VIII, 4, décembre 2001
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VIII, 4, décembre 2001
Cadrans du monde: un cadran horizontal musulman de Kairouan (Tunisie) par André E. Bouchard Il existe des cadrans solaires dans diverses régions du monde. Or la culture ambiante à chaque région façonne la conception et la réalisation des cadrans. Sans doute, l'étude de cadrans comme ceux, par exemple, de la tradition musulmane est-elle précieuse pour se convaincre de la justesse de cet énoncé? De plus, les événements des derniers mois sont venus m'inciter à vérifier et à approfondir mes connaissances concernant l'islam, et en particulier le monde musulman, fortement influencés par le Coran. J'ai voulu dépasser mes connaissances accumulées sur la civilisation musulmane à partir de mes études mathématico-philosophiques ,de mes voyages et de mes visites de mosquées en Afrique et en Europe. J'ai donc choisi de mettre par écrit un premier bilan de mes recherches. Je suis retourné à mes connaissances passées: la poésie arabe (5001200 après. J.-C), l'astronomie islamique, l'utilisation de l'astrolabe, l'histoire de la trigonométrie plane et sphérique. Dans tout ce domaine du savoir, j'ai préféré vous présenter une ville de Tunisie, sa mosquée, mais surtout son célèbre cadran solaire. Ce faisant, j'avais deux motifs: approfondir et partager des connaissances générale en gnomonique universelle, et nous sensibiliser à des préoccupations des musulmans, alimentés aux décrets découlant de la «fatwa» de quelque autorité religieuse, mais non uniquement identifiés dans un bloc monolithique. Car même si le Coran est écrit en arabe; la grande majorité des musulmans (plus de 75%) ne sont pas des Arabes. De plus, nous tâcherai de dépasser les conceptions usuelles qui se limitent à des expressions comme la «charia» (loi fondamentale de l'islam qui fixe les cinq devoirs fondamentaux des musulmans); le «burqa» (vêtement de bure, avec un tissu grillagé devant les yeux, imposé par les Talibans aux femmes afghanes), la «djihad» (la guerre sainte), le «hidjab» (foulard des femmes musulmanes)... J'ai donc choisi une ville d'Afrique du nord, dont la mosquée et son histoire en font la troisième ville sainte de l'Islam, mais surtout dont son cadran solaire est intéressant et assez bien documenté. Le cadran de la mosquée Sidi Oqba de Kairouan Le cadran que je présente en est un de 1842 inspi4 Le Gnomoniste ré par un cadran construit à Damas (en Syrie) en 1372. Mais je commencerai par quelques mots de la ville (Kairouan) et de sa mosquée. En effet, Kairouan est la ville la plus arabe de la Tunisie. Elle fut fondée par Oqba ben Nafi en 670 et servit de point de départ pour la conquête musulmane du Maghreb. Ruinée au XIe. siècle, elle fut reconstruite en- tre le XVIIe-XVIIIe. siècle. Pour sa part, l'architecture de sa Mosquée est un maillon clé dans l'histoire de l'architecture, au même titre que celles de Damas, Cordoue (en Espagne) et Ispahan (en Iran). Construite à partir de 688, la mosquée est le premier grand lieu de prière musulmane en Occident. Sa salle de prière comprend 17 nefs (dont une centrale, plus large et plus haute), orientées vers le mur de la qibla (et la Mecque). La mosquée comprenait 365 colonnes, autant que de jours dans l'année. Voici trois images du minaret (construit entre 724-728 de notre ère), dont deux montrant aussi la cour intérieure où se trouve le cadran solaire. Dans une mosquée, il est utilisé, tout comme l'astrolabe, pour connaître les différents moments de la prière André E. Bouchard Volume VIII numéro 4, décembre 2001 dans la journée. Or que trouvons-nous dans les mosquées? Des cadrans solaires, bien sûr; mais surtout des astrolabes. Voici d'abord des extraits de deux grands spécialistes (S. Guye et H. Michel), dans leur livre Mesures du Temps et de l'Espace, (1970). «Connaître les heures de la prière, c'était déjà la prédilection musulmane pour l'astrolabe. En effet, Mahomet avait prescrit, sans grande précision, «que les cinq prières se fissent: la première, quand un homme pouvait distinguer son voisin; la deuxième, vers midi, quand le Soleil commence à décliner; la troisième, quand le Soleil, brillant dans la chambre de 'A'isha, n'y projetait aucune ombre; la quatrième, quand les gens pouvaient encore distinguer l'endroit où retombaient leurs flêches; la cinquième, après le premier tiers de la nuit». Nous étions au VIIe s. de notre ère quand ces préceptes ont été consignés. Depuis, les exégètes se sont acharnés à mettre une précision méticuleuse. L'astrolabe, confié à un spécialiste dans la mosquée principale de chaque ville, déterminait l'instant des cérémonies religieuses, qu'on signalait alors aux autres mosquées.»(pp. 203-204) « L'astrolabe est, en fait, une représentation plane de la sphère armillaire.» Il localise les astres pour un moment quelconque, passé, présent ou avenir, et permet d'imiter leur mouvement apparent. » On pouvait entre autres y lire la situation du Soleil, tant en hauteur qu'en direction; l'heure; les instants du lever et du coucher d'un astre; la durée de la journée et de la nuit, etc. Avant l'utilisation du cadran solaire, nous comprenons sans peine que l'astrolabe fait partie du une projection stéréogramobilier rituel d'une mosphique quée. Il devient objet consacré et doit être préservé de la curiosité du profane. Je ne m'arrêterai pas sur les parties comVolume VIII numéro 4, décembre 2001 posantes de l'astrolabe. Ce n'est pas ici mon propos. Mais il faut se souvenir que les mathématiciens s'en empareront et ajouteront des variantes à, comme la projecstéréographique, un astrolabe avec son écrin tion qui suppose l'oeil sur l'Équateur, au point où ce cercle coupe l'Écliptique. De nombreux sites Internet nous informent sur le cadran de Kairouan. La plupart n'insistent pas sur les détails spécifiques de composition et de fabrication du cadran. J'emprunterai quelques éléments du site suivant: http://www.ens-lyon.fr/RELIE/Cadrans/ culture/musee/Documents/Kairouan.htm , les éléments de description du cadran solaire. Je me permettrai d'ajouter de l'information aux éléments de cette description pour en rendre la compréhension plus accessible. Voici d'abord quelques principes théoriques (empruntés à D. Savoie)`:……….. Les cadrans musulmans: quelques principes théoriques Extraits du Ch. XXIII, La Gnomonique , par Denis Savoie, Les Belles Lettres, Paris, 2001, ISBN 2-251-42016-9 « Certains cadrans solaires musulmans comportent des indications très diverses, et notamment des heures de prière. Rappelons qu'il en existe cinq: le subh à partir du début du l'aube et avant le lever du soleil; le zohr un peu après midi, l'asr dans le courant de l'après-midi, le magreb après le coucher du Soleil et avant la fin du crépuscule, et l'isa après la fin du crépuscule.» p. 311. La courbure de l'asr . [NDLR: p indique phi ; et d indique déclinaison ] « la courbe de l'asr dont la définition la plus courante est: lorsque l'ombre du style a est égale à son ombre à midi augmentée de sa propre longueur. Il s'agit bien sûr d'un style droit (ou d'un homme). la condition imposée se traduit par: R = a ( 1+ tan ( p - d ) ) R étant la longueur de l'asr ». « Pour tracer la courbe de l'asr sur un cadran solaire plan d'orientation et d'inclinaison quelconques, il suffit de connaître pour chaque point du tracé l'angle horaire H (positif) et la déclinaison d du Soleil, André E. Bouchard Le Gnomoniste 5 mon Sud: on lit l'heure en traçant la droite reliant l'extrémité de l'ombre du gnomon Nord à la base du gnomon Sud. a étant la longueur du style droit. « L'angle horaire se calcule par: cosH =(sin h - sin p sin d) / (cos p cos d ) h étant la hauteur du Soleil calculée par: tan h = 1 / ( 1 + tan ( p - d ) ) « On utilisera les coordonnées rectangulaires x et y de l'extrémité de l'ombre: il suffit de faire varier la déclinaison du Soleil dans la formule donnant la hauteur du Soleil, ce qui permet d'obtenir H puis d'introduire cette quantité dans les formules. On relie alors par une courbe les points obtenus, la courbe étant d'autant plus précise qu'il y a plus de points.» La direction vers la Mecque « La Qibla est la direction de la Mecque (aujourd'hui en Arabie Saoudite) vers laquelle les musulmans doivent se tourner pour prier. Certains cadrans horizontaux indiquent cette direction: il s'agit tout simplement de l'azimut de la Mecque, compté depuis le Sud. » p.313 (fin de l’extrait de D. SAVOIE) —————————— Le cadran solaire horizontal de la mosquée (Gnomons Nord et Sud de hauteur G (lat. 36° N.) Les trois illustrations nous montrent le cadran solaire et les gnomons selon la latitude de la ville. Le pourtour est gradué en angle horaire du Soleil: un trait tous les degrés (aux 4mn) sur le bandeau extérieur et un trait plus long tous les 5 degrés (aux 20mn) sur le bandeau intérieur Gnomon Nord (de hauteur G) lignes babyloniques : nombre d’heures écoulées depuis le lever du soleil: 2, 3, ... 8, 9 lignes italiques : nombre d’heures écoulées de- puis le coucher du soleil: les petits carrés noirs sur les lignes 15, 16, ... , 22. Courbe Na (qui part sous le chiffre XIV et qui se dirige vers le gnomon Est ): prière du asr (prière de l'après-midi: Ombre = Ombre à midi + G). Gnomon Sud (de hauteur G) Courbe S : prière du zohr (prière de midi: Ombre = Ombre à midi + G/4). Gnomon Est (de hauteur g) pour prévoir la prière de sa (aux dernières lueurs du crépuscule) à l'aide de l'astrolabe. Courbe E3: le crépuscule aura lieu dans trois heures. Courbe E4: le crépuscule aura lieu dans quatre heures. Gnomon Ouest (de hauteur g) pour prévoir la prière de fajr (aux premières lueurs de l'aube) à l'aide de l'astrolabe. Courbe O3: l'aube a eu lieu trois heures plus tôt. Courbe O4: l'aube a eu lieu quatre heures plus tôt. C'est un début. Il reste beaucoup de questions concernant ce cadran horizontal musulman, que cette simple description ne suffit pas à élucider. Qui a prétendu que tout cadran solaire était simple à faire ou à comprendre... Je me promets d'y revenir! Les segments horaires (V, VI, VII, ..., XIX) convergent vers la base S du gno6 Le Gnomoniste André E. Bouchard Volume VIII numéro 4, décembre 2001