Les infiltrations de corticoïde dans les lombosciatiques et les

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Les infiltrations de corticoïde dans les lombosciatiques et les
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Revue du Rhumatisme 75 (2008) 590–595
Mise au point
Les infiltrations de corticoïde dans les lombosciatiques et les
lombalgies communes夽
Local corticosteroid injections for low-back pain and sciatica
Jean-Pierre Valat a,∗,1 , Sylvie Rozenberg b,1
a
Service de rhumatologie, faculté de médecine, université François-Rabelais, 10, boulevard Tonnellé,
B.P. 3223, 37032 Tours cedex 1, France
b Service de rhumatologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France
Accepté le 1er février 2008
Disponible sur Internet le 7 mai 2008
Résumé
Dans la lombosciatique discale, malgré des résultats discordants, les études publiées montrent avec un fort degré d’évidence scientifique que
les infiltrations épidurales de corticoïde ont un effet antalgique à court terme (vers la troisième semaine). En revanche, elles ne permettent pas un
retour plus rapide au travail et ne réduisent pas le recours à la chirurgie. Les infiltrations périradiculaires radioguidées de corticoïde ont un effet
symptomatique à court terme avec un fort degré d’évidence scientifique et à plus long terme, mais avec un degré seulement modéré d’évidence
scientifique. Un effet sur le recours à la chirurgie pour des patients en échec de traitement conservateur doit être confirmé. Dans les lombalgies
communes les infiltrations articulaires postérieures semblent avoir un effet antalgique chez certains patients. Cette technique peut être proposée
pour certains patients résistants au traitement de première intention. Les infiltrations épidurales ne sont pas indiquées dans la lombalgie aiguë.
Elles peuvent avoir un effet symptomatique à court terme dans les poussées douloureuses des lombalgies chroniques, dont elles ne constituent bien
sûr pas l’essentiel du traitement. Les infiltrations intradurales doivent être proscrites compte tenu de leur risque potentiel et du manque de données
prouvant leur efficacité. Les infiltrations interépineuses ou du ligament iliolombaire peuvent être proposées dans certains cas particuliers. Bien que
controversées au vu des données des études publiées, les infiltrations locales de corticoïde ont un effet antalgique à court terme et sont de ce fait
justifiées en seconde intention dans le traitement des lombosciatiques et chez certains lombalgiques chroniques.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Infiltration corticoïde ; Lombosciatique discale ; Lombalgie commune
Keywords: Local corticosteroid injection; Disc herniation sciatica; Nonspecific low-back pain
1. Introduction
Les infiltrations rachidiennes de dérivés glucocorticoïdes
sont utilisées dans le traitement des lombosciatiques et des
lombalgies communes depuis plus de 50 ans. De nombreuses
études ouvertes ont montré un effet favorable dans environ
65 % des cas. Elles sont de pratique très courante et dans
夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence française de cet article, mais sa
référence anglaise dans le même volume de Joint Bone Spine.
∗ Auteur correspondant. Service de rhumatologie, hôpital Trousseau, CHU,
37044 Tours cedex 9, France.
Adresse e-mail : [email protected] (J.-P. Valat).
1 Section rachis de la Société française de rhumatologie
1169-8330/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.rhum.2008.02.007
une enquête d’opinion auprès de 84 services de rhumatologie français, les infiltrations de corticoïde faisaient partie du
traitement médical de base de la lombosciatique pour 65 %
des médecins interrogés [1]. Cependant, cette modalité thérapeutique continue à faire l’objet de controverses à l’heure de
l’Evidence-Based Medecine [2]. Les infiltrations épidurales et
les infiltrations périradiculaires de corticoïde ont été bien étudiées dans la lombosciatique discale. Outre le soulagement
de la douleur, elles contribuent à empêcher le développement
de modifications structurales et fonctionnelles nerveuses périphériques qui facilitent la pérennisation de la douleur [3].
Dans les autres indications, en particulier dans les poussées
de lombalgie sans atteinte radiculaire, on ne dispose d’aucune
étude contrôlée spécifique. Les infiltrations articulaires pos-
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térieures ont fait l’objet d’études contrôlées, mais très peu
nombreuses.
2. Éfficacité dans les lombosciatiques
Bien que les sciatiques communes soient habituellement liées
à une compression radiculaire, des considérations physiopathologiques justifient l’utilisation des infiltrations locales de
corticoïde : la sciatique par hernie discale régresse avec le traitement conservateur chez 70 % des patients en un mois et environ
90 % des patients sont améliorés après un an ; il y a de nombreux arguments pour penser que la douleur sciatique est liée
à des facteurs inflammatoires locaux ; l’imagerie par résonance
magnétique nucléaire a confirmé, par la prise de gadolinium, ces
phénomènes inflammatoires locaux. Il y a aussi des arguments
pour penser que la corticothérapie locale doit être utilisée précocement pour éviter la persistance de douleurs radiculaires par
l’irritation périphérique et centrale [3].
2.1. Infiltrations épidurales
Elles sont très couramment utilisées en pratique quotidienne.
Les voies d’injection sont variables : interépineuse lombaire, par
le premier trou sacré ou par l’hiatus sacrococcygien. La voie
interépineuse est la plus couramment utilisée. La comparaison
des études ne montre pas la supériorité d’une voie par rapport
aux autres, en terme d’efficacité [4]. En ce qui concerne leur
efficacité, les études ouvertes sont nombreuses et attestent d’un
bon résultat dans 65 % des cas environ. Les 13 études randomisées publiées avaient fait l’objet d’une revue en 1998 [5], dont
les conclusions étaient les suivantes :
• les résultats de cinq études sur les 13 étaient favorables aux
infiltrations ;
• l’efficacité sur la douleur ne se discernait pas au-delà d’un
délai d’un mois ;
• un seul travail constatait un effet sur le retour au travail des
patients ;
• aucun ne mentionnait une réduction du recours à la chirurgie.
Ces études étaient très hétérogènes et de qualité méthodologique variable. Le travail dont la qualité méthodologique était
la meilleure [6] a étudié l’efficacité d’une à trois infiltrations
épidurales à trois semaines d’intervalle (méthylprednisolone
80 mg versus sérum salé), chez 156 patients souffrant de lombosciatique par hernie discale (objectivée au TDM au niveau
attendu par la symptomatologie). Le volume injecté était de
10 ml par infiltration de méthylprednisolone et 1 ml par infiltration de sérum salé. Ce travail était négatif sur le critère principal,
l’Oswestry Disability Questionnaire (ODQ), mais montrait un
effet statistiquement significatif sur la douleur du membre inférieur (EVA) à la sixième semaine. Toutefois, cette étude n’était
pas transposable à la pratique française habituelle du fait du
produit utilisé (méthylprednisolone), du rythme (toutes les trois
semaines), du nombre d’infiltrations réalisées (en moyenne
deux) et de la longue durée moyenne d’évolution des lombosciatiques traitées (trois mois).
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Pour évaluer l’efficacité des infiltrations épidurales de corticoïde selon la pratique française habituelle, nous avons réalisé
une étude contrôlée [7] chez 85 patients hospitalisés pour
lombosciatique d’origine discale présumée (sur des critères cliniques), évoluant depuis plus de 15 jours et moins de six mois (50
jours en moyenne). Les patients recevaient trois injections épidurales à deux jours d’intervalle d’acétate de prednisolone (50 mg)
ou de sérum physiologique par voie interépineuse. Le volume
injecté était de 2 ml par infiltration. Le critère principal était le
taux de patients ayant un succès (amélioration marquée ou guérison selon le patient sur échelle verbale, absence de recours à
un anti-inflammatoire non stéroïdien) 15 jours après la dernière
infiltration. La douleur, la capacité fonctionnelle et la qualité
de vie étaient également évaluées. La taille de l’échantillon
avait été établie pour pouvoir mettre en évidence une différence d’au moins 30 % entre les deux traitements étudiés. Les
résultats sur le critère principal ou sur les critères secondaires
n’étaient pas significativement différents entre les deux groupes.
Pour tous les critères, on observait une amélioration statistiquement significative dans chacun des groupes, mais sans différence
significative entre les groupes. L’effet sur la douleur radiculaire était maximal à la troisième semaine. Les infiltrations de
corticoïde ne montraient donc pas une efficacité supérieure à
l’injection épidurale de sérum physiologique, mais cette dernière
n’est peut être pas dépourvue d’effet. L’étude la plus récente
est aussi celle qui a concerné le plus de patients [8]. Elle a
concerné 228 patients souffrant d’une sciatique d’origine discale présumée (sur des critères cliniques) évoluant depuis un à
18 mois qui ont eu, soit trois infiltrations épidurales d’acétonide
de triamcinolone (80 mg) et de Bupivacaïne® (volume total :
10 ml), soit trois injections de sérum salé dans l’espace interépineux à trois semaines d’intervalle. Le critère principal de
jugement était l’ODQ. Cette étude a montré un effet bénéfique
statistiquement significatif des infiltrations sur l’ODQ et sur la
douleur du membre inférieur à trois semaines, mais pas entre
la sixième et la cinquante-deuxième semaines. Il n’y avait pas
de différence pour les critères fonctionnels, le délai de retour
au travail, le taux de recours à la chirurgie. Aucun facteur prédictif de réponse n’a pu être identifié. Enfin, dans une étude
récente [9], les auteurs ont eu l’idée de comparer, chez 93
patients ayant une lomboradiculalgie de plus de six semaines,
par hernie discale et/ou sténose canalaire, l’administration épidurale et intramusculaire de méthylprednisolone (80 mg) et de
Bupivacaïne® . À long terme (un et deux ans), il n’y avait pas de
différence significative entre les deux groupes (ce qui n’étonne
guère), mais dans les cinq premières semaines, la douleur était
significativement mieux soulagée après administration épidurale
qu’intramusculaire.
Que peut-on penser de ces études ? L’évolution naturelle de
la lombosciatique discale est spontanément favorable avec le
temps, ce qui contribue à masquer l’effet des traitements. Cependant, il paraît clair, au vu des études publiées et en particulier
des dernières, que les infiltrations épidurales de corticoïde ont un
effet significatif sur la douleur durant trois à six semaines. Il est
clair qu’aucune étude n’a montré que les infiltrations épidurales
réduisaient le taux de recours à la chirurgie ou permettaient un
retour plus rapide au travail. Mais si l’objectif est un effet antal-
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gique à court terme, alors il est légitime de considérer qu’il est
atteint, sans doute vers la troisième semaine.
Au vu de notre étude [7], on peut se demander si l’injection
épidurale n’agit pas par un hypothétique effet de « lavage »
obtenu par le sérum salé comme dans les techniques de lavage
articulaire, auquel l’adjonction de corticoïde n’ajoute rien. En
plus, le volume injecté a sans doute son importance. Dans notre
étude [7] il était faible (2 ml) et peut-être insuffisant. Il était
plus important (10 ml) dans les deux études, qui ont montré une
amélioration statistiquement significative [6,8]. L’injection épidurale d’un volume de l’ordre de 10 ml (par voie interépineuse)
est peut-être un facteur d’efficacité, ce qui nécessite la dilution
de la suspension corticoïde avec du sérum salé (compte tenu
du risque d’injection intrathécale, il ne nous paraît pas raisonnable d’ajouter des anesthésiques locaux lors des infiltrations
épidurales). Se pose aussi le problème de la dose de corticoïde
injectée lors de chaque infiltration. Dans notre étude [7] elle
était de 50 mg d’équivalent prednisone et dans les deux autres
[6,8] de 100 mg d’équivalent prednisone. Le nombre optimal
d’infiltrations nécessaire n’a pas été étudié. Certains patients
ne s’améliorent qu’après la deuxième ou la troisième. Il ne
semble pas que l’augmentation, au-delà de trois, du nombre
d’infiltrations accroisse le bénéfice. À noter encore que, si
quelques études ouvertes font mention d’une amélioration des
symptômes radiculaires de la sténose lombaire par les infiltrations épidurales de corticoïde, aucune étude contrôlée n’a été
effectuée pour démontrer cette efficacité.
2.2. Infiltrations périradiculaires
L’infiltration périradiculaire est l’injection par voie latérale
dans l’espace périradiculaire au niveau du foramen atteint. Elle
est réalisée sous contrôle radiologique, après opacification. Initialement proposée dans les conflits latéraux (hernie discale
foraminale ou extraforaminale, sténose foraminale arthrosique,
spondylolisthésis. . .), ses indications se sont progressivement
étendues aux conflits discoradiculaires habituels. Quelques
études ouvertes, de qualité variable, font état de bons résultats dans 80 % des cas environ. Plusieurs études randomisées
ont été réalisées avec une méthodologie différente. Une étude
contrôlée [10] a comparé, chez 160 patients souffrant d’une lombosciatique unilatérale depuis trois à 28 semaines, l’injection
périradiculaire de 40 mg/ml de méthylprednisolone et 5 mg/ml
de Bupivacaïne® (80 patients) à celle de sérum physiologique
(80 patients). Le volume de l’injection était de 2 ml pour L4
et L5, 3 ml pour S1. L’évaluation était réalisée à l’inclusion,
deux semaines, un, trois, six et 12 mois. Le critère principal était la douleur du membre inférieur (EVA). Étaient aussi
étudiées, l’incapacité fonctionnelle (ODQ) et la qualité de vie
(indice NHP). À deux semaines, l’amélioration était significativement plus importante dans le groupe corticoïde pour la
douleur du membre inférieur et la satisfaction du patient. Cette
différence n’était pas observée lors des évaluations suivantes
(jusqu’à 52 semaines). Il n’y avait pas d’effet sur la durée d’arrêt
de travail ou le recours à la chirurgie. Il faut noter une réduction de l’intensité de la douleur à un mois de plus de 40 %
dans les deux groupes. Il faut, de plus, insister sur le fait que
le groupe témoin comportait une injection périradiculaire de
sérum physiologique, dont l’inefficacité n’a pas été testée. Une
analyse en sous-groupes de cette étude a été réalisée [11], indiquant une meilleure efficacité de l’injection périradiculaire de
corticoïde pour les hernies discales contenues par rapport aux
hernies exclues : meilleure efficacité sur la douleur radiculaire
à deux et quatre semaines, le pourcentage de patients soulagés de plus de 75 % de la douleur à deux semaines, le nombre
des patients opérés au cours du suivi. Ces données doivent être
confirmées.
Une autre étude randomisée ouverte [12], a comparé
l’injection foraminale de corticoïde (9 mg d’acétate de bêtamethasone et Xylocaïne® ) à l’injection de sérum physiologique
dans les muscles paraspinaux au niveau d’une zone gâchette.
Ses résultats sont très en faveur de l’infiltration foraminale (84 %
des patients améliorés versus 48 %). Mais cette étude qui comporte de nombreux points faibles (absence d’insu, absence de
données sur l’ancienneté de la sciatique, absence de précision
concernant les modalités de la randomisation) et de nombreuses
imprécisions dans l’article qui la rapporte est bien peu convaincante. Plus ancienne, mais beaucoup plus intéressante, une étude
[13] a comparé en double insu l’injection périradiculaire de
corticoïde (6 mg de bêtamethasone) et Bupivacaïne® à celle
de Bupivacaïne® seule chez 55 patients adressés en chirurgie pour le traitement d’une hernie discale ou d’une sténose
canalaire après échec du traitement conservateur. Avec un recul
médian de 23 mois, l’intervention n’a été secondairement réalisée que chez 8/28 des patients du groupe corticoïde versus
18/27 du groupe témoin (p < 0,004). L’effectif était trop faible
pour rechercher une différence entre les patients adressés pour
hernie discale ou sténose canalaire. Cette étude montre pour la
première fois une diminution du recours à la chirurgie avec les
infiltrations.
Enfin, une étude plus récente [14] a comparé en double insu
l’injection périradiculaire de corticoïde (méthylprednisolone) et
Bupivacaïne® à celle de Bupivacaïne® seule chez 86 patients qui
souffraient de lombosciatique chronique (ancienneté moyenne :
17 mois) par hernie discale (60 % des cas) ou sténose foraminale
(40 % des cas). Elle n’a montré aucune différence significative
entre les deux traitement, que ce soit sur le critère principal
(ODQ à six et 12 semaines) ou sur les critères secondaires
(douleur du membre inférieur et douleur lombaire sur EVA) ni
aucune différence de résultat entre les deux groupes diagnostiques. Mais, il s’agissait de sciatiques anciennes et les effectifs
étaient faibles.
Au total, l’effet bénéfique des infiltrations périradiculaires
de corticoïde est démontré dans trois des quatre études, dont
il a été l’objet. Une de ces études montre une diminution
du recours à la chirurgie, qui demande à être confirmée. Il
serait pourtant hasardeux de conclure à la supériorité des infiltrations périradiculaires, plus complexes, sur les infiltrations
épidurales en l’absence d’étude comparative. On dispose bien
de trois études comparant l’efficacité des infiltrations épidurales et périradiculaires de corticoïde chez des patients atteints
de lomboradiculalgie discale [15–17], dont deux montrent une
supériorité des infiltrations foraminales. Mais pour l’une [16],
le faible effectif (31 patients) et la multiplicité des critères de
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jugement et des comparaisons diminuent sa force de conviction. Quand à l’autre [17], c’est une étude rétrospective peu
convaincante.
2.3. Infiltrations intradiscales
Proposées il y a une vingtaine d’années, avec des suspensions de corticoïde d’effet prolongé, dans le but de réaliser des
nucléolyses chimiques, elles ont été abandonnées, d’une part, du
fait d’un effet atrophiant souvent jugé excessif et d’autre part,
surtout du fait de la survenue de calcifications discales parfois
exubérantes et évolutives. Elles ne doivent plus être pratiquées.
3. Éfficacité dans les lombalgies
La place des infiltrations de corticoïde dans le traitement
des lombalgies sans atteinte radiculaire reste très controversée.
Elle repose sur des hypothèses pathogéniques anatomocliniques
hasardeuses dans la mesure où les critères diagnostiques de lombalgie discale ou articulaire postérieure sont peu spécifiques et
contestés, et où aucune corrélation radioclinique en matière de
lombalgie n’a pu être solidement établie. On dispose d’ailleurs
de très peu d’études de validation, méthodologiquement acceptables.
3.1. Infiltrations articulaires postérieures
Elles peuvent être réalisées sous contrôle radiologique avec
opacification (arthro-infiltration) ou sans contrôle radiologique.
Elles s’adressent préférentiellement aux douleurs lombaires et
référées d’origine articulaire postérieure présumée. Mais, en
l’absence de critères diagnostiques validés, cette présomption
reste très approximative et dépendante de l’observateur. Le siège
de la souffrance articulaire postérieure est déterminé le plus souvent par la palpation, parfois par l’imagerie TDM ou IRM ou
encore pour certains par la scintigraphie. Certains, pour plus
de certitude diagnostique, ne réalisent l’infiltration de corticoïde que si l’injection préalable d’un anesthésique local s’est
avérée bénéfique. Compte tenu de l’incertitude topographique,
elles sont souvent réalisées en même temps aux deux derniers
étages du rachis lombaire, uni- ou bilatéralement selon la symptomatologie clinique, de façon assez empirique. Les résultats
des études ouvertes sont très variables et font état de 22 à
76 % des résultats favorables à court terme, 8 à 62 % à long
terme.
Deux essais contrôlés ont été réalisés dans la lombalgie
chronique. L’un [18] a comparé, chez 109 patients souffrant
de lombalgies accompagnées ou non de douleurs de la cuisse,
l’injection de méthylprednisolone et Bupivacaïne® en intraarticulaire ou en périarticulaire et l’injection de sérum salé
en intra-articulaire (trois groupes). Les critères de jugement
étaient multiples. Cette étude a montré un effet favorable dans
les trois groupes sur la douleur, la mobilité rachidienne, le
retour au travail, mais sans différence significative entre les
groupes.
L’autre étude [19] a comparé, chez 97 lombalgiques sélectionnés par un test anesthésique (soulagement de plus de 50 %)
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l’injection intra-articulaire de méthylprednisolone (20 mg, 2 ml)
à celle de sérum salé (2 ml). Le critère principal d’évaluation
était une autoévaluation (sur une échelle verbale) et les patients
ont été suivis pendant six mois. Cette étude n’a pas montré de
différence significative entre les groupes après un et trois mois,
mais curieusement une différence significative sur la douleur, la
qualité de vie et l’efficacité jugée par le patient au sixième mois.
Les auteurs en ont conclu qu’elle était négative. Toutefois, dans
le groupe corticoïde, le nombre de patients améliorés de façon
significative aux différents temps d’évaluation (un, trois et six
mois) est très stable (respectivement 20, 17 et 22) alors qu’il
diminue progressivement et très nettement dans le groupe témoin
(respectivement 16, 13 et 7). C’est pourquoi nous sommes tentés de penser que la différence statistiquement significative que
l’on observe au sixième mois entre les groupes est cliniquement
pertinente.
3.2. Infiltrations épidurales
Aucune étude contrôlée n’a été menée spécifiquement dans
cette population, les études concernant surtout les lombosciatiques, parfois des populations mixtes de lombalgies et
lombosciatiques, mais sans analyse séparée des sous-groupes.
Elles semblent avoir un effet antalgique à court terme dans
les poussées douloureuses des lombalgies chroniques. Aucune
étude ne démontre une efficacité à long terme.
3.3. Infiltrations intradurales
Il n’y a pas de preuve de l’efficacité de cette technique et des
accidents sévères (voir ci-dessous) ont été rapportés. Cette voie
doit être proscrite.
3.4. Infiltrations intradiscales
Certaines lombalgies paraissent être associées à une
« discolyse » rapide, avec anomalies en IRM du signal des plateaux vertébraux adjacents. Cette anomalie dénommée Modic I
(hyposignal en T1 et hypersignal en T2) traduirait un remaniement inflammatoire. La traduction clinique en est souvent
une lombalgie inflammatoire bien soulagée par les antiinflammatoires non stéroidiens. Dans ce concept, des études
sont en cours pour tester l’efficacité d’une injection intradiscale d’acétate de prednisolone [20]. Les résultats de ces études
doivent être confirmés avant de proposer ce type d’infiltration.
3.5. Autres infiltrations
Les infiltrations interépineuses peuvent être justifiées
lorsqu’il existe un conflit interépineux objectivé par un contact,
une néoarthrose ou une bursite interépineuse (maladie de Baastrup).
Une étude a montré l’efficacité à court terme d’infiltrations
d’anesthésique et de corticoïde au voisinage du ligament iliolombaire (comparativement aux infiltrations de sérum salé) dans
les lombalgies subaiguës [21].
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4. Complications des infiltrations [5]
Des complications infectieuses ont été décrites : abcès
épiduraux, méningites bactériennes et arthrites septiques interapophysaires postérieures. Elles sont très rares, mais elles
imposent, outre des règles d’aseptie très strictes, de différer l’infiltration au moindre signe pouvant témoigner d’une
infection en cours ou lorsqu’il existe des signes biologiques
d’inflammation.
Des réactions méningées aseptiques, avec réaction cytologique et chimique du LCR ont été signalés après injections
intradurales de corticoïde parfois responsables de lésions
d’arachnoïdite. Elles peuvent être symptomatiques. De même,
un syndrome postponction lombaire (céphalées, nausées et
vomissements, raideur rachidienne) est signalé chez 10 à 30 %
des patients selon les séries. Ces manifestations sont à rapprocher des observations de thrombophlébite cérébrale qui ont été
rapportées ces dernières années au décours des infiltrations intradurales de corticoïde. Leurs conséquences peuvent être graves
et doivent faire proscrire cette voie.
Des complications neurologiques transitoires ou définitives
ont été rapportées après des infiltrations épidurales de corticoïde. La responsabilité de l’infiltration en elle-même, reste
controversée et dans tous les cas, la pertinence du diagnostic préinfiltratif peut être discutée. Par ailleurs, l’excipient de
nombreuses suspensions de corticoïde contient des substances
potentiellement neurotoxiques. Il faut insister sur le fait qu’en
France, seul l’acétate de prednisolone (Hydrocortancyl® ) est
indiqué pour les infiltrations épi- et intradurales, ce qui doit en
faire, à notre sens, le produit de choix pour toutes les infiltrations intrarachidiennes. Il faut en effet, se souvenir que le risque
d’injection intradurale au cours d’une infiltration épidurale n’est,
même pour un opérateur expérimenté, probablement pas inférieur à 5 % [4]. L’hématome épidural est une complication rare,
mais qui peut être redoutable des infiltrations épidurales. Il est
favorisé par un trouble de la coagulation, constitutionnel ou thérapeutique. Il faut donc s’assurer, préalablement à l’infiltration,
de l’absence de trouble de l’hémostase, de traitement anticoagulant ou antiagrégant. Nous avons proposé [22], chez les malades
sous antiagrégant plaquettaire justifiant une infiltration épidurale
ou périradiculaire, la substitution, au moins huit jours avant le
geste, de l’antiagrégant par du flurbiprofène à la dose de 100 mg/j
en une prise et la réalisation de l’infiltration juste avant la prise.
Chez les malades sous anticoagulants oraux, le relais doit être
obligatoirement fait par l’héparine de bas poids moléculaire et
le geste réalisé juste avant l’injection d’héparine.
L’administration de corticoïdes, fut-ce par voie locale, expose
aussi aux effets secondaires de la corticothérapie : freination de
l’axe corticotrope, myopathie, rétention hydrosodée, décompensation d’un diabète sucré. . .
5. En conclusion
Dans les lombosciatiques communes, malgré les résultats discordants et souvent décevants des études, il ne faut pas conclure
hâtivement à l’inefficacité des infiltrations. Les infiltrations épidurales ont un effet antalgique à court terme (vers la troisième
semaine), avec un fort degré d’évidence scientifique et peut être
à long terme, mais le degré d’évidence n’est là que limité [2]. En
revanche, elles ne permettent pas un retour plus rapide au travail et ne réduisent pas le recours à la chirurgie. Les infiltrations
périradiculaires ont un effet symptomatique à court terme avec
un fort degré d’évidence scientifique et à long terme, mais le
degré d’évidence n’est là que modéré [2]. Un effet sur le recours
à la chirurgie pour des patients en échec de traitement conservateur doit être confirmé. Les infiltrations ne font pas partie du
traitement de première intention, mais il nous paraît légitime d’y
recourir dans un second temps, en cas d’échec ou d’amélioration
insuffisante.
Dans les lombalgies communes, les infiltrations articulaires
postérieures semblent avoir un effet antalgique chez certains
patients. Cette technique peut être proposée pour certains
patients résistants au traitement de première intention. Les infiltrations épidurales ne sont pas indiquées dans la lombalgie aiguë.
Elles peuvent avoir un effet symptomatique à court terme dans
les poussées douloureuses des lombalgies chroniques, dont elles
ne constituent bien sûr pas l’essentiel du traitement. Les infiltrations intradurales doivent être proscrites compte tenu de leur
risque potentiel et du manque de données prouvant leur efficacité. Les infiltrations interépineuses ou du ligament iliolombaire
peuvent être proposées dans certains cas particuliers.
Références
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