Les fonctions du couple

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Les fonctions du couple
Sexologies (2009) 18, 198—202
ARTICLE ORIGINAL
Les fonctions du couple夽
M. Dupré la Tour (PhD)
64, chemin de la Sauvegarde, 69130, Ecully, France
Disponible sur Internet le 5 février 2009
MOTS CLÉS
Couple ;
Structure de couple ;
Travail psychique ;
Crise ;
Sexualité
Résumé Le couple est la transformation de l’état amoureux en engagement amoureux. Pour
qu’une relation amoureuse devienne et soit pensée par les partenaires « relation de couple »,
elle doit répondre à certains critères, satisfaire à la fois la sexualité et la sécurité. Or, ces
deux notions peuvent être antinomiques pour certains types de personnalité, elles sont en
tout cas conflictuelles. En devenant relation de couple, la relation amoureuse se structure.
Lieu de dépôts des parties archaïques de la personnalité de chacun des conjoints, elle organise les problématiques inconscientes à l’origine du choix amoureux. Cette structuration, que
j’appelle le travail psychique du couple, va au fil du temps et des évènements de la vie
se complexifier. Ce travail psychique va avoir à remanier les héritages psychiques de chacun des conjoints afin de créer de l’inédit, il leur permet de parachever la séparation des
parents de l’enfance, de sortir de la répétition. Il est source de maturation pour chacun
des conjoints. Les crises du couple sont les moments féconds de ce travail. Au moment de
la crise surgissent des éléments de la personnalité et de l’histoire de chacun qui, jusque-là
ont pu être mis de côté. Leur prise en compte permet de mieux saisir le sens du choix amoureux et de penser les perspectives possibles. Un exemple clinique vient montrer comment un
couple hétérosexuel a organisé dans sa fantasmatisation sa bisexualité pouvant ainsi ignorer
l’homosexualité à l’origine de leur lien. Puis, comment dans une période de crise ont surgi
ces éléments refoulés faisant apparaître les soubassements de l’organisation défensive de leur
couple.
© 2009 Publié par Elsevier Masson SAS.
Les fonctions du couple
Dans un mouvement prenant ses racines dans les grands
conflits mondiaux et principalement depuis une cinquantaine d’années avec la dissociation de la sexualité de la
fécondité, l’évolution du statut de la femme, les nouvelles
DOI de l’article original : 10.1016/j.sexol.2008.06.006.
This issue also includes an English abridged version: Dupré la
Tour M. Functions of the couple.
Adresse e-mail : [email protected].
夽
1158-1360/$ – see front matter © 2009 Publié par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.sexol.2008.06.005
lois sur le divorce et la famille, une entité nouvelle est apparue : le couple. Dans notre société occidentale, l’union libre
a toujours existé, mais en un siècle le mariage de raison
— le plus souvent pour raisons économiques — a fait place
tout d’abord au mariage d’amour (Kaufmann, 1999). Les
conjoints ont eu le loisir de se choisir tout en inscrivant
ce choix dans l’institution mariage. Du mariage d’amour,
on passe peu à peu au « couple d’amour ». Parallèlement
à cette évolution, le lien conjugal s’est fragilisé, l’attente
différente rendant difficile le dépassement des crises. La
définition du couple par l’« amour », par le sentiment amoureux, fait imaginer qu’il n’y aurait plus de couple s’il n’est
plus ressenti dans l’intensité du départ.
Les fonctions du couple
Qu’est ce qu’un couple ?
Un couple se définit par l’investissement que les partenaires d’une relation amoureuse font sur cette relation
en se reconnaissant couple et en se faisant reconnaître
comme tel par leur environnement. La transformation de
l’état amoureux en engagement amoureux puis en couple
implique un projet, le désir de durer pour réaliser ce projet et une certaine stabilité. À partir de là, la relation,
pour durer, entre dans un processus dynamique, alternant
des périodes d’équilibre et des périodes de déséquilibre, de
crises qui sont des recherches de nouvel équilibre. Cette
alternance oblige le couple et les partenaires du couple à
des transformations constantes qui rendent le couple vivant
et dynamique et offrent aux partenaires un lieu d’évolution
personnelle.
Le couple se définit par un projet, une durée et
une reconnaissance sociale. À partir de
l’investissement de leur relation comme relation
de couple, des processus spécifiques se mettent en
route afin d’entrer dans la durée et pour une
reconnaissance sociale
Pour s’inscrire dans la durée, le couple doit allier le plaisir,
la sexualité et la sécurité.
Il doit donner des satisfactions à la sexualité qu’il organise dans une temporalité.
Il doit renforcer la sécurité, c’est-à-dire participer de
l’organisation défensive de chacun des conjoints.
Or, ces deux notions peuvent être antinomiques ou du
moins paradoxales, mais elles n’apparaîtront comme telles
que dans les périodes critiques.
À partir du moment où l’un et l’autre conjoint ou les deux
se pensent couple, un lien va se constituer avec ses accords
et pactes inconscients, tout ce qu’il ne faut pas savoir
pour faire perdurer la relation. Le livre de J.-C. Kaufmann
« Premier matin » (2002) est très révélateur de ces tous premiers moments de la construction d’un lien avec ce qui est
mis en avant et ce qui est caché.
Le couple s’inscrit dans l’histoire du
développement de l’être humain
Le dépassement de l’œdipe dissocie la tendresse et la sexualité, il est une promesse « plus tard ce sera ton tour », mais
avec un autre hors de la famille.
L’adolescence avec la maturité pubertaire permet
l’exploration de la sexualité génitale.
Le couple est une tentative de réunification de la tendresse et de la sexualité. Il arrive tard dans la vie de
l’individu.
Vouloir vivre en couple c’est entrer dans ce processus de
réunification, toujours en cours au fil du temps, avec ses
périodes de progression et de régression.
De nombreux couples échouent dans cette réunification
soit dès l’origine de leur relation, soit parce que celle-ci
est remise en cause par les évènements de la vie, dans
les moments critiques comme la naissance d’un enfant par
exemple.
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Le couple se construit à partir des représentations
de lien de chacun des conjoints
Janine Puget, pour décrire la construction d’un objetcouple partagé, part de la constitution de l’objet-couple
de chacun des conjoints. Elle considère que le Moi infantile depuis la naissance se sert de plusieurs constellations
de lien pour créer son objet-couple. Dans chacune de ces
constellations ou structures, le Moi aura occupé une certaine
position.
La première est une position complémentaire dans le lien
duel et narcissique avec un objet parental soutenu par un
autre virtuel qui le contient ou le limite. Il s’agit de la relation à l’objet unique sur laquelle vont se constituer les liens
narcissiques.
Dans la deuxième, il occupe une position de tiers exclu
d’une interelation entre un père et une mère. Cette position
va constituer les liens objectaux dans une reconnaissance de
l’altérité.
Pour la troisième, la structure familiale établira une relation avec le macro contexte social qui imposera ses lois
autant à la famille qu’au couple (les rôles et les fonctions
sexuelles, transmises par la famille) (Puget, 1988).
Le couple est le lieu de dépôt des parties
archaïques de la personnalité de chacun des
conjoints
En devenant relation de couple, la relation amoureuse se
structure.
Elle devient le lieu de dépôts des parties archaïques de
la personnalité de chacun des conjoints, comme tout groupement. Libérant chaque conjoint de ces parties, elle leur
permet de vivre dans le social la part du Moi la plus mature.
Elle organise des problématiques inconscientes à
l’origine le plus souvent du choix amoureux. Souvent ce
qui a fait attrait est à l’insu des conjoints : une problématique archaïque commune, un point de fixation infantile,
une collusion, dont les mécanismes défensifs sont opposés
ou complémentaires. Les conjoints pensent ainsi se soigner
l’un par l’autre.
Le lien qui se construit a ainsi une fonction organisatrice
et une fonction défensive.
Le travail psychique du couple
Pour s’inscrire dans la durée, le couple doit allier le plaisir,
la sexualité et la sécurité.
Il doit donner des satisfactions à la sexualité qu’il organise dans une temporalité.
Il doit renforcer la sécurité, c’est-à-dire participer de
l’organisation défensive de chacun des conjoints. Or, ces
deux notions peuvent être antinomiques. Le couple est donc
essentiellement conflictuel. Pour rester vivant, il passe alors
de crises en crises.
Les crises de couple et leurs dépassements sont un processus qui enrichit le couple et la personnalité de chacun
des conjoints.
Pour penser le couple plusieurs niveaux sont à prendre
en compte.
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La relation dans ses dimensions affectives et sexuelles.
Le couple comme enveloppe, comme une peau protectrice
qui enveloppe les deux partenaires. Cette enveloppe institue un dedans et un dehors, préserve l’intimité, etc.
Elle reçoit des directives de l’entourage et est le lieu des
échanges entre l’intérieur du couple et le monde extérieur. Elle peut être trop rigide et interdire les échanges
ou au contraire être poreuse, le couple alors se vide
dans son entourage ou celui-ci fait intrusion dans son intimité.
Le travail du couple se fait donc et à l’intérieur du
couple et à sa périphérie. Normalement, le travail accompli
dans le lien renforce et assouplit l’enveloppe et vive-versa.
Mais si l’énergie psychique dont dispose le couple est trop
mobilisée dans l’un de ces lieux, l’autre peut être désinvesti.
La crise
Dans « Pour une méthodologie de recherches sur les crises »
Jean Guillaumin décrit les différents niveaux avec lesquels
on doit penser toute crise et l’emboîtement de ces niveaux.
Pour lui, la faillite objective, et subjectivement vécue
que représente une crise, peut être appréhendée :
• soit au niveau d’une relation, antérieurement stable
et qui s’est détériorée entre deux ou plusieurs
individus ;
• soit à un niveau « inférieur » ou plus profond dans les rapports de système entre diverses instances, modalités ou
processus de fonctionnement individuel de la ou des personnes en crise ;
• soit enfin à un niveau « supérieur » dans les rapports de
deux ou plusieurs couples ou ensemble de personnes,
entre eux ou avec un ensemble plus vaste qui les contient.
Pour lui, la crise d’un couple est en même temps que
duelle, tout à la fois de chacun des niveaux, c’est-à-dire
personnelle, intersubjective et groupale, elle peut être crise
du groupe retentissant sur le couple puis sur les individus
ou crise individuelle retentissant sur le couple puis sur le
groupe. Ces trois niveaux sont toujours à entendre ensemble
dans leurs articulations et leurs systèmes régulatoires.
Il ajoute que la crise peut être ressentie d’une manière
particulièrement intense comme se donnant essentiellement dans l’un seulement des plans, parfois en fonction d’un
processus défensif qui cherche à méconnaître des facteurs
critiques pourtant extrêmement importants. Les couples qui
demandent une aide pour franchir ce passage, pour opérer
cette transformation nous permettent de mieux saisir les
enjeux personnels, intersubjectifs et groupaux de la crise
de couple, avec son histoire et sa préhistoire.
Toute difficulté de couple est à entendre dans ces trois
niveaux.
De l’engagement amoureux à la crise du couple
La première organisation de couple va se complexifier au fil
du temps, les évènements de la vie, évènements intérieurs
à chacun des conjoints, évènements extérieurs vont mettre
à l’épreuve ce premier équilibre de couple. Le couple va
M. Dupré la Tour
passer de fragiles équilibres en déséquilibre et nouvel équilibrage. Le couple est un organisme vivant, il a constamment
à digérer ce qui lui vient.
Chaque situation nouvelle appelle d’autres identifications : chaque partenaire passe de amant-amante à conjoint,
puis époux et épouse s’il y a institutionnalisation de la relation, père et mère, grand-père et grand-mère. Chacune de
ces étapes nécessite des réajustements et une découverte
de l’autre dans des dimensions inconnues jusque-là. C’est
d’ailleurs une des richesses du couple que d’être toujours
en mouvement.
À toutes ces étapes se retravaillent les histoires familiales de chacun des conjoints. Certaines vont ouvrir sur une
crise. J’emploie le terme crise au sens de moment critique,
moment crucial où le couple va soit renouveler sa relation en intégrant les éléments qui ont surgi en se tournant
vers l’inconnu, vers l’inédit, soit mourir en tant que couple,
même si les conjoints restent ensemble, par impossibilité
de renoncer à une situation ancienne connue.
La crise a le plus souvent des préalables que les conjoints
ne peuvent percevoir que dans l’après-coup. Le couple se
construit des symptômes. Ceux-ci viennent à la fois dire
ce qui est en souffrance dans le couple et lui permettre
de survivre un temps. Parmi ces symptômes, les reproches :
on reproche à l’autre le plus souvent ce pour quoi on l’a
choisi. C’est pourquoi tout symptôme dans le couple, qu’il
soit entre les conjoints comme les scènes de ménage ou
portés par l’un ou par l’autre est à entendre comme un
langage du couple révélant son organisation. Et toute crise
est à l’articulation d’un évènement et de la structure du
couple.
La crise fait ainsi apparaître les composantes déniées ou
refoulées du choix amoureux.
Le dépassement de la crise, c’est-à-dire l’intégration par
chacun des conjoints de ce qu’elle est venu révéler, qu’ils
restent ensemble ou non, est source de maturation pour chacun d’eux. Certaines séparations de couple sont le refus de
cette intégration, elles ouvrent sur des répétitions de choix
amoureux identiques et de semblables difficultés de couple.
Certains conjoints peuvent aussi rester ensemble, mais leur
couple est mort.
La construction et le maintien en vie du couple
sont un long processus de deuil
« Avoir son couple c’est renoncer à celui des autres » dit
Janine Puget, elle ajoute que « l’érotisme assure dans le
couple la fonction particulière de permettre le parachèvement de la séparation des parents de l’enfance ». Le couple
pour se construire et pour vivre réélabore l’objet-couple de
chacun pour le transformer en cet objet-couple partagé.
Après la phase d’idéalisation, une phase de séparationindividuation doit se mettre en route, celle-ci réélabore
pour chacun des conjoints cette période de son histoire
infantile avec ses points de fixation. Phase par laquelle
chacun a constitué son identité narcissique en se séparant
psychiquement de la première mère qui a assuré la survie.
Phase qui ouvre sur la différence des êtres, qui met à mal le
désir de complétude qui est à la base de chaque couple et
ouvre sur l’altérité.
Les fonctions du couple
Les positions œdipiennes et les représentations issues
des groupes famille et des groupes sociaux vont être réinterrogées par la naissance d’un enfant, la vie commune,
etc.
Après chaque moment critique, une nouvelle phase
d’idéalisation se met en place et tout recommence. C’est
pourquoi j’ai avancé l’hypothèse que le couple était un organisateur, une matrice de symbolisation. Les conjoints, l’un
par l’autre, l’un avec l’autre, protégés par le couple qui leur
sert d’enveloppe et sur lequel sont projetées les attentes
de l’environnement primaire, font un travail psychique qui
ouvre sur toujours plus d’altérité. Le couple entre dans des
processus qui vont en se complexifiant et les éloignent de la
répétition.
Cependant, il existe deux sortes d’idéalisation dans l’état
de l’engagement amoureux.
Dans la première, l’idéalisation est investie de la compulsion de répétition. Le fonctionnement psychique est de
l’ordre du « tout ou rien », le couple est parfait ou il n’est
pas. Certains conjoints vont consulter car le couple qu’ils
ont construit ne correspond pas à leur idéal de couple alors
que leur relation est la meilleure qu’il puisse avoir au niveau
de leur économie psychique tels qu’ils sont, même si elle les
fait souffrir.
Dans la seconde, l’idéalisation va de pair avec un investissement à prédominance érotique, le lien gagne de plus en
plus en complexité.
La désidéalisation passe par une confrontation de la
représentation de couple interne au couple externe et d’une
transformation de la représentation de couple chez les deux
conjoints.
La sexualité dans tout ça
Elle est le reflet de la vie relationnelle du couple, révélant
son niveau de structuration et les points de fixation que les
conjoints ont mis en commun. Elle peut ainsi régresser à des
niveaux antérieurs en période de crise.
Selon le niveau de structuration, elle sera plus ou moins
investie ou du moins investie différemment.
Les structures de couple
En 1984, A. Eiguer dégageait trois types de couples pouvant
englober des cas, disparates à première vue, mais ayant
une fantasmatique inconsciente proche : le normal ou névrotique, l’anaclitique ou dépressif, le narcissique. Suite à ses
recherches sur la perversion, à son livre Le pervers narcissique et son complice, il introduit (1998) le couple pervers
dans une catégorie à part et donne désormais une typologie comprenant quatre types de couples. Dans le couple
normal, les liens objectaux prédominent, tandis que dans
les trois autres types de couple ce sont les liens narcissiques.
Dans le couple narcissique, chacun se mire dans l’autre,
l’autre est un autre soi. La sexualité génitale est soit un
lieu de décharge de la tension pulsionnelle sans investissement affectif, soit évitée car signe de différence
insupportable.
Dans le couple anaclitique ou couple par étayage, chaque
conjoint recherchant une relation sur laquelle s’appuyer
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dans la nostalgie du paradis perdu, les conjoints peuvent
se désintéresser de la sexualité.
Le couple normal ou névrosé a des difficultés relationnelles et sexuelles, chez ceux-ci se trouvent le vaginisme,
l’éjaculateur précoce, l’impuissance, etc.
Exemple clinique
Bien sûr ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais qui
peut permettre de saisir différents enjeux de la sexualité
dans un couple. Ce cas clinique est présenté plus amplement
dans Les crises du couple (Dupre La Tour, 2005).
Maurice et Brune disent en guise de présentation que leur
couple « a roulé pendant vingt ans ».
Puis, dans une période de crise existentielle de Maurice
avec des remises en questions majeures assorties de problèmes de travail, Brune a une relation homosexuelle. Elle
en parle à son conjoint cherchant en lui un appui pour s’en
défendre, mais celui-ci au contraire s’effondre physiquement et psychiquement, il maigrit et développe des pensées
suicidaires.
Ils amènent d’entrée deux symptômes, deux niveaux de
symptômes : un symptôme sexuel et un effondrement narcissique dont Maurice dira « c’est la quarantaine ».
Le couple se sent en danger. Les relations sexuelles continuent d’exister entre eux, bien plus Maurice en redemande
dans un type de demande compulsive dans laquelle il ne se
reconnaît pas.
Maurice et Brune s’étaient rencontrés 20 ans auparavant
alors que Brune sortait d’une relation homosexuelle avec
une femme en position hiérarchique à son égard, une femme
mère. La rencontre avec Maurice lui avait permis d’aller vers
l’hétérosexualité et de fonder une famille.
Dans la période actuelle de crise, Maurice se souvient
qu’avant Brune il avait plusieurs relations de courtes durées
avec des hommes, ce qu’il avait jusque-là refoulé. Ils
avaient pensé l’un et l’autre que l’homosexualité était
dépassée. Or, le couple hétérosexuel qu’ils ont construit,
couple qui leur a donné satisfaction, est une organisation
défensive contre l’homosexualité sous-jacente, tout en lui
donnant satisfaction.
En effet, ce couple a aussi organisé l’homosexualité
dans l’hétérosexualité, il en a permis la satisfaction
fantasmatique dans la relation hétérosexuelle. Certaines
fantaisies conscientes et partagées, du moins jusque-là,
sous-tendaient leur désir, celui de faire l’amour à trois : deux
femmes et un homme.
Actuellement, ils n’osent plus les partager, d’où un
appauvrissement de la vie relationnelle du couple.
Au moment du réveil de ses désirs homosexuels, Brune
cherche un appui en Maurice et ne trouve plus en lui
l’homme fort qui la protège et la sépare de « la femme »,
elle retrouve la défaillance paternelle et retourne à une
relation de proximité avec la femme mère. Brune avait
vécu son enfance « en osmose » avec une mère qui avait
fait d’elle sa confidente et déversait en elle ses déboires
conjugaux. Le mouvement régressif de cette période critique révèle la fixation sous-jacente et en permettra la
réélaboration.
Maurice de son côté exprime sa peur d’un passage à l’acte
compulsif : chaque fois qu’une amie de sa femme vient chez
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eux, il est envahi du désir de faire l’amour à trois, désir
qu’il se connaissait bien mais qui jusque-là restait une fantaisie. Il l’associe sur les interrogations de son enfance à
propos de deux tantes célibataires qui vivaient ensemble.
De plus, l’homosexualité masculine est très présente dans sa
famille.
Ils sont dans la peur que fantasme et réalité se rejoignent
et de perdre la capacité de penser et d’imaginer.
Un autre élément de ce tableau est la demande répétitive de Maurice de relations sexuelles dans cette période
de crise. Sexualité addictive dont il peut dire qu’il ne s’agit
pas d’une recherche de plaisir mais de réassurance de son
identité narcissique et sexuelle.
Ils dépasseront cette période par une réélaboration de la
relation à la mère archaïque, à la mère de la relation unique
et une retraversée de l’œdipe.
En conclusion, on peut dire que la sexualité est un élément de la relation de couple, élément à la fois majeur mais
qui ne peut être pensé qu’avec tout ce que les conjoints,
tels qu’ils sont, c’est-à-dire avec le stade de développement
psychosexuel qu’ils ont atteint, mettent ensemble dans le
couple. Elle intègre dans la relation génitalisée des fixations
prégénitales qui ressurgissent en période de crise. Fixations
en recherche d’élaboration.
Elle sert aussi de moyens de communication entre les
conjoints, comme cette femme qui faisait attendre son
conjoint le plus longtemps possible, un temps qui pouvait
durer plusieurs semaines. Non qu’elle n’aimait pas la rela-
M. Dupré la Tour
tion, mais ce qui lui était insupportable était le moment où
la satisfaction obtenue, elle ne se sentait plus désirée, car
alors elle ne se sentait plus exister. Elle faisait ainsi durer
les préliminaires privilégiant la réassurance narcissique à la
satisfaction objectale.
Les crises sont des moments de réorganisation ouvrant
sur des possibles, inédits jusque-là, en parachevant la
séparation des parents de l’enfance par une meilleure
compréhension de la fonction du lien, son éloignement de
liens déjà connus, la réélaboration et l’intégration des éléments de la personnalité de chacun des conjoints qui ont
surgi dans cette période critique.
L’érotisation de la relation sert de support à cette intégration qui ouvre sur l’inédit.
Le couple, dans ces conditions, est un organisateur du
psychisme.
Références
Dupre La Tour M. Les crises du couple, leur fonction et leur dépassement. Erès; 2005.
Kaufmann JC. La femme seule et le prince charmant. Nathan, Essais
et Recherches; 1999. p. 208.
Kaufmann JC. Premier matin. Nathan; 2002.
Puget J. Psychanalyse de couple : l’objet-couple de chacun
et l’objet-couple partagé. Dialogue (recherches cliniques
et sociologiques sur le couple et la famille) 1988;102:
87—91.