The Good Life – Avril Mai Juin 2015
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The Good Life – Avril Mai Juin 2015
18 BUSINESS | CULTURE | DESIGN | ARCHITECTURE | MODE | VOYAGES | LIFESTYLE | N° 18 AVRIL / MAI / JUIN 2015 | 6 € | www.thegoodlife.fr Le premier magazine masculin hybride : business & lifestyle DOSSIER SPÉCIAL THE GOOD WATCHES The Good Boom CANADA CHERCHE MIGRANTS TRÈS QUALIFIÉS 25 PAGES SUR LE MARCHÉ DES MONTRES HAUT DE GAMME The Good Paper O GLOBO, LE JOURNAL DES CARIOCAS The Good Headquarters BONHAMS CHALLENGE SOTHEBY’S & CHRISTIE’S +5% de diffusion totale Maximale City SYDNEY : BIG BUSINESS EN ASIE-PACIFIQUE (OJD 2014) The Good Trips VARSOVIE IS BACK The Good Vibrations PHOTO, MUSIQUE, ART CONTEMPORAIN, GASTRONOMIE Extremely addictive Le magazine dont tout le monde parle en ce moment 6€ M 01770 - 18 - F: 6,00 E - RD AUDI A3 E-TRON, L’ULTRAPERFORMANTE MARTONE, LE VÉLO HYPER-TRENDY ’:HIKLRH=UU[UUV:?a@a@l@s@a" The Good Tests THE GOOD LOOK THE GOOD TREND Etiquettes éthiques Lexique • Durable (responsable) : prend en compte les aspects sociaux, environnementaux et économiques. • Ethique : s’inscrit dans une démarche respectueuse de l’homme et de l’environnement : hygiène et sécurité respectées, non-discrimination sexuelle, interdiction du travail des enfants ou droit de se syndiquer, mais aussi produits issus de l’agroécologie ou du recyclage. • Equitable : fondé sur des rapports commerciaux plus justes et transparents. • Bio : produits sans engrais ni pesticides. Cela concerne principalement le coton, mais on peut proposer des collections en coton bio… et dédaigner tout le reste. • Local : dont la fabrication a lieu dans le pays ou la région d’origine de la marque. La mode responsable Discrète ou militante, la seconde vague de marques de mode responsable met un point d’honneur à respecter la planète tout en offrant des produits stylés. Reste à inventer une communication séduisante et des labels compréhensibles à l’international par le consommateur. Par Elisa Morère Alors que le bio est entré dans mon frigo depuis longtemps, pourquoi la mode respon‐ sable n’arrive‐t‐elle pas jusqu’à mon armoire ? Selon les professionnels du secteur, c’est parce que la mode éthique demeure un mar‐ ché de niche, sans réel label international, avec une communication encore inaudible et un style qui, certes, s’améliore, mais reste dis‐ cutable. Mal informé, le client ne comprend pas non plus les actions des marques dites solidaires. Il confond canne de bambou, utilisé en décoration, et "ibre de bambou, dont le procédé d’extraction pour le textile est tra‐ gique pour l’environnement. Ajoutons qu’en pleine séance shopping le consommateur ne pense pas particulièrement aux conditions de production de ce pull si peu cher et… si fa‐ cilement jetable. Dommage, car, selon Helena Barbour, directrice du sportswear de la marque Patagonia, « beaucoup d’industriels paient le produit sans s’intéresser aux conditions sociales ou environnementales». Une industrie textile inhumaine La marque de sport américaine sait de quoi elle parle, puisqu’elle est pionnière du com‐ merce responsable depuis sa fondation, en 1972, par Yvon Chouinard. Ce parti pris ne l’a pas empêchée de devenir une major du secteur qui consacre 1% de son chiffre d’af‐ faires au "inancement de ses programmes prioritaires. Dernière action en date : les ou‐ 188 1. A KING OF GUISE, UNE MARQUE ALLEMANDE QUI FABRIQUE… EN ALLEMAGNE. 1 vriers de son fournisseur indien peuvent choi‐ sir entre créer une crèche d’entreprise ou se redistribuer un bonus. Un exemple trop rare comme le monde entier a pu le constater avec l’incident du Rana Plaza, en 2013, au Bangla‐ desh, qui avait fait plus de 1000 victimes. On a découvert une industrie textile inhumaine, des sous‐traitants essorés par les usines asia‐ tiques ou indiennes «of"icielles» qui doivent, elles, répondre aux chartes, délais et prix im‐ posés par leurs clients internationaux, dont La mode éthique demeure un marché de niche, sans réel label international. Mango, Primark, Carrefour ou Auchan – leurs étiquettes ont été retrouvées parmi les dé‐ combres du bâtiment. Patagonia, diplomate, parle «de challenge en Inde ou au Sri Lanka. On ne peut pas changer la vie des travailleurs du jour au lendemain, mais on essaie de l’améliorer». Les enfants qui travaillent dans des caves insalubres sur nos baskets de marque, c’est en effet toujours une réalité. «Ces mastodontes ont une usine témoin qui sera auditée, mais ils ne veulent pas savoir ce qui se passe dans les sous-sols des sous-traitants. Cette production est la clé de voûte de leur business, et ils ont érigé ce système illégal en dogme», s’in‐ surge Sébastien Kopp, cofondateur de la marque française de baskets équitables Veja. Economies d’énergie, la priorité Les gros commanditaires – comme H&M qui commande 1 milliard de produits par an au Bangladesh – se sont transformés en plates‐ formes logistiques ayant perdu tout contact avec leurs unités de fabrication. Quelle est donc la différence entre une marque éthique et les autres ? C’est simple : à sa sortie d’usine en Chine, une paire de baskets d’un label non responsable revient à 2,10 euros et sera ven‐ due 69 euros à Paris. Pour un prix de vente identique, Veja paie 17 euros la paire. Sourcer ses matières agroécologiques fait également partie d’une démarche sérieuse. Veja, par exemple, fait venir son coton bio du Brésil. «J’achète la balle de 15 kg de coton biologique deux fois plus cher et à l‘avance au paysan qui va cultiver la parcelle sans engrais ni pesticides. Assuré de vendre sa production, il sait aussi ce qu’elle lui rapportera », explique Sébastien Kopp, dont la fameuse basket équitable s’est vendue à 1 million d’exemplaires depuis sa sortie en 2005. De son côté, Helena Barbour rappelle : « Patagonia a été la première à proposer des polaires en matière recyclée ou du coton bio. Le consommateur, en Asie et aux Etats-Unis comme en Europe, en redemande. Pourquoi n’y en a-t-il pas partout [en 2011, le coton bio représentait 1,1% de la production THE GOOD LOOK THE GOOD TREND France Bois² (2, 3 et 4) Julien Tual et Antoine Mocquard, 35 et 37 ans, ont lancé plusieurs marques (800 000 € de chiffre d’affaires pour l’ensemble et des investisseurs en vue) dont Waiting For The Sun, en 2010, spécialisées dans les lunettes de soleil en bois. Julien a travaillé dans la mode ; Antoine était ingénieur dans l’industrie automobile. Depuis, ils ont enchaîné en inaugurant la boutique Wait, à Paris dans le Marais, un concept-store qui réunit tout l’attirail des surfeurs et qui propose, notamment, une collection 100 % bretonne (le trench est en coton bio enduit à la cire d’abeille et en plastique recyclé). Bois² est leur dernier projet totalement écoresponsable, puisqu’il s’agit de lunettes en acétate bio – qu’ils ont inventé et breveté, l’acétate classique étant à base de pétrole et de coton. Les produits de la marque sont tracés de A à Z, 100 % recyclables, 100 % fabriqués en France et 100 % sympas ! 3 2 4 Danemark Knowledge Cotton Apparel (8) Depuis 1969, Jorgen Morup ne tricote que du bio (le coton, la laine, le lin) dans le petit atelier familial situé au fin fond du Jutland. Il teint lui-même ses tissus avec des jus de fleurs et d’herbes. Le tout donne de superbes collections masculines labellisées, contrôlées, faites avec amour – pulls, parkas, tee-shirts ornés de chouettes –, et diffusées en Europe comme aux Etats-Unis. Prochaine étape : l’Asie ! 5 PHOTOS : DR Etats-Unis Toms (6 et 7) Le concept One for One ? Lorsque vous achetez une paire de chaussures Toms, une paire est offerte à un enfant défavorisé. Dix millions de dons de chaussures et un best-seller (Start Something That Matters, qui raconte cette expérience) plus tard, le patron texan Blake Mycoskie (5) est devenu un alter-chef d’entreprise dont Bill Clinton chante les louanges. Le magazine Fortune l’a nommé parmi les 40 entrepreneurs de moins de 40 ans les plus influents des Etats-Unis. Le business-modèle ? « Il y a sept ans, lors d’un voyage en Argentine, j’ai découvert la misère. L’idée m’est alors venue de créer Toms. Chaque paire de chaussures achetée – de 55 à 120 € en moyenne – espadrilles noires coordonnées aux uniformes scolaires, baskets, bottes népalaises – permet d’offrir l’équivalent à un enfant, que nous suivons sur le long terme puisqu’en grandissant il a besoin de quatre paires de chaussures par an. Toms ne fait aucune publicité et a été connu aux Etats-Unis grâce aux réseaux sociaux. La société fait du business, est rentable, mais reste axée sur l’aide apportée à quelqu’un dans l’instant. Les grands groupes américains attendent d’avoir réalisé d’énormes bénéfices pour partager. C’est dommage. » Depuis, Blake Mycoskie a étendu son action. Cette année, une collection de sacs a vu le jour, afin, notamment, de contribuer à former du personnel de santé en matière d’accouchements. Allemagne 6 7 9 8 A Kind of Guise (9) D’un projet d’étudiants né en 2009 pour faire plaisir aux copains est né cet ovni que les fans appellent affectueusement par l’acronyme Akog. Premier fait d’armes : fabriquer des sacs avec les restes de production de ballons en cuir récupérés dans une usine italienne. Puis leurs fidèles se sont arraché les 100 exemplaires de chemise dont le jean a été délavé aux éléments naturels en étant déposé le long du lac de Garde durant 90 jours ! C’est devenu un concept : chaque produit est unique, mais fait partie d’une série – l’hyper contraire du mass-market, donc –, et 100 % issu du savoir-faire local allemand, histoire de garder un œil sur la fabrication « propre ». 189 THE GOOD LOOK THE GOOD TREND Que cache le prix (moyen) d’un tee-shirt vendu 29 € en grande distribution ? • 0,18 € : salaire du travailleur. • 0,27 € : frais généraux. • 1,15 € : marges de l’usine au Bangladesh. • 1,20 € : intermédiaire. • 2,19 € : coût du transport. • 3,40 € : coût du matériel (tissus, boutons, etc.). • 3,61 € : marge de la marque. • 17 € : marge de l’enseigne de distribution. 2 «L’industrie de la mode face aux questions d’éthique», tout un programme ! Constance Bost, 30 ans, fashion-entrepreneur très impliquée à travers son Atelier de couture, a fait réaliser par des étudiants de Sciences-po Paris cette étude sur la mode responsable. «Travail des enfants, pesticides, teintures polluantes! Ne peut-on pas faire les choses correctement ? De même, payer un vêtement une misère en boutique le dévalorise et ne rend pas compte du travail effectué», déplore la jeune styliste. L’étude pointe la confusion dans l’esprit du consommateur entre marques mass-market et vrai luxe dont elles copient les codes. L’étude note aussi que les industriels auraient avantage à un comportement respectueux : gain d’image, de productivité, approvisionnement sans à-coups à cause de grèves – Nike a d’ailleurs augmenté son chiffre d’affaires en modifiant sa production de manière plus vertueuse. En se basant sur une autre étude, réalisée par le Worker Rights Consortium, qui estime un investissement nécessaire de 3 M $ sur 5 ans, il a été estimé que 0,10 $ supplémentaire payé par vêtement par les commanditaires suffirait à remettre aux normes toutes les usines du Bangladesh ! 1. LE CENTRE COMMERCIAL CRÉÉ PAR VEJA, RUE DE MARSEILLE, À PARIS (10e ARRONDISSEMENT), EST DEVENU LE SPOT TRÈS PRISÉ DES HIPSTERS. 2. L’ONG FRANÇAISE ALTERMUNDI, DONT LA PREMIÈRE BOUTIQUE A VU LE JOUR À PARIS EN 2003. 3. VEJA, UN STYLE SOBRE, MAIS AVEC UN TWIST D’ORIGINALITÉ. mondiale, NDLR] ? Mystère ! Mais des changements sont en cours sous la pression du client.» On sait peu en effet que les champs de coton sont bourrés de pesticides (un tee‐ shirt représente 165 grammes de pesticides selon le site de la marque danoise Knowledge Cotton Apparel !). Sans parler des colorants chimiques ou du chrome (utilisé pour le tan‐ 190 1 3 nage des cuirs) qui contaminent les rivières. Ou des jeans, dont un seul modèle néces‐ site… 11 000 litres d’eau ! Patagonia a d’ail‐ leurs fait de l’économie d’énergie l’une de ses priorités. « Nous travaillons avec l’université de Hong Kong pour développer et tester de nouveaux procédés pour nos toiles de jean, con"irme la directrice sportswear. En Chine, nos partenaires très novateurs ont parfaitement conscience de ces problèmes et de leur impact. Ainsi, depuis 1998, notre fournisseur Esquel Garment Manufacturing Co. contrôle la totalité de la chaîne, du coton bio au produit !ini. La traçabilité est nickel ! » breux projets solidaires. Son réseau d’une centaine de boutiques offre des pièces vesti‐ mentaires vintage qui proviennent de dons – et qui "inancent l’organisation – ainsi que des produits issus du commerce équitable géré par Oxfam. La communication demeure le vrai maillon faible de l’univers solidaire. Les budgets des marques se concentrent de préférence sur le pré"inancement de la production, sur le style, le développement, les voyages ou la rému‐ nération d’un responsable de "ilière pour conserver un lien direct avec ces petits pro‐ ducteurs disséminés aux quatre coins du monde. Le (modique) chiffre d’affaires réalisé par les marques responsables ne permet pas d’investir dans la communication. Alors, pour sortir de la con"identialité restent, dans le meilleur des cas, les salons professionnels de prêt‐à‐porter. Mais en France, il s’agit souvent de corners noyés dans de vastes espaces. Les pays nordiques savent en revanche parfaite‐ ment vendre ce thème de manière spéci"ique, séduisante et même festive. A Amsterdam, le jeune salon Green Orange Fashion se fait tran‐ quillement une place, tandis que Berlin a son Ethical Fashion Show, créé… en France, en 2004, par Isabelle Quéhé. Il a eu le mérite de révéler Veja et Misericordia, mais, trop peu fréquenté, il a été revendu en 2012 au groupe Messe Frankfurt Exhibition. Ultimes moyens pour agrandir la famille solidaire : les blo‐ gueurs, qui défendent les projets, et la clien‐ tèle hyperconnectée, qui a les moyens de faire pression sur ses marques préférées pour que celles‐ci se découvrent en"in une conscience. A bon entendeur… ! On se regroupe Les tenants de l’éthique s’organisent en se re‐ groupant dans des lieux au design soigné. Ainsi, Centre commercial, créé par Veja, à Paris, est devenu, en 2011, un endroit très prisé des hipsters, grâce à son univers com‐ mun et chic en cent marques créatives loin de la «fast fashion». De son côté, Altermundi en fait autant depuis 2003. Certes moins glamour, mais plus pédagogue, l’ONG française mise sur la déco et sur la mode avec 55 marques, et annonce une croissance annuelle de 25%. Thibaut Ringô, son directeur général, con"ie : «Altermundi est passée d’une clientèle militante à une clientèle créative qui tente de concilier son quotidien avec une offre alternative.» D’autres concepts de ce genre existent en Eu‐ rope. Ainsi, Changemaker possède sept bou‐ tiques « éthiques, mais esthétiques » dans les grandes villes de Suisse, et Oxfam Magasins du monde, association internationale créée en Belgique en 1976, développe de nom‐ PHOTOS : DR Sciences-po et la mode éthique