Erotique-tac - Au Carillon d`Or
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Erotique-tac - Au Carillon d`Or
56 Reportage Migros Magazine 7, 15 février 2005 «Personne avant moi n’avait conçu de pendule érotique.» Erotique-tac! L’horloger Thierry Amstutz révise et restaure des pendules. Il en crée aussi durant ses heures perdues. Sa dernière petite merveille est de loin la plus osée… iscret, l’atelier «Au Carillon d’Or» occupe l’ancienne cave d’une demeure vigneronne d’Auvernier datant du XVIIe siècle. «Cette maison est dans la famille depuis sa construction», précise Thierry Amstutz. A l’intérieur, des dizaines de balanciers oscillent au rythme du temps qui passe. Tic-tac, tic-tac… Cet horloger s’est spécialisé dans la révision, la restauration et la création de pendules. Le maître de céans, en blouse blanche immaculée comme il se doit, s’émerveille devant les pièces qui passent entre ses mains habiles. «Elles ont toutes une histoire», confie-t-il. La discussion est interrompue par l’irruption inopinée d’une dame un brin impatiente. Elle vient récupérer sa précieuse pendule. «Je suis venue voir si tu l’avais vendue pour boire», plaisante-t-elle. D Thierry Amstutz n’a pas encore eu le loisir de s’atteler à cette tâche. Sa «salle d’attente» déborde, en effet, d’une quantité impressionnante de mouvements provisoirement à l’arrêt. Mais voilà qu’il s’agenouille et se met à jouer avec une petite voiture rouge qu’il vient juste de réparer. «Regarde! Il y a une direction, plusieurs vitesses et même une marche arrière.» Sa cliente, d’abord médusée, s’esclaffe. «Tu ne serais pas en train de retourner en enfance?» Montres libertines Une fois la porte refermée, l’artisan me fait signe de le rejoindre. Il se campe devant une pendule vieux rose de style Louis XIII à double balancier. «Ça, c’est ma dernière création! J’en ai vendu une dizaine d’exemplaires.» Avec un sourire entendu, il soulève lentement le couvercle Thierry Amstutz aime les choses belles et compliquées, comme un mécanisme d’horloge. du chapiteau. Un homme et une femme, nus comme au premier jour et dans la position du missionnaire, apparaissent. Sculptés dans du tilleul, leurs corps tendrement enlacés suivent docilement le mouvement de la mécanique… «Les montres libertines ont connu récemment un regain d’intérêt. Quelques grandes marques en ont même refait. Mais personne, avant moi, n’avait conçu de pendule érotique.» Une première, authentifiée par l’édition 2000 de L’Année Horlogère Suisse, qui lui a déjà valu les honneurs des journaux, des télévisions et peut-être bientôt du cinéma. «Une maison de production parisienne m’a contacté à la fin de l’an passé pour louer mon prototype.» Sensible à l’intérêt que Les Films Manuel Munz portent à son modèle coquin, Thierry Amstutz accepte et se rend, avec son épouse, dans les studios de Marne-la-Vallée. C’est là que le réalisateur Eric Civanyan tourne Il ne faut jurer de rien (sortie prévue: deuxième semestre de cette année), une comédie adaptée de l’œuvre éponyme d’Alfred de Musset. «Ma pendule, si elle apparaît dans le film, agrémentera le décor d’une maison close dans laquelle se rend Jean Dujardin, neveu, à l’écran, de Gérard Jugnot.» Redonner vie Régulateurs, morbier, coucou de la ForêtNoire, neuchâteloises… Ces garde-temps se mettent soudain à sonner, comme pour rappeler à l’horloger que son grand œuvre consiste, pour l’essentiel, à redonner vie à des antiquités, à faire battre le cœur de mouvements vieux, parfois, de plus de trois siècles. «Toutes ces pièces ont une valeur sentimentale. Quand on nous les Migros Magazine 7, 15 février 2005 Reportage 57 «Les montres libertines connaissent un regain d’intérêt.» Sous le couvercle, un couple en position du missionnaire. Thierry Amstutz a déjà vendu une dizaine de pièces de cette création. 58 Reportage Migros Magazine 7, 15 février 2005 Bio express Thierry Amstutz voit le jour le 19 avril 1959. Julia, son épouse, lui donne quatre enfants: Grégory (20 ans), Cindy (18 ans), Laura (16 ans) et David (10 ans). Après quatre ans de formation, neuf mois sous les drapeaux, trois mois en Angleterre et huit mois dans l’industrie, cet horlogerrhabilleur s’installe à son compte dans son atelier d’Auvernier. Aujourd’hui, la carte de visite de ce judoka actif, président de l’Association neuchâteloise de judo, compte trois spécialisations: «restaurateur de pendules anciennes et modernes, créateur de pendules avec automate et boîte musicale, technicien-démonstrateur des automates Jaquet-Droz.» Montres libertines Thierry Amstutz restaure également des automates célèbres, comme cet écrivain, datant du début du XVIIIe siècle. confie, on se sent investi d’une mission.» Son regard s’arrête sur une magnifique pendule rouge appartenant à l’un de ses plus fidèles et prestigieux – le plus prestigieux étant probablement le roi Mohamed VI du Maroc – clients, l’ancien conseiller fédéral Pierre Aubert. «Ce qui est important dans une restauration, c’est de se mettre dans la tête du créateur et surtout de ne rien modifier.» Se faire humble, respecter un savoir-faire séculaire, accomplir les mêmes gestes que les artisans du passé avec lesquels l’habitant d’Auvernier partage de petits secrets. «Ils laissaient souvent des messages dans les pendules, des messages écrits à la pointe à tracer.» Un Sandoz, par exemple, avait inscrit: «C’est sûrement la dernière fois que je te révise chère pendule.» Pressentiment confirmé à la ligne suivante par son fils: «Repose en paix cher père.» Roman d’horloger Il arrive aussi à Thierry Amstutz de graver de discrètes confidences sur l’acier d’une platine ou d’un mouvement. «Je l’ai fait notamment à la naissance de mes enfants.» On n’en saura pas plus. Sinon que c’est à partir d’une de ces fameuses inscriptions anciennes qu’il a échafaudé le plan d’un livre de 150 pages intitulé Quelques gouttes de temps… et relatant, de façon romancée, l’histoire de l’horlogerie dans le canton de Neuchâtel. «J’ai mis le point final après six ans d’écriture et je suis maintenant en contact avec un éditeur.» Les rouages, ressorts et balanciers ont toujours fasciné ce passionné. Il se souvient des vitrines clinquantes des bijouteries de son enfance, de l’alignement de montres dont les aiguilles ne montraient pas dix heures dix. («Ça m’énervait!»), de la pendule allemande toute simple qui appartenait à sa grandmère. «Quand les adultes se taisaient, on entendait son tic-tac. Il y a quelque chose de magique qui se dégage de ça.» Ce métier, décidément, lui colle à la peau. Aimer les choses compliquées A tel point qu’il passe encore des heures, en alternance avec un collègue, à bichonner et à exhiber les trois androïdes JaquetDroz du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel. «Quand vous aimez les choses compliquées et belles, c’est un honneur de pouvoir s’approcher de ces automates, de les toucher.» Le technicien-démonstrateur a ainsi participé à la remise en état de l’écrivain. «Il est composé de plus de 4000 pièces. Ça a nécessité quatre à cinq mois de travail.» Là, c’est dans le cerveau d’un génie qu’il a dû se glisser pour donner, non pas l’heure, mais l’illusion de la vie… Alain Portner, photos Pierre-Yves Massot/Rezo Les montres dites «libertines» ou «à automates lubriques» apparaissent au XVIIIe siècle. Pour le grand bonheur d’amateurs coquins d’Europe, de Chine et d’Inde et au grand dam, bien sûr, des hommes d’Eglise. Lesquels, par l’intermédiaire du Consistoire de Genève, partent en guerre, au début du XIXe siècle, contre la fabrication «d’ouvrages obscènes d’orfèvrerie et d’horlogerie». Roland Carrera, dans «Les Heures de l’Amour», décrit ainsi ces complications friponnes: «En général, un mécanisme secret caché par les décors d’or ou d’émaux, noyé dans la carrure d’argent, découvrant un guichet, soulevait un couvercle, révélait une scène, une miniature tendre ou risquée, quelque sujet osé ou de petits personnages animés, franchement polissons qui ne devaient plus rien aux «Dames galantes» du célèbre Brantôme. Extérieurement cependant, il était peu courant que la montre apparût autrement que sous un abord innocent.» Difficile donc de mettre fin à ce «trafic infâme» qui, après avoir perduré bon an, mal an jusqu’à la Première Guerre mondiale, renaît quelque peu de ses cendres en ce début de millénaire. Bonnes adresses www.horlogerie-suisse.com, site helvétique et francophone sur l’horlogerie. www.fhs.ch, adresse de la Fédération de l’industrie horlogère suisse FH. www.mahn.ch, vitrine du Musée d’art et d’histoire de la ville de Neuchâtel. www.automates-anciens.com, espace consacré aux androïdes et aux animaux artificiels.