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Chroniques bleues
Lilian Thuram, deux balles dans le damier
mardi 1er janvier 2013, par Bruno Colombari
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142 sélections, un titre de champion d’Europe, un autre de champion du monde marqué par un doublé en état de
grâce contre les Croates et leur maillot à damier. Il est né un premier janvier, messieurs mesdames, voici Lilian
Thuram.
Mise à jour d’un article publié le 1er janvier 2011.
Son apport
Appelé par Aimé Jacquet en tant qu’arrière droit, Lilian Thuram va occuper ce poste en sélection près de dix ans, formant avec
Marcel Desailly, Laurent Blanc et Bixente Lizarazu la meilleure ligne défensive (les Anglais disent back four) de l’histoire de l’équipe
de France, et peut-être même de l’histoire du football. Impassable dans son couloir (on se souvient d’une phase de jeu, dans les
dernières minutes de la finale contre le Brésil en 98, où Denilson qui vient d’entrer, tente d’embarquer Thuram par une série de
passements de jambes en accéléré, jusqu’à ce que le défenseur français mette le pied en opposition et relance avec un sang-froid
remarquable), il était capable de contre-attaquer rapidement, et de proposer des solutions dans un secteur de jeu moins investi que
le côté gauche (celui de Lizarazu, Petit, Zidane et Dugarry).
Après 2000 et le départ de Laurent Blanc, Thuram a progressivement demandé à se recentrer en défenseur axial, où on lui a
longtemps préféré Franck Lebœuf, Mickaël Silvestre, voire Philippe Christanval. Il faudra attendre la coupe du monde en Corée du
Sud pour voir enfin Thuram dans l’axe, suite à la sortie sur blessure de Lebœuf contre l’Uruguay. Mais son association avec Desailly,
improvisée et affaiblie par la présence de Candela à droite, ne donnera rien de bon contre le Danemark (0-2).
A nouveau replacé à droite par Santini au profit de Gallas, Thuram attendra l’automne 2003 pour gagner définitivement son statut
de défenseur axial, où il passera ses quatre dernières années en bleu. Mais ce n’est que lors des matches de préparation à la coupe
du monde 2006 qu’une charnière centrale stable sera constituée, avec William Gallas. Avec lui, Thuram va devenir le patron
indiscutable de la défense des Bleus, réalisant des performances exceptionnelles lors des quatre matches décisifs contre l’Espagne,
le Brésil, le Portugal et l’Italie.
Enfin, et même si c’est hors du jeu, Thuram a joué un rôle non négligeable dans la déconstruction de l’image du footballeur bourrin
passionné de fringues, de grosses voitures et de petites pépées. Fin connaisseur de l’histoire de la colonisation, il a parlé de ses
références dans un livre [1], fait partie un temps du Haut conseil à l’intégration et de l’Institut de relations internationales et
stratégiques (IRIS) et vivement critiqué l’actuel président de la République lors des émeutes dans les banlieues de novembre 2005.
En septembre 2006, avec Patrick Vieira, il avait invité 81 personnes qui occupaient un squatt à Cachan pour un match contre l’Italie
au stade de France.
retrouver ce média sur www.ina.fr
En avril 1995, France 3 diffuse un portrait du jeune défenseur monégasque qui compte alors deux sélections en équipe de France.
Gérard Banide, son entraîneur, affirme que Thuram a tout pour devenir une star.
Thuram au classement des sélections
La place de Lilian Thuram est vite trouvée : c’est la première. Loin devant Thierry Henry, Marcel Desailly ou Zinédine Zidane, le
Guadeloupéen est recordman pour de longues années encore, le seul joueur pouvant potentiellement le rejoindre étant Karim
Benzema. Son taux de participation [2] de 78%, soit 41 matches manqués en 14 ans de carrière internationale, est bon mais pas
exceptionnel. S’il n’avait pas quitté l’équipe de France pendant un an entre juin 2004 et août 2005, soit dix rencontres, il aurait pu
atteindre les 150 sélections.
Joueur
Sel
G
N
P
Buts
1
Lilian Thuram
142
93
34
15
2
2
Thierry Henry
123
74
33
16
51
3
Marcel Desailly
116
78
26
12
3
4
Zinedine Zidane
108
73
27
8
31
5
Patrick Vieira
107
65
26
16
6
6
Didier Deschamps
103
68
23
12
4
7
Bixente Lizarazu
97
65
23
9
2
8
Laurent Blanc
97
62
25
10
16
9
Sylvain Wiltord
92
64
16
12
26
10
Fabien Barthez
87
61
19
7
0
Voir le classement complet des joueurs
17e joueur le plus sélectionné au monde
Lilian Thuram occupe fin 2012 la 17e place au tableau des recordmans de sélections nationales [3]. Il est menacé par Essam El
Hadary (Egypte, 137 sélections), Gerardo Torrado (Mexique, 134) et Anders Svensson (Suède, 132). C’est un classement très
honorable si on le filtre un peu, par exemple en ne retenant que les joueurs des nations championnes du monde. Dans ce cas,
Thuram n’est devancé que par l’Allemand Lothar Matthäus (150) et l’Espagnol Iker Casillas (143) et fait aussi bien que le Brésilien
Cafu (142), et mieux que l’Argentin Javier Zanetti (141), les Italiens Fabio Cannavaro (136) et Paolo Maldini (126), l’Espagnol Andoni
Zubizaretta (126), le Brésilien Roberto Carlos (125), l’Anglais Peter Shilton (125) et bien sûr Thierry Henry (123). On constatera que
le top 10 des joueurs de pays champions du monde ne compte aucun Uruguayen.
Thuram au classement des buteurs
Evidemment, ici les statistiques sont moins flatteuses. Avec deux petits buts en 142 sélections, Thuram ne peut faire mieux qu’une
modeste 173e place. Mais, outre que c’est déjà plus que d’authentiques attaquants (Paille, Guivarc’h, Maurice, Robert, Pintenat...), il
ne faut pas oublier que ces deux buts ont été marqués lors du même match, et pas n’importe lequel : le France-Croatie de juillet
1998 qui ouvrait aux Bleus les portes de leur première finale mondiale (voir plus bas).
Joueur
Buts
Sel
buts/
match
175
Vincent Candela
2
40
0,05
176
Edmond Delfour
2
41
0,05
177
Bixente Lizarazu
2
97
0,02
178
Lilian Thuram
2
142
0,01
179
Julien Faubert
1
1
1,00
180
Roland Wagner
1
1
1,00
181
Jacques Vergnes
1
1
1,00
Voir le classement complet des buteurs
Son équipe préférentielle
107 partenaires ont joué au moins quelques instants en équipe de France aux côtés de Lilian Thuram, soit près d’un international
sur huit. Si le plus fidèle aura été Zidane (95 matches en commun, on comprend mieux pourquoi le ballon d’or a insisté pour qur
Thuram soit associé à son retour en sélection en août 2005) et le plus épisodique Franck Jurietti (huit secondes), on trouve dans
cette liste des vétérans des années 90 comme Corentin Martins ou Bruno N’Gotty et des jeunes éléments actuels comme Nasri ou
Benzema qui représentent la France des années 2010.
Pour le reste, son équipe préférentielle ne présente aucune surprise et reste très proche de celles de Lizarazu et de Deschamps.
Rappelons que les dix premiers coéquipiers retenus sont ceux qui ont joué le plus de temps avec Thuram et pas forcément le plus
de matches. Afin d’avoir une équipe homogène, j’ai toutefois préféré Djorkaeff à Gallas, même si ce dernier compte 98 minutes
communes en plus, mais neuf matches de moins. Sylvain Wiltord, avec 71 matches (mais un temps de jeu moindre) arrive juste
après.
Ses sélectionneurs
La très longue carrière de Thuram (près de 14 ans) n’a croisé la trajectoire que de quatre sélectionneurs. Trois d’entre eux, il est
vrai, ont duré quatre ans ou plus, seul Santini ne faisant que passer (deux saisons). Si Thuram affiche des statistiques
impressionnantes avec tous, c’est notamment par son extraordinaire pourcentage de titularisation : 134 fois sur 142 ! Avec Roger
Lemerre et Raymond Domenech, il n’est jamais entré en cours de match, seulement deux fois avec Jacques Santini et six fois avec
Aimé Jacquet, au début de sa carrière essentiellement. Et ses 93 victoires constituent un score exceptionnel, équitablement
réparties dans les quatre périodes, ce qui témoigne d’une régularité à toute épreuve.
Premier match : 17 août 1994, France-République tchèque
Pour cette rencontre préparatoire aux qualifications de l’Euro 96, Aimé Jacquet aligne une étrange équipe avec une défense à cinq
composée de Angloma à droite, Di Méco à gauche et Thuram, N’Gotty et Blanc dans l’axe, Desailly étant milieu défensif. A la mitemps, les Tchèques mènent 2-0. A l’heure de jeu, c’est un autre débutant, Zinédine Zidane, qui entre à la place de Corentin
Martins. En deux minutes à la fin du match, il rétablit l’équilibre (2-2) et vole la vedette au défenseur monégasque, qu’on ne reverra
que deux minutes en janvier cette saison-là chez les Bleus. On ne le sait pas encore, mais ce soir d’août à Bordeaux viennent de
débuter deux des plus grands joueurs de l’histoire.
Son match référence : 8 juillet 1998, France-Croatie
Jusqu’à la mi-temps de cette demi-finale, la coupe du monde de Thuram a été exemplaire. Sur son côté droit, personne ne passe,
d’ailleurs le seul but encaissé par les Bleus l’ont été le jour où lui-même, Laurent Blanc et Bixente Lizarazu étaient de repos, contre
le Danemark. Pourtant, après quelques secondes de jeu dans la deuxième période, une passe en revers d’Asanovic dans le dos de la
défense prend le latéral droit en défaut de replacement. Couvert par Thuram, Suker entre plein axe dans la surface et bat Barthez.
Si les Bleus manquent une finale historique, ce sera la faute à Thuram, c’est sûr.
Alors, dès l’engagement, il part à l’attaque. Le ballon est perdu sur l’aile droite, mais Thuram, rageur, le pique à Boban, Djorkaeff le
récupère et lui remet instantanément dans la course, plat du pied en se couchant et but. Vingt-trois minutes plus tard, sur une
transversale de Zidane, Thuram prend le couloir droit, appelle de l’aide, glisse à Henry dont la remise est brouillonne, mais Thuram
a suivi, se débarrasse de Jarni et de l’entrée de la surface, enroule une frappe du gauche hors de portée de Ladic. Et là, ce geste
magnifique entré dans l’histoire : Thuram à genoux, les bras croisés et le doigt sur la bouche, en état second. S’il ne reste qu’une
image du titre mondial de 98, il se pourrait bien que ce soir celle-là.
Dernier match : 13 juin 2008, Pays-Bas-France
Il est mal parti, cet Euro 2008, après un bien triste 0-0 contre la Roumanie. Les Pays-Bas viennent de corriger l’Italie championne du
monde (3-0) et vont faire voler en éclats la défense française, en marquant sur presque chaque occasion franche. Lilian Thuram, qui
annonçait quelques semaines plus tôt vouloir jouer avec les Bleus jusqu’en 2012 (!), ne sait pas encore qu’il dispute le dernier
match de sa carrière. Et pas le meilleur. Si le premier but batave, une tête de Kuyt sur corner avec Malouda au marquage, n’est pas
de son fait, il est hors du coup sur le deuxième signé Van Persie, et se fait déposer par Robben sur le troisième avec un tir sans
angle. Les Bleus ont bu la tasse (1-4, une première depuis 26 ans) et Thuram est dans la charette pour le match suivant contre
l’Italie. Un mois plus tard, alors qu’il s’apprête à signer au PSG, le recordman de sélections découvre qu’une hypertrophie cardiaque
lui interdit désormais le haut niveau. Son histoire en bleu s’est donc achevée à Berne, comme son nom l’indique.
Notes
[1] Mes étoiles noires, éditions Philippe Rey
[2] pourcentage de matches joués entre sa première et sa dernière sélection
[3] Source : le site de la fifa