Hitler version Nchmidt

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Hitler version Nchmidt
04/10 JUIN 14
Hebdomadaire
OJD : 420255
29 RUE DE CHATEAUDUN
75308 PARIS CEDEX 9 - 01 75 55 10 00
Surface approx. (cm²) : 1196
N° de page : 98-100
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PRIVILÉGIÉ Au premier plan, Paul-Otto Schmidt, le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain,
et Hitler, le 15 septembre 1938, à Berchtesgaden (Allemagne), lors des discussions sur les Sudètes.
V, 4l
Hitler
version Nchmidt
ll fut l'interprète du Fuhrer et des principaux dirigeants nazis.
A ce titre, il assista aux grandes réunions diplomatigues de la Seconde
Guerre mondiale. Réédition des souvenirs d'un témoin capital.
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Eléments de recherche : EDITIONS PERRIN : toutes citations 1/2
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11 a l'avantage inégalé d'avertir de
l'entrée de I Armée rouge en Pologne
un Joachim von Ribbentrop, ministre
des Affaires étrangères du III6 Reich,
en slip et en train de se raser. Dans les
années fatidiques 1920-1945, Paul-Otto
Schmidt (1899-1970) est l'homme qui
murmure à l'oreille des grands. Sa
fonction lui en fait une obligation :
traduire la parole d'Hitler et des principaux dirigeants nazis. Il est de tous
les rendez-vous qui font l'Histoire : à
Hendaye avec Franco, au côté de
Mussolini ici ou là, avec le ministre des
Affaires étrangères soviétique Molotov
à Berlin, à Rethondes et à Montoire
avec le maréchal Pétain... Parfois, il est
le seul non-politique présent lors de
crises majeures, par exemple lors des
discussions de septembre 1938 sur les
Sudètes entre Neville Chamberlain,
Premier ministre britannique, et le Fùhrer. Schmidt est un témoin capital. Qui
ne s'en laisse pas conter. Vigilant, il décrypte les feintes du chef de lAllemagne
nazie, ses dérobades et ses reculs, son
mépris et ses coups de gueule. Lucide,
il décèle très tôt la marche inéluctable
vers la guerre. Il sait aussi se faire, dans
ce témoignage paru en France en 1952
et jamais republié, un chroniqueur grinçant des mondanités. Il raconte par le
menu les tracas de l'étiquette, qui impose
de changer plusieurs fois par jour d'uniformes plus pompiers les uns que les
autres. « Jamais je n'aurais cru nie rendre
en Italie dans une penderie ! » lâche
d'ailleurs un de ses collègues de laWilhelmstrasse [NDLR : le Quai d'Orsay
allemand] dans le train qui les mène au
col du Brenner pour une visite au Duce.
Mais, le plus souvent grave, il dépeint
les deux dictateurs, hagards, le jour de
l'attentat manqué contre Hitler,le 20 juillet 1944, l'un sur une chaise, l'autre sur
une caisse, tels deux personnages sortis
d'une pièce de Beckett (voiries extraits).
Aussi l'historien Jean-Paul Bled est-il
bien inspiré quand il qualifie Schmidt
de « Saint-Simon du IIP Reich ». Certes,
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le Berlinois n'a pas le style ample du
mémorialiste du Grand Siècle, mais il
en a l'acuité. Pourtant, à l'instar de son
glorieux aîné, il demeure dans une
bulle : l'atmosphère feutrée des palais
et des chancelleries. Qui peut imaginer,
en le lisant, que la barbarie nazie est
à l'œuvre et que le Vieux Monde s'effondre ? Schmidt n'est pas Malaparte,
il est dans la litote, quand le Toscan est
dans l'hyperbole.
Conservateur bon teint, détestant les
« fanatiques » et proche des « hommes
de bonne volonté », il commence sa
carrière en 1925 avec la politique de
réconciliation franco-allemande de
Briand et de Stresemann. Il la poursuit,
de Weimar à la chute du IIP Reich. Sans
ciller. Spectateur, oui, engagé, non. •
Emmanuel Hecht
[EXTRAITS]
[Remis d'une commotion cérébrale
après un accident de circulation, PaulOtto Schmidt reçoit l'ordre de se rendre
au quartier général de Prusse-Orientale,
à Rastenburg, pour une rencontre entre
Hitler et Mussolini, le 20 juillet 1944, le
jour de V attentat perpétré par des officiers allemands décidés à négocier la
fin de la guerre.]
« Sur le petit quai de "Gôrlitz" [gare et
station de métro de Berlin], le professeur
Morell, médecin personnel de Hitler,
m'apprit l'attentat qui s'était produit,
quelques heures auparavant, au cours
de la conférence sur la situation. Il était
encore profondément ému et mc raconta, par phrases entrecoupées, que
Hitler en était sorti presque indemne.
"Il paraît ne pas avoir été affecté, m'assura-t-il; car, lorsque je l'ai examiné
pour découvrir d'éventuelles lésions
internes, son pouls était parfaitement
normal, aussi régulier que les autres
jours." Comme le docteur allait me donner d'autres détails, Hitler arriva luimême sur le quai. Extérieurement,
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il n'y avait rien en lui d'extraordinaire. Cependant, lorsque le train de
Mussolini entra en gare quelques minutes plus tard, je remarquai qu'il lui
tendait la main gauche pour l'accueillir.
J'observai également qu'il se déplaçait
très lentement et paraissait avoir de la
peine à mouvoir le bras droit.
En parcourant les quelques centaines
de mètres qui séparaient la gare des
emportées vers l'extérieur. La grande
table à cartes, devant laquelle j'avais
eu à traduire tant d'exposés fallacieux
pour Antonescu [le "Conducator','chef
du régime fasciste roumain], n'était
plus qu'un monceau de planches éclatées et de montants brisés.
"Voilà où cela s'est produit..." dit
tranquillement Hitler tandis que Mussolini écarquillait encore plus les pau-
« MIRACULEUX » 20 juillet 1944 : Hitler montre à Mussolini les décombres I
du baraquement dévasté par l'attentat auquel il vient d'échapper. I
abris et des baraquements du camp,
Hitler raconta brièvement à Mussolini
ce qui s'était passé. Il le fit sur un ton
très calme, presque monotone, qui me
frappa,tandis que le visage de l'Italien
exprimait l'effroi qu'il éprouvait à
apprendre qu'un dictateur allemand
avait pu être la victime d'un attentat
au centre de son quartier général.
Mussolini ne s'était manifestement
pas remis de la surprise et continuait
à regarder Hitler avec des yeux écarquillés, lorsque nous entrâmes tous les
trois dans le baraquement où l'explosion s'était produite. La porte conduisant à la chambre des cartes avait sauté
et se trouvait, brisée, contre la muraille
opposée. La pièce elle-même offrait
un spectacle de dévastation que j'avais
déjà souvent contemplé à Berlin
lorsqu'une grosse mine anglaise éclatait
près d'une maison et "soufflait" toutes
les pièces. Les tables et les chaises
étaient en morceaux sur le sol. Les poutres du toit s'étaient effondrées et les
fenêtres, avec leur cadre, avaient été
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pières au point que les yeux parurent
lui sortir de la tête [...]. "Je me trouvais
là, à cette table, continua Hitler, d'un
ton neutre, l'esprit absent. Je m'étais
accoudé du bras droit pour regarder
de plus près la carte, lorsque la table
s'est brusquement soulevée, entraînant
mon bras vers le haut." Il marqua un
temps d'arrêt. "C'est là, exactement
devant mes pieds, que la bombe a fait
explosion." [...] Hitler lui montra l'uniforme qu'il portait et qui avait été mis
en lambeaux par le souffle de l'explosion ; il était là, accroché à
une chaise démolie. Puis
Hitler se retourna pour
montrer sa nuque où les
cheveux avaient été roussis.
Pendant un certain temps
les deux hommes n'échangèrent pas un seul mot, écrasés sous l'impression causée
par les destructions et par
le danger auquel Hitler
avait échappé. Puis ce dernier s'assit sur une caisse
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renversée, tandis que j'allais chercher
pour Mussolini une des rares chaises
encore utilisables.
Tous les deux restèrent là, au milieu
des ruines."Quand je repasse tout cela
dans mon esprit, reprit Hitler, d'une
voix étonnamment frêle, je conclus
que mon sauvetage a été miraculeux,
puisque ceux qui étaient dans la pièce
avec moi ont été pour la plupart gravement blessés et que l'un d'eux a
même été entraîné à travers la fenêtre
par le souffle... Il ne peut donc rien
m'arriver, car ce n'est pas la première
fois que j'échappe aussi miraculeusement à la mort!"
Cette phrase impressionna fort visiblement le Méridional superstitieux
qu'était Mussolini. Puis Hitler prononça ces paroles remarquables :
"Après avoir été ainsi préservé aujourd'hui, je me trouve plus que jamais
convaincu que je suis destiné à mener
désormais à bonne fin notre grande
affaire commune !"
Mussolini approuva vivement de la
tête. "Après ce que j'ai vu ici, dit-il en
indiquant le monceau de débris d'un
geste de la main, je suis absolument de
votre avis. C'est certainement un signe
du Ciel ! " Les deux dictateurs, assis l'un
sur sa chaise branlante et l'autre sur sa
caisse renversée, restèrent encore un
certain temps dans la pièce dévastée,
l'un en face dè l'autre. Ce fut seulement
au bout d'un assez long moment que
Mussolini retrouva suffisamment ses
esprits pour féliciter son collègue d'avoir
si heureusement échappé à l'attentat.
Puis ils se levèrent tous les deux et leur
entretien se poursuivit dans une des
pièces de l'abri. Mais cet après-midilà, il n'y eut pas de déclamations de la
part de Hitler,pas d'avertissements de
la part de Mussolini. Leur conversation
paisible et presque banale
se déroula dans une atmosphère laissant pressentir
un adieu et, de fait, Mussolini et Hitler ne se revirent
plus jamais. » •
Sur la scène Internationale
avec Hitler, par Paul-Otto
Schmidt, trad, de l'allemand
par René Jouan et présenté
par Jean-Paul Bled.
Perrin, 444 p., 23 Ê.