux classes supérieures mais la majorité est reclassée vers les couches
populaires.
 Economiquement, l’augmentation des inégalités a arrêté le processus de rattrapage des niveaux de vie. Louis
Chauvel, dans « Le retour des classes sociales » (2000) a calculé qu’au milieu des années 50, les cadres
touchaient en moyenne quatre fois plus que les ouvriers, mais ces derniers pouvaient espérer rattraper le
salaire moyen des cadres de 1955 vers 1985, compte tenu du rythme de progression des salaires. Au milieu
des années 90, les cadres ne touchaient plus «que» 2,6 fois le salaire moyen des ouvriers, mais il fallait à ces
derniers trois siècles pour espérer arriver à ce niveau. Le temps de rattrapage entre catégories sociales a été
multiplié par dix, avec le ralentissement de la croissance. De plus, le développement du chômage et des
emplois précaires remet en cause l’intégration des jeunes générations, plus diplômées que les anciennes,
dans le mode de vie des classes moyennes. Enfin, si on retire les dépenses contraintes, on s’aperçoit que les
classes moyennes inférieurs sont plutôt proches des catégories modestes, ce qui rassemble 60% de la
population.
 Socialement, on assiste à un relatif déclassement des classes moyennes salariées. D’une part, « l’inflation
des diplômes » a entraîné leur dévalorisation marchande. Le diplôme n’est plus un sésame suffisant pour
accéder à la position de cadre et même à une position intermédiaire. D’autre part, le nombre de postes de
cadres et de professions intermédiaires a moins progressé. En conséquence, les perspectives d’ascension
sociale se sont bloquées et la peur du déclassement s’est accrue. Enfin, les cadres, en se banalisant, ont
perdu leur prestige social. Ils se sentent socialement de plus en plus éloignés des « cadres dirigeants ».
Devenir professionnel (à l’âge de 35-39 ans) des enfants d’employés et ouvriers qualifiés
L’ascenseur social est donc en panne pour les classes moyennes. Pour les générations âgées de 30 à 34
ans, tandis que le niveau de diplôme croît et que les origines sociales s’élèvent, et donc que les candidats
potentiels à l’entrée dans les classes moyennes abondent, la moitié des postes au sein des catégories
intermédiaires de statut public ont simplement disparu (suppression d’un fonctionnaire sur deux depuis 2007),
et leurs équivalents du privé ont connu une croissance trop lente pour absorber l’expansion des candidatures.
L’expérience familiale du déclassement et les cas de collègues et de voisins confrontés aux mêmes maux
diffusent l’idée que les progrès passés ne seront pas transmis à la génération à venir. Cette dégradation de
situation est aussi lue comme un effet des politiques publiques, en particulier comme la conséquence de la
structure des transferts sociaux et fiscaux. D’un côté, les prestations permettent une redistribution verticale :
les moins aisés voient leurs revenus augmenter avec les prestations familiales, de logement et des minima
sociaux. De l’autre, la fiscalité bénéficie proportionnellement davantage aux plus aisés par les dispositifs
d’allègements fiscaux. Les effets cumulés de ces transferts socio-fiscaux sont parfois représentés par une
courbe en « U ». Cette courbe, discutable, permet de mettre en évidence la situation des ménages «moyens»
: à la base du « U », ils bénéficient le moins des prestations et des réductions d’impôts, au contraire des
moins lotis et des plus aisés situés sur les branches du « U ».
 Politiquement, la croyance en un progrès continu est remise en cause. Les classes moyennes ne sont plus
porteuses d’un projet politique d’émancipation qui devait rassembler deux français sur trois selon Valery
Giscard d’Estaing.
2. En conséquence, le processus de moyennisation s’est arrêté. Le débat relatif au déclin des classes moyennes
renvoie à l’inquiétude d’une polarisation des revenus et des conséquences d’une « société en sablier ».
Effectivement, dans presque un pays d’Europe sur deux, les classes moyennes sont aujourd’hui moins
nombreuses qu’elles ne l’étaient il y a trente ans. Elles ont particulièrement diminué dans des pays de l’Est de
l’Europe (Slovaquie, République Tchèque, Pologne) et dans quelques pays du Nord (Finlande, Suède,
Allemagne et Belgique), là où elles étaient particulièrement importantes historiquement. Le malaise des
classes moyennes tient, pour une partie, à ce que les dépenses « contraintes » — et notamment celles liées
au logement — augmentent plus vite que le revenu. Le pouvoir d’achat sur lequel les classes moyennes ont
une réelle possibilité d’arbitrage se réduit comme peau de chagrin. De plus, force est de constater qu’en
trente ans, le niveau de vie des classes moyennes s’est élevé moins rapidement que pour les autres
catégories. Le niveau de vie moyen des hauts revenus a progressé de +1,4 % par an, contre +1,1 % par an
pour les classes moyennes et +1,3 % pour les bas revenus. Les classes moyennes se font distancer par les
hauts revenus et rattraper par les bas revenus. Ce phénomène n’est pas propre à la France : une étude
récente de l’OCDE confirme que, dans la plupart des pays, le fossé qui sépare les catégories aisées du reste
de la population est plus profond aujourd’hui qu’il y a trente ans.
b) – La croissance des inégalités renforce les oppositions de classe
1. A partir des années 1980, un certain nombre de sociologues (Chauvel, Boltanski, Paugham…) mettent
l’accent sur un retour de la polarisation des classes. Ils soulignent les écarts entre les situations sociales
provoqués par le jeu des inégalités et le processus de regroupement des groupes sociaux autour de pôles
opposés. Plusieurs arguments penchent pour cette thèse :
2. 1er argument : La forte progression des couches moyennes salariées cache une prolétarisation d’une partie
des employés et des professions intermédiaires qui subissent la taylorisation et le toyotisme dans leur
travail ce qui les rapproche des ouvriers. De nos jours, les ouvriers gagnent plus en moyenne que les
employés. De plus, le développement du chômage et des emplois précaires fragilisent les classes
moyennes et les rendent plus hétérogènes. Ces processus à l’œuvre tendraient vers une fragmentation
entre salariés et indépendants, secteur privé et secteur public, et vers une perte d’homogénéité entre les
plus fragiles et les plus stables de cette catégorie.
ème
3. 2
argument : Les modes de vie sont loin de s’être homogénéisé. La consommation est encore loin d’être
homogène et des différences importantes de consommation subsistent. Par exemple, le coefficient budgétaire
de l’alimentation est nettement supérieur chez les ouvriers que chez les cadres : alors que les cadres
n’utilisent que 14,2% de leur budget total à l’achat de produits alimentaires, les ouvriers y consacrent 20,2%
(ce qui ne signifie évidemment pas que les cadres dépensent moins pour l’alimentation que les ouvriers…).
Cependant, le principal écart s’observe au niveau de la consommation des services qui reste discriminante. Si
l’on compare le taux de départ des cadres et des ouvriers, on peut constater que la probabilité de départ en
vacances des cadres est 1,7 fois plus élevée que celle des ouvriers en 2010. Depuis la fin des années 1990,
les écarts pour le taux de départ en vacance se creusent selon les niveaux de vie. Parmi les couches aisées,
le taux de départ reste de l’ordre de 80 %. Pour les familles modestes le taux baisse et ne remonte pas
ensuite : il a perdu 14 points entre 1998 et 2009, de 46 à 32 %. Les écarts sont encore plus grands pour les
départs aux sports d’hiver.
4. 3ème argument : Les inégalités de consommation ne sont pas seulement économiques, elles sont aussi
culturelles. Le sociologue Pierre Bourdieu a souligné ces écarts entre les pratiques de consommation des
différentes catégories sociales. Dans un ouvrage intitulé « La distinction » (1979), il montre comment les goûts
sont déterminés par l’origine sociale des individus. Ceux-ci héritent du système de préférences et de
classement social en vigueur dans leur milieu de socialisation :
 Dans la consommation de masse, l'ouvrier se caractérise par le « choix du nécessaire » selon Pierre
Bourdieu. La faiblesse des revenus impose un goût de nécessité. Tout se passe comme si l'effort principal se
concentrait sur le maintien en bon fonctionnement du corps, seul capital à préserver, car c’est lui qui permet
de gagner sa vie dans les métiers manuels. Pour les «gens de peu» (titre de la monographie de Pierre
Sansot), la principale inégalité réside sans doute dans l'impossibilité de faire des choix en matière de
consommation. Les loisirs domestiques sont privilégiés aux dépens des sorties. L’accès à Internet des
ouvriers est bien inférieur à celui des cadres supérieurs. De même, les pratiques culturelles, liées à la «
culture savante », des ouvriers et des employés de commerce sont très limitées (visite de musée, aller au
concert…). Enfin, ils sont exclus des filières scolaires les plus prestigieuses.
 A l’opposé, les classes dominantes ont un mode de consommation caractérisé par le « luxe ». On peut donc
considérer qu’une famille qui tire l’essentiel de ses revenus de son patrimoine, qui paye l’Impôt sur la Fortune
(ISF), qui possède des résidences secondaires et du patrimoine à l’étranger, et entretien de la domesticité fait
partie de la bourgeoisie. Or, les 10% les plus riches ont un patrimoine 80 fois supérieur au 10% les plus
pauvres, qui n’ont pratiquement pas de fortune. Depuis les années 1990, les détenteurs de patrimoine ont vu
leurs revenus réels augmenter 5 fois plus vite que le pouvoir d’achat moyen des salariés. Un cadre supérieur
disposant d’un patrimoine par héritage n’a pas du tout les mêmes chances d’ascension sociale qu’un cadre
supérieur ne disposant que de son salaire. La bourgeoisie doit assurer un train de vie élevé (produits de luxe,
domesticité, réceptions...). Mais, dans son souci d’imiter la noblesse, elle a su transformer son patrimoine
productif ou de rapport, en un patrimoine de jouissance (résidences secondaires, bijoux, œuvres d’art...).
Ainsi, les « nouveaux riches » comme Bernard Arnaud ou François Pinault, investissent massivement dans
l’achat de châteaux, comprenant d’immenses parcs, d’œuvres d’art, afin de se construire une dynastie.
Types(*) de livres lus par catégories sociales (Unité : %)
Littérature
Romans
dont
policiers,
espionnage
Livres
sur
l'histoire
Mangas, Essais politiques,
Livres
comics,
philosophiques, pratiques,
bandes
religieux
dessinées
Livres
scientifiques,
techniques ou
professionnels
Autres
livres
Agriculteurs
0
33
13
5
1
Artisans,
Commerçants
21
4
20
4
31
16
10
4
12
3
19
Cadres
supérieurs
8
37
12
8
6
5
5
16
Professions
intermédiaires
5
39
11
7
4
12
4
16
Employés
4
38
12
10
2
12
2
18
Ouvriers
3
33
11
10
2
16
3
20
Ensemble
5
36
12
9
3
11
4
18
Source : Ministère de la Culture - Enquête sur les pratiques culturelles 2008, population de 15 ans et plus
 Les classes moyennes se caractérisent par l'imitation de la bourgeoisie qui possède la « vision légitime du
monde » : 1/3 des cadres vont au théâtre au moins deux fois par an contre 17% pour les professions
intermédiaires et 10% pour les employés. Cependant, ces statistiques ne précisent pas le type de pièce de
théâtre (du Claudel ou une comédie de boulevard ?). Or, les petits bourgeois privilégient les formes mineures
de la production culturelle selon Pierre Bourdieu : le jazz par rapport à l'Opéra. De même, pour Bourdieu, les
normes sexuelles prennent la forme d’un devoir (« du devoir au devoir de plaisir ») imposé par les classes
supérieures.
5. 4ème argument : Le déclin des classes populaires est contestable. L’ouvrier d’abondance ne s’embourgeoise
pas et sa déprolétarisation ne permet pas son intégration dans la classe moyenne ; les ouvriers sont
disséminés dans les rouages de la société de services. Un nouveau prolétariat apparaît : le prolétariat de
service (évolution du groupe des employés) résultant de l’hétérogénéité croissante du groupe des employés.
J.H.Goldorpe et son équipe dans « L’ouvrier de l’abondance » (1968) critiquent la thèse de
l’embourgeoisement de la classe ouvrière : au terme d’une enquête portant sur des catégories d’ouvriers
qualifiés aux salaires élevés, ils établissent que l’amélioration matérielle de leur niveau de vie n’en fait pas des
ressortissants de la middle class : ils n’en partagent ni les normes ni les goûts ni les valeurs, leur existence
reste et leurs représentations restent marquées par l’usine et le travail manuel. La « prospérité » est loin de
bénéficier de la même façon aux membres des classes populaires : une condition prolétarienne persiste aux
périphéries du monde ouvrier, partagée par les personnels de service et les ouvriers agricoles et les «
arrivants » dans la classe ouvrière. Le glissement sémantique entre « classe ouvrière » et « classes
populaires » traduit la difficulté de nommer un ensemble plus flou dont l’identité ne peut se résumer à celle
des ouvriers et dont l’homogénéité est bousculée par les transformations économiques et sociales. Olivier
Schwartz souligne que ces classes populaires ont en commun le fait d’être dominées dans l’espace social,
une difficulté d’accès à l’autonomie prônée par le reste de la société, et une culture populaire, même
partiellement désenclavée de la culture globale.
6. 5ème argument : La conscience de classe n’a pas disparu. Avec la progression des inégalités, la conscience de
classe augmente même si le sentiment d’appartenir aux classes moyennes domine.
Sentiment d’appartenance à une classe sociale 1966-2010 (En % de la population)
7. 6ème argument : La bourgeoisie reste une classe mobilisée. C’est un groupe social minoritaire qui se trouve au
sommet de la hiérarchie sociale en termes de patrimoine (classe possédante), de pouvoir (classe dominante)
et de relations sociales (la sociabilité bourgeoise).
 La propriété d’un capital économique est essentielle (actifs professionnels, terres, actifs immobiliers, valeurs
mobilières, œuvres d’art...Il permet à cette classe de tirer l’essentiel de ses revenus du patrimoine même si
les salaires des cadres dirigeants sont très élevés. Cependant, ce capital à lui seul est insuffisant pour
rendre compte de l’identité bourgeoise. Les inégalités de revenus et de patrimoine ont recommencé à
augmenter à partir des années 1980.
Part des 10% les plus riches aux Etats-Unis (en % du revenu total)
Ce sont les revenus des 1% les plus riches qui ont augmenté le plus durant ces deux décennies. Cette
progression a été plus forte dans les pays anglo-saxons (les Etats-Unis ont retrouvé un niveau d’inégalité
supérieur à celui du début du XXe siècle pour les 10% les plus riches qui s'accaparent 50% du revenu total)
qu’en France, en Allemagne ou au Japon. Ce ne sont pas les bas revenus qui ont décroché. Ce sont les
hauts revenus, et en particulier les très hauts salaires qui ont explosé. Les « working rich » ont remplacé les
rentiers du premier XXème siècle.
 Les classes dominantes ont un mode de consommation caractérisé par le « luxe ». On peut donc
considérer qu’une famille qui tire l’essentiel de ses revenus de son patrimoine, qui paye l’Impôt sur la
Fortune (ISF), qui possède des résidences secondaires et du patrimoine à l’étranger, et entretien de la
domesticité fait partie de la bourgeoisie. Or, les 10% les plus riches ont un patrimoine 80 fois supérieur au
10% les plus pauvres, qui n’ont pratiquement pas de fortune. Depuis les années 1990, les détenteurs de
patrimoine ont vu leurs revenus réels augmenter 5 fois plus vite que le pouvoir d’achat moyen des salariés.
Un cadre supérieur disposant d’un patrimoine par héritage n’a pas du tout les mêmes chances d’ascension
sociale qu’un cadre supérieur ne disposant que de son salaire. La bourgeoisie doit assurer un train de vie
élevé (produits de luxe, domesticité, réceptions...). Mais, dans son souci d’imiter la noblesse, elle a su
transformer son patrimoine productif ou de rapport, en un patrimoine de jouissance (résidences
secondaires, bijoux, œuvres d’art...). Ainsi, les « nouveaux riches » comme Bernard Arnaud ou François
Pinault, investissent massivement dans l’achat de châteaux, comprenant d’immenses parcs, d’œuvres d’art,
afin de se construire une dynastie.
Le duc de Brissac entouré de jeunes membres du Jockey Club. Crédits photo : Le Figaro Magazine
 Un réseau de relations sociales étendu (familial, amical, professionnel, politique) : la bourgeoisie pratique à la
fois la ségrégation (vis-à-vis des autres groupes sociaux) et l’entre-soi. Ceci se traduit par une « sociabilité
mondaine » dans des espaces réservés (quartiers bourgeois, clubs élitistes fermés, pratique des rallyes pour
s’assurer de mariages endogames) et par une forte conscience de classe. La bourgeoisie est une classe
mobilisée pour défendre ses intérêts comme le montrent Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans
« Sociologie de la Bourgeoisie » (2000).
 Un rapport privilégié à la culture : la bourgeoisie collectionne les titres scolaires les plus prestigieux en
fréquentant les établissements réservés aux élites et fréquente assidument le marché de l’art pour constituer
des collections privées dans des « maisons musées ». En conséquence, la bourgeoisie dispose d’un « capital
symbolique » important. Un nom, un diplôme rare, un patrimoine considérable, des connaissances étendues,
l’amitié avec une vedette…sont autant de signes d’une valorisation symbolique qui impose une certaine
reconnaissance sociale et une estime de soi.
 Un rapport privilégié au pouvoir : outre le pouvoir économique de diriger un ensemble de salariés et de
domestiques, la bourgeoisie a des relations privilégiées avec les hommes politiques et les hauts
fonctionnaires.
 En conséquence, il existe une forte hérédité des positions dans cette classe sociale. Il existe des dynasties
bourgeoises qui ont su intégrer par alliances les restes de la noblesse, les nouveaux entrepreneurs et les
cadres dirigeants issus, en France, de la fonction publique (la « noblesse d’Etat »). La bourgeoisie est une
classe qui sait s’adapter au changement social en adoptant des stratégies économiques (fusions,
reconversions…) et sociales (mariage endogamique, investissement scolaire…) qui perpétuent sa domination
comme le montre un certain nombre d'indices :

Le retour du poids de l'héritage dans la reproduction du patrimoine : le flux annuel d'héritage était
élevé dans la France du XIXe siècle: il représentait entre un cinquième et un quart du revenu national.
Mais, dans les années 1920-1930, ce flux était tombé à 10%, puis à moins de 5% dans les années
1950. La méritocratie aurait-elle triomphé des forces de l'hérédité et de la naissance? Pas pour
longtemps: les décennies qui suivent marquent un progressif, mais net retournement de tendance. A
partir des années 1970, le flux annuel d'héritage repart à la hausse pour tendre vers les 15% au seuil
des années 2010. En somme, dans la France d'aujourd'hui, l'héritage pèse presque aussi lourd que
dans celle des années 1920. Et cette remontée devrait se poursuivre encore dans les années à venir,
prédit Thomas Piketty. De sorte que nous pourrions nous trouver en 2020 dans la situation qui était
celle du début du XXe siècle. Une évolution qui ressemble fort à un grand bond en arrière.

Le maintien du capitalisme familial : une dizaine de groupes du CAC 40 ont pour actionnaire de
référence la famille de leur fondateur. Spécificité bien française, certains d'entre eux ont même pour
PDG un de ses descendants. L'emprise familiale apparaît encore plus forte si l'on considère
l'ensemble des groupes français côtés en Bourse: à la fin des années 1990, 70% d'entre eux avaient
leur capital contrôlé par une famille, selon les calculs des économistes David Sraer et David Thesmar.
Une telle proportion n'a guère d'équivalent ailleurs. 55% des groupes français étaient même dirigés
par leur fondateur ou l'un de ses descendants. Alors que la règle dans les groupes familiaux étrangers
est plutôt d'avoir recours à un manager professionnel extérieur au cercle familial. A l'échelle de
l'économie tout entière, ce seraient 83% des entreprises de l'Hexagone qui auraient un caractère
familial, pesant pour environ la moitié du produit national brut (PNB) et de l'emploi du pays. Ce qui a
pu faire dire que le capitalisme français était l'un des plus familiaux d'Europe.