Le bunker maudit d`Adolf Hitler
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Le bunker maudit d`Adolf Hitler
legende Juan miralles et olivier papegnies C’est en france, à Margival, dans le QG oublié du Führer, que la guerre a basculé le 17 juin 1944. Clé de voûte du gigantesque réseau de 40 bunkers conçus par les Allemands, ce centre de transmission, avec ses 600 lignes téléphoniques, le plus important, côté allemand, pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Führer ne s’est rendu qu’une fois à Margival. Arrivé en avion à Metz (photo), il est venu à son bunker en voiture blindée. Il n’y est resté que 12 heures, après une rencontre houleuse avec Rommel et Von Rundstedt. dr Le bunker maudit d’Adolf Hitler De nos envoyés spéciaux à Soissons Près de Soissons, un site extraordinaire regorge de centaines de blockhaus Photos : papegnies usna Ci-contre: la salle de conférence du bunker d’Hitler, aujourd’hui détruite. U n silence de plomb écrasé par un soleil tout aussi lourd. La petite route se perd vers la gauche, en pente raide, stoppée nette, après une centaine de mètres, par une grille rouillée. “Entrée interdite”. “Propriété privée”. “Attention danger !”. À droite, une maisonnette délabrée, qui faisait office de poste de garde. À gauche, masquée par la végétation touffue, une ligne de chemin de fer encore en activité. En face, le Wolfsschlucht II (le W2), un gigantesque complexe militaire nazi, le seul quartier général d’Hitler encore intact. Enfin presque. L’absence de politique de préservation, cruciale, les voleurs de cuivre, encore plus dévastateurs, ainsi que les pilleurs ont sérieusement mis à mal l’intégrité du site. Pourtant, il porte une richesse historique exceptionnelle. Enclavé entre les communes de Margival et de Laffaux, à quelques kilomètres de Soissons, le QG s’étend sur une centaine d’hectares, parsemés de dizaines de bunkers. C’est dans l’un de ceux-ci – le Führer Bunker nº1 – que le 17 juin 1944, Adolf Hitler, arrivé le matin et reparti le soir même, participera à une conférence stratégique capitale avec ses feld-maréchaux Rommel et Von Rundstedt. Objet : le déplacement vers la Normandie de la 15e armée, stationnée dans le Nord de la France. Les alliés ont débarqué onze jours plus tôt. Mais Hitler reste convaincu qu’il s’agit d’une manœuvre de diversion, et que le “vrai” débarquement aura lieu dans le Pas-deCalais, alors qu’il était obnubilé par l’offensive russe sur le front de l’Est. La réunion tournera court : malgré la pression de ses maréchaux, Adolf Hitler campe sur ses positions et, furieux, envoie promener ses subordonnés. C’est la troisième et dernière fois que le Führer posera le pied en France durant cette guerre, après son séjour à Paris, et ensuite à Montoire-sur-le-Loire, respectivement en juin et octobre 1940. Le danger est partout Ce bunker aujourd’hui quasiment oublié se dresse au sommet d’un chemin qui sillonne une forêt dense, jalonnée de blockhaus. Des petits, des grands, des énormes. Des enfouis, des bien visibles. Des longs, des trapus. Hallucinant. Le revêtement des routes sinueuses, que l’on peut 28 emprunter à pied ou en voiture, était jadis peint en vert, pour faciliter le camouflage. Quant aux murs du bunker du Führer, ils présentent une épaisseur de… six mètres. On voudrait jeter un coup d’œil à l’intérieur, évidemment. « Impossible », intervient Didier Ledé, président de l’ASW2, une association de sauvegarde et de mise en valeur du Wolfsschlucht II, ou “Ravin du loup” ; d’ailleurs plus vaste que la célèbre “Tanière du loup”, le QG principal d’Hitler situé près de Rastenburg (en Pologne). « En fait, poursuit Didier Ledé, le bunker a été ravagé par un incendie criminel voici trois ans. Son accès est condamné, notamment en raison de fortes concentrations d’amiante dans l’air. On sait qu’il se compose – ou plutôt se composait – d’une grande salle de travail (ornée d’une cheminée avec un bas-relief de Napoléon à cheval), d’un appartement privé avec salle de bain, ainsi que de plusieurs bureaux et sanitaires , alors qu’un abri antiaérien lui était accolé. » Impressionnant ! Le sous-lieutenant Kaizer, en visite historico-touristique avec une dizaine de ses jeunes militaires, porte sur les infrastructures un regard de pro. La petite troupe, basée à Dresde, vient de passer deux semaines à remettre en état un demi-millier de sépultures de soldats allemands tombés durant la “Grande Guerre” au Fort de la Malmaison, situé pas loin d’ici, du côté du Chemin des Dames. C’est le jour de détente, avant de rejoindre leur garnison. « L’accès au W2 est interdit sans autorisation, et un accompagnement est indispensable », prévient Didier Ledé. Pas question, donc, d’y pénétrer de sa propre initiative, d’autant que le danger est bien réel. Prenez le Bunker nº5, ultérieurement baptisé “Constance” par les militaires français en poste ici. Long de 108 mètres, il s’agissait, avec ses 600 lignes téléphoniques, du plus grand centre de transmissions allemand de la Seconde Guerre mondiale. S’aventurer aujourd’hui dans ses méandres s’avère particulièrement risqué : les pièges sont nombreux, l’accident guette à chaque pas, en raison surtout de la difficulté à deviner les trous béants qui plongent vers les sous-sols. La tentation est grande, pourtant, de se faufiler dans chacun de ces bâtiments ; d’autant que par les fortes chaleurs estivales, il fait bon se plonger dans une température ambiante d’une surprenante et délicieuse fraîcheur ! ➠ 29 L’arbre qui cache le bunker Des caves de luxe Toujours est-il qu’à lui seul, le W2 compte une quarantaine de bunkers, auxquels s’ajoutent une multitude d’ouvrages logistiques – les groupes électrogènes, les stations d’épuration d’eau… – ou de défense, comme les tobrouks, les postes à mitrailleuses lourdes. Ou encore cette piscine à ciel ouvert, à quelques pas du bunker d’Hitler, attenante à une villa en bois de style vaguement bavarois, disparue depuis. Et que dire des deux lignes de protection élargie ! Sur un rayon de six kilomètres autour de Margival se dressent quelque… 500 bunkers, les uns perdus au milieu des champs, les autres cachés dans les bois de propriétés privées – à l’instar de celui de Rommel –, ou faisant office d’arrière-garage ou de cave de luxe. À Margival, Laffaux, Terny-Sorny, Vauxaillon ou Vregny, le bunker fait partie du paysage quotidien. Au total, 22.000 ouvriers, parmi lesquels beaucoup de Belges enrôlés de force, ont travaillé jour et nuit, entre septembre 1942 et mars 1944, pour bâtir ce colossal complexe. Dix-huit mois de travaux harassants, au cours desquels furent coulés, pour le W2, 250.000 mètres cubes de béton ! Curieusement, aucun combat n’aura eu lieu dans l’enceinte du Wolfsschlucht II, aucun coup de feu ne sera tiré, pas le moindre impact de balle n’est visible. Les 1.500 soldats du Reich qui y étaient stationnés déguerpiront fin août 1944, deux ou trois jours avant l’arrivée des troupes américaines. Après la guerre, le W2 servira de centre de formation des personnels de transmission des armées américaine, française et anglaise. À partir de 1950 et jusqu’en 1966, il sera occupé par les forces de l’Otan, qui y installent leur poste de commandement nº2 et procèdent legende à de gros travaux de réhabilitation et de modernisation. Enfin, à partir de 1968 et jusqu’en 1996, les commandos français le transforment en camp d’entraînement. La construction de petites maisonnettes permettait de simuler des combats urbains. Vendu en 2000 aux communes avoisinantes, le site pourrait du reste être à nouveau utilisé par l’armée française, singulièrement dans le cadre de la formation des recrues. Un officier de repérage était d’ailleurs au boulot lors de notre présence sur place. D’autres projets sont à l’étude, à l’initiative de l’association ASW2, qui souhaiterait en exploiter le potentiel touristique par Assise sur un petit banc en bois, les mains croisées sur le pommeau de sa canne, Lydie Huyghe, 78 ans, se rappelle de cette époque comme si c’était hier. Elle est née dans cette maison, rue du Pont Rouge, à l’entrée du village de Margival. « Hitler ? Non, personne ne l’a vu quand il est venu ici, à part le curé », explique-t-elle, en frottant ses jambes douloureuses. « Il racontait qu’il s’était planqué dans les bois, quelque part le long de la route du côté de Laffaux. La voiture conduisant Hitler vers son QG est passée juste devant lui. » Les autres habitants avaient été contraints à l’évacuation quelques mois plus tôt, en mars précisément. Et notamment la famille d’Adrien Bertin, le papa de Lydie et de ses quatre frère et sœurs. « Je me souviens que beaucoup d’hommes travaillaient à la construction des bunkers, et parmi eux pas mal de Belges. Après la libération, mon père fut parmi les premiers civils à se promener sur le site », poursuit-elle. « Il y avait de tout, de la nourriture, des meubles, des matelas… J’y suis allée avec mon frère, un jour et j’ai ramené un couteau avec un bout rond. Pourquoi cet objet ? Je ne sais pas, mais c’était bien cela. » Des bunkers, dans ce hameau et alentour, il y en a partout. « Des maisons sont construites dessus, vous en trouvez dans les jardins, dans les bois, dans les prairies, dans les champs cultivés… C’est incroyable. » Mais les blockhaus ne sont pas les seules attractions de l’endroit, si l’on ose dire. Dans les environs de Laffaux, des galeries trouent le flanc des collines. Elles ont été creusées au Moyen Âge afin d’extraire la pierre qui servira à bâtir des églises et ensuite des cathédrales. Occupées alternativement par les armées allemande et française durant la “Grande Guerre”, elles seront bétonnées par les nazis, et abriteront notamment une quantité astronomique de munitions. Ce bunker est encastré dans la roche. Il a servi de poste de commandement et, aujourd’hui de réserve de matériel pour les bénévoles de l’ASW2, qui y entrepose les objets d’époque ayant échappé à l’avidité des pillards. Thierry Depret, chauffagiste de son état et passionné par l’histoire militaire de la région, tend le bras vers un interrupteur d’origine. « Sur internet, il se négocie 50 euros. » C’est dire… Heureusement, tous les “bunkerologues” – appellation contrôlée – ne sont pas motivés par l’appât du gain, même si la tentation est souvent grande d’emporter un petit souvenir. La sécurisation de ces installations pose, de fait, un insurmontable problème. Hormis l’un ou l’autre blockhaus, impossible d’en empêcher l’accès, et le cas échéant la dégradation. « Si l’association pouvait obtenir des moyens financiers suffisants, nous concentrerions dans un premier temps nos efforts de réhabilitation sur quelques bunkers remarquables, réaménagés et ouverts au public », poursuit Thierry Depret. « Ceci étant, la région regorge de trésors exceptionnels pour les amateurs et les curieux. Quand vous observez un arbre qui pousse dans un champ, c’est qu’il y a un bunker en dessous ! » •Juan Miralles. bâtiments, dont les bunkers. Alors que tout le complexe n’avait été bâti qu’à sa seule intention, Hitler ne passera que douze heures sur ce site, le samedi 17 juin 1944. Il avait quitté Berchtesgaden la veille en fin d’après-midi, et atterri sur l’aérodrome de Metz dans la nuit. Il prit alors la route vers Margival en voiture blindée, où il arriva aux alentours de 8 heures. Rommel et Von Rundstedt n’avaient été prévenus de sa visite que quelques heures plus tôt. À 11h30, une alerte aérienne obligea le Führer et ses maréchaux à trouver refuge dans un abri durant une bonne heure. « Les témoignages divergent », note Didier Ledé, président de l’ASW2. « Les uns expliquent que Hitler n’a pas dit le moindre mot, d’autres qu’il n’a pas arrêté de vanter l’avantage décisif qu’allaient lui procurer les V1. » Trois jours plus tôt, les premières “bombes volantes” avaient déferlé sur Londres. Détail curieux : suite à une défaillance de son gyroscope, l’un de ces missiles, lancé depuis Vignacourt (Somme), s’était écrasé pas loin de Margival – dans un marais de la commune de… Allemant –, à 4h30 du matin, le… 17 juin 1944. Informé de cet événement en toute fin de journée, Adolf Hitler le saisira comme excuse pour rentrer dare-dare en Allemagne, via l’aérodrome de Crépi Couvron. Il se dit aussi que la Résistance, qui aurait eu vent d’un séjour imminent du Führer dans la région, avait fomenté un projet d’attentat, déjoué in extremis. C’est depuis ce site, aussi, que le général Hans Speidel décidera, en août 1944, de ne pas transmettre l’ordre d’Hitler enjoignant de raser Paris, en concentrant l’envoi des V1 et des V2 sur la Ville Lumière. Speidel reviendra ici bien des années plus tard, en qualité de commandant en chef des forces terrestres de l’Otan. •Juan Miralles. l’aménagement de salles d’exposition interactives, de bunkers accessibles en toute sécurité, et de parcours balisés et commentés. Mais tout cela a un prix. « Pour le moment, nous organisons des visites, soit sur demande ponctuelle, soit en groupe chaque dernier dimanche du mois », poursuit Didier Ledé (1). « Des parcours organisés par nos bénévoles, et entièrement gratuits, sachant que les dons spontanés des visiteurs sont les bienvenus ». Dont acte. •Juan Miralles. (1)Infos et contacts : http://w2margival. ifrance.com/ Un tunnel pour le train du Führer Ci-dessus: le petit musée créé par une association de passionnés, ASW2. La nature reprend ses droits dans les constructions allemandes. En visite “touristique”, de jeunes soldats allemands portent un regard de pro sur les infrastructures. 30 Pourquoi Adolf Hitler a-t-il choisi Margival pour y établir son QG sur le front ouest, en cas de nouvelle tentative de débarquement allié, après l’échec de Dieppe en août 1942 ? Pour plusieurs raisons. La première, que l’on qualifiera d’émotionnelle, tient au fait que le futur Führer a combattu dans la région durant la Première Guerre mondiale, en tant que caporal au sein du 16e Königlich Bayerischen Reserve-Infanterieregiment (16e Régiment royal bavarois d’infanterie de réserve). Mais le fond de l’affaire est ailleurs. D’abord, il y a la ligne de chemin de fer Paris-Laon, nœud de transport important pour les Allemands, mais sachant surtout qu’elle s’engouffre, à proximité de Margival, dans un tunnel long de 647 mètres creusé sous une colline. Un tunnel solidement à l’abri, et susceptible de protéger le train du Führer en cas de nécessité. Deux : les environs regorgent de sources faciles à capter, qui ont fourni l’eau en suffisance pour la fabrication du béton nécessaire à l’édification des centaines de bunkers. Trois : une ligne à haute tension existante pouvait fournir toute l’énergie indispensable à la construction du camp et des fortifications alentours ; mais aussi, par la suite, pour faire face aux énormes besoins quotidiens en électricité. Encore un point, et pas des moindres : le site, qui se situe à égale distance des ports maritimes les plus importants du Nord de la France, est localisé dans une vallée boisée et très encaissée, ce qui facilita bien entendu le camouflage. Ceci dit, comme le fait observer Thierry Depret, trésorier de l’association ASW2, « à l’époque, la végétation était loin d’être aussi dense qu’aujourd’hui ». D’où la nécessité, par exemple, de recourir à des filets pour dissimuler les 31