La Nuit de déce mbr e La Nuit de déce mbr e

Transcription

La Nuit de déce mbr e La Nuit de déce mbr e
La Nuit de décembre
6
La Nuit de décembre
LE POÈTE
LE POÈTE
Du temps que j’étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s’asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Du temps que j’étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s’asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
6
12
Son visage était triste et beau :
A la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu’au lendemain,
Pensif, avec un doux sourire. […]
Son visage était triste et beau :
A la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu’au lendemain,
12 Pensif, avec un doux sourire. […]
18
A l’âge où l’on est libertin,
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevais mon verre.
En face de moi vint s’asseoir
Un convive vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
A l’âge où l’on est libertin,
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevais mon verre.
En face de moi vint s’asseoir
Un convive vêtu de noir,
18 Qui me ressemblait comme un frère.
24
Il secouait sous son manteau
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile.
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma main débile. […]
30
Partout où, sous ces vastes cieux,
J’ai lassé mon cœur et mes yeux,
Saignant d’une éternelle plaie ;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M’a promené sur une claie ;
36
Partout où, sans cesse altéré
De la soif d’un monde ignoré,
J’ai suivi l’ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J’ai revu ce que j’avais vu,
La face humaine et ses mensonges ;
42
Partout où, le long des chemins,
J’ai posé mon front dans mes mains,
Et sangloté comme une femme ;
Partout où j’ai, comme un mouton,
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuder mon âme ;
48
Partout où j’ai voulu dormir,
Partout où j’ai voulu mourir,
Partout où j’ai touché la terre,
Sur ma route est venu s’asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Alfred de Musset, Poésies nouvelles
24
Il secouait sous son manteau
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile.
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma main débile. […]
30
Partout où, sous ces vastes cieux,
J’ai lassé mon coeur et mes yeux,
Saignant d’une éternelle plaie ;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M’a promené sur une claie ;
36
Partout où, sans cesse altéré
De la soif d’un monde ignoré,
J’ai suivi l’ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J’ai revu ce que j’avais vu,
La face humaine et ses mensonges ;
42
Partout où, le long des chemins,
J’ai posé mon front dans mes mains,
Et sangloté comme une femme ;
Partout où j’ai, comme un mouton,
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuder mon âme ;
48
Partout où j’ai voulu dormir,
Partout où j’ai voulu mourir,
Partout où j’ai touché la terre,
Sur ma route est venu s’asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Alfred de Musset, Poésies nouvelles
Proposition de corrigé du commentaire
sur « La Nuit de décembre » d’Alfred de Musset
S’il est habituel que les écrivains, à partir du romantisme, expriment leurs sentiments, et que ces
derniers, mal du siècle oblige, appartiennent souvent au domaine de la mélancolie, aucun poème
n’exprime cette dernière de manière plus forte que « La Nuit de décembre » du jeune Alfred de Musset, qui appartient à un ensemble de textes tous les quatre intitulés « Nuits ». En un long poème en
octosyllabes et en alexandrins, narratif et dialogué, il donne libre cours à sa tristesse. Cette dernière
s’exprime à travers une manière de récit fantastique, qui donne à la mélancolie une profondeur métaphysique.
Musset crée dans son poème une atmosphère fantastique ; on y retrouve les éléments principaux
de ce registre.
Il cherche d’abord à créer une angoisse. Le lieu dans lequel se déroule l’action des deux premières strophes est caractéristique. Dans une vaste « salle » (v. 3), dont la taille est indiquée par le possessif « notre » (v. 3), le narrateur se trouve seul, comme l’indique l’adjectif « solitaire » (v. 3), qui,
par un glissement métonymique désigne le personnage. Le flambeau, puisqu’un seul est allumé,
comme l’indique le possessif « mon » (v. 8), crée un effet de lumière, ou plutôt des zones d’ombre
caractéristiques du genre fantastique. Le verre qui se brise dans la main du narrateur aux vers 23-24
est un présage funeste : comment fait-il pour se briser, puisque la main qui le tient est faible ?. Inquiétante aussi la métaphore des vers 28-30 : l’« Ennui » y est personnifié comme un de ces personnages boiteux dont le Dictionnaire des symboles de Chevallier et Gheerbrandt nous dit qu’ils souffrent d’une « faiblesse de l’âme ». Le narrateur est traîné sur une claie, comme l’étaient sous l’Ancien Régime les malfaiteurs auteurs d’une action particulièrement honteuse.
On sait que l’un des éléments fondamentaux du genre fantastique est le sentiment de la fragilité,
la porosité, de la frontière entre la vie et la mort. Or cette dernière est très présente dans le texte.
D’abord par son champ lexical : « saignant », « plaie » (v. 27), « claie » (v. 30), « mourir » (v. 44).
Ensuite par la couleur du vêtement du double, « noir », adjectif répété trois fois également.
Le surnaturel, nécessaire au genre fantastique, se concentre sur le personage qui apparaît dans
les moments de solitude et de souffrance du narrateur. D’abord parce qu’il est là sans qu’on sache
comment ni d’où il apparaît. Trois fois (plus dans le texte complet) est employé l’expression « [venir] s’asseoir » (v. 4, 16, 44), mise en valeur par l’enjambement et l’inversion du sujet. Or le verbe
« venir », au contraire d’« arriver », insiste sur l’idée de provenance ; mais celle-ci n’est jamais explicitée. Autre trait fantastique du personnage, c’est un double de Musset, puisqu’il lui « ressembl[e]
comme un frère ». Mais d’autres éléments font ressortir cette ressemblance surnaturelle, ne serait-ce
que le fait que si l’un a un « bras maigre » (v. 22), la main de l’autre est « débile » (v. 24), ce qui
dans le sens étymologique, signifie faible. Au même endroit dans le texte, on ne peut pas ne pas remarquer la rime « sien/mien ». Par ailleurs, le personnage est un « enfant » (v. 5) quand Musset est
« écolier » (v. 1), boit en même temps que lui, est désigné comme « un maheureux » (v. 47) quand
l’auteur touche le fond de la détresse.
Enfin, dernier, mais essentiel, élément constitutif du genre fantastique, le doute. Le propre des
récits fantastiques est de laisser leur lecteur dans l’indécision : est-il ou non advenu des éléments
surnaturels ? C’est bien le cas ici, et trois interprétations sont recevables. Peut-être un être mystérieux s’est-il réellement présenté à Musset lors de passages difficiles de sa vie. Mais il est également
possible que nous nous trouvions en présence d’une hallucination, et il semble que l’auteur des « la
Nuit de décembre » ait souffert de crises d’autoscopie, maladie de l’esprit qui consiste à se voir soimême. Il est possible, sans que d’ailleurs ce soit contradictoire, que l’être qu’évoque Musset soit
avant tout à interpréter sur le plan symbolique, comme une représentation de l’état d’esprit de l’auteur. Le lecteur ne peut choisir entre ces trois hypothèses.
Comme bien souvent dans le genre fantastique (qu’on pense au Horla de Maupassant), à travers le fantastique, c’est la souffrance de l’auteur que le poème exprime.
2. Musset laisse parler sa profonde mélancolie dans un texte dont petit à petit le lyrisme vire au
pathétique.
21. Le texte est nettement autobiographie
211. Le « je »
212. Ce que nous entendons dans le texte correspond à ce que nous savon des problèmes de Musset
22. Un malaise presque physique
221. Importance du vocabulaire du corps assez inattendue dans un texte à la fois lyrique
et fantastique (énumérer, montrer la continuité, la présence dans toutes les strophes)
222. Relié au vocabulaire de la mort, déjà repéré
23. Mais ce mal-être physique correspond surtout à un malaise moral
231. Tristesse (champ lexical)
232. Mélancolie (expliquer le sens du mot et la gravité de l’état réel qu’il désigne)
233. Répétition de « Partour où » (vers…), avec le hiatus renforcé dans les vers 43-45
par le [u] de « voulu », l’ensemble évoquant en une harmonie imitative un peu naïve les sanglots du
vers 39.
24. Causes de cet état
241. Solitude réelle : Musset semble rejeté par ses condisciples, ou bien il se sent différent ; toujours est-il qu’écolier, il est seul dans une salle commune (« notre »).
242. La quatrième strophe livre deux clés : le « myrte stérile » évoque un chagrin
d’amour (ou plusieurs, Mme Jaubert et George Sand) ; le « haillon de pourpre en lambeau » évoque
la gloire qui se refuse à lui, et sans doute plus précisément son échec au théâtre, qu’il a souhaité définitif.
243. Le vers 36 résume toutes ces causes personnelles en un seul vocable :
« mensonges ». Musset se sent rejeté par l’humanité entière (« la face humaine ».
25. Au-delà de ces confidences personnelles, la détresse de Musset reçoit un sens plus profond,
plus général.
251. Mal du siècle : c’est de la confrontation de l’être avec le monde que naît la souffrance (« Partout où », le « monde ignoré » (32). C’est ce mal du siècle qui le pousse à voyager,
comme nous l’indique l’allégorie du « boiteux Ennui » qui le « promène ». Par ailleurs l’évocation
du libertinage renvoie au mal du siècle, car on sait que c’est le propre de Musset que de considérer
le second comme la cause du premier.
252. « Saignant d’une éternelle plaie » (v. 25) fait penser au Christ qui dans la tradition
chrétienne symbolise l’humanité souffrante.
En un texte très caractéristique du romantisme, Alfred de Musset intègre l’un à l’autre deux registres mis en avant par ce mouvement : le fantastique de l’angoisse et le lyrisme de la mélancolie.
C’est de cette conjonction que naît la force du texte, et qui fait qu’aujourd’hui il nous parle encore :
il exprime ce qu’il est par l’évocation de ce qui n’est pas. N’est-ce pas là au fond, mis à nu, ce que
fait tout écrivain ?

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