PEEL#1 article « Do You Still Love Me?

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PEEL#1 article « Do You Still Love Me?
THÉÂTRE
L’IMPROBABLE
RENCONTRE
DU FOOT ET
DU THÉÂTRE
Pour Reims Scènes d’Europe,
l’artiste Sanja Mitrovic est partie
à la rencontre des supporters
du Stade de Reims.
Ensemble, ils créeront
un spectacle croisant
leurs passions pour les planches
et le ballon rond.
ui a dit que le sport et la culture étaient deux
entre la passion d’un comédien pour la scène et l’amour
univers a priori étrangers l’un à l’autre et irrécon-
d’un supporter pour son club. Sont-elles si différentes ?
ciliables ? À Reims, celles et ceux qui savent apprécier les
À Reims, elle s’est lancée dans un défi un peu fou : réunir
beaux textes de théâtre sur le sport se souviennent en-
sur scène des comédiens professionnels et des supporters
core d’avoir vu sur la scène de la Comédie, il y a une di-
de foot pour un échange inattendu sur la passion dévo-
zaine d’années, Monsieur Armand dit Garrincha de Serge
rante qui les réunit.
Valetti, hommage au personnage fantasque mais central
- DU THÉÂTRE AUX ULTRAS… -
de l’historiographie du foot argentin. Et la centaine de
personnes présentes dans la salle de spectacle de « feu »
Le Kraft garde sans nul doute un souvenir ému de la
prestation du comédien Jacques Bonaffé, ahanant dans
son effort de comédien-cycliste, en coursier de fond de
classement, pour nous livrer le passionnant 54 x 13 de
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Jean-Bernard Pouy. C’est cette même aventure, en plus
grand, que tente cette année le festival Reims Scènes
d’Europe. Do you still love me ? sera créé à cette occasion par la jeune metteure en scène d’origine serbe, Sanja
Mitrovic. Pour ce projet, elle tente d’établir un parallèle
Le Stade de Reims avec son histoire et ses différents groupements de supporters se prêtait parfaitement à cette
expérience de longue haleine. « Tout a commencé dès
juin », explique Quentin Carrissimo-Betola, chargé de
projet du festival et aux côtés de Sanja Mitrovic pour partir à la rencontre des supporters rémois. « Et nous nous
sommes vite rendus compte qu’il n’était pas si simple de
les rencontrer », glisse-t-il dans un sourire. Quentin et
Sanja sont donc partis directement à la rencontre des
trois groupes de supporters : le Groupement officiel des
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THÉÂTRE
supporters du Stade de Reims, le KMR (Kop mythique
au foot. Et puis, on croise aussi ces familles impliquées
rémois) et Ultrem, qui fédère les ultras rémois. De son
dans le foot de génération en génération. L’une d’entre
Anne Goalard
côté, Sanja Mitrovic avait très envie de travailler à Reims,
elles réunit dans cette même ferveur la mère, le fils et la
de rencontrer les supporters d’un club historique qui a
grand-mère ».
Déléguée générale du festival Reims
Scènes d’Europe
connu ses grandes heures dans le années 1950 autour de
Raymond Kopa et René Jonquet. Les rencontres entre
Pourquoi avoir choisi cette année
- COMPLICITÉS NAISSANTES -
le thème de la guerre et des conflits,
l’artiste et les « footeux » se multiplient assez naturelle-
anciens ou contemporains ?
ment. Sanja Mitrovic interroge, note, écoute et consigne
Actuellement, Reims Scènes d’Europe a réuni un groupe
tout ce que lui racontent les supporters. Les anecdotes
de quinze supporters que Sanja souhaite revoir. Quatre
se succèdent, la passion affleure à chaque rendez-vous.
d’entre eux devraient se retrouver sur scène pour le spec-
Comme celle de ce supporter intarissable, un homme
tacle. « Sanja leur a bien expliqué qu’elle ne souhaitait
de 78 ans ayant assisté à son premier match à l’âge de…
pas en faire des acteurs, mais qu’elle voulait juste qu’ils
5 ans.
soient eux-mêmes, avec leur histoire, leurs mots, sur le
- DES SUPPORTERS SUR SCÈNE -
Do you still love me ? croisera paroles de supporters et
témoignages de comédiens. « Au début, le projet partait
sur la participation de onze supporters réunis sur scène
pour un match de 90 minutes, rappelle Quentin Carrissimo-Bertola. Les arbitres auraient été des comédiens professionnels. Mais le projet a évolué vers un format plus
proche du miroir, avec quatre supporters et quatre comédiens professionnels. « Les anecdotes des supporters
sont parfois cocasses, parfois émouvantes. L’une des plus
marquantes pour moi est celle de ce supporter un peu
fétichiste et superstitieux. Pour chaque match du Stade,
il porte son slip porte-bonheur aux couleurs du club.
Il ne peut pas imaginer aller au stade sans son slip fétiche.
C’est son rituel ». Des histoires de ce type, Sanja et Quentin en ont collecté des dizaines, à l’image de l’histoire de
cet homme qui s’est éclipsé lors du mariage de son fils
pour aller voir le match du Stade à la télévision. « Nous
plateau du théâtre », témoigne Quentin. Entre gens de
théâtre et fans de foot, la méconnaissance est mutuelle
et, de fait, tous se retrouvent sur un pied d’égalité et complices. « Sanja est venue pour le match opposant Reims à
Bastia, se souvient Quentin. À l’issue du match, les supporters sont allés à la boutique du club acheter le CD de
l’hymne officiel du Stade de Reims pour l’offrir à Sanja ».
Cette thématique s’est imposée à nous
comme une nécessité dans le cadre
de la commémoration nationale de la
Grande Guerre. Nous pouvions notamment voir, à travers cette thématique,
ce que la guerre produit sur les artistes
et sur l’oeuvre. La Grande guerre est
notre point de départ et, si le festival
n’est pas uniquement composé de
projets autour de la guerre, ce sera
notre fil rouge. Nous pouvions aussi
nous intéresser à des formes de conflits
plus modernes, au terrorisme, sans
perdre de vue la recherche de la paix,
les espoirs et les idéaux véhiculés dans
les oeuvres.
La curiosité est mutuelle. Les supporters monteront sur
la scène de la Comédie, un lieu dont souvent ils n’ont jamais poussé la porte. Et même si l’un d’entre eux se souvient d’y être entré, à l’époque de la Maison de la Culture.
Il faut reconnaître qu’il avait une bonne raison pour cela :
cette année-là, on y délivrait les abonnements au Stade
de Reims. Les supporters des Rouge et Blanc monteront
donc sur les planches. Mais, attention, ils ont posé leurs
conditions : ce ne sera pas un soir de match ! Quentin,
lui, scrute avec un peu d’inquiétude les parutions, toujours tardives, des calendriers de match de Ligue 1. Il ne
faudrait pas que le Stade joue un vendredi…
avons aussi découvert que certaines mères ou femmes
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de supporters ont un rapport parfois glamour au club et
Quels sont vos conseils, vos coups
de coeur sur cette nouvelle édition
de Reims Scènes d’Europe ?
Je dirais qu’il leur faut être curieux.
Ne manquez pas le début du festival,
vous pourrez ainsi vivre une expérience
et pourquoi pas la prolonger avec
d’autres spectacles. C’est possible car
le festival dure une quinzaine de jours.
Le projet autour de TERRORisms est
important dans le festival C’est là que
Ludovic Lagarde, le directeur de la
Comédie, va créer La Baraque, sur un
texte qu’il a commandé à Aiat Fayez.
Nous serons ici dans un registre plutôt
burlesque. Cette création aura son
pendant avec God watts at the station,
DO YOU STILL LOVE ME ?
Conception, chorégraphie
et mise en scène Sanja Mitrovic
Jeudi 19 et vendredi 20 février
La Comédie - 21 h
le projet de l’israélien Shay Pitowsky.
Je l’ai vu à Tel-Aviv, c’est un très beau
projet qui interroge les déterminismes
qui alimentent les conflits et ne caricature pas les Palestiniens.
Et puis, j’aimerais aussi parler de Front,
qui donne la parole aux hommes des
tranchées en réunissant des textes de
l’Allemand Erich Maria Remarque (À
l’Ouest, rien de nouveau) et du Français
Henri Barbusse (Le Feu), tous deux sur
le front en 1914-18.
Vous avez lancé depuis plusieurs années
YPAL, un réseau international de jeunes
spectateurs. Que proposera-t-il cette
année ?
Avec Ypal, nous voulions construire
un dialogue productif avec de jeunes
spectateurs. Ils s’interrogent et nous
interrogent sur la relation à l’art et aux
artistes. Pendant le festival, ces jeunes
venus de toute l’Europe organisent des
ateliers pour les spectateurs, des rencontres avec les artistes. Cette année,
nous avons un partenariat avec RJR,
Radio Jeunes Reims, et L’Hebdo du
vendredi. Ils nous livreront des chroniques de spectacles. C’est nouveau,
ils seront plus présents sur tout le festival et non sur un temps fort.
Propos recueillis par Cyrille Planson

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