Les lombalgies du rameur et l`existence d`un effort à glotte fermée
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Les lombalgies du rameur et l`existence d`un effort à glotte fermée
Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, © Masson, Paris, nO MÉMOIRE 4, pp. 173-176 1987 Les lombalgies du rameur et l'existence d'un effort à glotte fermée L. COQUISART (1), P. PASQUIS (2), J.-F. GIBON (3) (1) MCMK. École de Massokinésithérapie CHU de Rouen. (2) Professeur, Chef de Service d'Explorations Fonctionnelles et de Médecine du Sport CHU de Rouen. (3) Technicien du Service d'Explorations Fonctionnelles du CHU de Rouen. L'EMG des abdominaux et la ventilation enregistrés simultanément chez 26 rameurs confirmés ont montré des variations d'un sujet à l'autre. Nous pouvons donc supposer qu'il n'existe pas de ventilation type chez les rameurs et, par conséquent, pas de protection systématique du rachis par un effort à glotte fermée. Introduction L'observation fréquente de lombalgies chez les rameurs nous ont amenés à vérifier la présence d'un effort à glotte fermée au début du coup d'aviron. En effet, dans une étude récente (2), les rameurs feraient une apnée inspiratoire au début de chaque coup d'aviron. On peut cependant supposer que, lorsque la cadence augmente Gusqu'à 38 coups/minute), cette apnée ne peut être que brève, exposant ainsi le rachis à des contraintes importantes et répétées, déjà soulignées dans le passé (4). De plus, d'autres auteurs font état d'une limitation respiratoire due à l'enroulement du tronc du rameur à l'attaque, gênant la course du diaphragme (3). Ce phénomène peut être contraire à la constitution d'une poutre composite antérieure. . Tirés à part: P. PASQUIS, Service d'Explorations Fonctionnelles et de Médecine du Sport, Hôpital Charles Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen. Nous avons donc étudié simultanément l'activité des muscles abdominaux et la ventilation pulmonaire chez des rameurs sur ergomètre. Afin d'obtenir une relation entre EMG et ventilation, d'une part, et mouvement de l'athlète, d'autre part, nous avons également enregistré l'activité du quadriceps, qui réalise l'impulsion au début du coup d'aviron. Pour la réalisation de cette étude, nous nous sommes référés aux travaux utilisant l'EMG appliquée au sport (1.5.6.). Protocole 1. Notre population est composée de 4 rameuses et 22 rameurs rouennais, âgés de 14 à 51 ans, ayant tous dépassé le stade d'initiation. 2. L'utilisation en laboratoire d'un ergomètre type aviron: «CONCEPT II>> permet une simulation parfaite du mouvement du rameur (fig. 1). La résistance est assurée par une roue à pales. Chaque sujet a ramé pendant 2 minutes à cadence imposée de 20 coups/minute, puis pendant 2 minutes à sa cadence maximale. 3. L'électromyographie de surface a été réalisée par des paires d'électrodes de surface disposées : - en crural, à 15 cm au dessus de la base de la rotule - en abdominal, sur les grands droits à 2 cm de la ligne médiane, 5 cm au dessus de la ligne ombilicale. 174 Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, n° 4 Quadriceps Spirographie •• A" • FIG. 2. - L'attaque se produit en fin d'expiration. Quadriceps r· FIG. 1. - L'ergomètre utilisé avee les différentes positions du 1 rameur: la: l'attaque,. lb: la passée dans l'eau,. le: le dégagé. Les signaux ont été traités par un .amplificateur 854 Siemens, constante de temps 2/1000, filtre < 120 Hz, amplification X 2500. 4. L'enregistrement de la ventilation a été pratiqué grâce à un pneumotachographe Fleish nO 3, relié par des tubes souples à un capteur de pression Statham PM 197. 5. Tous les tracés ont été transcrits simultanément par un polygraphe Siemens 803. Résultats 1. Nous avons retrouvé chez 18 rameurs une ventilation strictement synchronisée avec le mouvement. Leur fréquence' respiratoire est égale à la fréquence des coups d'aviron, mais ce groupe se divise en 2: 9 rameurs attaquent ~ Il Spirographie FIG. 3. - L'attaque se produit en fin d'inspiration. en fin d'expiration (fig. 2) alors que 9 autres attaquent en fin d'inspiration (fig. 3). Parmi les autres éléments de notre population, 6 rameurs attaquent indifféremment en inspiration ou en expiration (fig. 4). Enfin 2 sujets inversent leur profil spirographique selon qu'ils rament lentement ou à cadence maximale, c'est-à-dire qu'ils passent d'une attaque régulière en expiration à une attaque régulière en inspiration selon l'importance de l'effort fourni. Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, n° 4 175 : ~.;3 Quadriceps '. 1 '1 Abdominaux Spirographie 1'·I~'':'t'''' .~~ "... !~' . ~kJ "1 " Quadriceps FIG. 4. - Attaque indifférente en inspiration ou en expiration. Spirographie FIG. 6. - Abdominaux synergiques de l'expiration. Quadriceps .1 . 1 ;r"'" t· Spirographie ··1\ :·~\~~t·~{!;~~ i ; 1 1; 1 ,':1\1,' 1 FIG. :J. - Apnée inspiratoire en fin de coup d'aviron. Quant aux apnées inspiratoires, elles ne sont apparues que chez 4 rameurs, à cadence modérée, et en fin de coup d'aviron (fig. 5). Nous n'en avons retrouvé ni à l'attaque, ni à cadence maximale. 2. L'électromyographie des grands droits a permis de scinder notre population en des groupes différents de ceux décrits ci-dessus. Chez 12 rameurs, ces muscles sont systématiquement synergiques de l'expiration, qui devient donc pour eux un phénomène actif (fig. 6). Par contre, chez 13 autres, les abdominaux participent surtout au maintien du tronc en fin de coup d'aviron, et ce, indépendeniment de la respiration (fig. 7). .01 ., + Spirographie FIG. 7. - Les abdominaux assurent le maintien du tronc. Quant à la synergie abdominaux-plateau inspiratoire, recherchée à l'attaque, nous ne l'avons observée que chez 1 seul rameur, mais en fin de coup d'aviron, et uniquement à cadence modérée (fig. 5). 176 Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, n° 4 Discussion 1. Les variations de la courbe spirographique ne nous ont pas permis de mettre en évidence de plateau inspiratoire à l'attaque, nécessaire à la constitution d'un effort à glotte fermée. Seuls les 9 rameurs se trouvant en fin d'inspiration à l'attaque auraient pu y prétendre mais on ne retrouve chez eux ni apnée ni contraction des abdominaux à ce moment précis. Nous avons remarqué que ces 9 sujets faisaient partie de ceux qui ont la plus longue pratique de l'aviron dans notre population. Nous avons également noté que l'absence de synchronisation stricte entre respiration et cadence n'est pas péjorative, car si elle semble affecter les plus jeunes de nos sujets, ils sont tous de niveau national. D'autre part, des équipes performantes peuvent réunir des éléments dont le profil spirographique est différent. 2. L'E.M.G. des abdominaux nous a permis de vérifier leurs 2 rôles essentiels chez les rameurs. Tout d'abord ils participent de manière évidente chez 13 sujets au maintien du tronc en fin de coup d'aviron, quelque soit le profil spirographique. Ils sont donc pour certains indépendants de la respiration. Par contre, pour 12 autres sujets, ces muscles sont toujours synergiques de l'expiration, traduisant chez ceux-ci la nécessité d'une expiration active pour accroître les échanges gazeux lorsque l'effort augmente. Cette notion de qualité d'échanges, assurée par des débits importants, laisse supposer que les rameurs n'ont pas le temps de réaliser une apnée pendant leur effort. D'ailleurs les seules apnées que nous ayons pu mettre en évidence ont disparu dès que la cadence a augmenté. 3. Si, comme nous le pensons, les contraintes exercées à l'attaque sur le rachis du rameur ne sont pas réparties grâce à un effort à glotte fermée, réalisant ainsi une poutre composite antérieure, il nous paraît nécessaire de s'orienter vers la constitution d'une poutre composite postérieure. De nombreux rameurs pratiquent déjà des exercices renforçant les muscles spinaux, mais nous pensons que ceci pourrait être complété par un travail approprié du grand dorsal. En effet, sa mise en tension passive, pendant le retour, puis active, à l'attaque, le rend apte à caler le rachis et les spinaux en arrière, et à réaliser avec eux une poutre composite. Les modalités de renforcement spécifique aux rameurs pourront faire l'objet d'une prochaine étude. Conclusion Avec les moyens dont nous disposions, nous n'avons pas pu mettre en évidence d'effort à glotte fermée chez des rameurs en action. Ce phénomène peut être en partie responsable des lombalgies dont se plaignent souvent ces sportifs. L'élaboration d'un programme de renforcement musculaire adapté à la pratique de l'aviron nous semble nécessaire pour prévenir cette pathologie. Références 1. BEILLOT J., ROCHCONGAR P. - É1ectromyographie globale et applications en médecine du sport. ln : COMMANDRE F., BENCE Y. Explorations fonctionnelles neuro-musculaires. Masson, 1981. 4-71, Paris. 2. CARLES J. - Modifications respiratoires et étude de l'efficacité pulmonaire dans un sport de compétition: l'aviron. Méd. Sport, 1980, 54/5, 297-302. 3. CUNNINGHAM D.A., GOODE P.E. - Cardiorespiratory response to exercise on a rowing and bicycle ergometer. Med. Sei. Sports, 1975, 7, 37-43. 4. ENDLER M., HABER P., HOFNER W. - Wirbe1siiulenveranderungen und ihre Mechanopathologie bei Leistungruderem. Z Orthop. 1980, 118: 91-100. 5. LECAMPION D., POTTIER M. - Étude électromyographique d'un mouvement d'haltérophilie. Méd. Sport, 1978, 52/5: 264-270. 6. POTTIER M., DAIREAUX A. - Étude électromyographique des muscles représentatifs du mouvement de l'aviron. Med. Sport. 1983, 57/2: 85-91.