Le fantome _script bilingue ok
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Le fantome _script bilingue ok
Radio documentary Documentaire radio Le fantôme de l'université L'esprit de Mai-68 dans les couloirs de Paris-8 Sophie Knapp The phantom of the university The spirit of May’68 lingers on Sophie Knapp Le fantôme de l'université L'esprit de Mai-68 dans les couloirs de Paris-8 Sophie Knapp Clochard ou fantôme ? Tous les étudiants de Paris-8 ont croisé cet ancien professeur qui hante les couloirs de l'université depuis 25 ans. L'histoire singulière de Gérard Girard se mêle à celle d'une fac pas comme les autres, née à Vincennes de l'esprit de Mai-68 avant de déménager à Saint-Denis (93) dans les années 80. Changement d'époque et changement d'idéaux : des utopies libertaires des années 70 à l'individualisme narcissique des années 2010, le parcours du "fantôme de la fac" raconte aussi la société française. Enregistrements : janvier-février 12 Mise en ondes & mix : Arnaud Forest Réalisation : Sophie Knapp Production : ARTE Radio The phantom of the university The spirit of May’68 lingers on Sophie Knapp Tramp or ghost? All the students at the University of Paris VIII have bumped into this strange character, walking around with his underwear on his head. He is in fact a former teacher who has haunted the hallways of the faculty buildings for 25 years. The strange story of Gérard Girard is an essential part of a very singular university, born out of the spirit of the May '68 student uprisings. This university was created in Vincennes in the Paris suburbs. Populated mostly by left-wing students, it welcomed the teachings of radical thinkers like Foucault and Deleuze, before moving to another suburb, Saint-Denis, in the 1980s. Times changed and ideals changed, from the libertarian utopianism of the 1970s to the narcissistic individualism of the 2010s. The life and career of "the phantom of the university" mirror the evolutions in French society. Recorded: January-February 2012 Sound design and mixing: Arnaud Forest Directed by Sophie Knapp Produced by ARTE Radio Des pas dans les escaliers, des voix, une porte s’ouvre Jeune homme 1 Bah, apparemment, c’est une légende de la fac, donc je ne sais pas trop. Jeune femme 1 Putain, j’lai jamais vu. Jeune homme 1 Si, il traîne, il fait l’allée en général. Jeune femme 1 C’est la 1re fois que je l’entends parler. Jeune homme 2 Il passe souvent ici. Jeune femme 2 Ouais, je le vois passer, d’arriver d’là-bas en fait. Mais après… En tout cas, à un moment, on m’a dit : « Ouais, mais tu sais qu’à la fac, il y a un type avec un slip sur la tête ». J’ai dit : « Tu t’fiches de moi quoi ? » Des pas dans les escaliers 2 jeunes femmes parlent en même temps Il a une chemise à carreaux, un pantalon vert, et un truc sur la tête souvent. Et on pense, on a entendu dire que c’était un ancien prof, ouais de psycho et qu’il est devenu fou, on va dire. Et depuis, il reste ici. Au début on trouvait ça bizarre, et puis après Paris 8 c’est quand même vachement libre donc ça parait plus étonnant. -Finalement, il fait partie de la fac. -Ouais voilà, c’est un élément de la fac. Musique, ambiance de couloirs Une jeune femme à la cafétéria de la fac, et le vendeur -C’est combien, s’il vous plait ? -Un quarante. -1 euro 40. Le vendeur, seul, parlant parfois aux personnes qui passent devant la boutique -Il vient parfois. Il achète des gâteaux, souvent… -Meilleurs vœux ! -Merci ! Il achète des gâteaux, souvent il prend Kinder Délice. Il aime beaucoup et c’est tout. Un biscuit… On ne parle pas. « Bonjour. Bonjour », oui, c’est tout. Il n’a pas de difficultés, non, il paie, parfois même il peut laisser 10 centimes de pourboire, donc pour vous dire. Je sais qu’il n’aime pas les pièces de 2 euros, il déteste ça, je sais pas pourquoi. Les 50 centimes, il adore ça, 1 euro. Mais les pièces de 2 euros, chaque fois que vous lui donnez une pièce de 2 euros, il rejette carrément, il n’aime pas. Euh, il s’appelle Gérard. Enfin j’aurais appris qu’il était prof ici, mais c’est tout, je ne connais pas son histoire, non. Footsteps on stairs, chatter, door opens. Young man #1 Apparently, he's a college legend. I don't know. Young woman #1 I've never seen him. Young man #1 He's around. In that alley, mostly. Young woman #1 I never heard of him before. Young man #2 He often comes by here. Young woman #2 Yes, I see him pass by, coming from over there. One time, somebody said, There's a guy goes around college with his undies on his head. I said, Are you kidding me? Footsteps on stairs. Two young women talking over each other He wears a checked shirt, green pants, and something on his head often. People often talk about this former psychology professor who went loopy, let's say. And he's still here. At first, it seemed weird, but Paris 8 is pretty free and easy, so it's not so surprising. - It turns out he's faculty. - Yes, he's a member of the faculty. Music, hallways. In the cafeteria - How much is that? - 1.40. - One euro forty? Cafeteria clerk continues with other patrons interjecting occasionally - He comes in to buy cakes, most often. - Happy New Year! - Thanks. He buys cakes and often a Kinder Delice. He's not picky. Cakes, biscuits... We don't talk. Hello, hello, that's all. There's never any problem. He pays up, and leaves a 10-cent tip sometimes. You see? He doesn't like 2-euro coins. Hates them. I don't know why. He loves 50-cent coins. Or 1 euro. But if you give him a 2-euro coin, he hands it straight back. He doesn't like them. His name's Gérard. I was told he used to teach here, but that's all I know about him. Musique, pièces de monnaie Chuchotements, grincements Anne-Laure Briet, bibliothécaire à Paris 8 Donc moi, ce que je sais, c’est qu’il fréquente quand même assidûment la bibliothèque. Il consulte beaucoup les documents en Histoire et on a d’ailleurs des problèmes parce qu’il dérange les documents. Il les classe selon leur format, j’ai l’impression. Comment dire, il a été enseignant, donc il a… Comment dire ? Il est un peu protégé, on va dire ça comme ça, et puis c’est un peu difficile de mettre quelqu’un dehors sachant qu’il est pas violent, il dérange juste les documents. Donc ce qu’on fait, c’est qu’on a prévenu tout le monde et toutes les personnes qui sont en banque d’information essaient de faire attention quand ils le voient, de le suivre pour vérifier qu’il ne dérange pas. Alors en général, on essaie de lui dire, de lui expliquer qu’il ne faut pas qu’il dérange les livres, qu’il les laisse à leur place. En général, il maugrée et suivant la personne en face de qui il est, soit il obtempère, soit il s’en fiche un peu. Donc moi j’ai eu affaire à lui 2 ou 3 fois, je lui ai bien montré que je le surveillais, il a compris, il est parti. Pas dans l’escalier, des voix Anthony Martinez, ancien étudiant à Paris 8 C’est marrant parce que si quelqu’un me demandait : « Alors, tes années à Paris 8, qu’est-ce que t’en as pensé ? », eh ben, c’est là où j’ai fait mes études, j’ai fais ci, ça, ça, et il y avait même un clochard avec un slip sur la tête. Jeune femme devant l’entrée de l’Université Manifestation contre la venue de Marine Le Pen à Saint-Denis. C’est dimanche à 13h, Porte de Paris. Pas de fachos dans nos villes. Jeune homme devant l’entrée de l’Université Manifestation dimanche contre la venue de Marine Le Pen à Saint-Denis. Yolande Robveille – Ancienne étudiante dans les années 1970, Maître de conférences en philosophie à Paris 8 Comme enseignant, je l’ai connu oui. Il était enseignant au département de cinéma. C’était un militant de la cause albanaise, un spécialiste du cinéma des pays de l’Est. C’était des étudiants qui étaient devenus enseignants, je ne sais pas ce qu’ils avaient fabriqué. Mais enfin, c’était la première fois qu’il y avait un département de cinéma à l’université. Bon, on sortait de Mai 68, donc on était dans une contestation disons. On réfléchissait à un débat sur « Qu’est-ce que c’est que l’enseignement ? ». L’état d’esprit était faire la révolution, tout bêtement. Enfin ou continuer. Petit rire En 68, dès le mois de fin juin, début juillet, il y a des gens au cabinet d’Edgard Faure qui ont pensé que ce serait bien de créer un pôle universitaire en-dehors de Paris, pour mettre tous les gauchistes hors du Quartier Latin et les mettre par exemple à l’extérieur. Dès le mois de décembre, ils ont ouvert les inscriptions à Vincennes même, et les premiers cours ont commencé en janvier 69. Music, coins jangling. Whispers, creaking. Anne-Laure Briet, Librarian, Paris 8 All I know is that he's a regular user of the library. He's often in the History section. Actually, we have problems because he reorganizes the documents. He sorts them by size, by the looks of it. He was a teacher, so he... He's kind of protected, let's say. It's hard to ask him to leave given that he's not violent—he just reorganizes the documents. So, we've made sure everyone knows and the people working on the database try to be more vigilant when they see him, following him to check he doesn't mix things up. Usually, we try to explain to him that he shouldn't muddle the books up and that he should leave them where they are. He'll grumble and, depending on who's telling him, either he listens or he just ignores them. I've dealt with him a couple times and I made a point of showing I was watching him. He realized and left. Footsteps, voices. Anthony Martinez, Paris 8 graduate It's funny. If somebody asked me, Tell us about your time at Paris 8, I'd tell them that's where I did my degree, I did this and that, and there was a bum walking around with underpants on his head. Young woman outside the campus gates Protest Marine Le Pen's visit to Saint-Denis. Sunday at 1 pm. Keep fascism out of our cities! Young man outside the campus gates Protest march Sunday against Marine Le Pen's visit to Saint-Denis. Yolande Robbeville, philosophy lecturer at Paris 8 I knew him when he was a lecturer, yes. In the Film department. He was a pro-Albania activist, an expert on Eastern Bloc cinema. Some students became lecturers. I've no idea what they'd done. Anyway, it was the first time there was a Film department at the university. It was just after May '68, so the protest movement was still going strong. The big debate was, What is teaching? The mood of the time was revolution. Simple as that. Continuing the revolution. (laughs) In 1968, by late June or early July, people in Edgard Faure's office thought it'd be a good idea to create a university campus outside Paris, to take the leftwingers out of the Latin Quarter and move them to the outskirts. In December, they started registering students in Vincennes and the first classes started in January '69. Un certain nombre, on y est allé parce qu’on s’est dit : « C’est là qu’il faut aller ! C’est une nouvelle fac, c’est là que tous les gauchistes vont aller, on va tous aller là ». C’est à peu près ça. La création du département de philo, c’était Michel Foucault, qui est resté quelques mois puis après il a été nommé au… bon, j’ai un trou de mémoire. Comment ça s’appelle ? Collège de France ! Archive sonore :Michel Foucault, philosophe, lors du colloque « Le nouvel ordre intérieur » organisé à l’Université Paris 8- Vincennes en mars 1979 Si je parlais de l’enfermement des fous, c’est parce que l’enfermement des fous existait et que je souhaitais que l’enfermement des fous n’existe plus. Si j’ai parlé du système carcéral, c’est parce que le système carcéral existait et que je souhaitais qu’il n’existe plus. Maintenant si vous me demandez pourquoi je parle de ce dont je parle, je vous dirai que je parle de ce dont je parle parce que ça me fait plaisir, et qu’il n’y a aucune loi, aucun pouvoir, aucun flic, et pas même mes amis les juges qui m’empêcheront de dire ce que j’ai envie de dire ! Personne n’est forcé de me lire, ni de m’entendre. Applaudissements -Bravo ! Mohamed Hassen Zouzi Chebbi, ancien étudiant à Paris 8 dans les années 1970, chargé de cours en philosophie à Paris 8, poète Alors c’était tout à fait extraordinaire comme type d’expérience à laquelle s’est obligé ce que j’appelle « le génie français », pays de l’expérimentation et de toutes les audaces. L’université française va accoucher de quelque chose qu’on peut qualifier de monstre au sens noble du terme, de l’invention complète, totale. C’était une façon de réunir les dissidents, les contestataires, dans une espèce de cercle de cathartique qu’était le bois de Vincennes. Peut-être était-ce ça, l’intention politique. Mais la réalité de Vincennes c’était réellement l’ouverture au sein de l’université française d’une expérimentation universelle, de quelque chose qui faisait, peut être, sans trop exagérer, mais sacrifiant à la poésie, « une petite Alexandrie ». Sur le plan politique, il y avait toutes les jeunes organisations de la jeunesse, tout. Les plus en avant étaient ceux qu’on appelait l’extrême-gauche extra-parlementaire, c'est-à-dire les maoïstes, les maos spontex. Donc étant l’un des premiers réfugiés politiques tunisiens, intellectuel, etc, je n’admettais pas certains débordements. Par exemple, un piano demi-queue jeté du premier étage, pour moi c’était un acte bête ! Le fait d’avoir sanctionné par exemple François Duprat, qui était un chef de fil de l’extrême-droite, d’Occident, de l’avoir dénudé, enduit de tomato-ketchup et de plumes, et de le sortir en public dans cet acte, pour moi était choquant puisque c’était l’exercice d’une justice directe, sauvage et inhumaine et aveugle ! Je n’étais pas d’accord. Voilà, il y avait donc quelque chose qui ressemblait à un chaos où se mêlaient toutes les forces créatrices et d’autres forces un peu moins intelligentes qui étaient plutôt des gesticulations d’enfants gâtés de la bourgeoisie française. A number of us thought, That's where we need to be. A new university, full of leftwingers. We all should go there. More or less. The Philosophy faculty was created by Michel Foucault, who stayed a few months before he was appointed to... What do you call it? The Collège de France! Sound archive: Michel Foucault lecturing in Vincennes I raised the issue of the incarceration of the insane because the insane were being incarcerated and I wanted that to stop. I raised the issue of the penal system because the penal system existed and I wanted it not to exist any longer. Now, if you ask my why I talk about what I talk about, I'll reply that I enjoy talking about what I talk about, and that no law, no authority, no cop, and not even my friends the judges, who will stop me from saying what I want! Nobody is forced to read me, or even listen to me. Applause. - Bravo! Mohamed Hassen Zouzi Chebbit, Paris 8 graduate, philosophy lecturer and poet It was a quite extraordinary experiment, driven by what I call the genius of the French, in a country where everything is possible. The French university system gave birth to a monster in the noble sense of the word—a total invention. It was a way of bringing together dissidents and rebels in a kind of cathartic environment in the Vincennes woods. Maybe that was the politicians' intention, but the reality was the institution within the university system of a universal experiment, something that without too much exaggeration could poetically be described as a Little Alexandria. In political terms, there were all the burgeoning youth organizations. The most prominent were the extreme leftwing revolutionary movements, particularly the Maoists and Mao-libertarians. As one of the first Tunisian political refugees, I couldn't accept certain excesses, such as a baby grand piano being thrown from the first floor. I thought that was just dumb. Or punishing François Duprat, an extreme-rightwing activist, by stripping him, covering him in ketchup and feathers and parading him around. I was shocked by this act of summary, inhumane and blind justice! I didn't agree with it. There was a kind of chaos that combined all sorts of creative forces and other less intelligent ones that were gesture-politics from the spoiled offspring of the French bourgeoisie. Archive sonore : colloque « Le nouvel ordre intérieur » organisé à l’Université Paris 8Vincennes en mars 1979. Plusieurs personnes s’expriment après l’intervention de Noam Chomsky, linguiste Brouhaha Henri Lefebvre, sociologue et philosophe Chomsky a prononcé un admirable réquisitoire contre l’impérialisme américain. Mohamed Habib Daghari, employé au service reprographie Je ne dirais pas que c’était inintéressant. (Rires et agitation.) Je dirais simplement, que malheureusement, je n’ai pas eu l’impression que quelque chose de nouveau figurait dans l’exposé de Chomsky. Non ! Couloir, des pas résonnent Christian Lemeunier, ancien étudiant à Paris 8 dans les années 1970, employé au service audiovisuel et professeur de tango à Paris 8 Rien qu’en allant à la fac, on voyageait déjà. En prenant le bus, on partait dans un autre monde, voilà. Pour aller vite, il y avait les marxistes-léninistes, ça allait des gens du parti communiste français, souvent bien staliniens, jusqu’à tous les groupuscules, les groupuscules importants, maoïstes, trotskistes et tout ça, qui n’avaient pas au niveau du nombre une très grande importance, mais il avaient un poids symbolique très fort. Justement, la parole publique… une parole publique, elle est toujours assez codée, c’était difficile de ne pas être dans les codes. Et si on n’était pas dans les codes, on était… il y avait un mot pour ça : « Non organisé ». Là, je démens un cliché en disant : « Oui, mais on était libre et tout ça ». Non ! Non ! Non ! Justement, c’était très difficile de prendre la parole publiquement, si on n’avait pas le ton. Sans faire référence au marxisme-léninisme, on n’était pas crédible. Murmures dans les couloirs. Des pas. Anthony Martinez : C’est vrai que c’est compliqué de trouver son juste milieu ici. Et c’est ça que je garde de Paris 8 en tant qu’ancien étudiant, c’est voilà, cette volonté de toujours avancer dans une bonne direction - limite de manière utopiste- parce que je sais qu’il y a des ligues anarchistes aussi. Enfin il y a vraiment des choses qu’on se dit, vu de l’extérieur : « Mais c’est pas possible, ça sert à rien ». Et quand on les écoute, quand on écoute leur discours, quand on voit ce qu’ils font, on se dit : « Mais putain, c’est incroyable, les mecs ils y croient, quoi ! Ah oui, c’est vrai que le monde ne tourne pas rond, ouais, exact. Oui, oui. Ben tiens, ça m’intéresse ». Et des fois, on est pris, selon les sensibilités de chacun, à s’investir dans des luttes ou pas, pour justement revendiquer certaines choses qui sont bien au final, mais parfois un petit peu gênantes dans le cadre purement scolaire. Un gobelet roule sur le sol. Musique Jeune femme Bah en fait, je l’ai croisé plusieurs fois. Il a une apparence assez particulière. Moi, je pensais qu’il avait une culotte sur la tête. Il a toujours une chemise à carreaux, etc. Et je l’ai vu dans la bibliothèque, alors je me suis dit que c’était peut-être le futur Karl Marx. Sound archive: debate in response to an intervention by Noam Chomsky Henri Lefebvre, philosopher Chomsky delivered an admirable indictment of American imperialism. Mohamed Habib Daghiri, office employee I wouldn't say it was uninteresting. (Laughter) Unfortunately, I didn't hear anything new in Chomsky's arguments. No! Hallway, echoing footsteps Christian Lemeunier, Paris 8 graduate and tango teacher Just going to college was a journey. You got off the bus and stepped into another world. Basically, there were the Marxist-Leninists, who ranged from Communist Party members, mostly Stalinists, to splinter movements—Maoists, Trotskyites and all that. They weren't numerically important but they had huge influence. Speaking in public is always very codified and it's difficult not to stick to the codes. If you didn't, you were immediately labeled Nonorganized. I have to refute the cliché that there was total freedom and everything. No, no, no! It was very difficult to contribute publicly if you didn't strike the right tone. If you didn't refer to Marxism-Leninism, you weren't credible. Whispering in hallways, footsteps. Anthony Martinez : Sure, it's complicated to strike a balance here. That's what I remember of my time here, constantly striving for something—a utopia, almost, if you take into account the anarchists here. Sometimes, from the outside looking in, you think, That's stupid. It's pointless. And then when you see them in action, you think, Shit, they totally believe in it. Yeah, you're right, the world's unfair. Okay, sure, count me in. And depending on your personal inclinations, you wind up involved in campaigns for things that sound like a great idea, but aren't completely appropriate in an academic environment. Plastic cup rolls. Music. Young woman I've bumped into him on several occasions. He looks pretty odd. I thought he was wearing panties on his head. He always has on the same checked shirt. I saw him in the library, and thought maybe I was looking at the next Karl Marx. Jeune homme avec un léger accent Pareil, je ne connais rien en fait de son histoire. J’me suis dit peut-être que c’était un SDF qui vivait ici. C’est peut-être le cas, mais j’en suis pas sûr. Des pas dans les couloirs. Musique Christian Lemeunier : Gérard Girard, c’est… Je l’ai connu assez vite, en fait. Il faisait partie des gens qui n’auraient jamais mis les pieds à l’université si ça n’avait pas été assez ouvert, voilà. N’ayant pas fait d’études… parce que j’ai eu des conversations assez simples avec lui. Je lui dis : « Mais tu viens de l’usine ou quoi, toi ? ». Il me dit : « Non, non, je vendais des savonnettes ». Il assumait assez ce qu’il était. C’était comme une conversion. Et il avait compris qu’il fallait changer le monde et il était venu pour ça. Alors il avait trouvé son créneau particulier, sa cause, c’était de défendre le seul régime marxiste-léniniste digne de ce nom, c’est l’Albanie. Voilà. Et en fait, il s’est fait une carrière comme enseignant en photo par l’activité de colleur d’affiches. Il collait les affiches, mais qu’il allait chercher à l’ambassade. C’est les affiches de propagande. Et après, il a voulu faire un cours sur la photographie, en utilisant tout le matériel de propagande. Bip informatique Page Facebook 8 décembre 2010. C’est l’homme qui dort dans la salle A349 ? ça résoudrait un mystère. Patrice Besnard, ancien étudiant à Paris 8 dans les années 1970, technicien au laboratoire Vidéo Assistée par Ordinateur à Paris 8 Il a tout un tas de feuilles, un gros paquet de feuilles qu’il se trimballe souvent. Pendant longtemps, il a dit que c’était sa thèse qu’il préparait, donc personne n’y touche parce que c’est sa thèse. Alors on pourrait faire une relation avec les évènements politiques disons du moment, puisqu’il était non pas maoïste à Vincennes, mais il était albaniste, on va dire. C’est-à-dire qu’il défendait l’Albanie à un point incroyable. Il avait son panneau dans l’université, enfin dehors, un grand panneau recouvert d’affiches sur l’Albanie, à la gloire de l’Albanie. Quand on pense que c’était le pays le plus fermé du bloc soviétique, où les gens ne pouvaient pas sortir, c’était comme une prison. Quand le mur de Berlin a sauté, quand le bloc soviétique a explosé, donc évidemment, petit à petit, tous les pays satellites de l’URSS se sont évidemment libérés un peu. Musique Patrice Besnard, dans les couloirs Il va aux poubelles. Alors là-bas, il fait du bruit des fois. Non mais avec lui, le problème, c’est qu’il a quand même disjoncté. Donc des fois, il est bien luné, moi avec moi ça se passe bien, mais des fois, il peut très mal prendre les choses. Des fois, tu ne sais pas pourquoi, tu lui demandes un truc, il va dire : « Quoi, qu’est ce que c’est que ça ? C’est pour m’espionner ! C’est pour… » Des clefs s’entrechoquent, musique, porte Young man I know nothing about him, either. I thought he might be a homeless guy who found shelter here. Maybe he is. I don't really know. Footsteps in hallways. Music. Christian Lemeunier : Gérard Girard is... I met him soon after I arrived. He's one of those people who'd never have set foot in a university if the system hadn't opened up. I mean, without a high school diploma. I had some pretty basic conversations with him. I asked him if he'd been working a factory and he told me he'd been working selling soap. He wasn't ashamed of who he was. He'd chosen another path. He realized we needed to change the world and that's why he was here. He'd found his particular niche, his cause—defending the only Marxist-Leninist regime worthy of the name, Albania. He made a career as a photography lecturer by sticking up posters. He stuck up posters that he went to get from the embassy. Propaganda posters. Then he ran a photography class using all the propaganda material. Computer beeps. Facebook page December 8, 2010. Is he the guy who sleeps in room A349? That would solve the mystery. Patrice Besnard : He has a stack of papers, a huge stack of papers, he often carries around. He used to tell people it was the thesis he was working on. Nobody would dare touch his thesis. You could link it all to the political context of the time, because he wasn't a Maoist in Vincennes. He was an Albanist, you might say. He defended Albania to extraordinary lengths. He had a big board on campus covered with posters glorifying Albania. When you think it was the most closed nation in the Soviet bloc. Nobody could get out. It was like a prison. When the Berlin Wall came down and the Soviet Bloc imploded, the Soviet Union's satellite countries gradually opened up. Music. Patrice Besnard in a hallway He's often out by the trash and he can make a lot of noise down there. The trouble is, he's cracked. Sometimes, he's in a good mood. With me, for example, he's fine. But sometimes, he's very touchy. You'll ask him something and, for no apparent reason, he says, What do you want? You're spying on me, aren't you? Keys jangling, music, door. Patrice Besnard, à Gérard Girard, devant les poubelles Bonjour, ça va ? Sophie Knapp et Gérard Girard -Je fais un documentaire sur Vincennes et Saint-Denis. -Pardon ? -Je fais un documentaire… -Oui et ben faites-le et foutez moi la paix ! Vous voyez pas ? -Est-ce qu’éventuellement… -EST-CE QUE VOUS VOYEZ PAS QUE LA SEINE-SAINT-DENIS, C’EST ÇA ?!! HEIN ?!! ESPECE DE TORDUS. VOUS VOYEZ PAS QUE JE M’EMMERDE SANS ARRÊT AVEC VOTRE BORDEL DE MERDE ICI ?! C’EST CE QUI NOUS RESTE ! Patrice Besnard -Non c’est pas grave, c’est vrai, t’as raison. Mais t’as raison hein. -Y’EN A DES TONNES QUI PARTENT TOUTE LA JOURNÉE DANS LES POUBELLES. Y’EN A ASSEZ. ALORS VOUS N’ALLEZ PAS FAIRE DES DOCUMENTAIRES À L’HEURE QU’IL EST. ESPECE DE SBIRES DU CONSEIL GENERAL. Mohamed Hassen Zouzi Chebbi : Il était militant politique aussi, ce qu’on appelle l’extrême-gauche. Et je crois que l’accident mental qu’il a eu, l’a gardé un peu dans un arrêt sur image, comment on dit. Il est encore dans cette période-là, après avoir souffert de quelque chose qui, malheureusement, a eu un impact sur son équilibre mental et sur sa rage politique quoi. Je ne sais pas si vous mesurez l’impact énorme de l’échec des expériences révolutionnaires à travers le monde sur ceux qui ont cru dans les révolutions avec une passion quasi romantique, et qui ont investi tout espoir d’un idéal possible à réaliser. Il y a des tas d’évènements qui sont de cette nature-là, par exemple l’entrée des chars à Prague… Les révolutions trahies, quoi ! Les révolutions trahies qui ont fait beaucoup de casse sur certaines consciences un peu fragiles, par simplement une adhésion totale à un rêve. Photocopieuses Christelle D’Erfurth, employée au service reprographie Il venait faire faire des reproductions de son document sur le cinéma… je sais plus, c’est pas hongrois, c’est… j’ai oublié. Albanais, voilà ! Je ne suis pas sûre qu’il aurait sa place dans une autre fac. C’est un peu comme quand j’allais en Algérie, on n’enferme pas les gens là-bas, ils font partie de la vie. Ceux qui sont un petit peu à côté des choses, si je puis dire, on ne les enferme pas, on ne les assomme pas avec des médicaments. Ils sont là, ils font partie de la vie quoi. Ça, j’aime bien, moi. Je l’ai croisé deux fois dans Paris. Ah ça ! Je m’en souviens, j’étais à bicyclette. Et je vois Gégé en train de marcher sur la rue et pas sur le trottoir. Deux fois ! ça m’a fait trop bizarre parce que je l’ai toujours vu ici dans ce contexte-là, et puis d’un coup, je le vois dans les rues de Paris. Je sais qu’il a été un enfant adopté, donc il ne connait pas sa famille d’origine, donc il porte le nom de ces gens-là, je crois. Et puis voilà, j’en sais pas plus. Photocopieuses Patrice Besnard to Gérard Girad, outside. Hi, how are you? Sophie Knapp/Gérard Girard - I'm making a documentary about Paris 8. - Sorry? - I'm making a documentary -- Get on with it and leave me alone! - Could I perhaps -- Can't you see that this is Paris 8? You wackos! I get so much shit from your shit! It's all we have! Patrice Besnard/Gérard Girard - That's fine, it doesn't matter. You're quite right. - There are tons in the trash every day! Sick of it! You can cut out your documentaries! You're the state's lackeys! Mohamed Hassen Zouzi Chebbi He was a political activist, on what's known as the extreme left wing. I think the mental breakdown he had caught him in a kind of freeze-frame. He's still stuck in that period, having endured something that impacted, unfortunately, on his mental health and his political rage. I don't know if you gauge the massive impact of the failure of revolutionary experiments on those who passionately believed in revolution and invested all their hopes in a future utopia that could be achieved. There are plenty of events, such as Soviet tanks rolling into Prague... The revolution betrayed! That did a lot of damage on some particularly vulnerable minds, who had adhered totally to the dream. Xerox machines. Christelle d'Erfurth, administrative assistant He came to make copies of documents dealing with the cinema in... Hungary, was it? I forget. Albania, that's right! I'm not sure he'd be accepted at another university. It's like in Algeria— there, they don't lock these people away. They're part of everyday life. People who are slightly off-track, to put it mildly, aren't put in confinement or knocked out with medication. They're there, part of everyday life. I like that. I bumped into him twice in Paris. I remember it well. I was riding my bike and I saw Gégé walking down the middle of the road. Twice! It was weird because I'd always seen him here, in this context, and suddenly there he was in the streets of Paris. I know he was adopted as a child. He doesn't know his biological family and he uses the other family's name, I think. There you go, that's all I know. Xerox machines. Christian Lemeunier : Souvent, on a eu des discussions parce qu’on avait du mal à se situer l’un l’autre. Très vite, il a eu le masque du militant-combattant que je n’avais pas, alors il me posait des questions. Mais le fait qu’il me pose beaucoup de questions sur moi-même, ça me donnait la latitude pour lui poser des questions aussi. Au niveau de la famille, je n’ai pas été très loin, mais j’ai su qu’il avait eu un enfant, il était père. Et que, bon mais, parce que comment dire, avec la mère de son enfant ça a été très bref, je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Donc il avait comme une blessure à ce niveau-là. Je ne sais pas ce que faisaient ses parents et tout ça, mais là aussi on sentait que la filiation ça n’avait pas été très très… vraiment quelque chose de formidable. Voilà. Il y a deux aspects de sa personnalité qui n’ont pas bougé, c’est une certaine rigueur, comme ça, un côté un petit peu raide et puis seul, méfiant. Et s’il prend la parole, quelque part, c’est très critique. Interrompre le cours pour dire quelque chose qui était impertinent, dans tous les sens du mot, ça se faisait. Même, il y avait des philosophes comme Deleuze qui ne se laissaient pas interrompre facilement, donc il y avait une sorte de… comment on peut dire… de tolérance très, très grande, donc… Archive sonore : Gilles Deleuze, philosophe, lors d’un cours de philosophie à l’Université Paris 8 en 1977 Je rappelle que la différence, elle consistait en ceci, le délire paranoïaque et d’interprétation, se présentait comme se constituant autour d’un centre, d’une matrice, d’une idée dominante, et procédait par réseau circulaire prenant tout ! Prenant les choses les plus hétérogènes, un bout de ceci, un bout de cela. Ah, les chaises ! Oh, un type qui passe par la fenêtre ! Oh et partout, partout, partout ! Un étudiant : -Le chien Gilles Deleuze : -Le chien. (Rires) Et tout ça, ça faisait une espèce de réseau en expansion circulaire irradiant, où tout était pris, et les paranoïaques, ça procède comme ça. Anthony Martinez : Donc j’étais en première année de théâtre à l’Université de Paris 8 et j’entendais souvent des personnes de ma promo qui me disaient qu’il y avait une espèce de clochard très bizarre qui avait un slip sur la tête. J’étais dans les couloirs entre deux cours et je l’ai vu passer. Et je me suis dit : « Anto, vasy ! » Donc je l’ai suivi un petit peu. Bon, c’était innocent, j’ai pas de regret d’avoir fait ça, mais je l’ai suivi jusqu’à voir où est ce qu’il allait, où est qu’il vivait. Et je me suis rendu compte qu’au rez-de-chaussée, il y avait sa maison, si je puis dire, entre guillemets. Une autre fois, quand je voulais voir un peu ce que ça donnait sans qu’il soit là, pour voir, donc j’y suis allé et j’ai vu un placard, une espèce de placard un peu bizarre. Donc je l’ai ouvert et j’ai vu plein de papiers, plein de paperasse, des documents… Et je suis tombé sur une photocopie de sa carte d’étudiant. Et donc j’ai regardé et en fait, il était enregistré comme auditeur libre. J’ai trouvé ce papier et je l’ai volé en fait, tout bêtement, enfin si je puis dire. Il me semblait qu’il y en avait une deuxième, donc c’est pour ça que je me suis dit : « Je peux avoir la conscience tranquille, il y en a une autre ». Christian Lemeunier We had some long talks, sizing each other up. He soon adopted the mask of militant activist that I didn't have, so he bombarded me with questions, which gave me scope to ask him plenty of questions back. In terms of his family, I didn't get very far, but I found out he'd fathered a child. But, it turns out that it didn't really last with the child's mother. I don't know what happened. That wound obviously hadn't healed. I don't know what his parents did or anything, but you sensed the relationship was never very, very... It wasn't great. Two aspects of his personality haven't changed. He still has a kind of rigidity. He can be a bit stiff. And he's a loner, distrustful. Also, if he speaks out, he usually criticizes. Back then, it was common for people to interrupt a lecture with an impertinent comment. Sure, there were philosophers like Deleuze, who didn't let people interrupt easily, but there was a kind of general tolerance of that... Sound archive document: Gilles Deleuze lecturing at Paris 8 in 1977 I'd point out that the difference was essentially that paranoid delirium presented itself as forming around a center, a matrix, a dominant idea and took over everything in a ripple effect. The most diverse things, some of this and a bit of that. The chairs! A guy walking past the window! Everywhere, everywhere, everywhere! Student: The dog. Deleuze: The dog. (laughter) All that created a kind of network radiating out in circles, encompassing everything. Paranoiacs function like that. Anthony Martinez I was a freshman studying drama at the University of Paris 8 and people in my year often mentioned a kind of wacky tramp who walked around with underpants on his head. Between classes, he passed me in the hallway. I told myself to go for it, so I followed him. It was all very innocent. I don't regret doing it. I just wanted to see where he went, where he lived. On the ground floor, I realized that his "house," if you like, was down there. Another time, I decided to take a look when he wasn't around, so I went down there and found a strange kind of cupboard. I opened it up and it was full of piles of paperwork and documents. I came across a photocopy of his student card. He was registered as an auditeur libre, a student who just sat in on classes. I stole the photocopy, I guess you could say, because he seemed to have another. I thought, He has another copy, so I don't have to feel guilty about taking this one. C’est parti justement donc, avec les deux amies avec qui j’étais en cours, on en parlait tout le temps parce qu’elles étaient aussi passionnées de cet homme atypique. Et donc, je ne savais même pas qu’elles avaient lancé cette page Facebook. Et en fait, on s’est rendu compte que le groupe n’était pas si bête parce que plein de gens avaient adhéré. Beaucoup de gens connaissaient son prénom, son identité que moi je ne savais pas. En plus, je croyais que c’était une blague au début. Gérard Girard ! C’est quand même étonnant comme prénom et comme nom. Enfin bref, c’est comme Hubert Robert, c’est un petit peu… bon. Bip informatique Page Facebook 6 décembre 2010. Enfin ! Depuis qu’on m’en a parlé la première fois à la rentrée, je ne l’avais jamais croisé, tout en étant en art plastique. Quelle émotion ! Bip informatique Facebook 28 septembre 2011. Tout juste rentré en L1, j’ai eu l’honneur de le croiser dans la section Histoire de la bibliothèque où il piquait les affaires des autres. Ca a changé ma vie. Anthony Martinez : Je pense qu’il a un profond besoin d’autoréalisation, de se prouver quelque chose, je ne sais pas. Peut-être que je fabule, mais c’est ce qui se traduit de par son attitude. C’est une personne qui n’a pas envie qu’on s’intéresse à elle. Et je pense qu’aujourd’hui, tout le monde a envie qu’on s’intéresse à soi parce que voilà, la société fait que, et donc quand on a une personne, justement, qui ne recherche pas à briller en société, une personne qui cherche à être tranquille pour des raisons obscures, forcément c’est incroyable. On se dit : « Mais pourquoi, pourquoi ce mec… qu’est-ce qu’il fait ? » Archive sonore (Service des moyens audiovisuels de l’Université Paris 8- Vincennes) : Cris, manifestation -A L’A.G. ! A L’A.G. ! Henri Lefebvre, sociologue et philosophe, 1979 Cette soirée est particulièrement remarquable, parce que Vincennes se défend en prenant l’offensive. Yolande Robveille : La construction de l’Université s’est faite dans le bois de Vincennes, sur un terrain qui appartient à la ville de Paris, comme tout le bois de Vincennes. Et au bout de 10 ans, à ce moment-là, on avait comme ministre une femme, Madame Saunier-Seïté, qui d’un seul coup s’aperçoit de ce texte, et donc elle a ressorti ce texte en disant : « Ecoutez, vous arrivez à la fin de votre bail de 10 ans, vous devez quitter l’université, vous n’avez plus le droit d’y rester. » C’était aberrant qu’un ministre de l’éducation nationale décrète, pousse à la fermeture de l’université, tout de même. Chirac s’en moquait, mais il a quand même appuyé en disant : « Non, non, je veux reprendre ce terrain pour le rendre aux Parisiens, qu’ils puissent aller se promener ». Mais c’était raser les bâtiments et raser cet esprit un peu contestataire, même s’il avait évolué, mais qui était disons indépendant. With two friends I had classes with, we talked about him all the time because they were as fascinated as me by this totally offbeat character. They even started a Facebook page, and we realized it wasn't a dumb idea because plenty of people joined in. Lots of people knew more about him than I did. In fact, I thought his name was a hoax to begin with. Gérard Girard! It's a pretty surprising name. I mean, it's like Hubert Robert, you know... Computer beeps. Facebook page December 6, 2010. At last! Ever since I first heard about him early in the semester, I'd never seen him, despite being in an art class. What a buzz! Computer beeps. Facebook September 28, 2011. I just had the honor of bumping into him in the History section of the library, where he was swiping people's things. It's changed my life! Anthony Martinez I think he has a deep-rooted need to prove something to himself. Maybe I'm reading too much into it, but that's my take on his attitude. He's a guy who wants to go unnoticed. In a world where everybody wants somebody to take an interest in them, when a guy doesn't try to stand out and just wants to get on with his life for whatever reason, it's pretty amazing. You can't help thinking, Why? What does he do? Sound archives Protest march chants Attend the general meeting! Henri Lefebvre, sociologist and philosopher, 1979 This is an astonishing evening, with Vincennes showing attack is the best form of defense. Yolande Robbeville : The University was built on land belonging to Paris city hall in the Vincennes Woods outside the city. Ten years later, the Minister was a woman called Saunier-Seité. One day, she pulled out a document stipulating that the lease ran for ten years and the University had to move. You can't stay there anymore. It was just appalling that the Higher Education Minister should close a university. Jacques Chirac didn't care but he backed her up, saying he wanted the land back to turn it into a park for the people of Paris. Demolishing the university was a way of demolishing the spirit of dissent it represented, which had evolved but was still fiercely independent. La plupart s’en sont remis, mais pour tous c’était un traumatisme. Pour tous sans exception, je pense. Et à l’heure actuelle, les derniers de Vincennes vont partir à la retraite. C'est-à-dire que ça part de plus en plus. Et les gens qui les remplacent, ils sont modelés par la société actuelle, par un individualisme, une carrière… « Carrière », on ne savait pas ce que ça voulait dire quand on était dans cette université. Archive sonore Un étudiant lors de la commission Budgets-Locaux, juin 1980 Nous sommes contre le transfert de Vincennes. Nous avons fait une conférence de presse devant l’IUT de Saint-Denis. A l’IUT de Saint-Denis, qu’est ce que nous avons constaté ? A Vincennes, il y a 4 hectares de superficie. A Saint-Denis, il y a 2 hectares. Musique Mohamed Hassen Zouzi Chebbi : C’était un déménagement qui ressemblait à la destruction de Carthage par Rome. Mal fait, maladroit, clandestin, honteux ! Honteux puisqu’on a interdit à tous les journalistes d’approcher. C'est-à-dire qu’il y a eu un casse, mais alors, Apocalypse Now ! Je crois que c’est du même ordre, sans dramatiser, du bucher dressé au Moyen Âge pour les sorcières ou pour les utopistes. Bip informatique Page Facebook 17 décembre 2009. Mon idole ! Je suis fan de ce groupe. Christian Lemeunier : Je suis quasiment sûr que l’histoire du déménagement, ça ne le dérangeait pas. Au contraire, le fait d’être dans une ville ouvrière ou je ne sais pas quoi… C’est les conséquences secondes du déménagement. La plupart des gens qui étaient en Art, qui étaient marxistes-léninistes, presque tous, ils ont opéré une mutation idéologique. Ils s’intéressaient à la technologie, ils ont laissé tomber Mao Zedong pour les médias numériques et tout ça. Bon ben, quelqu’un qui était colleur d’affiches pour l’Albanie n’avait plus tellement sa place. Mohamed Hassen Zouzi Chebbi : C’est une sorte de posture christique quoi, d’avoir été victime de l’Histoire, d’une histoire à laquelle on a trop, trop cru. Il a été jeté en pâture à ses démons intérieurs puisqu’il a fait un délire de persécution ressenti de manière vive. Peut-être était-il réellement provoqué par quelque chose, je ne crois pas au hasard. Patrice Besnard : Par exemple, il se met des pièces sur les dents. On le voit de temps en temps avec une pièce de monnaie. D’après Zouzi que j’ai entendu, qui dit ça à moitié en rigolant, qu’il avait une peur que les dentistes lui posent des micros dans les dents pour l’espionner et que donc, en mettant une pièce de monnaie, ça le protégeait contre les écoutes. Donc une sorte de cage de Faraday qui protégeait. Most people got over it, but it was very traumatic. For all of us. Now, the last survivors of those days in Vincennes are retiring and being replaced by people who have been shaped by modern society's individualism, careerism and so on. When we were at university, we had no idea what "career" meant! Sound archive Student at a council budget meeting We oppose the transfer away from Vincennes. We held a press conference outside the campus in Saint-Denis and what did we see? The campus in Vincennes is twice as big as the campus in Saint-Denis. Music. Mohamed Hassen Zouzi Chebbi The move was like the destruction of Carthage by Rome. Misconceived, mistaken, secretive and shameful! Journalists were kept out while the destruction was going on. It was Apocalypse Now! Without being overdramatic, it brought to mind burning witches and stargazers in the Middle Ages. Computer beeps. Facebook page December 17, 2009. My idol! I love this group. Christian Meunier I'm pretty sure the move didn't bother him. On the contrary, moving to a working-class suburb was fine by him. The problem was the side effects of the move. Almost the whole Art department was Marxist-Leninist. They all underwent an ideological transformation, taking an interest in technology, abandoning Mao Zedong in favor of digital media, and so on. A guy who stuck up pro-Albanian posters must have felt out of place. Mohamed Hassen Zouzi Chebbi It's a very Christian attitude, being a victim of history or of something that you totally believed in. He was thrown to his own personal demons because he developed an acute persecution complex. Something must have triggered it. I don't believe in coincidence. Patrice Besnard He puts coins on his teeth, for example. Now and then, you'll see him with a coin... Only halfjoking, Zouzi said he must be scared a dentist might implant a bug in his teeth to spy on him, so the coin stops them wiretapping him—a kind of Faraday cage protecting him. Christian Lemeunier : Il y a aussi ça avec Gérard Girard : il y a eu un passé avec une vision du monde, et on fait comme si rien n’avait changé. Comme je disais, son côté vestimentaire : c’est le secrétaire d’arts plastiques qui me disait : « Ouais mais je lui ai amené des vêtements, on m’en a donné plein pour lui, mais il ne veut pas les mettre, il veut garder ses vieux vêtements ». Pourquoi il se met un slip sur la tête, tout ça ? Alors ça crée un élément un peu de surprise, mais le fait qu’il ait toujours les mêmes vêtements, ça fait quelque chose justement qui revient toujours et ça lui donne une crédibilité. Il est une sorte de moine. Voilà, c’est le moine errant. Enfin non, il n’est pas errant du tout puisqu’il est accepté… parce qu’il est d’ici. Mohamed Hassen Zouzi Chebbi : Avec lui, on parle de choses et d’autres. On ne parle jamais de lui, ou alors de manière tacite, par l’extra-langage. Disons que : « je ne te juge pas, je ne te considère pas comme une victime, je te considère comme un être qui a changé de forme ». Une transformation. Pour moi, sur le plan sentimental, bien sûr j’éprouve de la compassion et de la pitié. Mais disons que c’est moins pire que la mort. Musique. Voix dans les couloirs. Gérard Girard et Sophie Knapp S : Bonjour. G : Bonjour. C’est comment votre prénom ? S : Sophie. G : Vous voulez vous mettre de ce côté-là ou là ? S : Non là, c’est bien pour moi. G : Comme vous voulez. S : Vous étiez déjà en activité professionnelle quand vous êtes arrivé à Saint-Denis ? G : Non je n’avais aucune spécialité. Enfin j’avais une spécialité de salarié, de travailleur, d’ouvrier et de paysan. Et je n’avais que l’école primaire dans les mains. Il y a des gens dans la société comme moi, comme pas mal d’autres, qui venaient des milieux populaires. Enfin je ne veux pas trop personnaliser, mais enfin il y a dans les milieux populaires français, des gens qui sont les héritiers de peu de chose, en propriété matérielle et aussi en propriété spirituelle. J’arrive donc dans cette université en tant qu’autodidacte. Et la grande surprise qui va se produire, c’est qu’un autodidacte, il a beau être assez volontaire, ce n’est qu’un autodidacte. Et c’est ça la bizarreté de la situation : pour avoir accès dans de bonnes conditions à l’université, il ne faut pas être autodidacte. C’est une bêtise. S : Donc en fait, assez rapidement vous avez eu accès à un poste d’enseignant ? G : Ben j’ai eu accès… j’ai été élu en assemblée générale comme membre chargé de cours, faisant des heures d’enseignement en cinéma et plus exactement en photographie. Ça se passait en 1971. Et puis ensuite, en 1984, j’ai passé un doctorat en cinéma, justement sur l’Albanie. Et j’avais fait une erreur importante parce que j’avais repris la thèse des Albanais eux-mêmes qui était une thèse un peu gauchiste. Et il n’y a jamais eu moyen de la faire passer. Il n’y a que mon directeur de thèse qui a dit : « Oui, il l’a. » Il y avait un syndicaliste de la CFDT qui disait non, et puis un directeur de théâtre qui disait non. C’est couic ! Donc ça n’a pas pu être avalisé et moi ça m’a saboté ma profession. Christian Lemeunier There's a sense of Gérard Girard clinging to a world-view as if nothing had changed. His clothes, for example. An Art faculty secretary told me all kinds of people had brought in clothes for him, but he refused to wear them. He sticks to his old clothes. Why does he put underpants on his head, and all that? There's an element of surprise, but by wearing the same old clothes, he shows nothing changes and that gives him credibility. He's a kind of monk. The wandering monk. Actually, no, he's not wandering, because he's totally accepted. This is where he belongs. Mohamed Hassen Zouzi Chebbi I talk about all kinds of things with him, never about him, except implicitly, in coded terms. It's, I don't judge you. I don't see you as a victim. I see you as a being who's changed form. A transformation. Naturally, I feel sympathy and pity for him. But, you know, it's not as bad as dying. Music. Voices in hallways. Gérard Girard/Sophie Knapp S: Hello. G: Hello. What do they call you? S: Sophie. G: Do you want to switch or stay as we are? S: As we are is fine. G: It's up to you. S: Did you have a profession when you arrived at the university? G: I had no specialty. Except a specialty as a worker, laborer and farmer. I had only primary school in my hands. There are lots of people like me in society—without getting too personal—from working-class backgrounds, who haven't inherited much materially or spiritually. So, I was self-taught when I arrived at the university. I was in for a surprise because, however hard you try, a self-taught man remains a self-taught man. That's the strange thing—to make the most of the university, you shouldn't be self-taught. It's plain silly. S: You were soon appointed to a teaching position? G: I was appointed... I was elected by a general meeting to teach and give lectures in the Film department, and more specifically to teach photography. That was in 1971. Then, in 1984, I wrote a doctoral thesis in film studies, on Albania. I made a crucial mistake by supporting the Albanians' ideas, which were slightly leftwing. There was no way it would pass. Only my thesis supervisor said, Yes, he's got it. There was a CFDT union member and a theatre director who turned it down. They cut it. It was never passed and that threw a wrench in my profession. G : Moi, j’ai jamais l’heure sur moi. S : Il est midi moins dix. G : Vers midi et demi, on peut partir manger. Je vous invite. S : Ah non, c’est moi. G : Je vous en prie. S : On va où ? G : Ben, on ira de l’autre côté. Enfin, on sera de retour en l’espace d’une heure. Chaises traînées au sol, voix de Gérard Girard au loin Musique Christian Lemeunier : Moi je pense qu’il va y avoir un problème Gérard Girard, parce qu’en vieillissant, on ne développe pas que des qualités. Et qu’il est possible qu’il devienne, par exemple s’il est malade, s’il a trop de crises, si… il a peut être besoin d’autre chose que de la tolérance. Donc il va y avoir un débat en disant : « Allez, on l’enferme dans une maison de retraite ou dans l’H.P. [hôpital psychiatrique] ? ». C’est toujours un débat très délicat, surtout depuis Foucault, dans des institutions comme ça, voilà. Donc même s’il y avait un diagnostic psychomédical, ça va être très délicat. Jingle: Arte Radio... Christian Lemeunier Et la principale raison, c’est sa volonté. Il ne pourra jamais accepter d’être ailleurs qu’ici. Jingle: ... point com G: I never wear a watch. S: It's 11:50. G: At 12:30, we can get some lunch. It's on me. S: No, I'll get it. G: Please. S: Where shall we go? G: Across the way. We'll be done in an hour. Chairs scrape. Gérard Girard's voice in the distance. Music. Christian Lemeunier I think there's going to be a Gérard Girard problem because not everybody improves with age. It could be, if he's sick and has too many attacks... He may need something more than tolerance. We'll have to discuss putting him in a home or a mental hospital. It's always a delicate situation, especially since Foucault, dealing with institutions like that. Even if there's a proper psycho-medical diagnosis, it's going to be tricky. Jingle: Arte Radio... Christian Lemeunier The problem is convincing him. He'll never agree to leave here. Jingle: ... dot com