Religion et politique aux Etats-Unis

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Religion et politique aux Etats-Unis
Siréas
asbl
Service International de Recherche , d’Education et d’Action Sociale
Année : 2004
DOCUMENT n°15
Analyses et études
Fondamentalisme, religion et intolérance : un phénomène
spécifique aux Etats-Unis ?
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Fondamentalisme, religion et intolérance : un phénomène
spécifique aux Etats-Unis ?
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L’émotion a été ressentie dans le monde entier
lorsque G.W. Bush a déclaré la
guerre à l’intégrisme musulman, au lendemain du 11 septembre 2001, en
stigmatisant l’intégrisme musulman en termes de « forces du mal » face aux « forces
du bien » incarnées par le monde occidental chrétien.
La guerre
n’était plus
justifiée par des motifs politiques et économiques mais en termes de lutte contre
l’intégrisme musulman.
Le langage utilisé par G.W. Bush était biblique,
messianique, et sans aucun doute G.W. Bush savait-il qu’il pouvait rallier à lui la
plupart des citoyens des Etats Unis et même au delà.
Le discours diabolisant de G.W. Bush a des conséquences indéniablement néfastes
et pénibles sur la communauté musulmane en Belgique et dans le monde, y
compris pour les musulmans les plus modérés. Pour ces motifs, il nous a paru
utile d’analyser le phénomène du fondamentalisme religieux chrétien tel qu’il se
présente aux Etats-Unis dans ses relations avec le pouvoir politique. Ce qui permet
de constater d’emblée que le fondamentalisme intégriste n’est pas un phénomène
qui touche uniquement l’Islam.
Certains ont émis l’hypothèse que l’idéologie de G.W. Bush est liée à son
appartenance aux églises évangéliques fondamentalistes très nombreuses aux USA
et un peu partout dans le monde.
Cette thèse ne semble pas très crédible . En
effet, G.W. Bush est membre de l’église méthodiste, une des églises les plus
libérales des Etats Unis.
Pour comprendre la position politique de G.W. Bush à travers ses déclarations
empruntées ou non au courrant religieux et aux citations bibliques, il faut examiner
d’un peu plus près l’ampleur du phénomène religieux aux USA.
Les églises aux Etats-Unis
Officiellement, aux Etats-Unis, la religion et la politique sont séparées.
Mais les
choses sont différentes dans la vie quotidienne. On remarque par exemple que le
drapeau national est placé bien en vue dans la plupart des églises et que les leaders
religieux ont beaucoup d’influence politique.
Ainsi par exemple, l’évangéliste
baptiste du Sud, Billy Graham, bien connu du public, était un « grand prêtre » de la
Maison Blanche à l’époque de Nixon et de Reagan.
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Contrairement à ce qui se passe dans la plupart des pays européens, les églises
sont bondées le dimanche matin, ce qui répond évidemment aussi à une fonction
sociale. En outre, les églises « électroniques » jouissent d’une grande audience, les
prédicateurs de télé sont nombreux et ont une grande influence sur des millions de
téléspectateurs et d’auditeurs.
L’église catholique romaine
C’est l’église catholique qui est la plus nombreuse aux Etats-Unis. Elle continue à
augmenter en nombre vu la démographie de la population hispanique, composée de
familles nombreuses, et malgré le fait que de nombreux hispaniques soient devenus
Pentecôtistes. Comme dans les autres pays catholiques, les évêques n’ont pas tous
les mêmes idées. Certains sont très progressistes, d’autres sont très conservateurs.
Sur les côtes Est et Ouest des Etats-Unis, il y a des diocèses dont la situation
ressemble à ce qui se passe en Europe : sécularisation de plus en plus importante,
les prêtres sont âgés et difficiles à remplacer, les paroissiens s’expriment de plus en
plus.
Le diocèse de Boston en offre un bon exemple :
ce sont les laïcs qui ont
refusé et brisé le silence du clergé supérieur au sujet des abus commis au sein du
clergé sur des enfants et des adolescents. Leur protestation a mené à la démission
de l’archevêque de Boston.
Le diocèse de Boston a ainsi versé 85 millions de dollars de dommage pour 552
plaintes.
Le diocèse d’Orange, au Sud de Los Angeles, a versé 100 millions de
dollars à 90 victimes. Trois diocèses se sont déclarés en faillite.
A côté des diocèses, il y a un grand nombre d’ordres religieux et de congrégations.
Certains sont très récents, comme par exemple les « Légionnaires du Christ » très
conservateurs,
qui
prennent
de
l’ampleur .
Les
ordres
féminins
sont
particulièrement importants, beaucoup travaillent dans les milieux pauvres et
marginalisés qui ne cessent de se développer aux Etats Unis. Il y a de grandes
disparités, mais en général les membres des ordres et des congrégations ont un
niveau de formation plus élevé que celui des prêtres séculiers.
Au centre et au Sud des Etats- Unis, la situation est différente. Les églises sont
plus remplies et plus conservatrices, autant sur le plan politique que sur le plan
théologique, et il y a peu de progrès au niveau oecuménique.
Sur le plan politique, et malgré qu’ils aient été très secoués par les scandales de
pédophilie
et
leurs
conséquences
financières
énormes,
certains
évêques
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conservateurs sont intervenus pendant les dernières campagnes électorales pour
soutenir G.W. Bush, un candidat « en faveur de la vie », fut-il un « converti »
évangélique conservateur. Par contre, John Kerry, le candidat démocrate, pourtant
catholique romain pratiquant,
originaire de la côte Est,
a répété à plusieurs
reprises qu’il lui semblait inadéquat de se baser sur l’enseignement moral de l’église
pour imposer des lois en matière d’avortement, de contraception, de recherche sur
la fécondation, etc.
Pour certains analystes, la défaite de ce dernier pourrait bien
être due à l’alliance entre des conservateurs
catholiques et évangéliques qui ne
sont cependant pas proches dans la vie quotidienne.
Les protestants
Toutes les « grandes églises », c'est-à-dire les méthodistes, les presbytériens, les
luthériens, les épiscopaliens, les anglicans, les baptistes, etc., ont perdu des
membres en faveur des groupes plus conservateurs.
Le Conseil National des Eglises Chrétiennes (le Conseil Œcuménique des Eglises
américaines) a dû revoir ses programmes et sa politique du personnel en
conséquence d’une baisse des revenus issus des églises membres.
Les Baptistes et les Luthériens doivent tenir compte de leurs « églises sœurs » très
importantes et très puissantes dans le Sud, respectivement les Baptistes de Sud et
le Synode luthérien du Missouri. Les Baptistes du Sud se sont retirés récemment
de l’Alliance mondiale des Baptistes, considérés trop progressistes, et le Synode
luthérien du Missouri n’a jamais été membre de la Fédération mondiale des
Luthériens.
Ces deux groupes se sont opposés pendant longtemps à toute
législation en faveur de la population noire.
Le Pasteur Martin Luther King
représentait l’exception flagrante et visible. Il est également intéressant de noter
que le baptiste Jimmy Carter et le méthodiste Bill Clinton, deux présidents
progressistes venaient également du Sud. En d’autres termes, c’est complexe. Il ne
s’agit pas simplement d’un schéma « blancs contre noirs ».
Les Mormons ou l’Eglise de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours
Il s’agit d’une secte typiquement américaine, avec quelques références au
Christianisme, mais qu’on ne peut considérer comme une émanation du
protestantisme ou du catholicisme.
Cette église a son propre prophète et ses
propres écritures, et se développe tous les jours aux Etats-Unis.
Elle compte
aujourd’hui 4 millions de membres, soit plus que l’église épiscopalienne américaine
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par exemple. Le candidat G.W. Bush n’a même pas dû faire campagne dans l’Etat
du Utah, patrie des Mormons. Il y a remporté 90 % des voix sans s’y être rendu.
Les églises évangéliques
Il y en aurait entre 70 et 80 millions. Pour eux, la Bible est « inspirée par Dieu,
seule parole infaillible et d’autorité divine » selon une définition de l’Association
Nationale des Evangéliques américains.
Ce qui signifie que toute information
provenant d’une autre source, géographique, archéologique ou historique, doit
pouvoir être compatible.
Si ce n’est pas le cas, l’information en question doit être
rejetée. On trouve cependant parmi ces églises différentes tendances plus ou moins
tolérantes, plus ou moins fondamentalistes.
Comme dans la plupart des églises d’inspiration chrétienne, il existe des courants
conservateurs qui s’opposent à la législation sur l’avortement, à la recherche dans
le domaine de la procréation, à la promotion de la contraception selon les
recommandations de l’OMS, etc.
Les églises protestantes ou évangéliques
conservatrices, qui sont souvent charismatiques ou pentecôtistes, font souvent
front commun avec les catholiques sur ces questions morales, même si elles sont
par ailleurs en désaccord avec la doctrine catholique romaine.
Certains de ces groupes appartiennent également au lobby pour l’enseignement du
« créationnisme », c'est-à-dire pour une interprétation littérale de la création du
monde par Dieu en sept jours, qui remplacerait l’enseignement de l’évolutionnisme,
ou, au moins, devrait être proposé comme la meilleure alternative.
Dans cette
démarche, ils nient toutes les évidences et considèrent que les fossiles de plusieurs
centaines de milliers d’années font partie d’un superflu décoratif et flou.
Ces églises sont caractérisées également par la théorie du « rapt », qui est
particulièrement intéressante.
Elle se réfère notamment aux apocalypses de
l’Evangile (Mathieu 24, 40-41): tout à coup, les élus de Dieu seront appelés au ciel,
un homme ou une femme sans son conjoint, un parent sans son enfant, etc. Du
ciel il pourront voir comment les autres se comportent, s’entre-tuent, ils verront
une sorte d’enfer sur terre. Certains prédicateurs et hommes politiques utilisent
ces histoires effrayantes pour asseoir leur pouvoir.
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Ce qui est surprenant, c’est que l’autre grand sujet moral, la guerre préventive en
Iraq, qui coûte de plus en plus cher en vies humaines américaines (et iraqiennes),
se sert également de ce fanatisme religieux.
Dans ces groupes, on trouve aussi les supporters des lobbies en faveur de la
détention d’armes privées, malgré les nombreux « incidents », meurtres et tueries
dramatiques dans des écoles. Et c’est là aussi qu’on trouve les supporters de la
peine de mort, y compris lorsqu’il s’agit de condamnés mal défendus en justice et
d’handicapés mentaux.
G.W. Bush et la religion
George Bush père était épiscopalien. Mais George Bush fils est méthodiste et sa
propre église, l’Eglise Méthodiste Unie, est très critique à l’égard de sa politique
sociale et militaire. Le président a refusé à plusieurs reprises de rencontrer son
évêque et dit s’en remettre « à la guidance divine ».
George W. Bush a eu un sérieux problème d’alcoolisme et a eu une expérience de
« conversion » sous l’influence de milieux évangéliques conservateurs.
Il a
abandonné l’alcool et se dit être « né à nouveau » en tant que vrai chrétien. Comme
le faisait déjà Ronald Reagan, ses discours sont remplis d’images apocalyptiques
comme on en voit dans la Bible, surtout dans les livres de Daniel, Ezéchiel, et dans
l’Apocalypse, le livre de la Révélation.
Des concepts comme le combat entre la Lumière et l’Obscur, les enfants de la
Lumière et les enfants de l’Obscur, la lutte finale de Gog et Magog , - représentants
le mal -, le Bien et le Mal, l’Axe du Mal, etc. sont symptomatiques de ce type
d’approche primitive de la religion propre aux gens qui ont tout au plus une
connaissance très rudimentaire de la théologie ou de la Bible.
Pourquoi les mouvements « fondamentalistes » sont-ils si puissants ?
Les raisons sont compliquées et multiples. Le fondamentalisme est né au début du
20e siècle en tant que réaction des « simples gens » à ce qu’on a appelé la théologie
libérale. Il fallait défendre les fondements de la foi : l’inspiration divine de la Bible,
les miracles, la virginité de Marie, l’ascension vers le ciel de Moïse, Elie, Jésus, la
résurrection, etc.
Ce langage semble plaire aujourd’hui à ceux qui sont dominés
par la peur engendrée par ce qui se passe autour d’eux. Ils vivent aux Etats-Unis
« dans le pays de Dieu », comment oserait-on critiquer ce pays?
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La plupart des électeurs de Bush, appartenant à la droite religieuse, jugent les
évènements mondiaux et politiques à partir des seuls « critères bibliques ». Ainsi,
dans certains cas, en se basant sur le livre de Job, ils maintiennent que le soleil
tourne autour de la terre, qu’il y aura une « période de mille ans » où règneront le
Christ et les saints ressuscités, après une période de « rapt », etc.
En outre, l’américain moyen n’a pas d’autres sources d’informations que la télé et
les journaux locaux. Hormis les grandes villes des côtes Est et Ouest, il est difficile,
voire impossible de trouver un journal étranger. A l’intérieur du pays, on trouve
même rarement un journal américain comme le New York Times ou le Washington
Post .
On ne connaît donc pas les positions critiques émises par les églises
américaines ou étrangères opposées au fondamentalisme et à la politique de G.W.
Bush. La prise de position très claire du pape Jean Paul II contre la guerre en Iraq
a subi le même sort.
Religion et politique
Les électeurs de G.W. Bush ont donc cru toutes les histoires d’armes de destruction
massive en Iraq et de lutte contre le Mal, oubliant facilement que l’Iraq était allié
des USA contre l’Iran moins d’une génération plus tôt. La plupart ne savent même
pas où se trouvent l’Iraq et l’Iran.
Face à l’influence de certaines formes d’excès dans la religion, voire à leur capacité
de dicter la politique du gouvernement, il faut espérer que les « grandes églises »
vont réagir et que le « bon sens » va l’emporter lorsqu’on verra le nombre de corps
rapatriés d’Iraq.
Pas beaucoup plus de la moitié des américains ont voté. Cette indifférence a joué
en faveur de Bush. Il faut cependant reconnaître que même ceux qui ont voté pour
la ré-élection de Bush commencent à se poser des questions, notamment par
rapport à l’augmentation des impôts pour soutenir l’effort militaire et par rapport
aux mesures drastiques sur le plan social.
Aujourd’hui, plus de 25 % de la population américaine est sous-alimentée et quasi
sans aide médicale.
Les restrictions de la politique sociale prévue par
l’administration Bush vont aggraver encore ces chiffres et les dépenses militaires
vont continuer à grimper.
La droite fondamentaliste catholique, protestante et
évangélique, y porte une lourde responsabilité.
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A côté de cela, il faut rappeler les graves mesures de restriction des droits de
l’homme aux Etats-Unis qui ont été votées ou prises par décret après le 11
septembre 2001. C’est illustré notamment par la « prison » de Guantanamo Bay, où
les prisonniers n’ont aucuns droits, et par les scandales de torture à Abu Ghraib où
le gouvernement continue à sévir en toute impunité.
G.W. Bush base sa force et son succès sur un conservatisme religieux qui dépasse
les frontières des églises évangéliques américaines : il existe des tendances
fondamentalistes partout dans le monde.
La désertion des paroissiens et des
vocations dans les églises traditionnelles catholiques et protestantes doit par
ailleurs être mise en relation avec le succès des sectes évangéliques qui se
développent en Europe, en Afrique, en Amérique latine … avec le soutien actif
d’églises américaines.
Cette analyse montre qu’il y a une certaine cohérence entre les phénomènes
observés.
Elle
nous
interpelle
sur
certaines
dérives
de
mouvements
fondamentalistes, parfois apparentés à qu’on a appelé en Europe le « renouveau
charismatique », ou encore sur certaines tendances intégristes puissantes à
l’intérieur de l’église tel que le mouvement de l’Opus Dei.
Les motifs profonds
Mais cette analyse est loin d’expliquer les motifs profonds des positions de Bush
face à l’Afghanistan puis à l’Iraq,
positions révisées par ailleurs à plusieurs
reprises, ni sa volonté de démanteler les armes de destruction massive et d’y
apporter la démocratie et les droits de l’homme. On a du mal à croire que tout cela
soit le résultat de sa conversion à certaines formes de la foi chrétienne.
La guerre messianique lancée par G.W. Bush et la vision évangélique qu’elle
comporte vont bien plus loin. Elles visent à imposer l’hégémonie américaine et le
contrôle des richesses et des ressources au niveau international, pour que les
Etats-Unis soient la seule superpuissance, incontournable, qui pourra en disposer.
De nombreux économistes et politicologues n’ont pas manqué de relever les intérêts
de G.W. Bush dans le secteur du pétrole bien plus que dans celui des droits de
l’homme. Cela n’est pas nouveau.
Dans toute l’histoire, des chefs d’Etat et des
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dictateurs de toutes sortes ont assis leur pouvoir sur une prétendue révélation
divine.
Des missionnaires ont précédé et accompagné les conquêtes coloniales,
l’évangélisation de l’Amérique et de l’Afrique s’est soldée par l’esclavage et le
génocide de peuples entiers dans ces continents.
Conclusion
On parle beaucoup de fondamentalisme musulman dans la presse, et de sa cruauté
primaire. Sûrement cela existe, mais le fondamentalisme chrétien existe aussi et
aucun des deux ne représentent l’Islam ou le Christianisme originaires.
La xénophobie et l’intégrisme fondamentaliste touchent toutes les religions y
compris les religions non chrétiennes, voire même un certain laïcisme lorsque des
situations de pouvoir ou d’intérêt entrent en jeu.
L’ignorance et la misère sont certainement des catalyseurs pour le développement
du fondamentalisme et de l’intégrisme, mais il faut remarquer que ceux-ci ont
toujours été utilisés par les grandes puissances pour piller, détruire et écraser des
peuples entiers.
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