The Good Life – Avril Mai Juin 2015

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The Good Life – Avril Mai Juin 2015
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BUSINESS | CULTURE | DESIGN | ARCHITECTURE | MODE | VOYAGES | LIFESTYLE | N° 18 AVRIL / MAI / JUIN 2015 | 6 € | www.thegoodlife.fr
Le premier magazine masculin hybride : business & lifestyle
DOSSIER SPÉCIAL
THE GOOD
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25 PAGES SUR LE
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The Good Paper
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The Good Tests
THE GOOD LOOK
THE GOOD TREND
Etiquettes
éthiques
Lexique
• Durable (responsable) : prend en compte
les aspects sociaux, environnementaux
et économiques.
• Ethique : s’inscrit dans une démarche
respectueuse de l’homme et de
l’environnement : hygiène et sécurité
respectées, non-discrimination sexuelle,
interdiction du travail des enfants
ou droit de se syndiquer, mais aussi
produits issus de l’agroécologie
ou du recyclage.
• Equitable : fondé sur des rapports
commerciaux plus justes et transparents.
• Bio : produits sans engrais ni pesticides.
Cela concerne principalement le coton,
mais on peut proposer des collections
en coton bio… et dédaigner tout le reste.
• Local : dont la fabrication a lieu dans le
pays ou la région d’origine de la marque.
La mode responsable
Discrète ou militante, la seconde
vague de marques de mode
responsable met un point
d’honneur à respecter la planète
tout en offrant des produits stylés.
Reste à inventer une communication
séduisante et des labels
compréhensibles à l’international
par le consommateur.
Par Elisa Morère
Alors que le bio est entré dans mon frigo
depuis longtemps, pourquoi la mode respon‐
sable n’arrive‐t‐elle pas jusqu’à mon armoire ?
Selon les professionnels du secteur, c’est
parce que la mode éthique demeure un mar‐
ché de niche, sans réel label international,
avec une communication encore inaudible et
un style qui, certes, s’améliore, mais reste dis‐
cutable. Mal informé, le client ne comprend
pas non plus les actions des marques dites
solidaires. Il confond canne de bambou, utilisé
en décoration, et "ibre de bambou, dont le
procédé d’extraction pour le textile est tra‐
gique pour l’environnement. Ajoutons qu’en
pleine séance shopping le consommateur ne
pense pas particulièrement aux conditions
de production de ce pull si peu cher et… si fa‐
cilement jetable. Dommage, car, selon Helena
Barbour, directrice du sportswear de la
marque Patagonia, « beaucoup d’industriels
paient le produit sans s’intéresser aux conditions sociales ou environnementales».
Une industrie textile inhumaine
La marque de sport américaine sait de quoi
elle parle, puisqu’elle est pionnière du com‐
merce responsable depuis sa fondation, en
1972, par Yvon Chouinard. Ce parti pris ne
l’a pas empêchée de devenir une major du
secteur qui consacre 1% de son chiffre d’af‐
faires au "inancement de ses programmes
prioritaires. Dernière action en date : les ou‐
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1. A KING OF GUISE, UNE MARQUE ALLEMANDE
QUI FABRIQUE… EN ALLEMAGNE.
1
vriers de son fournisseur indien peuvent choi‐
sir entre créer une crèche d’entreprise ou se
redistribuer un bonus. Un exemple trop rare
comme le monde entier a pu le constater avec
l’incident du Rana Plaza, en 2013, au Bangla‐
desh, qui avait fait plus de 1000 victimes. On
a découvert une industrie textile inhumaine,
des sous‐traitants essorés par les usines asia‐
tiques ou indiennes «of"icielles» qui doivent,
elles, répondre aux chartes, délais et prix im‐
posés par leurs clients internationaux, dont
La mode éthique demeure
un marché de niche, sans
réel label international.
Mango, Primark, Carrefour ou Auchan – leurs
étiquettes ont été retrouvées parmi les dé‐
combres du bâtiment. Patagonia, diplomate,
parle «de challenge en Inde ou au Sri Lanka.
On ne peut pas changer la vie des travailleurs
du jour au lendemain, mais on essaie de l’améliorer». Les enfants qui travaillent dans des
caves insalubres sur nos baskets de marque,
c’est en effet toujours une réalité. «Ces mastodontes ont une usine témoin qui sera auditée,
mais ils ne veulent pas savoir ce qui se passe
dans les sous-sols des sous-traitants. Cette production est la clé de voûte de leur business, et
ils ont érigé ce système illégal en dogme», s’in‐
surge Sébastien Kopp, cofondateur de la
marque française de baskets équitables Veja.
Economies d’énergie, la priorité
Les gros commanditaires – comme H&M qui
commande 1 milliard de produits par an au
Bangladesh – se sont transformés en plates‐
formes logistiques ayant perdu tout contact
avec leurs unités de fabrication. Quelle est
donc la différence entre une marque éthique
et les autres ? C’est simple : à sa sortie d’usine
en Chine, une paire de baskets d’un label non
responsable revient à 2,10 euros et sera ven‐
due 69 euros à Paris. Pour un prix de vente
identique, Veja paie 17 euros la paire. Sourcer
ses matières agroécologiques fait également
partie d’une démarche sérieuse. Veja, par
exemple, fait venir son coton bio du Brésil.
«J’achète la balle de 15 kg de coton biologique
deux fois plus cher et à l‘avance au paysan qui
va cultiver la parcelle sans engrais ni pesticides.
Assuré de vendre sa production, il sait aussi ce
qu’elle lui rapportera », explique Sébastien
Kopp, dont la fameuse basket équitable s’est
vendue à 1 million d’exemplaires depuis sa
sortie en 2005. De son côté, Helena Barbour
rappelle : « Patagonia a été la première à
proposer des polaires en matière recyclée ou
du coton bio. Le consommateur, en Asie et aux
Etats-Unis comme en Europe, en redemande.
Pourquoi n’y en a-t-il pas partout [en 2011, le
coton bio représentait 1,1% de la production
THE GOOD LOOK
THE GOOD TREND
France
Bois² (2, 3 et 4)
Julien Tual et Antoine Mocquard,
35 et 37 ans, ont lancé plusieurs
marques (800 000 € de chiffre
d’affaires pour l’ensemble
et des investisseurs en vue)
dont Waiting For The Sun,
en 2010, spécialisées dans
les lunettes de soleil en bois.
Julien a travaillé dans la mode ;
Antoine était ingénieur dans
l’industrie automobile. Depuis,
ils ont enchaîné en inaugurant
la boutique Wait, à Paris dans
le Marais, un concept-store qui
réunit tout l’attirail des surfeurs
et qui propose, notamment,
une collection 100 % bretonne
(le trench est en coton bio
enduit à la cire d’abeille
et en plastique recyclé). Bois²
est leur dernier projet totalement
écoresponsable, puisqu’il s’agit
de lunettes en acétate bio
– qu’ils ont inventé et breveté,
l’acétate classique étant
à base de pétrole et de coton.
Les produits de la marque
sont tracés de A à Z, 100 %
recyclables, 100 % fabriqués
en France et 100 % sympas !
3
2
4
Danemark
Knowledge Cotton Apparel (8)
Depuis 1969, Jorgen Morup
ne tricote que du bio (le coton,
la laine, le lin) dans le petit
atelier familial situé au fin fond
du Jutland. Il teint lui-même
ses tissus avec des jus de fleurs
et d’herbes. Le tout donne de
superbes collections masculines
labellisées, contrôlées, faites
avec amour – pulls, parkas,
tee-shirts ornés de chouettes –,
et diffusées en Europe comme
aux Etats-Unis. Prochaine
étape : l’Asie !
5
PHOTOS : DR
Etats-Unis
Toms (6 et 7)
Le concept One for One ?
Lorsque vous achetez
une paire de chaussures Toms,
une paire est offerte à un enfant
défavorisé. Dix millions de dons
de chaussures et un best-seller
(Start Something That Matters,
qui raconte cette expérience)
plus tard, le patron texan Blake
Mycoskie (5) est devenu
un alter-chef d’entreprise dont
Bill Clinton chante les louanges.
Le magazine Fortune l’a nommé
parmi les 40 entrepreneurs
de moins de 40 ans les plus
influents des Etats-Unis.
Le business-modèle ? « Il y a
sept ans, lors d’un voyage
en Argentine, j’ai découvert
la misère. L’idée m’est alors
venue de créer Toms. Chaque
paire de chaussures achetée
– de 55 à 120 € en moyenne –
espadrilles noires coordonnées
aux uniformes scolaires,
baskets, bottes népalaises –
permet d’offrir l’équivalent
à un enfant, que nous suivons
sur le long terme puisqu’en
grandissant il a besoin de quatre
paires de chaussures par an.
Toms ne fait aucune publicité
et a été connu aux Etats-Unis
grâce aux réseaux sociaux.
La société fait du business,
est rentable, mais reste axée
sur l’aide apportée à quelqu’un
dans l’instant. Les grands
groupes américains attendent
d’avoir réalisé d’énormes
bénéfices pour partager.
C’est dommage. » Depuis, Blake
Mycoskie a étendu son action.
Cette année, une collection
de sacs a vu le jour, afin,
notamment, de contribuer
à former du personnel de santé
en matière d’accouchements.
Allemagne
6
7
9
8
A Kind of Guise (9)
D’un projet d’étudiants né
en 2009 pour faire plaisir
aux copains est né cet ovni
que les fans appellent
affectueusement par l’acronyme
Akog. Premier fait d’armes :
fabriquer des sacs avec
les restes de production
de ballons en cuir récupérés
dans une usine italienne.
Puis leurs fidèles se sont
arraché les 100 exemplaires
de chemise dont le jean a été
délavé aux éléments naturels
en étant déposé le long du lac
de Garde durant 90 jours !
C’est devenu un concept :
chaque produit est unique,
mais fait partie d’une série
– l’hyper contraire
du mass-market, donc –,
et 100 % issu du savoir-faire
local allemand, histoire
de garder un œil sur
la fabrication « propre ».
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THE GOOD LOOK
THE GOOD TREND
Que cache le prix (moyen) d’un tee-shirt
vendu 29 € en grande distribution ?
• 0,18 € : salaire du travailleur.
• 0,27 € : frais généraux.
• 1,15 € : marges de l’usine au Bangladesh.
• 1,20 € : intermédiaire.
• 2,19 € : coût du transport.
• 3,40 € : coût du matériel (tissus, boutons,
etc.).
• 3,61 € : marge de la marque.
• 17 € : marge de l’enseigne de distribution.
2
«L’industrie de la mode face aux questions
d’éthique», tout un programme ! Constance
Bost, 30 ans, fashion-entrepreneur très
impliquée à travers son Atelier de couture, a
fait réaliser par des étudiants de Sciences-po
Paris cette étude sur la mode responsable.
«Travail des enfants, pesticides, teintures
polluantes! Ne peut-on pas faire les choses
correctement ? De même, payer un vêtement
une misère en boutique le dévalorise
et ne rend pas compte du travail effectué»,
déplore la jeune styliste. L’étude pointe
la confusion dans l’esprit du consommateur
entre marques mass-market et vrai luxe
dont elles copient les codes. L’étude note
aussi que les industriels auraient avantage
à un comportement respectueux : gain
d’image, de productivité, approvisionnement
sans à-coups à cause de grèves – Nike a
d’ailleurs augmenté son chiffre d’affaires
en modifiant sa production de manière plus
vertueuse. En se basant sur une autre étude,
réalisée par le Worker Rights Consortium,
qui estime un investissement nécessaire
de 3 M $ sur 5 ans, il a été estimé que 0,10 $
supplémentaire payé par vêtement par
les commanditaires suffirait à remettre aux
normes toutes les usines du Bangladesh !
1. LE CENTRE COMMERCIAL CRÉÉ PAR VEJA, RUE
DE MARSEILLE, À PARIS (10e ARRONDISSEMENT),
EST DEVENU LE SPOT TRÈS PRISÉ DES HIPSTERS.
2. L’ONG FRANÇAISE ALTERMUNDI, DONT LA PREMIÈRE
BOUTIQUE A VU LE JOUR À PARIS EN 2003.
3. VEJA, UN STYLE SOBRE, MAIS AVEC UN TWIST
D’ORIGINALITÉ.
mondiale, NDLR] ? Mystère ! Mais des changements sont en cours sous la pression du
client.» On sait peu en effet que les champs
de coton sont bourrés de pesticides (un tee‐
shirt représente 165 grammes de pesticides
selon le site de la marque danoise Knowledge
Cotton Apparel !). Sans parler des colorants
chimiques ou du chrome (utilisé pour le tan‐
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1
3
nage des cuirs) qui contaminent les rivières.
Ou des jeans, dont un seul modèle néces‐
site… 11 000 litres d’eau ! Patagonia a d’ail‐
leurs fait de l’économie d’énergie l’une de
ses priorités. « Nous travaillons avec l’université de Hong Kong pour développer et tester de nouveaux procédés pour nos toiles de
jean, con"irme la directrice sportswear. En
Chine, nos partenaires très novateurs ont parfaitement conscience de ces problèmes et de
leur impact. Ainsi, depuis 1998, notre fournisseur Esquel Garment Manufacturing Co.
contrôle la totalité de la chaîne, du coton bio
au produit !ini. La traçabilité est nickel ! »
breux projets solidaires. Son réseau d’une
centaine de boutiques offre des pièces vesti‐
mentaires vintage qui proviennent de dons
– et qui "inancent l’organisation – ainsi que
des produits issus du commerce équitable
géré par Oxfam.
La communication demeure le vrai maillon
faible de l’univers solidaire. Les budgets des
marques se concentrent de préférence sur le
pré"inancement de la production, sur le style,
le développement, les voyages ou la rému‐
nération d’un responsable de "ilière pour
conserver un lien direct avec ces petits pro‐
ducteurs disséminés aux quatre coins du
monde. Le (modique) chiffre d’affaires réalisé
par les marques responsables ne permet pas
d’investir dans la communication. Alors, pour
sortir de la con"identialité restent, dans le
meilleur des cas, les salons professionnels de
prêt‐à‐porter. Mais en France, il s’agit souvent
de corners noyés dans de vastes espaces. Les
pays nordiques savent en revanche parfaite‐
ment vendre ce thème de manière spéci"ique,
séduisante et même festive. A Amsterdam, le
jeune salon Green Orange Fashion se fait tran‐
quillement une place, tandis que Berlin a son
Ethical Fashion Show, créé… en France, en
2004, par Isabelle Quéhé. Il a eu le mérite de
révéler Veja et Misericordia, mais, trop peu
fréquenté, il a été revendu en 2012 au groupe
Messe Frankfurt Exhibition. Ultimes moyens
pour agrandir la famille solidaire : les blo‐
gueurs, qui défendent les projets, et la clien‐
tèle hyperconnectée, qui a les moyens de faire
pression sur ses marques préférées pour que
celles‐ci se découvrent en"in une conscience.
A bon entendeur…
!
On se regroupe
Les tenants de l’éthique s’organisent en se re‐
groupant dans des lieux au design soigné.
Ainsi, Centre commercial, créé par Veja, à
Paris, est devenu, en 2011, un endroit très
prisé des hipsters, grâce à son univers com‐
mun et chic en cent marques créatives loin de
la «fast fashion». De son côté, Altermundi en
fait autant depuis 2003. Certes moins glamour,
mais plus pédagogue, l’ONG française mise
sur la déco et sur la mode avec 55 marques,
et annonce une croissance annuelle de 25%.
Thibaut Ringô, son directeur général, con"ie :
«Altermundi est passée d’une clientèle militante
à une clientèle créative qui tente de concilier
son quotidien avec une offre alternative.»
D’autres concepts de ce genre existent en Eu‐
rope. Ainsi, Changemaker possède sept bou‐
tiques « éthiques, mais esthétiques » dans les
grandes villes de Suisse, et Oxfam Magasins
du monde, association internationale créée
en Belgique en 1976, développe de nom‐
PHOTOS : DR
Sciences-po et la mode éthique

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