Coseta - KESKISCPASS

Transcription

Coseta - KESKISCPASS
ose
t
a
C
Le monde de la soie de fil en aiguille
D O S S I E R
LES CANUTS,
180 ANS
APRÈS
ÉCONOMIE
LE
BON
FILON
SOCIÉTÉ
LA MODE
LE TISSU
PRÉFÉRÉ
DES
FILLES
GENRE
SEXE ET
SENS
+
www.keskiscpass.com
# 1 - Décembre 2011
L 16045 - 18 - F: 4,90 €
© Sophie Mollin
C
ÉDITO
Ainsi soie-t-il…
Rares sont les moments où le shopping prend le pas sur ma raison et surtout sur
mon porte-monnaie. Mais voilà, je suis une Croix-Roussienne. L’identité du lieu
m’a rattrapé et je me suis achetée un haut en soie. Pas grand-chose : un vêtement
en soie. Blanc, rayé de bleu, pas si bling-bling mais 50 euros. Huit paquets de
cigarettes.
La soie, il faut dire que c’est une institution. Le « meilleur » tissu du monde selon
un peu tout le monde. Une façon de vivre pour certaines. De faire l’amour même
selon quelques forums un peu cochons.
Bref, la soie, au départ, c’est une matière assez attirante qui touche parfois au
fantasme (si, si, regardez page 19). Alors pourquoi ne pas en porter, au moins
pour voir ?
Je l’ai mis. Une fois. Juste assez pour me rendre compte que le tissu n’est pas un
simple coton ou de la laine. Pas que le vêtement soit plus doux ou plus agréable
à porter. Mais il vient de loin. Je l’ai acheté pour l’esprit canut. Celui qui fait bobo,
celui qui en jette. Mais sur ma peau, je porte fatalement le fruit de leur labeur. Celui
d’heures interminables de travail. Celui des femmes déjà sous-payées. Je porte
leur lutte. Celle qui a vu mourir des centaines d’hommes et de femmes, pour l’idéal
d’une vie par le travail. Mais pas celui de Sarko, travailler plus pour gagner gnagna. Le travail qui permet au moins de vivre.
Du coup, j’ai l’air conne avec mon haut à 50 balles. L’équivalent, sans doute, d’une
vie de salaire pour les canuts.
Certaines filles pètent dans la soie, moi je la jette.
COSETA
COSETA #1
•3
C
SOMMAIRE
Photo de couverture : Aurélie Goumy
05 LA FABRIQUE
COSETA # 1
47, rue Sergent Berthet
69258 Lyon Cedex 09
04 72 85 71 71
06 ON NOUS PREND POUR DES COCONS
Directrice de la publication
Isabelle Dumas
Directrice de la rédaction
Anne-Caroline Jambaud
Rédacteur en chef
Mathieu Ruiz Barraud
Rédactrice en chef Web
Natacha Verpillot
Secrétaire de rédaction
Claire Porcher
Journalistes
Marie Aubazac, Zohra Ben Miloud, Coline Benaboura,
Geoffrey Fleury, Benoît Jacquelin, Sophie Mollin, Claire
Monnerat, Claire Porcher, Ève Renaudin, Natacha
Verpillot
Illustrations
Ève Renaudin (B.D.), Benoît Jacquelin (Montage photo)
Maquette
Causette
Webmaster
Geoffrey Fleury
Remerciements: Anne-Caroline Jambaud
Aurélie Goumy, Laurent Benoît, Lucie Baverel,
Gérard Truchet, Robert Luc, Soierie Vivante, Steven
Fafournoux, Pierre, Lauriane, Eva Joy, Jean, Gaëlle,
Le camembert et Maxime pour ses goûters...
Réalisé à la manière du magazine Causette
Attestation de non plagiat
Je soussigné, Mathieu Ruiz Barraud,
Étudiant dans la section journalisme de l’ISCPA Institut
des Médias, atteste sur l’honneur que le présent
dossier a été écrit par la rédaction, que ce travail est
personnel et que toutes les sources d’informations
externes et les citations d’auteurs ont été mentionnées
conformément aux usages en vigueur (nom de l’auteur,
nom de l’article, éditeur, lieu d’édition, année, page).
Je certifie par ailleurs que je n’ai ni contrefait, ni falsifié,
ni copié l’œuvre d’autrui afin de la faire passer pour
mienne. J’ai été informé des sanctions prévues au
règlement pédagogique de l’ISCPA en cas de plagiat.
Fait à Lyon, le 26 novembre 2011.
À l’attention des lecteurs de Coseta
Certaines illustrations (p.1, p.2, p.16 et p.32) sont
des photos mettant en scène des membres de notre
rédaction. Afin qu’aucun doute ne s’instaure, nous
tenons à rappeler qu’en aucun cas, ces photographies
n’ont pour but d’induire le lecteur en erreur en faisant
passer pour la réalité ce qui relève d’une construction.
Ce sont bien des photos d’illustration et non des
photos d’information. Il s’agit ici de respecter la
ligne du magazine dont nous nous sommes inspirés
(Causette) en présentant des photos décalées en
relation directe avec les thèmes traités. Le choix de
membres de la rédaction comme modèle procède
ensuite d’une volonté de notre part de chercher une
proximité avec notre lectorat en mettant en image une
partie de la rédaction, l’humanisant et l’impliquant plus
que par un banal portrait.
Aujourd’hui, la confiance est souvent perdue entre
les journalistes et les lecteurs, chez Coseta nous
essayons, en toute humilité, de recréer un lien entre
les deux. Par notre travail d’information, sérieux et
fiable, mais aussi par la manière, ludique et incarnée,
dont nous le présentons.
Mathieu Ruiz Barraud, rédacteur en chef.
4 • COSETA #1
08 CABINET DE CURIOSITÉ
Saga soyeuse
10 Au fil de l’histoire
11 Entretien avec Robert Luc, historien de la Croix-Rousse
12 L’étoffe des hérauts
13 Croix-Rousse, archi-canut
14 LES GENS
Les gens de petites mains et de grandes familles
14 Portrait d’une créatrice de lingerie fine
15 Portrait du directeur de la Maison Prelle
16 LA CABINE D’EFFEUILLAGE
La soie, c’est leur genre
16 Fil et filles
18 Affriolante et raffinée
19 Excitante et sensuelle
20 BORBORYGMES
21 L’ARGENT N’A PAS D’ODEUR
Soie qui roule amasse le flouze
21 Quand le luxe va, tout va
21 La Chine, les « faux soyeux » des Européens
24 CARNET DE ROUTE [DE LA SOIE]
Lyon a la fibre touristique
26 VUE DU LABO
26 (R)évolution soyeuse
27 Cocon technologique
28 ELLES PÈTENT DANS LA SOIE !
28 Pourquoi la soie défile ?
29 Pour quelques strings de plus...
30 Reportage
31 CULTURE
LA FABRIQUE
C
LA
FABRIQUE
DE LA BAVE
Á LA MATIÈRE PRÉCIEUSE
De l’élevage naturel à la commercialisation, retour sur les
étapes primordiales de la fabrication de la soie. Ou comment
passer du ver rampant à la cravate Dior.
P
our fabriquer de la soie, il faut d’abord
chercher la petite bête ! La fibre est
d’origine animale, issue du cocon produit par la chenille du Bombyx du mûrier ou
Bombyx mori. Bref, le ver à soie. Au contact
de l’air, la bave du ver se solidifie.
La première étape est donc la sériciculture,
l’élevage de ces chenilles dans de vastes
bâtiments chauffés et ventilés. Pendant
ses quatre semaines de croissance, le ver
engloutit encore et encore des feuilles de
mûrier. Le gourmand multiplie sa taille par
quatre et pèse au final 10 000 fois plus que
son poids de départ. Il grimpe le long des
branchages et choisit son lieu de villégiature
pour tisser son cocon.
ADIEU PAPILLON
Huit à dix jours après sa fabrication, le
cocon est décoconné, c’est-à-dire enlevé
de son support et trié. La chrysalide doit
être forcément tuée pour empêcher la
transformation en papillon, rendant inutilisable le cocon. Adieu papillon : le cocon est
étouffé à l’aide, par exemple, de vapeur.
Pour l’extraction du fil, on le plonge dans
l’eau bouillante afin d’enlever la substance
gluante (la séricine), responsable de sa
cohésion.
La filature consiste à dévider le cocon pour
obtenir un fil. Pour trouver l’extrémité, on
remue constamment le cocon avec un petit
© les trucs de Myrtille
balai qui sert à accrocher les premiers fils,
trop fins. La dévideuse les réunit, de quatre
à dix selon la grosseur désirée. Les fils se
soudent entre eux grâce au grès, une espèce de colle, lors de son refroidissement et
sont enroulés sur des dévidoirs. On obtient
alors la soie grège. Il faut huit à dix kilos de
cocons pour obtenir un kilo de soie grège.
Les fils sont ensuite préparés. Le moulinage
les assemble par torsion pour plus de solidité
et pour obtenir des fils d’aspects différents
qui permettront la fabrication de toutes sortes
de tissus. Le décreusage, consistant à faire
bouillir la soie dans de l’eau savonneuse ou
avec un dissolvant, élimine définitivement
le grès. On obtient alors la soie cuite. Le
décreusage peut s’effectuer à un stade
différent du processus selon l’utilisation.
La soie est enroulée sur un tambour, l’ourdissoir, qui permet de monter les fils de
chaîne sur le métier. Le tissage s’effectuait
sur les célèbres métiers à bras jusqu’au
XIXe siècle, puis fût remplacé par la machine à tisser.
Enfin, l’ennoblissement comprend toutes les
opérations qui viennent après le tissage pour
donner au tissu son aspect définitif : la teinture, l’impression des motifs et des dessins
sur les tissus ou encore l’apprêt, soit la préparation du tissu avant sa commercialisation.
Claire PORCHER
© Jupiterimages
COSETA #1
•5
ON NOUS PREND
POUR DES COCONS
C
On nous prend pour des cocons
plus
résistante que l’acier
Le Bombyx mori n’est pas le seul producteur
de soie. Dans la nature, d’autres animaux produisent leur propre soie dans des proportions
bien plus importantes : l’ensemble des espèces
araignées. Les caractéristiques de leur fil varient
selon espèces et usages. Toiles, cocons, pièges,
fils de sécurité... Les arachnides sont de véritables artistes de la soie. Produisant des fils à la
fois souples, légers, recyclables et d’une résistance qui peut parfois atteindre cinq fois celle de
l’acier, les araignées ont de quoi passionner les
Les
© archives.arte.tv
Comme la souris ou le lapin, la
chenille du Bombyx mori, aussi appelée ver à soie, sert de
sujet d’étude aux chercheurs
depuis 150 ans. Dans les années 2000, pour améliorer la
qualité des fils du bombyx, des
scientifiques ont introduit chez
certains spécimens de laboratoire un gène appelé « Piggy
Back ». Injecté directement
dans les oeufs du Bombyx, ce
gène s’intégrait au génome de
près de 50% des spécimens.
Pour les reconnaître, les
scientifiques leur ont ajouté
une protéine fluorescente : la
GFP. Les vers à soie génétiquement modifiés sont donc
devenus... vert fluo. Un changement génique qui a perduré
chez les douze générations
suivantes, toujours utilisées
en laboratoire... B. J.
La soie d’araignée
araignées
tissent des
© forum-svt.ac-toulouse.fr
Ver fluo
chercheurs. Néanmoins, il demeure impossible
d’obtenir une production industrielle de leur soie,
les araignées ne supportant pas les conditions
d’élevage. Les débouchés seraient pourtant
multiples. Dans le domaine médical, pour réparer tendons et ligaments ou réaliser des points
de suture. Dans le sport, où des scientifiques
rêveraient d’en faire des parachutes ultra performants. Ou encore dans le domaine militaire,
où le fantasme du gilet pare-balles 100% soie
d’araignée pourrait bien devenir réalité. B. J.
liens sociaux
La soie est à l’origine d’un rôle social avéré chez certaines espèces d’araignées. C’est ce que révèle
une étude du biologiste Bertrand Krafft. On le sait, la soie leur sert à la fois de protection contre les
prédateurs ou le climat, d’outil pour faire des pièges et également de moyen de locomotion. Mais, plus
insolite, l’utilisation optimisée de cette soie les pousse à créer des relations « sociales ». Ainsi, la mutualisation de leurs efforts, afin de faire une utilisation commune de leur toile, engrange des interactions
sociales complexes. S. M.
Complètement chèvre
Et si nous n’avions bientôt plus besoin ni de ver, ni d’araignée pour obtenir de la
soie ? Dans les années 2000, des scientifiques de la firme québécoise Nexia Technologies ont découvert quel était l’animal qui codait le mieux les gènes produisant la soie
: la chèvre naine. Avant cela, des tests avaient été effectués sur les cochons d’Indes, les
vaches ou encore la levure de bière. Génétiquement modifiée, cette espèce de chèvre
est capable de produire, dans son lait, des fibres de soie semblables à celles des araignées. Basée sur le biomimétisme, cette technologie vise à produire ces biomatériaux de
manière industrielle. L’entreprise a d’ailleurs trouvé une solution pour assurer sa production sans trop débourser : la reproduction des animaux. Nexia a vu les choses en grand
en construisant au Québec une ferme où ces chèvres sont élevées avec plus de 1000
individus normaux pour, à terme, pérenniser l’espèce... B. J.
Sophie MOLLIN et Benoît JACQUELIN
6 • COSETA #1
© soiearaignee.wifeo.com
ON NOUS PREND
POUR DES COCONS
Il faut sauver le soldat Bombyx !
50 000 morts. C’est le lourd bilan des victimes de la création d’une longue robe en soie. Ce massacre de Bombyx mori n’a que trop duré pour
les végétariens radicaux. En effet, on le sait, lors de la fabrication de la soie, les cocons sont plongés dans l’eau bouillante pour tuer le ver
et délier le fil. Mais des solutions existent pour porter de la soie sans aucun mort sur la conscience. En Inde, Kusuma Rajaiah a trouvé une
solution : récupérer les cocons troués une fois les chrysalides envolées. Si ce système ne permet pas d’obtenir un fil complet et donc, une
soie très douce, il permet de profiter de ce textile précieux tout en laissant les bombyx vivre leur vie. Et pour laisser les animaux tranquilles,
il existe aussi le sabra. Ce textile ressemble à la soie, d’apparence et au toucher, mais est totalement végétal. Fabriqué grâce aux fibres
d’Aloé vera, il est surtout utilisé au Maroc. Un second ersatz du précieux tissu se fait appeler « soie végétarienne » et est fabriqué en soja !
Les killers de vers n’ont qu’à bien se tenir. Les fibres végétales vont libérer les Bombyx ! S. M.
© Russell Watkins / DFID
La moule
du
Pakistan
Des arbres aux allures de cocons géants. Ce spectacle
fantomatique a eu lieu lors des inondations sans précédent qui ont touché le Pakistan, en 2010. Dans la vallée
de Sindh, les eaux ayant tardé à redescendre, les araignées ont fini par se réfugier dans les arbres, qu’elles
ont recouverts de leur soie. Ces toiles géantes ont piégé
plus de moustiques que d’habitude dans la région, ce qui
aurait eu un effet bénéfique contre l’épidémie de malaria. Les arbres pris au piège n’ont, en revanche, pas survécu à cette invasion. S. M.
La soie n’est pas qu’un produit de la
terre. Dans l’Antiquité, alors que les
vers à soie étaient secrétement gardés au cœur des provinces chinoises,
les grands de ce monde revêtaient
une toute autre soie : celle du byssus.
On retrouve principalement la soie du
byssus sur le Pinna Nobilis, une sorte
de moule très présente en Méditerranée. Chaldéens, Égyptiens, Crétois
ou Phéniciens furent tous les protagonistes d’une saga millénaire. La soie
du byssus prend la forme de touffes
de filaments. Grâce à de méticuleux
traitements, elle finit par former un
tissu soyeux, plus fin et brillant encore
que la soie du Bombyx. Néanmoins, le
grand nombre de mollusques requis
pour pouvoir broder un quelconque vêtement rendait très longue et coûteuse
sa réalisation. Cette étoffe n’aurait pas
été reniée par Benoît XVI. On recense
effectivement 45 versets évoquant directement le byssus dans la Bible. À en
croire la légende : une aura lumineuse
enveloppait le porteur de soie de byssus, le rendant presque divin aux yeux
du peuple. B. J.
© http://norvan.cps-ecp.org
Les fantômes
de la soie
COSETA #1
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C
CABINET
DE
CURIOSITÉ
De la route de la soie à la révolte des canuts
SAGA
SOYEUSE
Si les origines de la soie sont ancestrales en Asie, c’est au XIIIᵉ siècle que sa production se
répand dans toute l’Europe. Mais sa capitale historique reste Lyon, berceau des canuts et
des métiers à tisser modernes. Entre Saône et Rhône, la précieuse étoffe a créé une classe
ouvrière, soulevé des révoltes et tissé un réseau économique et social visible aujourd’hui
encore dans toute la France.
Dossier réalisé par Marie AUBAZAC, Coline BENABOURA et Mathieu RUIZ BARRAUD
La bataille de la place des Bernardines, à Lyon, le 22 novembre 1831 / Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes, Paris
CABINET DE CURIOSITÉ
AU FIL DE
L’HISTOIRE
La soie, symbole du luxe par excellence. De son berceau chinois aux cours des rois de France, déroulons
la bobine de son histoire...
EPISODE
1
LA NAISSANCE DE LA SOIE
Il est difficile, encore aujourd’hui, de dater l’apparition de la soie. Le
plus vieux fragment de cette fibre naturelle a été découvert dans les
tombes royales de la dynastie des Shang (dynastie chinoise régnante
du XVIIᵉ au XIᵉ siècle avant J.-C.). Il daterait de 2570 avant J.-C. Mais
ce tissu précieux ne semble pas être l’apanage de la seule civilisation
chinoise. Des découvertes récentes dans la vallée de l’Indus, entre
l’Inde et le Pakistan actuel, laissent penser que la civilisation qui y vivait
(entre -2800 et -1900 avant J.-C.) connaissait et maîtrisait déjà l’usage
de la soie. La matière, qui prend son essor sous la dynastie des Hans
(IIᵉ siècle avant J.-C.) se diffuse rapidement à travers l’Eurasie. La soie
prend rapidement en Chine une valeur de luxe. Le métrage de tissu
devient un étalon monétaire. L’usage de la soie y est si important que
le caractère d’écriture « soie » constitue une des principales « clés »
de l’alphabet chinois sous la dynastie des Hans.
EPISODE
2
LA ROUTE DE LA SOIE
C’est la plus fameuse et aussi la plus importante route commerciale du
monde. Les plus grandes civilisations ont participé à la formation de cet
axe entre les deux extrémités de l’Eurasie. Il y a 2 000 ans, des commerçants chinois et étrangers commencèrent à transporter des tissus
de soie de Chine vers la Perse et Rome, ouvrant ainsi une route entre
l’Orient et l’Occident. La Route de la Soie partait de Chine et passait
par l’Asie centrale, l’Afghanistan, l’Iran, l’Iraq, la Syrie pour aboutir à la
côte orientale de la Mer Méditerranée. Longue de plus de 7 000 km,
la Route de la Soie traversait la Chine sur 4 000 km. Les transactions
liées à sa commercialisation ont rapidement conféré à la soie une forte
valeur marchande.
EPISODE
3
LA SOIE EN EUROPE
Il faut attendre le XVIᵉ siècle pour voir la sériciculture pénétrer en
France. La Chine conserve cependant un large monopole. Introduite
© DR
10 • COSETA #1
au Japon dès le VIIᵉ siècle, la soie gagne rapidement l’Empire romain
puis la Grèce enfin plus largement l’Europe et Byzance. L’Église de
Byzance et l’Empire créent alors des fabriques impériales pour développer une industrie de la soie dans l’Empire romain d’Orient. Bien plus
tard et suite aux croisades, la technique de production commence à
s’étendre à travers l’Europe occidentale et plus particulièrement en Italie au XIIIᵉ siècle. Une production domestique s’y développe grâce à
l’arrivée de 2 000 tisserands qualifiés venus de Constantinople afin de
satisfaire les besoins en produits luxueux de la bourgeoisie. Les villes
de Lucques, Gênes, Venise et Florence exportent bientôt vers l’Europe
entière. En 1472, il existe à Florence 84 ateliers de tissage de soie et
au moins 7 000 métiers à tisser.
EPISODE
4
FRANÇOIS 1ᵉͬ
LE MÉCÈNE DE LA SOIERIE FRANÇAISE
Les tissus italiens sont extrêmement coûteux. Aussi, par souci d’économie et afin de s’adapter à la mode française, le roi Louis XI décide en
1466 de développer une production nationale. La ville de Tours devient
alors un des premiers lieux de production. C’est seulement vers 1535,
sous François 1ᵉͬ , qu’est accordée une charte à deux commerçants,
Étienne Turquet et Barthélemy Naris, pour développer la soierie à
Lyon. Étienne Turquet, originaire du Piémont, crée alors une « manufacture d’étoffes de luxe et obtient du roi le privilège de la fabrication
des étoffes d’argent et d’or. » Par la suite, le roi accorde le monopole
de la production à la cité rhodanienne. Nous sommes en 1540. Lyon
devient la capitale européenne de la soie. Les canuts installent leurs
métiers à Saint-Georges. C’est le démarrage de l’industrie de la soie
qui fait aujourd’hui encore la renommée de Lyon.
Coline BENABOURA
POUR ALLER PLUS LOIN
• La Soie, 4000 ans de luxe et de volupté, Historia, n°648, décembre 2000
• Le Livre de la Soie, Philippa Scot, Le Livre de Soie, Imprimerie nationale, 2002
• Autour de la soie, sur auverasoie.com
• Histoire de la soie, sur Intersoie.org
• Histoire de la soie, un article de Wikipédia
CABINET DE CURIOSITÉ
FONDEMENTS
DES CONQUÊTES SOCIALES »
« LES
Les canuts, ce sont ces ouvriers de la soie tissant sur des machines à la Croix-Rousse, à Lyon, au
XIXᵉ siècle. Soumis à de rudes conditions de travail, les canuts se révoltent à de nombreuses reprises.
Conteur de rues, journaliste et historien de la Croix-Rousse, Robert Luc est co-fondateur de Novembre
des Canuts. Il revient sur l’histoire de ces tisseurs de soie.
Quelle est l’origine de la révolte des canuts ? Les canuts sont des sous-traitants. Ils sont propriétaires des métiers à
tisser, mais la matière première, les cartons de la mécanique Jacquard,
sont la propriété des négociants qui fixent le montant des tarifs. En
octobre 1831, cela fait 16 ans que les tarifs n’ont pas bougé. Le préfet
Bouvier du Molard va donc prendre la décision de faire se rencontrer
délégués des négociants et délégués des chefs d’ateliers canuts pour
trouver un terrain d’entente. Mais il ne réussit pas à faire accepter aux
fabricants le tarif fixé, et provoque ainsi la mobilisation des ouvriers.
Quelles étaient les revendications des canuts ?
Les revendications de 1831 sont avant tout économiques. À cette
époque, le salaire des canuts tombe à 18 sous, soit moins d’un franc.
La première révolte découle donc de la volonté des fabricants de profiter de la libéralisation des prix du marché. Sur fond de conscience
de classe, la seconde insurrection est davantage politique : les canuts opposant leurs idéaux républicains à l’armée orléaniste. Une
baisse des commandes est à l’origine de la grève des ouvriers. À partir de cette date, le modèle de la Fabrique va commencer à évoluer
sous l’effet des idées libérales. Cette période est aussi marquée par
des expériences sociales nouvelles telle le mutuellisme et la presse
ouvrière avec L’Echo de la Fabrique. La dernière révolte, en février
1848, est celle des voraces, des chefs d’atelier remettant en cause
la manière de travailler et d’exploiter les ouvriers. Les combats sont
violents, mais en juin, les voraces doivent se soumettre au gouvernement républicain.
fondent le mutuellisme, proche de ce qu’il est aujourd’hui. Ils ont aussi
permis de sortir d’un état d’esprit proche du corporatisme en invitant
à regarder les autres professions pour découvrir des problèmes communs. La révolte des canuts est la prémice des futures organisations
syndicales, dans la mesure où les canuts ont appelé les prolétaires à
défendre leur dignité d’ouvrier.
On
parle souvent de l’esprit canut, qu’en est-il au-
jourd’hui
?
On en parle beaucoup sans vraiment savoir qui étaient les canuts, ni
quel était leur objectif. L’esprit canut, ce n’est pas habiter dans les immeubles ateliers, ni agiter de façon romantique des slogans et encore
moins prendre ses propres convictions pour la réalité. S’il existe encore, l’esprit canut est à chercher du côté des luttes ouvrières, permettant de vivre dignement, d’aimer son métier, de participer aux progrès
sociaux, de regarder en dehors de sa famille politique ou syndicale et
de défendre les valeurs qui font que l’homme n’est ni une machine, ni
une bête.
Propos recueillis par Marie AUBAZAC
Aujourd’hui que reste-t-il de la révolte des canuts ?
Le mythe ! C’est une des raisons de la création de Novembre des
Canuts, qui a la volonté de redonner la parole aux canuts afin que l’on
puisse faire le lien avec les problèmes d’aujourd’hui. Les canuts ont
laissé en héritage les fondements des conquêtes sociales. En 1828, ils
© DR
Quelles ont été les conséquences sociales de la révolte ?
En 1831, c’est la première fois que des ouvriers porteurs d’une revendication triomphent par les armes d’une autre force armée et occupent
l’ensemble d’une ville et ses pouvoirs. À ce titre, le drapeau noir portant la devise « Vivre en travaillant ou mourir en combattant » est très
symbolique de l’importance donnée aux conditions de travail. La place
de l’ouvrier dans le système de production industrielle évolue, il n’est
plus un simple exécutant mais un acteur dans un système économique
au même titre que les actionnaires ou les employés. De façon générale, les révoltes des canuts ont amélioré la représentativité des chefs
d’atelier aux Prud’hommes et ont permis de montrer la réalité d’une
entente ouvrière solidement charpentée et bien décidée à la lutte révolutionnaire.
COSETA #1
• 11
CABINET DE CURIOSITÉ
L’ÉTOFFE
DES HÉRAUTS
© Reuters
© Bibliothèque municipale de Lyon SJIF
En 1831, lors de la première révolte ouvrière, les canuts occupent Lyon avec leur devise : « Vivre en
travaillant ou mourir en combattant » Ils n’ont jamais obtenu gain de cause, mais ont ouvert la voie aux
luttes ouvrières en inventant des formes inédites d’organisation sociale.
Des canuts (insurrection à Lyon, gravure du XIXᵉ siècle) aux ouvrières de Lejaby, un mot d’ordre : la révolte.
En juillet dernier, les ouvrières de Lejaby choisissent la Maison des
Canuts pour dire leur mécontentement suite à la fermeture de trois
des quatre sites de production, fin 2010. Le 27 octobre, le fabricant de
lingerie est placé en redressement judiciaire, par le tribunal de commerce de Lyon. Rien d’étonnant que de nombreux journaux appellent
aujourd’hui les couturières, « les canuts du XXIᵉ siècle ». Une appellation que ne renie pas Maryse Fleuret, salariée chez Lejaby : « Ils sont
le symbole de la genèse des mouvements ouvriers, on ne peut qu’être
fier de cette comparaison et leur slogans s’appliquent tout à fait à notre
situation : nous aussi on vit et on lutte. »
La révolte des canuts marque le début des futures organisations syndicales ouvrières. Les idées débattues à l’époque se prêtent à une
véritable réflexion de nos jours. Les canuts sont désormais le symbole
de la révolte contre le système capitaliste. Néanmoins, pour Pierre
Clerjon, historien lyonnais, « leur devise dépasse la notion d’argent.
Elle signifie être reconnu dans son travail et permet de s’interroger
sur la façon de vivre son travail aujourd’hui, entre salariat et auto-entreprise. » Depuis 1831, de nombreuses luttes régionales ont marqué
l’histoire de la région. Selon Robert Luc, historien et écrivain : « Tous
les combats ayant pour objectif l’émancipation des prolétaires sont à
lier à la révolte des canuts. »
UNE CLASSE OUVRIÉRE ET SOLIDIARE
La révolte des canuts, c’est aussi la naissance d’une conscience de
classe. Elle a permis de faire naître le sentiment d’une réelle communauté d’intérêts. Ils sont les premiers à s’intéresser à la place des
femmes : elles sont tout aussi nombreuses que les hommes à actionner
les métiers à tisser et pourtant, leur salaire est inférieur. Les ouvrières
commencent donc à réclamer une certaine reconnaissance et les canuts
12 • COSETA #1
développent « une solidarité prolétarienne ». Dès 1806, ils sont à l’origine
de la création par Napoléon du premier conseil des prud’hommes qui
vise à réguler leurs relations avec les marchands. Les chefs d’ateliers
s’intéressent aussi au mutuellisme, une doctrine économique fondée sur
l’entraide. Les caisses de mutualité, ancêtres des mutuelles permettent
de faire face aux accidents de la vie. En 1871, le mutuellisme devient
mutualisme, un concept toujours dans l’air du temps. Pour Pierre Clerjon, « c’est une valeur moderne, si on l’adapte à la réalité de notre temps,
beaucoup de produits sont commercialisés par le biais de structures
mutualistes. » Mais, il faut vivre avec son temps et selon Gérard Truchet,
président de République des Canuts, si les canuts « ont laissé un héritage
énorme aux ouvriers, la classe ouvrière étant beaucoup moins homogène
qu’à l’époque, l’esprit canut, lui, n’existe plus vraiment. »
UN JOURNAL QUI A DE L’ÉCHO
Le 23 octobre 1831, paraît l’annonce de la création du premier journal ouvrier : L’Écho de la Fabrique. Fondé par Antoine Vidal, le journal publiera
ses huit pages hebdomadaires sur deux colonnes jusqu’en mai 1834.
Les canuts vont débattre et tenter d’adapter le régime de la fabrique lyonnaise à l’évolution industrielle en cours, afin de préserver leur autonomie
et leur liberté. Dans les pages de L’Écho de la Fabrique, on discute de
l’association industrielle, de l’enseignement mutuel et de l’économie sociale. D’après Marius Chastaing, rédacteur en chef jusqu’en août 1833,
« l’un des objectifs est l’amélioration de la classe prolétaire sans léser
les intérêts des chefs de fabrique. » Cette presse militante a su inspirer
la presse ouvrière d’aujourd’hui. L’Echo de la Fabrique finit d’ailleurs par
ouvrir ses colonnes à d’autres travailleurs en lutte.
Marie AUBAZAC
CABINET DE CURIOSITÉ
Croix-rousse, archi-canut
© Aurélie Goumy
L’arrivée des canuts et leurs métiers à tisser a profondément bouleversé l’architecture et l’urbanisme de
la colline de la Croix-Rousse. Un impact encore visible aujourd’hui.
Rue du Mail, Croix-rousse, Lyon
À vendre, appartement canut, plafond à la française. Ainsi commence
la plupart des annonces immobilières de la Croix-Rousse. « La majorité des gens font l’amalgame entre canut et croix-roussien », commente Valérie Disdier, directrice de la Maison de l’architecture RhôneAlpes. Parce qu’on ne rigole pas avec l’Histoire. « Les appartements
de canuts sont ceux qui ont abrité des métiers à tisser, point. » Le reste
est croix-roussien.
« Le terme appartement est déjà inexact », déplore Gérard Truchet,
président de la République des Canuts, une association qui défend le
patrimoine lyonnais et particulièrement celui de la Croix-Rousse. Au
départ, les immeubles sont faits pour installer les locaux des tisseurs,
le métier à tisser et souvent loger un apprenti. L’arrivée de la mécanique Jacquard rehausse considérablement la hauteur des métiers et
les canuts migrent des quartiers Saint-Georges dans le Vieux Lyon
vers la colline de la Croix-Rousse. Leurs obligations professionnelles
amènent alors un nouveau style architectural.
« Le plateau et les pentes n’ont pas beaucoup bougé depuis », assure Gérard Truchet. Les canuts engendrent donc les hauts plafonds
de près de quatre mètres, le plafond à la française pour solidifier les
étages et les grandes fenêtres. « Aujourd’hui, on trouve les appartements canuts magnifiques, alors qu’à l’époque, ils étaient juste pragmatiques », ironise Valérie Disdier. Par exemple, si les fenêtres étaient
hautes, c’était surtout pour gagner en luminosité et faire travailler le
canut le plus longtemps possible. Seize à dix-huit heures par jour selon
les témoignages de l’époque.
Idem pour les traboules. Ces passages entre les rues par les cours
d’immeuble procèdent d’une « logique architecturale », selon Gérard
Truchet. « Dans les pentes, les immeubles ont été construits très
proches les uns des autres. Du coup, on a fait des entrées sur la rue en
amont comme celles en aval. » Pour que les canuts puissent se déplacer plus vite. Le rendement. « L’architecture canut, c’est le capitalisme
à l’état pur, en pleine Révolution industrielle », explique Valérie Disdier.
CANUT : ARCHI-MODERNE
Mais l’architecture canut s’est aussi avérée pleine de ressources et
de modernité. « Quand les bobos et les galeries d’art et d’architecture
se sont installés à la Croix-Rousse dans les années 90, c’est pour les
possibilités qu’offraient les appartements canuts », commente Valérie
Disdier. Avec ses quatre mètres de plafond, un appartement de canut
peut voir sa superficie considérablement augmentée. « La plupart des
gens ont transformé leur habitation en y installant une mezzanine.
Mais souvent au détriment d’une fenêtre. Ce qui fait perdre de la
luminosité », analyse Gérard Truchet.
Mais le problème est que le quartier pauvre au temps des canuts, populaire au siècle dernier, s’est embourgeoisé. « Quand les appartements de
la Cour des voraces se sont vendus au début des années 90, le prix au
mètre carré était dérisoire. Aujourd‘hui, à la Croix-Rousse, un mètre carré
peut coûter jusqu’à 4 500 euros », constate Valérie Disdier.
Du coup, le quartier des pentes a vu se multiplier les demandes de permis de construire. Mais en 1995, une Zone de Protection du Patrimoine
Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP) a été mise en place. « Les
habitants se sont beaucoup investis dans le processus », déclare Gilles
Buna, adjoint à l’urbanisme de la ville de Lyon. « Les habitants du 1er
arrondissement ont vraiment pris conscience du caractère patrimonial
des lieux. » Les constructions sont donc soumises à des réglementations
strictes afin de préserver l’identité des pentes.
Pour le plateau, en revanche, la situation est complétement différente. « Il n’y
a pas eu autant de spéculations immobilières dans le 4ᵉ arrondissement », commente Gilles Buna. Pourtant le côté patrimonial du plateau
est aussi appuyé que dans le 1ᵉͬ arrondissement. Mais il n’y aura pas de
ZPPAUP. « Sur le plateau, il n’y a que très peu de constructions mais plus des
rénovations d’immeubles déjà existants. Il est donc préférable que la restriction patrimoniale se fasse immeuble par immeuble que de façon globale. »
Mathieu RUIZ BARRAUD
La mécanique Jacquard
Ce type de métier à tisser est créé en 1801 par le Lyonnais JeanBaptiste Jacquard. La mécanique Jacquard amène la possibilité
de programmation grâce à l’utilisation de carte perforée. Elle permet ensuite la production de tissus beaucoup plus ouvragés et ce,
plus rapidement. Elle est installée au-dessus du métier à tisser.
Ce qui augmente considérablement la hauteur de l’ensemble. Elle
passe de 1 mètre 80 environ à près de 4 mètres. Elle a été assez
mal accueillie par les ouvriers. Son fonctionnement ne nécessitant
qu’une personne, les canuts y ont vu une source de chômage.
Le principe de la carte perforée a ensuite inspiré le Britannique
Charles Gabbage qui créa le principe de l’ordinateur. M. R.
COSETA #1
• 13
LES GENS
C
LES
GENS
PETITES MAINS
ET DE GRANDES FAMILLES
LES GENS DE
La soie est au centre de leur vie personnelle et professionnelle. Maki Marie nous a reçu dans son atelier,
à domicile, alors que Guillaume Verzier, directeur de la maison Prelle, nous a ouvert les portes de la
manufacture. Secrets de soyeux modernes.
PORTRAIT
1
Un mélange qui va de soie......
Passionnée de la création de lingerie fine, Maki Marie place la soie
au centre de ses œuvres. Rencontre avec une créatrice lyonnaise plus
qu’originale.
« C’est la
présence de
soie dans un
ensemble qui
permettra
de le classer
dans
la catégorie
haut de
gamme »
À 31 ans, Maki cherche toujours à pousser l’originalité au maximum. « La lingerie doit sublimer le corps de la
femme et la soie apporte cette petite chose qui fait qu’elle sera unique ». La soie, c’est d’ailleurs la raison qui a
poussé la belle brune au regard captivant à venir s’installer à Lyon, il y a près de six ans. Après des études de
stylisme à Kyoto, elle complète sa formation par une spécialisation d’un an à Lyon. C’est en 2008 qu’elle lance sa
propre entreprise sur internet.
La soie est un tissu aussi fragile que somptueux et sa couture demande beaucoup d’agilité et de précision. Cette
condition ne pose aucun problème à Maki qui aime travailler les détails de ses créations. Tous les ensembles
de lingerie qu’elle crée sont un mélange de soie lyonnaise et de soie de Kimono qu’elle importe du Japon. Ce
mélange, totalement inédit sur le marché de la mode, était pourtant une évidence pour Maki. Il s’agit de deux villes
qui placent la soie au centre de leur patrimoine et en les mariant, elle éteint toute rivalité.
Pour elle, la soie apporte une touche d’élégance à la lingerie. « C’est la présence de soie dans un ensemble qui
permettra de le classer dans la catégorie haut de gamme », affirme t-elle. Et pour sublimer ses créations, Maki
Marie a la solution. Elle ajoute des bijoux comme des cristaux Swarovski ou encore des perles de Bohème. Des
détails qui font la différence puisque ses créations ont attiré l’attention de Chantal Thomass, reine de la lingerie
française, lors du concours Talent de mode, lancé en 2009 par le village des créateurs (dans les pentes de la
Croix-Rousse, il facilite le développement économique des jeunes entreprises de mode).
Maman d’un petit Léon, la créatrice a fait le choix d’installer son atelier chez elle afin d’exercer sa passion dans les
meilleures conditions, tout en élevant son fils. La plupart de ses ventes se font en ligne sur son site internet. Si ses
ensembles cartonnent en Europe, les commandes depuis le Japon sont rares. La soie lyonnaise reste méconnue
des Japonaises. C’est pourquoi elle décide en juillet dernier de retourner au Japon pour exposer ses créations
dans l’une des plus grandes galeries de Kyoto. À cette époque, le pays est encore secoué par les catastrophes
naturelles du début d’année. Mais ce n’est pas suffisant pour décourager Maki. Elle s’envole donc au pays du soleil levant, les valises pleines de ses plus belles œuvres. Les Nipponnes sont très vite séduites et la créatrice vend
des centaines de produits. « Les Japonaises apprécient porter de la lingerie faite à partir de soie européenne, elles
qui ne portaient jusqu’à présent que de la soie locale », nous confie-t-elle avec une certaine fierté.
Cette exposition a révélé la créatrice au public japonais, qui compte un grand nombre de consommatrices de
lingerie. Cette réussite pourrait amener la jeune femme à repartir s’installer au Japon prochainement. Mais pour
toutes ses clientes lyonnaises (ou autres) tombées sous son charme, les créations de Maki seront toujours disponibles sur la toile.
Zohra BEN MILOUD
14 • COSETA #1
© Natahca Verpillot
© Zorha Ben Miloud
LES GENS
Maki Marie dans son atelier (à gauche) et Guillaume Verzier (à droite)
PORTRAIT
2
Retour au cocon familial ...
Le directeur de la Maison Prelle, Guillaume Verzier, restaure les intérieurs
des plus beaux édifices et des plus somptueuses demeures. Rencontre avec
l’un des derniers soyeux lyonnais.
Située sur la colline de la Croix-Rousse, la manufacture Prelle a conservé son atelier d’origine dans le fief historique de la soie. Ici, le descendant d’Eugène Prelle tisse encore des étoffes de soie très luxueuses et raffinées.
Malgré l’émergence d’une concurrence mondiale, il continue d’exporter la soierie lyonnaise comme à son apogée
au XVIIIᵉ siècle. Les destinations ? Des palais tels Versailles, des monuments comme le Louvre et des villas de
particuliers richissimes, aux quatre coins de la planète. Une clientèle fortunée qui joue la carte de la discrétion.
Ainsi, Guillaume Verzier ne s’entretient jamais avec les clients directement mais avec leurs décorateurs. Il
doit également toujours taire le nom de ceux qui commandent. « Mais bon, au bout de quelques temps, il y a
prescription », concède Guillaume Verzier avant d’en citer une petite flopée dont Yves Saint-Laurent et Karl
Lagerfeld. D’apparence pourtant modeste, il prend un certain plaisir à vanter la qualité de ses pièces, répliques
parfaites des tissus anciens pour l’ameublement. « Quand vous achetez Hermès, c’est la marque que vous
payez, tandis que Prelle c’est la qualité que vous achetez. On répond aux mêmes critères de qualité, s’ils ne
sont pas supérieurs », vend le quinquagénaire.
Il a d’ailleurs le mérite d’avoir réussi à faire cohabiter deux générations de métiers à tisser : des métiers à bras vieux
de deux siècles et des métiers très modernes qui datent de deux ans. Une façon pour lui de préserver le savoir-faire
d’antan associé à la performance hors norme des nouvelles machines. En tout, près de 25 métiers. Une quantité non
négligeable lorsqu’on la compare aux trois métiers à tisser que renferme un atelier comme Soierie Saint-Georges,
dans le Vieux-Lyon. Sous sa responsabilité, 30 employés qu’il appelle « les croiseurs de fils ». Ces derniers ne
doivent commettre aucune faute afin de répondre scrupuleusement à une clientèle très exigeante. Un devoir d’autant
plus important « qu’au sens le plus noble, nous sommes les plus gros et quasiment les derniers », souligne le directeur. Pourtant, cet amoureux de voitures anciennes et féru de ski n’avait pas vraiment l’ambition de diriger la manufacture. Les visites régulières à l’atelier enfant ? « Ça ne m’attirait pas du tout », confie le croix-roussien d’origine. Son
credo, c’était l’expertise comptable au départ. Mais après une longue période de chômage, son père lui donne une
mission : réaliser un audit afin de déceler les forces et les faiblesses de l’entreprise soyeuse. Un travail qui devait
durer six mois. Trente ans plus tard, ce père de trois enfants, successeurs potentiels, règne encore sur l’empire
familial. Aujourd’hui, quand il décrit son métier, il le qualifie de « passionnant ». Le chef d’entreprise a d’ailleurs
crée une filiale de la manufacture Prelle à New York, l’Amérique du Nord étant un gros importateur de soierie
lyonnaise. L’héritier se tourne désormais vers son autre rêve : user des techniques de leur maison « qui n’ont
pas d’égal » pour le compte de grands créateurs. « S’ils acceptent de se piquer au jeu », conclut le soyeux.
« Quand
vous achetez
Hermès, c’est
la marque
que vous
payez,
tandis que
Prelle, c’est
la qualité
que vous
achetez »
Natacha VERPILLOT
COSETA #1
• 15
LA CABINE
D’EFFEUILLAGE
C
CABINE
D’EFFEUILLAGE
© Aurélie Goumy
LA
LA SOIE,
C’EST LEUR GENRE
16 • COSETA #1
LA CABINE
D’EFFEUILLAGE
FIL ET FILLES
La soie, c’est une histoire de filles. Même loin des podiums, loin dans l’histoire, ça parle de femmes.
Bonnes ouvrières, symboles de couveuses pour les cocons ou main d’œuvre pas chère, elles ont toujours
été placées, dans l’Histoire, au cœur de la création de la soie.
A
u premier siècle de notre ère, les
récits parlent déjà de l’importance
des femmes dans la fabrication de la
soie. Au XVIᵉ siècle, elles ont un rôle quasiment exclusif dans la sériciculture et dans
la filature. C’est ce que révèle une étude1
ethnologique réalisée par Claudio Zanier.
Cette hégémonie féminine dans la fabrication de la soie y est expliquée par plusieurs
facteurs.
Tout d’abord, les femmes possédaient un
savoir-faire transmis oralement entre elles,
ce qui a rapidement exclu les hommes de
ce savoir. De plus, cette étude rapporte
que seules les femmes jeunes, robustes
et saines pouvaient s’occuper des cocons.
Appelées les « nourrices des vers à soie »,
les éleveuses devaient être visuellement fécondes. Il a d’ailleurs longtemps été interdit
aux femmes de participer à la sériciculture
durant leurs menstruations. Partout dans le
monde, les récits racontent que ces jeunes
et belles femmes « couvaient » les cocons
entre leurs seins et que les soies obtenues
de cette manière étaient les plus belles.
Enfin, elles seules possédaient les connaissances pharmacologiques nécessaires
pour contrer les maladies des vers à soie.
Certaines plantes utilisées en sériciculture
étaient d’ailleurs des plantes utilisées pour
gérer le lait maternel ou les flux menstruels.
Pour protéger leurs secrets, les femmes
interdisaient l’accès à leur ateliers aux
vieilles radoteuses, afin de ne pas laisser
échapper leurs connaissances et rester les
maîtresses en la matière.
ron 50% des ouvriers de la soie lyonnaise.
Robert Luc, historien du quartier de la CroixRousse à Lyon explique : « À l’époque de
la révolte, l’industrie de la soie s’appuie sur
une structure de production familiale. Les
femmes ont donc leur place dans le travail
fait dans l’atelier en tant que chef d’atelier
ou ouvrière en soie. La dizaine de victimes
de sexe féminin lors de la révolte montre
qu’elles étaient très présentes ». Puis, lors
de la création des usines de tissages, la
main d’œuvre redevient, mis à part l’encadrement, essentiellement féminine. Les
raisons de la prépondérance féminine dans
la fabrique de la soie se sont transformées
avec le temps, mais pas leur présence...
Sophie MOLLIN
BON RAPPORT QUALITÉ-PRIX
Si les femmes ont toujours eu cette place prépondérante, c’est parce qu’elles ont toujours
été une main d’œuvre peu chère. À Lyon, par
exemple, les canuses représentaient envi-
© récolte cocons et filage
De toute façon, c’est pas
halal pour les hommes !
« Celui d’entre vous qui se vêtit de soie
jusqu’à sa mort sera privé de soie au
paradis ». Cet hadith (parole du prophète Mahomet, considérée comme un
guide de conduite pour les Musulmans)
s’applique uniquement aux hommes.
Plusieurs raisons expliquent cette prohibition associée à une seconde interdiction, celle de porter de l’or. « C’est
trop doux et trop fin pour les hommes »
commente un pratiquant. En effet, « les
hommes sont privés de ces deux matériaux afin de se distinguer des femmes »,
explique l’imam Mohammed Minta, auteur de plusieurs ouvrages sur la spiritualité. L’Islam a réservé ces deux matières
riches et raffinées aux femmes, pour leur
besoin de parure et permet aux hommes
de respecter l’appel du Coran à rester
simple et non arrogant. « La soie, c’est
une forme de luxure » rajoute l’imam
Minta. Cette interdiction est très respectée par les pratiquants. Elle ne peut être
transgressée qu’en cas d’impératif médical.
En effet, étant une fibre 100% naturelle,
la soie n’est pas allergène et constitue
l’unique vêtement que peuvent porter certains malades. Dans ces conditions, il ne
s’agit pas de luxure, l’interdit est donc
levé pour les Musulmans. En France, à
part les cravates, peu d’articles masculins sont en soie. Doublures de costards
ou chaussettes, elle est appréciée de la
gente masculine surtout pour son caractère thermorégulateur. Islam ou pas, les
hommes et la soie, c’est surtout une histoire de confort. S. M.
1. Source : « La fabrication de la soie : un domaine réservé aux femmes » dans Travail, genre et sociétés, nº 18, 2007/2, 216 pages, La Découverte
COSETA #1
• 17
CABINE
D’EFFEUILLAGE
AFFRIOLANTE ET RAFFINÉE
Soie et burlesque. L’association vient fatalement à l’esprit des adeptes de ce mouvement artistique. Aucun
autre tissu n’évoque autant la féminité et la sensualité qu’elles recherchent dans leurs spectacles.
UN LIEN INTIME À LA MATIÈRE
« La soie est l’une de mes passions. La douceur, les reflets, le tombé
sont sans pareil », s’enthousiasme Mina. Elle admet volontiers que la
grande majorité de sa garde-robe se compose de pièces en soie, lingerie comprise. Elle lui confère une sensualité qui lui est personnelle.
« Discrète et chatoyante, c’est vraiment un tissu magique », justifie la
jeune femme. Le budget, pour elle, n’est qu’une question de choix.
Parce que la sensation sur la peau est vitale, elle préfèrera toujours
acheter un seul pull en cachemire que trois en acrylique.
Lily DesLys recherche autant la soie pour la sensation de cette matière
que pour le plaisir de posséder « un vêtement précieux et unique ».
Le fantasme suscité par la matière, elle l’évoque aussi bien du côté du
public que d’elle-même. Elle raconte : « Quand j’ai commencé à constituer ma garde-robe, la mention me faisait rêver, elle m’évoquait tout
un univers de raffinement, d’élégance et de luxe. » Même si, à cause
de sa difficulté à travailler, elle admet que son rapport avec la soie est
assez proche de la haine. Un sentiment ambivalent qui contraste avec
la sensation très sensuelle qu’elle éprouve à toucher ce tissu. « Le
satin de soie a un contact très particulier avec la peau, c’est comme
une caresse », souffle-t-elle.
Ève RENAUDIN
18 • COSETA #1
© Mina Pyro
Dans l’imagerie populaire française, le burlesque est un style d’humour
que l’on retrouve aussi bien chez Charlie Chaplin que chez Louis De
Funès. Mais, de l’autre côté de l’Atlantique, le mot désigne une tout
autre forme d’art, bien plus sensuelle. Le terme naît au XIXᵉ siècle
lorsque le style de spectacle des cabarets de Paris s’exporte aux
États-Unis. Mêlant cirque et danses en tenues légères, ce type de
show connaît un certain succès chez un public averti.
Comment devient-on une effeuilleuse rétro ? Pour la flamboyante
rousse Lily DesLys, il s’agirait presque d’un acte militant : « Le striptease contemporain est froid et exhibitionniste, à mon petit niveau je
prends position contre cette forme d’érotisme qui rime avec vulgarité et
frustration. » Dès lors, le costume devient plus qu’un accessoire. Un
élément essentiel sans lequel « il n’y a pas d’effeuillage burlesque
», affirme catégoriquement la jeune femme. Sa consœur, la ténébreuse Mina Pyro, partage son avis et ajoute une condition : « Les matières
se doivent d’être un peu nobles pour rester jolies sous les lumières. Pour
les corsets, la soie me semble obligatoire. » Lily met en garde cependant
contre la fragilité de ce tissu. Elle avoue ne pas utiliser la soie autant qu’elle
le voudrait pour ses costumes car ils deviendraient très compliqués à entretenir. Ce qui ne l’empêche pas de posséder un costume majoritairement
en drap de soie recouvert de tulle.
« Au quotidien, je bannis purement et simplement le synthétique, mais
l’usage particulier des costumes impose parfois des matières plus faciles d’entretien pour la scène », raconte l’effeuilleuse. Elle compense
alors ce manque par l’utilisation de matières approchantes par l’aspect
et surtout, elle fait appel au maximum à des artisans pour créer ses
tenues, inspirées par des photos de magazines des années 50. Un
acte qu’elle revendique encore une fois comme presque militant : « Je
souhaite valoriser la qualité, la passion et le travail manuel. »
Mina Pyro dans ses habits de soie.
Le burlesque en France
En France, le mouvement est encore loin d’atteindre les proportions des pays anglo-saxons. Le grand public a pu découvrir cet
univers à l’occasion de la montée des marches du Festival de
Cannes en 2010. Le film Tournée de Mathieu Amalric met cette
année-là en scène de vraies vétéranes du circuit burlesque américain comme Miss Dirty Martiny et Mimi Le Meaux.
Les Françaises n’ont toutefois pas attendu ce film pour se lancer
dans l’art de l’effeuillage rétro puisque le site beburlesque.com
référence une cinquantaine de pin-ups exerçant un peu partout
en France. Deux écoles existent également, toutes deux situées
à Paris. Elles proposent cours de striptease et conseils en tout
genre pour adopter l’attitude d’une vraie pin-up. E. R.
LA CABINE
D’EFFEUILLAGE
EXCITANTE ET SENSUELLE
Volupté, douceur, féminité… La soie fascine. Parfois, cette passion prend des proportions inhabituelles,
jusqu’à atteindre un réel fétichisme. Incursion dans l’intimité d’un fétichiste de la soie.
© Claire Monnerat
« Ce qui m’excite, c’est la douceur du tissu, cette sensualité qu’il
représente, le plaisir du toucher. Il symbolise pour moi la féminité
et la douceur maternelle... L’attirance pour l’autre sexe, couplé
à un bien être... » Voilà comment Marc décrit son attrait pour la
soie. Petit à petit, ce tissu est devenu nécessaire dans sa vie
sexuelle.
« Mes habitudes ne font qu’évoluer au fil du temps, à mesure que
je m’assume » . Toucher de la soie décuple son plaisir et son excitation, avec certains critères cependant. Pour que le plaisir soit
réel, il faut que le contact soit passif, voir accidentel. « Toucher
volontairement de la soie avec le bout des doigts ne me fait aucun
effet », précise-t-il. « J’ai besoin de la sentir effleurer le revers de
ma main, mais aussi bien sûr, sur les parties intimes. » Cette excitation particulière nécessite d’avoir recours à des jeux sexuels
impliquant de la soie. Le simple port d’un vêtement en soie peut
suffir. « Si ma partenaire choisit de porter un vêtement soyeux,
je n’ai alors qu’une seule idée en tête : sentir la douceur du tissu
sur ma peau lorsque je vais l’étreindre, la caresser, l’embrasser »,
explique-t-il.
Sa sexualité, Marc la vit bien et ne la considère pas comme un
problème. Il n’en parle pas à ses proches pour la simple raison que
sa vie privée ne concerne que lui. « Je garde mon intimité pour les
personnes amenées à la partager. » À ses partenaires, il ne révèle
son penchant qu’en fonction du « degré de confiance. » Et jusqu’à
présent, aucune n’a refusé de se prêter au jeu.
« C’est
tout naturellement cette
douceur maternelle, symbolisée
par la soie, qui a dominé mes
fantasmes et plaisirs
»
Son fétichisme devient surtout compliqué en période de
célibat : Marc éprouve le besoin de se masturber quotidiennement
à l’aide de vêtements féminins en soie qu’il achète lui-même. Or, il
trouve toujours cela gênant d’entrer dans un magasin de prêt-à-porter
féminin. Il prétend alors que ses achats sont destinés à sa partenaire.
Il n’hésite pas à parcourir parfois plus de 300 kilomètres pour pouvoir
s’acheter de « nouveaux jouets » en étant sûr de ne croiser personne
de son entourage.
Cette fascination pour la soie remonte à son enfance, bien avant la
découverte de la sexualité. « La soie a toujours été là, avant même
ma puberté [...] Lors de mon éveil sexuel, c’est tout naturellement
cette douceur maternelle, symbolisée par la soie, qui a dominé mes
fantasmes et plaisirs [...] ma vie sexuelle évoluant, ces plaisirs ont
dû s’adapter », confie-t-il. Une origine infantile que confirme Martin
Teboul, sexologue andrologue à Lyon. « Le fétichisme est synonyme
d’une sexualité qui n’est pas complètement adulte. Un peu comme
l’enfant a besoin d’un doudou, le fétichiste a besoin de son fétiche. »
Si cette pratique est souvent taboue et cachée, à l’image de Marc qui
cache sa passion à ses proches, elle n’a rien de grave, en particulier
lorsqu’il s’agit de soie.
Aujourd’hui, le fétichisme est toujours considéré comme une
pathologie. Si la fascination d’une partie du corps ou d’un tissu
n’a rien d’inquiétant, certains fétichismes tombent sous le coup
de la loi : ceux impliquant le sadomasochisme et pouvant nuire
à autrui s’il n’est pas consenti par exemple. Le Docteur Martin
Teboul explique que les fétichistes qui viennent le consulter sont
ceux qui ressentent des difficultés dans leur sexualité. « Les patients qui viennent me voir souffrent car ils se sentent différents
ou parce qu’ils ne trouvent pas de partenaire qui acceptent leur
fétichisme. » Selon lui, le fétichisme n’est absolument pas incompatible avec l’épanouissement sexuel et personnel. Une notion
que Marc a très bien compris. « Je ne changerai jamais, alors
pourquoi lutter contre l’un des rares plaisirs quotidiens ? »
Claire MONERRAT
COSETA #1
• 19
BORBOGYMES
BORBORYGMES
La soie inspire encore et toujours lecteurs, publicitaires, artistes, internautes ... La soie dans tous ses états.
Un nouveau héros
dans la ville ...
Verasoie-Man !
Vidéo sur wat.tv
Sources : leboncoin.fr, wat.tv, theveganforum.com, amazingseller.com, waltdisney...
20 • COSETA #1
L'ARGENT
N'A PAS D'ODEUR
C
N'A
PAS
D'ODEUR
© Sophie Mollin
L'ARGENT
La soierie lyonnaise a du succès à l’étranger.
SOIE QUI ROULE
AMASSE LE FLOUZE
Deuxième région de France par sa superficie et sa population, Rhône-Alpes rayonne par son
économie, l’une des plus dynamiques de France (10% du PIB national). Elle possède plusieurs
cordes à son arc avec les industries mécaniques, pharmaceutiques ou chimiques. Le textile et
l’habillement tiennent également chaud à l’économie régionale. Plus de 6 000 emplois répartis dans
près de 300 entreprises génèrent un chiffre d’affaires de près d’un milliard d’euros.
COSETA #1
• 21
L'ARGENT
N'A PAS D'ODEUR
QUAND
LE LUXE VA, TOUT VA
Lyon. La capitale rhônalpine est aussi celle du textile, surtout celui que l’on range dans la catégorie haut
de gamme : les fameuses soieries.
Capitale mondiale de la soie, Lyon est souvent associée à cette fameuse bave de Bombyx qui en fait saliver beaucoup. Les admirateurs
sont français bien sûr, mais aussi asiatiques (20% de la production
de soierie lyonnaise est vendue en Chine, 15% au Japon), arabes ou
américains. D’ailleurs, l’industrie de la soie représente la troisième
motivation des touristes qui se rendent du côté de Lyon. « La gastronomie et la fête des Lumières viennent juste avant », nous confie David
Kimelfeld, maire du 4ᵉ arrondissement de Lyon. Celui qui englobe la
Croix-Rousse.
Aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, le bastion des canuts dominait géographiquement et économiquement la ville. La soierie lyonnaise était à son
apogée. L’activité occupait plus de 30 000 personnes et on recensait
près de 14 000 métiers à tisser dans les ateliers. Mais la révolution et
l’apparition du métier Jacquard lors de la croissance industrielle ont fait
chuter le nombre d’emplois directs.
Aujourd’hui, avec les profondes mutations du système économique
mondial (libéralisme économique, fin des régimes communistes
russe et chinois ainsi que suppression des barrières douanières en
Europe), les machines se sont automatisées pour une productivité à
grande échelle et plus rapide.
Les métiers Jacquard sont désormais pratiquement tous entreposés
dans les musées ou auprès d’associations oeuvrant pour la sauvegarde du patrimoine. Le nombre de travailleurs de la soie, lui, s’est
effondré. Il est loin le temps où le tissage de la soie faisait vivre la
moitié de la ville lyonnaise. On recense en 2010, 1200 spécialistes
de cette fibre textile dont la majeure partie se trouve dans le Rhône,
la Loire et le Nord-Isère. D’ailleurs, 95% des acheteurs de soie proviennent de ce triangle du textile. Aujourd’hui, la production de la fibre
naturelle la plus chère du monde (entre 50 et 60 euros le kilogramme)
est très marginale dans le monde.
2008:
un tiers des entreprises ferme
Un peu plus de 100 000 tonnes sont fabriquées (5% sont consommées
par l’Europe), ce qui représente 0,2% de la production de textiles bruts.
Depuis 2008, la situation reste difficile pour les entreprises qui travaillent la soie, désormais destinées en grande partie pour l’habillement, la décoration et l’ameublement. Cette année-là, la crise économique arrive et fait des ravages.
Un tiers des entreprises confectionnant des soieries met la clef sous la
porte selon Stéphane Jaray. Cet homme, qui est depuis 22 ans dans
la soie, travaille chez Denis et Fils, un tisseur de soieries de la Loire. Il
évoque cette récession douloureuse qui a hanté les esprits. « L’année
2008-2009 a été tout simplement catastrophique, les industries de la
soie et du textile en général étaient en grand danger. Notre entreprise
avait perdu près de 30% de son chiffre d’affaires. Nous avons été obligés de procéder à des licenciements. »
Et depuis ? La crise de 2008 est bien loin derrière, à entendre les industriels de la soie. Ils sont unanimes sur la situation actuelle. « La soie
22 • COSETA #1
se porte très bien en 2011. Il faut dire qu’il y a beaucoup de débouchés
avec des pays comme l’Inde, la Chine ou les Tigres (pays asiatiques
émergents comme l’Indonésie ou la Thaïlande). Les gens deviennent
de plus en plus riches là-bas », note Pierric Chalvin, délégué général
d’Unitex, syndicat professionnel du textile basé à Lyon.
lyon connue pour son passé
et sa main d’oeuvre
Christian Morel-Journel est grossiste en tissus de toutes sortes et
dirige l’Union des Métiers de la Soie et des Tissus d’extrême Orient.
Il a son explication. « Le marché du luxe explose en Chine et dans
le reste de l’Asie. Les Chinois ressentent le besoin de se créer une
identité. Ils vont donc acheter des produits chers, beaux, de qualité et
de grandes marques. C’est la même chose en Russie et dans les pays
émergents comme l’Inde ou la péninsule arabique. Récemment, un
client m’a commandé 500 mètres (soit 10 000 euros environ) de tissus
de soie pour décorer le salon de la résidence californienne du ministre
saoudien de la défense. Le marché de la décoration de luxe est en
pleine expansion. »
La crise actuelle qui touche sévèrement les grandes puissances
n’influe en aucun cas sur les désirs des grosses fortunes. Une aubaine pour la soierie rhônalpine et lyonnaise, reconnue avant tout
pour son passé et sa main d’œuvre. « Quand un étranger achète
de la soierie, il préfère de la lyonnaise plutôt que de l’italienne. Pour
lui, c’est de l’Histoire de France qu’il se procure. Le savoir-faire
national est aussi une vitrine et c’est une erreur de se focaliser sur
le coût de la main d’œuvre. Pour preuve. Je connais une personne
qui avait délocalisé ses ateliers en Malaisie pour rechercher une
main d’œuvre bon marché. Récemment, elle a fait rapatrier sa société par souci de la qualité du produit fini. Pourtant, en France, un
ouvrier français coûte 18 fois plus cher qu’un Malaisien », explique
Pierrick Chalvin.
Mais certains travailleurs français de la soie s’expatrient volontairement dans les pays à fort potentiel car ils cèdent aux sirènes
asiatiques. Par exemple, l’Inde aligne les dollars pour se payer le
savoir-faire hexagonal en matière de dessin, confection... Et renforce leur position de concurrent féroce.
Au final, pas tellement, selon Stéphane Jaray. « Certes, la concurrence est
forte. On pense bien sûr à la Chine. Mais l’Empire du milieu n’arrive pas à
la hauteur de la qualité française en ce qui concerne le moyen, haut et très
haut de gamme. Nous sommes plus créatifs et plus réactifs. » Pourtant,
des dirigeants d’entreprises sont pessimistes car les indicateurs ne sont
pas au beau fixe pour l’année 2012 en termes d’emploi et d’économie.
D’autres, au contraire, sont très optimistes avec l’essor du marché des textiles techniques et le maintien du luxe, même en temps de crise. En tout
cas, avec leurs talents hérités des canuts, les soieries lyonnaises remporteront toujours compliments et succès.
Geoffrey FLEURY
© clothescompany
L'ARGENT
N'A PAS D'ODEUR
Seules les deux dernières cravattes Burberry sont des vraies, les autres des contrefaçons
LA CHINE,
LE « FAUX SOYEUX » DES EUROPÉENS
Depuis le début des années 1980 et son ouverture progressive au commerce extérieur grâce à Deng
Xiaoping, la Chine a rejoint les grandes puissances économiques. Mais derrière cette croissance
hallucinante se cache une activité très rentable mais complètement illégale : la contrefaçon. Tout se
copie sur le sol chinois, y compris les créations en soie de grandes maisons.
Avec 90% de la production mondiale, la Chine est le leader
incontesté de la soie pure. Mais l’empire du milieu est avant
tout copieur né pour ce qui est des produits finis. Il est la première région du globe dans la catégorie très lucrative de la
contrefaçon. Sur ce « marché » estimé à plus de 200 milliards
d’euros, l’activité chinoise représente moins des deux tiers.
« Les Chinois s’en foutent, ils copient absolument tout », martèle Christian Morel Journel, directeur de l’entreprise éponyme
et de l’Union des Métiers de la Soie et des Tissus d’ExtrêmeOrient à Lyon.
Du tissu au produit fini
Ce grossiste en tissus (de soie surtout) est très bien placé pour le
savoir. Cela fait plus de trente ans qu’il échange avec le continent
asiatique. Il confirme ce leadership chinois, même pour le fil de
soie. « Un créateur de tissu italien que je connais trouvait le fil
cher en Europe. Il a contacté une excellente société de tissage
en Chine et a fait imposer son cahier des charges. Il reçoit ce qu’il
veut un mois après. Il le lance sur le marché en le vendant à un
client américain. Mais six mois après, ce dernier n’a rien vendu.
L’Italien a en fait servi de bureau d’études à l’atelier chinois. Les
ouvriers avaient créé le même tissu en quantité abondante et à un
tarif intéressant. Ils ont inondé le marché américain en vendant
le mètre 26 euros, avec trois fois plus de marge, contre 40 euros
pour l’Italien. »
La Chine s’approprie
la French Touch
Au top en ce qui concerne la soie, Hermès est victime de la
contrefaçon asiatique. Chaque année, la maison française vend
plus d’un million de carrés dans le monde. En parallèle, ce sont
150 000 à 200 000 copies qui sortent sur le marché avec un prix
divisé par 10. « Mais Hermès arrive à limiter cette pratique car
la société possède un fort réseau de contrôle dans le monde
», poursuit le grossiste. L’article L335-3 du code la propriété
intellectuelle et les autres dispositions légales existent, mais
la machine est bien lancée. Pas sûr qu’elle s’arrête en si bon
chemin. G. F.
COSETA #1
• 23
CARNET DE ROUTE
[DE LA SOIE]
C
CARNET
DE
ROUTE
[DE
LA
SOIE]
© Atelier des Soieries
LYON A LA
FIBRE TOURISTIQUE
La soie contribue largement au rayonnement métropolitain et international de Lyon. Elle a une importance
capitale dans le paysage touristique de la métropole et figure à la deuxième place dans le top 3 des
demandes des touristes après le duo Fourvière – Vieux Lyon.
P
ierre angulaire du tourisme lyonnais, l’offre relative au patrimoine
de la soie est très présente dans la capitale rhodanienne. Des
éco-musées à l’image de Soierie Vivante et la Maison des Canuts, situés sur le plateau croix-roussien, permettent aux touristes d’approcher l’histoire de la soierie lyonnaise dans sa globalité. Mais aussi
d’assister à des démonstrations sur des métiers à tisser. D’autres lieux
complètent la palette proposée aux touristes et témoignent davantage
de la production contemporaine de la soie. C’est le cas de la Maison
Brochier, manufacture incontournable dans l’univers de la soie qui lie
création artistique et haute couture, dont les ateliers et les espaces de
vente sont à la fois ouverts au public et aux grands créateurs.
PLUS DE VISITES POUR PLUS DE TOURISTES
Chaque année, des dizaines de milliers de touristes fréquentent les
ateliers et les musées pour découvrir ou acheter de la soie lyonnaise.
En 2010, les deux ateliers de l’association Soierie Vivante cumulaient
12 109 visites et la Maison des Canuts accueillait près de 28 000 visiteurs. Pour faire face à un tel flux touristique, l’Office du tourisme multiplie les visites guidées. « Nous nous sommes adaptés à la demande
croissante en programmant plus de visites », explique Luc Verret, chef
24 • COSETA #1
de service à l'Office du Tourisme, pour qui le tourisme de la soie est
« aussi important que la gastronomie ». D’un unique thème d’excursion sur la soie, l’Office du tourisme en propose désormais trois dont
chacun comprend une déambulation commentée dans les traboules
associée à la visite soit de la Maison des Canuts, de Soierie Vivante
ou de l’Atelier de Soierie. À ces visites guidées s’ajoute le parcours
de la soie. Un long itinéraire qui englobe les visites de chacun des
ateliers mais aussi des quartiers des canuts (Mur des Canuts, théâtre
de Guignol, etc.). En parallèle, l’Office du tourisme assure un travail de
promotion conséquent visant à valoriser l’image de ce tissu précieux à
l’étranger et en particulier auprès des compagnies d’autocaristes et des
tours opérateurs. La démarche bénéficie aux différents professionnels
du secteur qui voient leur public se diversifier. « On reçoit de plus en
plus d’Américains », explique Ludovic La Calle, gérant de la Soierie
Saint-Georges, qui estime que la moitié des touristes, qui fréquentent
son atelier boutique sont des étrangers. Même constat du côté de l’Atelier de Soierie dont 70% des 30 000 touristes annuels sont des étrangers. « La clientèle américaine et allemande est de plus en plus importante du fait de la multiplication des croisières fluviales qui font escale à
Lyon », explique Gérard Genet, son gérant. Si à Soierie Vivante et à la
CARNET DE ROUTE
[DE LA SOIE]
Maison des Canuts, les Français représentent près des trois quarts des visiteurs, les statistiques confirment
cette tendance, les Américains et les Allemands figurant juste derrière les Italiens dans le trio de tête des
touristes étrangers fréquentant ces ateliers symboliques de la mémoire des canuts.
PLUS DE COHÉSION POUR UNE MEILLEURE VALORISATION DE LA SOIE ?
Consciente du rôle essentiel qu’incarne la soie dans le développement de Lyon mais aussi du manque de
visibilité concédé à ce pilier touristique, la Ville de Lyon s’est lancée en 2009 dans un vaste projet dont le
but est de valoriser la soie en « fédérant les énergies », explique Maria-Anne Privat-Savigny, directrice des
Musées Gadagne. Depuis déjà deux ans, les acteurs de la soie travaillent de concert avec la Ville de Lyon
et le Grand Lyon pour créer de nouveaux projets autour de l’étoffe. Le programme comporte trois volets
dont le premier, évènementiel, s’est soldé par la création du premier festival consacré exclusivement à la
soie, le Label Soie. Un colloque qui sur le plan touristique a permis « l’adhésion des Lyonnais à la manifestation », explique Maria-Anne Privat Savigny, qui annonce « une montée en puissance vers un produit
plus touristique » au fil des éditions. En acceptant la mise en place de ce festival, les acteurs de la soie ont
effacé une première défaite. « On voulait voir émerger un musée de la soie, en plus des choses déjà existantes, mais la ville a avancé que cela coûterait trop cher », rapporte Cladie Mercandelli, salariée de Soierie
Vivante, manifestement perplexe. « Bien sûr, on n’est pas mécontent du festival et des initiatives prises pour
valoriser la soie mais ça ne correspond pas tout à fait à l’attente de nos adhérents », rajoute-t-elle. Mais le
véritable projet à consonance touristique réside dans la mise en place d’un parcours de la soie autonome.
« Le visiteur pourra télécharger les indications sur la visite directement sur son smartphone. L’idée c’est
que n’importe qui puisse faire le parcours n’importe quand », explique Maria-Anne Privat-Savigny. Le projet
ne devrait, cependant, voir le jour qu’en 2013. Le troisième volet basé sur la recherche vise à collecter
et numériser les documents sur la soie et les témoignages des soyeux afin d’offrir une vision globale de
ce patrimoine via un site web. Reste à voir quels seront les retentissements sur l’un des plus importants
fleurons touristiques lyonnais.
Les
Américains et
les Allemands
figurent juste
derrière les
Italiens dans
le trio de tête
des touristes
étrangers
fréquentant
ces ateliers
Natacha VERPILLOT
Où acheter de la soie lyonnaise ?
Lieux de découverte de la soie, son histoire et sa fabrication (possibilité d’achats)
41, rue Burdeau (4e)
+ Customiser soi-même la soie et emporter sa création
- Le prix élevé des cours et stages
Quai St-Vincent
Soierie St-Georges
11, rue Mourguet (5e)
+ Assister à la fabrication du tissu par un tisseur
encore en activité sur des métiers vieux de deux siècles
- La rapidité des explications
Tousoie
Rue Auguste Comte
Le Carré de Soie
Rue Charité
Nina Création Shih
Rue Charité
L’Atelier de Soierie
33, rue Romarin (4e)
+ Découverte et explications de l’impression sur soie
- Le manque de véritable démonstration
Maison des Canuts
10-12 rue d’Ivry (4e)
+ Démonstration sur des métiers à tisser à bras
- Manque d’intéractivité lors des visites
Soierie vivante
21, rue Richan - Rue justin Godart (4e)
+Visite ateliers et appartement canut en l’état
- Distance entre les deux ateliers (15 min.)
© alyon.org
Unique en série
André Claude Canova
VUE DU LABO
C
DU
LABO
© Ozartevent
VUE
(R)ÉVOLUTION
SOYEUSE
À l’heure de la mondialisation, la concurrence des marchés étrangers a obligé les soyeux à se diversifier
pour survivre. S’ils sont bien implantés au sein des marchés du luxe et de l’ameublement, ils se tournent
depuis une dizaine d’années vers les textiles techniques et les marchés de niche.
« Le textile,
c’est la
création,
bien sûr.
Mais c’est
surtout
l’innovation »
26 • COSETA #1
« Dans le domaine de la soie, les entreprises faisant uniquement de la confection vont avoir beaucoup de
mal à s’en sortir. Le Grand Lyon ne peut pas participer à la sauvegarde de ceux qui n’auraient pas pris le
virage de l’innovation », commente circonspect David Kimelfeld, vice-président de la communauté urbaine
du Grand Lyon délégué à l’économie. Cette sentence du maire du 4e arrondissement résume l’un des enjeux
principaux des entreprises de soieries lyonnaises ces dernières années. Difficile pour eux de s’en sortir en
continuant de travailler uniquement la soie comme ils le faisaient au XIXᵉ et XXᵉ siècle.
En 2011, il s’agit de pouvoir rivaliser avec les hyper-producteurs que sont la Chine et l’Inde. Pour cela, il leur
faut se diversifier. La soie, ils continuent à en faire, notamment pour les marchés du luxe et de l’ameublement. Mais depuis une dizaine d’années, ils travaillent aussi sur d’autres textiles, souvent très techniques.
« Prenez Brochier, le soyeux lyonnais typique avec une marque et un nom relativement connus à Lyon.
Malgré sa taille il a dû totalement se réorienter au fil du temps », précise Anne Masson, du pôle rhônalpin
de compétitivité Techtera. « Aujourd’hui, les anciens soyeux lyonnais font leur beurre sur des marchés de
niches très spécifiques. Ils travaillent la fibre de verre ou encore la fibre optique. Des matières qui n’ont plus
rien à voir avec les textiles traditionnels » ajoute-t-elle. « Le savoir-faire en matière de soie et la réputation
d’entreprises comme Brochier ou Dutel, ont été un atout considérable pour cette évolution. Les contacts, ils
les avaient déjà. »
La situation est identique à plus petite échelle. Denis et fils, petite entreprise familiale située dans la Loire, tisse
en même temps pour le marché du luxe et les textiles techniques high-tech. Elle est d’ailleurs l’une des seules à
maîtriser ce savoir-faire en France. « Le textile, c’est la création, bien sûr. Mais c’est surtout l’innovation », clame
d’ailleurs Christian Denis dans la brochure de présentation de sa PME. L’entreprise a mis au point avec Brochier
Technologies, le chef de file des textiles lumineux lyonnais, une technique unique de tissage de fibre optique. Parmi les 48 métiers à tisser que compte l’usine de la commune de Montchal, figure d’ailleurs un prototype unique qui
tisse de la fibre optique 24 heures sur 24. Les applications futures sont multiples : transport, bâtiment, vêtements
communicants ou encore santé... À l’heure actuelle, les soyeux lyonnais ont donc choisi la voie de la diversification,
« mais en matière d’innovation rien n’est jamais figé, peut-être à terme choisiront-ils de mettre de nouveau la soie
au premier plan » conclut Anne Masson.
VUE DU LABO
COCON TECHNOLOGIQUE
Gilets pare-balles en soie d’araignée. Os et cartilages reconstruits encore plus solides qu’à l’origine. De
nombreux domaines pourraient bénéficier des avancées de la recherche sur la soie, synthétisée ou
non, et ses propriétés. Passage en revue de ces innovations qui font fantasmer les scientifiques.
La sécurité
Applications industrielles
La soie d’araignée, de par sa solidité et sa résistance aux chocs, a
depuis toujours alimenté les fantasmes des scientifiques. À travers
le monde, plusieurs laboratoires conduisent des recherches afin
d’élaborer des gilets pare-balles et autres combinaisons de sécurité à base de soie. La scientifique néerlandaise Jalila Essaidi vise
encore plus haut. Son objectif ? Rien de moins que de créer une peau
humaine résistante aux balles. C’est à base de lait de chèvres naines
génétiquement modifiées (cf. page 6) que la scientifique a créé cette
peau synthétique. Les premiers tests effectués pendant l’été 2011
tendraient à prouver l’efficacité de cette « armure épidermique ». Selon la chercheuse, des modifications de ce type pourraient permettre
d’éviter les blessures graves pour les soldats ou personnels de sécurité. Néanmoins, pas de
risque de voir débouler des
militaires ou des policiers
en peau de spiderman de
sitôt, les recherches n’en
sont encore qu’au stade
expérimental.
À en croire Bernard Mauchand, chercheur à l’INRA, « le véritable avenir de la sériciculture repose sur une nouvelle destinée du ver à soie,
en lui faisant produire des protéines autres que celle qu’est la soie par
transfert de gènes dans le génome du ver à soie ». Cette stratégie a été
d’abord mise au point par la France, avant que les laboratoires du pays
ne décide de l’abandonner en 2010. Grâce à cette méthode, les différentes protéines de ver à soie pourraient avoir des débouchés multiples
dans le secteur médical ou industriel. Exemple parmi d’autres : l’une de
ces protéines pourrait permettre d’améliorer... les livres électroniques.
Des scientifiques taïwanais ont en effet découvert que la fibroïne de
soie, une molécule synthétisée par les vers, pouvait être utilisée dans la
fabrication de transistors. Ces derniers améliorent l’efficacité du papier
électronique. Permettant de transmettre les
signaux jusqu’à 20 fois
plus vite qu’à la normale
et ainsi gagner grandement en rapidité. Ce qui
augmenterait la vitesse
à laquelle on pourrait
tourner les pages d’un
livre électronique. Dernier avantage souligné
par les chercheurs,
cette protéine s’avère
très peu coûteuse et
reviendrait à seulement
0,03 dollars par transistor.
La
médecine
Reconstruire nos os et cartilages endommagés en les
rendant au passage cinq
fois plus résistants. Ce
rêve, c’est celui de la firme
anglo-saxonne Orthox.
« Ce que nous essayons
de faire, c’est reproduire
les propriétés de la toile
d’araignée dans un matériau de réparation, une armature, pour les cartilages et les os »,
expliquait Nick Skaer, chercheur et PDG de la firme, en février dernier. Son objectif premier était d’utiliser la soie d’araignée. Pourtant
l’impossibilité d’en faire un élevage lui a fait abandonner assez vite
cette option. C’est pour cela que Nick Skaer s’est tourné vers les vers
à soie, qui peuvent lui fournir un approvisionnement plus important.
« Nous cassons cette matière première en molécules de soie individuelles, ce qui nous donne un produit très similaire à celui d’une
araignée ou d’un ver à soie », explique-t-il dans le détail. Courant
2011, la société a réalisé avec succès un premier implant de cartilage
de genou. Les essais cliniques devraient quant à eux démarrer dans
le courant de l’année 2012.
Le
sport
Des raquettes de tennis haute performance, des parachutes
plus maniables ou encore des pneus ultra-résistants pour les
sports automobiles. De part ses propriétés, la soie pourrait bien
être l’équipement fétiche des sportifs du futur ! Les débouchés
semblent presque illimités. « Des firmes comme Salomon
travaillent d’ailleurs à l’élaboration de matériaux en soie, pour
leur résistance, leur légèreté et leur élasticité » , confirme Anne
Masson du pôle de compétitivité Techtera. Mais secret industriel
oblige, tout cela reste pour le moment au stade expérimental et
confidentiel !
Dossier et photo montage : Benoît JACQUELIN
COSETA #1
• 27
ELLES PÈTENT
DANS LA SOIE
C
ELLES
P ÈT E N T
DANS
LA
SOIE
!
POURQUOI
LA SOIE DÉFILE ?
La soie, symbole de féminité et d’élégance, a toujours été utilisée dans la fabrication de vêtements. Si
ce tissu est encore largement travaillé aujourd'hui, son prix peut très vite grimper. Surtout dans la haute
couture.
Qui dit haute couture sous-entend grand luxe, et ce luxe passe par
des textiles de qualité que sont notamment les tissus nobles (naturels),
comme la soie. Utilisée essentiellement dans les collections féminines,
« la soie est toujours un produit haut de gamme » souligne Martine
Villelongue, directrice de l’Université de la mode à Lyon. Les grandes
maisons de luxe se fournissent principalement auprès de soieries françaises ou italiennes qui garantissent un savoir-faire, une qualité mais
également un certain coût. Et s’il est possible de trouver des vêtements
en soie dans le prêt-à-porter grand public, ces produits restent onéreux. Une particularité qui fait de ce textile un symbole de luxe. Mais
« son prix se justifie par son potentiel », explique la directrice, « ce
tissu offre un éventail de possibilités extrêmement large. » En effet,
il existe une multitude de soies différentes, que ce soit dans le touché, l’aspect visuel, l’épaisseur ou le confort. La soie peut aussi bien
être épaisse que légère, froissée, froncée, plissée ou raide. Sophie
Guyot, créatrice textile lyonnaise le confirme, « tout dépend de la
façon dont le tissu est travaillé […] l’organza peut être léger mais
craquant, la mousseline très légère, le velours au contraire plus fort. »
© Dior.com
ÉLÉGANCE, AGILITÉ ET DÉLICATESSE
28 • COSETA #1
Ce côté malléable n’est pas sa seule qualité : la soie est aussi un
tissu qui se teint très facilement. La directrice de l’Université de
la mode donne également l’exemple des célèbres carrés Hermés
pleins de détails et très colorés. « Le même dessin, le même motif
ne donnera absolument pas le même résultat sur de la soie que
sur du coton. Le carré de soie sera plus net et les couleurs seront
plus vives ».
Si la soie peut être utilisée pour tout type de vêtements, elle l’est
principalement pour les tenues de soirée. Notamment pour les
robes du soir, un élément central des collections féminines de
haute couture et summum de l’élégance féminine. Ces robes ont
besoin d’un joli tombé, de « donner quelque chose de fluide, de
contrasté, de brillant ou de mat », détaille Martine Villelongue, « il
faut aussi pouvoir marcher ou bouger facilement. » Des exigences
que remplit la soie, mettant en valeur tous les aspects de la féminité : l’élégance, l’agilité ou encore la délicatesse. Toutes ces possibilités font de ce tissu une matière indémodable. Elle s’adapte
à toutes les envies, les créateurs peuvent en faire ce qu’ils en
veulent. « C’est un tissu magique » lance Martine Villelongue. Et
si seuls quelques happy few dans le monde peuvent s’offrir de la
haute couture, reste un accessoire accessible à tous : le foulard en
soie. Un des indispensables à avoir dans son armoire.
Claire MONNERAT
ELLES PÈTENT
DANS LA SOIE
POUR QUELQUES
STRINGS DE PLUS...
© DR
Si en 1968 elles brûlaient leur soutien-gorge pour revendiquer leurs droits, en 2010, les Françaises
dépensent en moyenne 100 euros par an pour séduire leurs hommes¹. Quelle place occupe aujourd’hui
la soie dans la lingerie ? Est-elle réellement accessible ?
Symbole de féminité, la lingerie est liée à l’histoire de la libération
des femmes. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la lingerie leur était interdite et seuls les hommes étaient autorisés à porter la « culotte ». Les
dames avaient quant à elles pour obligation de porter des corsets,
au risque de se briser des côtes ou de subir une dizaine de malaises
par an. Mais déjà, à l’époque, elles se consolaient en achetant des
corsets faits à partir de soie française.
De nos jours, la lingerie est confortable et séduisante, plus
« classe » quand elle se pare de soie. Pour Véronique Perret,
responsable marketing chez Millesia, la soie reste indémodable
et a toujours la même importance. « La noblesse de la matière, la
qualité au toucher mais aussi le visuel, font que la soie ne trouve
pas de réel concurrent », affirme t-elle.
ÉLÉGANCE, AGILITÉ ET DÉLICATESSE
Mais ce n’est pas tout, la soie a d’autres atouts en lingerie. Il s’agit
d’un tissu naturel qui permet à la peau de respirer et possède des
qualités anti bactériennes. Elle est le choix parfait pour la lingerie
puisqu’elle réchauffe en hiver et qu’elle rafraîchit en été. « La soie
est non seulement agréable à porter mais c’est avant tout une
matière qui ne se déforme pas. La durée de vie d’un tissu de soie
est longue », explique Véronique Perret.
Mais pas de mensonge, si la lingerie en soie assure une satisfaction par sa qualité, elle n’est pas accessible à toutes. C’est
pourquoi de nombreuses femmes choisissent des ensembles de
lingerie fait à partir de lycra, de polyamide ou encore de polyester.
À Lyon, beaucoup de boutiques de lingerie ont fait le choix de
ne proposer que de la lingerie mais sans jamais utiliser la soie,
comme Kumkat située dans la 1 ᵉͬ arrondissement. Un choix que
le propriétaire, Maxime Ravoura assume totalement: « Nous voulons proposer de la lingerie agréable à porter qui ne demande
pas forcément de se ruiner. La soie c’est beau mais ça coûte très
cher », explique t-il.
De même, la créatrice lyonnaise Assia n’utilise pas la soie pour
des raisons pratiques. « Il s’agit d’une matière complexe à travailler, et qui reste très fragile. Je préfère me concentrer sur les autres
tissus », confie-t-elle.
Les Françaises réservent 17%¹ de leur budget habillement à la lingerie, elles ne peuvent donc pas remplir leurs penderies de soie.
Si vous n’êtes pas économe, vous pouvez toujours opter pour de
la lingerie en satin. La qualité et le toucher ne valent pas la soie,
mais les hommes n’y voient que du feu !
Zohra BEN MILOUD
1. Source : Chiffres communiqués par l’Institut français de la mode, le 11 janvier 2011
COSETA #1
• 29
30 • COSETA #1
DVD
Le cri de la soie
Paris, 1914. Un film de passion et des rapports troublants
entre la regrettée Marie Trintignant (nommée pour le
César de la meilleure actrice en 1997), jeune couturière
attirée par la soie et son psychanalyste. Le thème du
fétichisme de la soie version féminine est mis en scène
par le réalisateur Yvon Marciano. L’homme de cinéma et
de théâtre est décédé le 23 novembre dernier. À voir ou
revoir, comme un hommage…
Sortie le 23 février 2006, One Plus One, 30 euros
CULTURE
LIVRE
Soie
L’Italien Alessandro Baricco reprend la Route de la
Soie au tout début des années 1860. Une maladie
ravage alors les élevages européens de vers à soie. Hervé
Joncour, un jeune officier marié à Hélène est chargé
d’une mission, se rendre en secret au Japon pour y
acheter des œufs sains. Sur l’île interdite, il rencontre
une mystérieuse et déroutante beauté nippone, une
rencontre qui va bouleverser sa vie. Adapté au cinéma
par François Girard avec Michael Pitt et Keira Knightley.
Ed. Albin Michel, 145 pages, 8 euros
DOCUMENTAIRE
La route de la soie
Le documentaire de Marc Mopty
retrace une partie du voyage
de Marco Polo. Un véritable
carnet de voyage de la Route
de la Soie.
Echappées Belles, 2006, 52 min.
www.myskreen.com
LIVRE
Foulards et
Carrés de soie
Au centre de la mode, la soie,
ses foulards et ses carrés sont
racontés dans ce livre de Fola
Solanke (costumière pour le
théâtre) et Nicky Albrechtsen
(costumière pour le cinéma).
Un ouvrage comprenant des
modèles exceptionnels des plus
grandes maisons (Hermès, Gucci,
Lacroix) reproduits sur papier, des
biographies de grands créateurs
et même des conseils d’expert sur
l’entretien, l’achat et la vente du
célébrissime bout de tissu.
Ed.Thames et Hudson
302 pages, 47,50 euros
EXPOSITION
« Tisse toujours,
ton étoffe est mon drapeau !»
Comme un prolongement du festival de la
Soie, le musée des Tissus de Lyon propose une
découverte des soieries produites dans la
ville pendant la révolte des canuts.
Musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon
Jusqu’au 22 janvier 2012
DOCUMENTAIRE
La sériciculture
Film muet tourné en Provence dans une magnanerie modèle, reprenant
tout le cycle de vie et de reproduction du bombyx du mûrier et son
élevage, jusqu’à son expédition dans le monde industriel. Réalisé par
Jean-Benoît Lévy.
Edition française cinématographique, 1925, 40 minutes
www.ina.fr
COSETA #1 • 31
COSETA #1
• 31
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