La destinée de M. J. M. G. Le Clézio. Une grande leçon mauricienne
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La destinée de M. J. M. G. Le Clézio. Une grande leçon mauricienne
Ce texte a été mis à la disposition de l'Association des lecteurs de J.-M.G. Le Clézio par la générosité de M. Robert Furlong, dans le contexte de sa présentation de Malcolm de Chazal au sein du Dictionnaire Le Clézio. M. DE CHAZAL SUR J.-M.G. LE CLÉZIO : CHRONIQUE DU 7 NOVEMBRE 1963, QUOTIDIEN ADVANCE La destinée de M. J. M. G. Le Clézio (Une grande leçon mauricienne) (Extrait du CD-Rom Comment devenir un génie, Port-Louis, Éditions Vizavi, 2006) On annonce à Paris, comme une quasi-certitude que le livre de M. J. M. G. Le Clézio (en deux mots) obtiendra le Prix Goncourt. Qui est M. J. M. G. Le Clézio ? C’est le fils du Dr Raoul Leclézio (en un mot), établi à Paris. M. J. M. G. Le Clézio est donc un Mauricien. Je ne connais pas le contexte de l’ouvrage de M. J. M. G. Le Clézio. Il n’importe. Ce qui est essentiel pour nous, c’est que M. J. M. G. Le Clézio est un Mauricien. L’ouvrage de M. J. M. G. Le Clézio, Le Procès-Verbal, a été édité chez Gallimard, là même où Sens-Plastique a vu le jour et qui a donné pas mal de nuits blanches aux Mauriciens. C’est Jean Paulhan, maintenant de l’Académie Française, qui a donné l’imprimatur et qui a peut-être préfacé cet ouvrage. Car M. Jean Paulhan, de l’Académie Française, est le directeur littéraire de Gallimard, en même temps que le pape de la littérature française. Quand Le Procès-Verbal de M. J. M. G. Le Clézio aura obtenu le Prix Goncourt et aura acquis une valeur incontestée en France et dans le monde, une première question se posera : Qu’est-ce qui donne la gloire, l’île Maurice ou la planète ? Se posera la question de la gloire locale et de la gloire qu’on obtient à Paris. N’oubliez pas que j’ai dit : « On ne peut être un grand homme en même temps à l’île Maurice et à Paris ». Si M. J. M. G. Le Clézio revenait à Maurice, le Prix Goncourt dans sa poche, est-ce qu’on lui offrirait des banquets, est-ce qu’on lui ferait des ovations ? Je gage que non. Comme avec Loÿs Masson, il est tout à parier que le succès de M. J. M. G. Le Clézio passera inaperçu des Mauriciens, comme le livre de Madame Marcelle Lagesse, La Diligence s’éloigne à l’aube, de cette même Marcelle Lagesse à qui on n’a offert ni banquets, ni bouquets, ni ovations. Mais j’ai ici ma petite histoire à raconter. Personne ne sait – je suis le premier à le révéler – que depuis qu’a paru Sens-Plastique, le cher Jean Paulhan, pape de la littérature française, a été littéralement mitraillé d’œuvres mauriciennes. C’est tout un chacun qui voulait se faire connaître de lui. Jean Paulhan n’a rien retenu. Il y a Sens-Plastique et il y a Le Procès-Verbal. Soyez certains, lecteurs, que si Jean Paulhan a retenu l’ouvrage de M. J. M. G. Le Clézio, c’est sûrement une œuvre de grande valeur. D’abord les critiques et les jurys littéraires à Paris sont unanimes. M. J. M. G. Le Clézio sera-t-il salué par l’Europe tout entière du terme de génie ? Ce serait une catastrophe pour l’île Maurice, qui porte difficilement un génie reconnu. Qu’est-ce qui arrivera si elle avait à en supporter deux ? Voyons maintenant ce qui se passe avec la littérature mauricienne. Elle est ensevelie sous une montagne de dictionnaires et de livres de grammaire. Elle étouffe de purisme. Elle est impuissante par trop de connaissance du français. Il y a deux choses entre être professeur de français et être un écrivain. Céline écrivait mal le français. Ni Alphonse de Lamartine, ni Pierre Benoit n’écrivaient l’orthographe. Pour ma part, je n’ai jamais pu écrire le français, mais mon français. Que voulez-vous, ma pensée se sent à l’étroit au sein des règles de grammaire et mon style nu rejette l’académisme, Littré et le reste. Donc, pour que les Mauriciens se haussent au niveau de M. J. M. G. Le Clézio, il leur faudra d’abord désapprendre à écrire, s’évader de la grammaire, pour être eux-mêmes. Car on parle de M. J. M. G. Le Clézio comme d’un visionnaire, donc un homme qui ne masque pas sa pensée avec des mots. *** Il est intéressant de parler de cette famille Leclézio qui s’étend de Sir Henry Leclézio à Fernand Leclézio et qui aligne un chapelet d’hommes d’affaires et qui d’un seul coup a produit ce rejeton hors-série qu’est M. J. M. G. Le Clézio. Mais l’artiste couvait dans cette famille. Il y a le chanteur Leclézio que Max Moutia connaît bien. Fors le chanteur Leclézio, M. J. M. G. Le Clézio peut paraître comme « une génération spontanée », car il sort ici de la chaîne de penser de ses aïeux. *** Une leçon se dégage du tout. Pendant combien de temps les Mauriciens refuserontils d’accepter les Mauriciens ? Avec le Prix Goncourt — apparemment M. J. M. G. Le Clézio l’a dans le sac, puisque son premier livre est étiqueté « La révélation de l’année », — avec le Prix Goncourt, l’île Maurice sort de sa gloire couvée, dont les pôles sont la Place d’Armes et les salons de Curepipe, et l’île Maurice passe au premier plan de la notoriété. Est-ce que la famille Leclézio, qui est très puissante, haussera sur le pavois l’épopée de son digne fils ? Je ne sais. Mais l’île Maurice comme un tout devrait faire quelque chose, si ce n’était que d’inviter ce fils bien-aimé dans sa patrie et l’acclamer. André Breton disait que l’Europe a fait son temps et que les grandes œuvres viendraient du Sud de la planète. L’île Maurice va se mettre à l’avant-scène non pas par sa récolte de cannes et ses 700 000 tonnes de sucre, mais par des œuvres qui n’ont pas le seul estomac comme but, qui ne sont pas qu’alimentaires. On ne vit pas que de pain. Nous avons trop vécu de la gloire confectionnée par les tenants et aboutissants du capitalisme et où le SUCRE a sanctifié ou fait donner l’anathème. Les valeurs maintenant se déplacent du sucre à autre chose. L’œuvre de M. J. M. G. Le Clézio est un signe. Paul Cézanne était fils unique d’un banquier et que renia son père. Toulouse-Lautrec fut honni par Monsieur son père, par M. le comte de Toulouse-Lautrec. D’où naît M. J. M. G. Le Clézio ? D’une famille riche et puissante. Entre Sir Henry Leclézio (en un mot) et M. J. M. G. Le Clézio (en deux mots), quel chemin... Toute l’histoire de l’île Maurice est là, incarnée dans ces deux hommes, son évolution, ses idiosyncrasies, sa phénoménale puissance et son élan. Retour au Dictionnaire Le Clézio. Voir aussi un autre texte de M. de Chazal sur J.-M.G. Le Clézio : M. Gustave Le Clézio - Le poète et le voyant 2