le « système Airbus » en Grande-Bretagne
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le « système Airbus » en Grande-Bretagne
UNIVERSITE DE TOULOUSE LE MIRAIL L’AERONAUTIQUE BRITANNIQUE : STRATEGIES INDUSTRIELLES ET MUTATIONS SPATIALES (le « système Airbus » en Grande-Bretagne)1 Frédéric Leriche [email protected] 1 Ce travail fait partie d’un programme de recherche « City » du Ministère de la Recherche sur l’industrie aéronautique et les villes en Europe, conduit avec Jean-marc Zuliani et Guy Jalabert. Il a donné lieu à des enquêtes de terrain en France et en Grande-Bretagne (en mars et avril 2001). Nous remercions l’ensemble des personnes qui ont acceptées de répondre à nos questions et de nous fournir les informations nécessaires à la réalisation de ce travail. 1 Introduction Fleuron de l’économie nationale, l’industrie aéronautique britannique s’est engagée depuis la fin des années 1970 dans un processus de repositionnement stratégique considérable à interpréter comme une illustration de la triple mutation des systèmes de production d’armement en cours dans les pays industriels. Cette triple mutation repose sur la privatisation des entreprises du secteur, sur la diversification de l’activité (c’est-à-dire en fait sur une réorientation vers le civil), et sur l’internationalisation des relations technologiques, industrielles, commerciales et financières2. Dans le cas britannique, la colonne vertébrale de ce repositionnement correspond au choix de BAe Systems3 en 1979 de s’engager dans le développement des programmes Airbus, comme sous-traitant dans un premier temps pour l’A300, puis, pour les programmes suivants, comme partenaire industriel impliqué du point de vue capitalistique à hauteur de 20% dans le capital de la société Airbus. Par voie de conséquence, l’aéronautique britannique s’est alors rapprochée de ses partenaires continentaux, et les activités civiles occupent désormais une place croissante dans un secteur traditionnellement dominé par l’activité militaire. Cette nouvelle stratégie industrielle se traduit par une recomposition géographique du secteur, tant à l’échelle internationale que sur le sol même de la Grande-Bretagne. Si quelques études sur l’industrie aérospatiale ou sur l’industrie de défense britannique ont été conduites4, les analyses portant spécifiquement sur l’aéronautique britannique civile sont encore rares5. En s’appuyant sur l’analyse du « système Airbus » en Grande-Bretagne, essentiellement à partir de données empiriques, l’approche adoptée ici vise à alimenter le débat sur le rapport entre industrie et territoire urbain. Elle permet de rappeler que les dynamiques spatiales du secteur ne peuvent s’expliquer exclusivement par ses dynamiques industrielles endogènes6 tant celles-ci sont influencées par d’autres facteurs, parmi lesquels les stratégies complexes des acteurs politiques mais aussi les stratégies financières des grands groupes industriels occupent une place de choix. Notre propos est principalement de mesurer l’impact et les enjeux territoriaux du déploiement des programmes Airbus dans les villes concernées par cette activité civile majeure, à savoir en l’occurrence essentiellement Chester et Bristol. Cependant, il paraît au préalable nécessaire de mesurer précisément la nature du repositionnement contemporain de l’industrie aéronautique britannique et de resituer cette activité dans l’économie nationale à travers le temps. 2 Concernant cette mutation, voir sur le cas spécifique de la France J-P. Hébert, 1995, Production d’armement : mutation du système français, La Documentation Française, Notes et Etudes documentaires, n° 5009-10, Paris ; voir aussi pour l’industrie d’armement en Europe et aux Etats-Unis J-P. Hébert, 2001, L’Europe de l’armement émerge lentement, in Alternatives Economiques, n°198, pp. 33-37. 3 C’est-à-dire en fait, British Aerospace (BAe) à cette époque. 4 Pour l’essentiel, ces travaux ne sont pas très récents : M. Breheny (ed.), 1988, Defense expenditure and regional development, Mansell Publishing Limited, Londres. ; J. Lovering, 1991, The British defense industry in the 1990s : a labor market perspective, in Industrial Relations Journal, pp. 105-117. ; J. Lovering, 1991, The changing geography of the military industry in Britan, in Regional Studies, vol. 25/4, pp. 279-293. Voir également pour une analyse des conséquences locales sur l’emploi de l’après-guerre froide P. et R. Gripaios, 1994, The impact of defense cuts : the case of redundancy in Plymouth, in Geography, Vol. 79/1, n°342, pp. 3241 ; ou encore D. Braddon et al., 1991, The impact of reduced military expenditure on the economy of South West England, Research Unit in Defense Economics, Bristol Polytechnic. 5 Relevons cependant : A. Mair (et al.), 1993, Airbus and the UK regions : recent developments, future prospects, Airline discussion paper, Warwick, 25 p. 6 Sur les répercussions spatiales de la croissance endogène de l’industrie aéronautique, voir cependant l’article théorique d’A. Scott, 1991, The aerospace-electronics industrial complex of Southern California : the formative years, 1940-1960, in Research Policy, Vol. 20/5, pp. 439-456. 2 I - L’INDUSTRIE AERONAUTIQUE BRITANNIQUE : UN SECTEUR EN REVOLUTION CONTINUELLE ? A de nombreux égards (nombre d’emplois, chiffre d’affaires du secteur, impact sur la balance commerciale, indépendance technologique nationale), l’industrie aéronautique britannique est un secteur important de l’économie nationale qui, de longue date, a suscité une grande attention de la part des gouvernements britanniques successifs. Depuis la fin de la décennie 1970, cette industrie s’est engagée dans un processus de reconversion dans lequel les programmes Airbus jouent un rôle déterminant ; ainsi, tant l’activité civile au sein de l’industrie nationale que les échanges financiers, industriels, commerciaux, technologiques et humains avec le continent européen se renforcent. Cependant la question de savoir si cette réorientation stratégique s’inscrit simplement dans la continuité logique d’un long processus de maturation capitalistique du secteur, où s’il s’agit là d’une véritable bifurcation historique reste pour l’instant posée. 1-Evolution capitalistique du secteur, évolution de l’emploi Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’industrie aéronautique nationale compte 35 entreprises de type « familial » (27 avionneurs, 8 motoristes)7. Si le gouvernement nationalise les compagnies aériennes (entre 1945 et 1951), il laisse dans le giron du secteur privé les entreprises industrielles. Cependant, conscient de la dispersion des firmes, dommageable à la lutte contre les coûts de revient et à l’efficacité globale du secteur, le gouvernement soutient de différentes manières l’inévitable processus de concentration qui débute dès la fin des années 19508. La réduction des commandes militaires accentue une crise latente qui conduit à la baisse de l’emploi (qui culmine à près de 300 000 salariés au début des années 1960) et au début d’un long processus de restructuration. Ainsi, en 1960, est créée la British Aerospace Corporation (BAC) par fusion de Vickers-Armstrong, English Electric, Hunting Aircraft et Bristol Aeroplane. L’intérêt des pouvoirs publics pour ce secteur industriel se confirme lorsque le Royal Aircraft Establishment, dès 1954, lance l’idée de produire un avion supersonique civil ; le gouvernement met en place en ce sens le Supersonic Transport Aircraft Committee en 1956. C’est là le début de l’aventure Concorde. Mais, ultérieurement, cet interventionnisme du gouvernement britannique prend une autre forme. En effet, les difficultés puis la liquidation du motoriste Rolls-Royce (qui avait racheté Bristol Siddeley Engines, motoriste localisé à Bristol, en 1966) conduisent le gouvernement à nationaliser cette entreprise en deux temps (1971 puis 1977). En 1977, le gouvernement constitue une entreprise nationalisée par la fusion de Scottish Aviation, de la British Aircraft Corporation et de Hawker Siddeley Aviation : British Aerospace9. Au cours des années 1980, ces entreprises sont à nouveau privatisées ; en deux étapes en 1981 et 1985 pour British Aerospace, en 1987 pour Rolls-Royce. Plus récemment, en 1999, à l’occasion de l’absorption de Marconi Electronic Systems, British Aerospace devient BAe Systems (figure 1). 7 Voir R. Wall, 2000, Bristol aircraft : a pictorial history of british achievement, Halsgrove ed., Tiverton. Voir G. Jalabert, 1968, Les industries aéronautiques britanniques, in L’information géographique, n°5, pp. 209223. 9 Cette agrégation-nationalisation marque alors la fin de l’indépendance de l’industrie aéronautique de Bristol. 8 3 Figure 1 : La concentration de l’industrie aéronautique et la création de BAe Systems M. E. S.* Sopwith Hawken Avro Hawker-Siddeley Aviation Armstrong Whitworth Gloster H.S.A.* BaeS* Folland Airspeed Aircor De Havilland Blackburn British Aerospace General Aircraft Vickers Vickers-Armstrong Supermarine B.A.C.* Bristol Aeroplane Co. English Electric Hunting Scottish Aviation 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 * B.A.C. : Bristish Aircraft Corporation * H.S.A. : Hawker Siddeley Aviation * M.E.S. : Marconi Electronic Systems * BaeS. : Bae Systems Source : Bae Systems Suite à cette série de concentrations, somme toute classique pour un secteur industriel positionné à l’avant-scène dans l’économie capitaliste contemporaine, l’industrie aéronautique britannique est désormais largement dominée par BAe Systems qui emploie 70 000 salariés en 4 Grande-Bretagne10 et pèse 68% du chiffre d’affaires national du secteur11. L’activité militaire représente toujours près de 80% du chiffre d’affaires de BAe Systems (et presque la totalité des profits), tandis que l’activité civile se décompose en une activité –bénéficiaire– liée à Airbus et localisée à Bristol et Chester (17%), et la production de jets régionaux –encore déficitaire– installée à Woodford (3%)12. Rolls-Royce, la deuxième entreprise du secteur, emploie quant à elle 28 000 salariés et son chiffre d’affaires représente près de 27% du secteur13 ; l’aéronautique civile représente 57% de l’activité de Rolls-Royce14. L’industrie aéronautique est historiquement un employeur important au sein de l’économie nationale. Les entreprises britanniques du secteur aérospatial dans son ensemble, membres de l’AECMA (European Association of Aerospace Industries), comptent plus de 135 000 salariés en 1999. Mais au cours des vingt dernières années, l’emploi a connu quelques aléas : le nombre de salariés baisse de quelque 250 000 en 1981 à 110 000 en 1995, pour remonter à la fin de la décennie 1990 (tableau 1). Cependant, en incluant l’emploi indirect lié à l’externalisation de certaines tâches (ingénierie, expertise…), le secteur recense tout de même quelque 350 000 salariés à la fin de la décennie 1990, ce qui relativise finalement le déclin de l’emploi sur le long terme. Tableau 1 : L’industrie aérospatiale en Europe (entreprises membres de l’AECMA), effectifs nationaux (en milliers), et parts nationales dans l’industrie européenne (en %) (1) 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Total AECMA 484,4 (100%) 512,9 (100%) 495,9 (100%) 495,3 (100%) 478,2 (100%) 494,3 (100%) 500,7 (100%) 504,1 (100%) 500,1 (100%) 498,4 (100%) 496,7 (100%) 464,5 (100%) 425,2 (100%) 387,1 (100%) 360,7 (100%) 342,3 (100%) 338,2 (100%) 344,6 (100%) 353,4 (100%) 358,4 (100%) GrandeBretagne 229,8 (47,4%) 249,9 (48,7%) 231,0 (46,6%) 222,0 (44,8%) 203,2 (42,5%) 206,7 (41,8%) 203,5 (40,6%) 207,2 (41,1%) 196,7 (39,3%) 189,9 (38,1%) 186,3 (37,5%) 167,6 (36,1%) 149,7 (35,2%) 132,0 (34,1%) 119,4 (33,1%) 110,6 (32,3%) 124,4 (36,8%) 131,5 (38,2%) 132,3 (37,4%) 135,4 (37,8%) France Allemagne Espagne 110,8 (22,9%) 113,7 (22,2%) 116,0 (23,4%) 127,3 (25,7%) 127,8 (26,7%) 127,1 (25,7%) 126,1 (25,2%) 122,3 (24,3%) 119,5 (23,9%) 120,3 (24,1%) 120,7 (24,3%) 118,3 (25,4%) 111,7 (26,3%) 105,6 (27,3%) 100,5 (27,9%) 97,5 (28,5%) 96,0 (28,4%) 95,3 (27,6%) 96,1 (27,2%) 97,0 (27,1%) 66,1 (13,6%) 68,6 (13,4%) 66,9 (13,5%) 65,7 (13,2%) 65,4 (13,7%) 77,3 (15,6%) 85,0 (17,0%) 86,6 (17,2%) 93,6 (18,7%) 94,5 (19,0%) 95,1 (19,2%) 86,3 (18,6%) 78,5 (18,4%) 72,9 (18,8%) 68,0 (18,8%) 63,3 (18,5%) 53,5 (15,8%) 52,7 (15,3%) 59,3 (16,8%) 60,7 (16,9%) 8,2 (1,7%) 9,5 (1,8%) 10,2 (2,0%) 10,5 (2,2%) 11,4 (2,4%) 11,8(2,4%) 12,0 (2,4%) 11,3 (2,2%) 11,8 (2,4%) 12,6 (2,5%) 12,6 (2,5%) 12,4 (2,7%) 11,1 (2,6%) 9,6 (2,5%) 9,4 (2,6%) 11,0 (3,2%) 10,8 (3,2%) 11,0 (3,2%) 11,3 (3,2%) 12,1 (3,4%) Autres pays (2) 69,5 (14,4%) 71,2 (13,9%) 71,8 (14,5%) 69,8 (14,1%) 70,4 (14,7%) 71,4 (14,5%) 74,1 (14,8%) 76,7 (15,2%) 78,5 (15,7%) 81,1 (16,3%) 82,0 (16,5%) 79,9 (17,2%) 74,2 (17,5%) 67,0 (17,3%) 63,4 (17,6%) 59,9 (17,5%) 53,5 (15,8%) 54,1 (15,7%) 54,4 (15,4%) 53,2 (14,8%) 1 : Les calculs sont donc effectués sur la base des membres de l’AECMA 2 : Belgique, Danemark, Italie, Pays-Bas, Suède Source : d’après AECMA 10 BAe Systems emploie au total 100 000 salariés dans le monde. Le chiffre d’affaires de BAe Systems est de 12 milliards de Livres, pour un total national de 17,6 milliards. 12 Voir la figure 2 pour la localisation de ces villes. 13 CA en 1999 : 4,75 milliards de Livres. 14 Voir B. Dufresne et Y. Dubourg, 2000, L’industrie aéronautique britannique, Poste d’Expansion Economique, Londres. Beaucoup des remarques qui suivent doivent beaucoup à ce remarquable travail. 11 5 Dans le concert européen, l’industrie britannique a connu une érosion relative en termes d’emplois au cours de la décennie 1980, puis elle s’est stabilisée au cours de la décennie 1990 (tableau 1). Quoi qu’il en soit et même si les effectifs actuels sont bien modestes au regard de ceux des années 1960, l’industrie aéronautique et aérospatiale britannique reste donc bel et bien la plus importante d’Europe avec un total (membres et non membres de l’AECMA) de 153 900 employés en 1998, devant la France (98 200 employés), l’Allemagne (69 900) et l’Italie (36 700). 2 - Privatisation, internationalisation et montée en puissance de l’activité civile Si l’industrie aéronautique et aérospatiale britannique relève donc aujourd’hui du secteur privé, son activité reste partiellement soutenue par le gouvernement via le budget de la Défense (plus de 40 milliards de dollars en 1998, dont 14 milliards en investissement), le plus élevé d’Europe avec celui de la France. Il faut cependant souligner que si l’importance de ce budget reflète le poids historique du secteur militaire dans l’industrie aéronautique nationale, les commandes gouvernementales constituent un débouché en déclin pour l’industrie : de 33% en 1980, la part des contrats gouvernementaux passe à 14% en 1999 (contre 25% dans le reste de l’Union Européenne et 45% aux Etats-Unis)15. Ainsi, progressivement, la régulation marchande de l’activité se substitue ainsi à la régulation publique. En effet, la double dépendance des entreprises, désormais privées, à l’égard du gouvernement et de l’activité militaire s’atténue et l’industrie se tournent vers le marché pour guider et structurer son processus de reconversion. Au cours des années 1980, l’activité militaire représentait encore les deux tiers du chiffre d’affaires de l’industrie (contre un tiers pour le civil). A partir de la fin de la décennie 1980, le chiffre d’affaires des entreprises aéronautiques a commencé à se répartir de manière à peu près équilibrée entre civil et militaire (tableau 2). Sur le long terme, le civil occupe donc une place croissante, bien que toujours inférieure à ce que l’on rencontre en Europe continentale où le rapport civil/militaire est globalement de l’ordre de 70% contre 30%. La montée en puissance de l’activité civile est également avérée par le fait qu’entre 1985 et 1999, le chiffre d’affaires civil du secteur augmente de 101% tandis que le chiffre d’affaires militaire baisse quant à lui de 9%16. Cet accroissement relatif des activités civiles s’explique par la conjonction du succès des programmes Airbus, dans lesquels BAe Systems est impliquée, et la contraction du budget de la Défense depuis la fin de la guerre froide. Tableau 2 : Le civil et le militaire dans l’industrie aéronautique britannique (en % du chiffre d’affaires) Civil Militaire 1990 45 55 1991 49 51 1992 52 48 1993 54 46 1994 52 48 1995 51 49 1996 46 54 1997 50 50 1998 49 51 1999 55 45 Source : d’après B. Dufresne et Y. Dubourg Cette reconversion de l’industrie vers l’activité civile et la régulation marchande s’est engagée plus tôt en Grande-Bretagne que sur le continent. L’une des répercussions de cette restructuration est que l’ensemble des grands acteurs de l’industrie s’engage dans une stratégie d’internationalisation à marche forcée : partenariats industriels et commerciaux, 15 16 Source : SBAC (The Society of British Aerospace Companies), Annual Review 1999-2000, Londres. Source : SBAC. 6 rachats d’entreprises. Par exemple, Rolls-Royce rachète le motoriste américain Allison (4000 salariés) en 1994, et son compatriote Vickers (7000 salariés) en 1999. Dans la seconde moitié de la décennie 1990 BAe Systems s’engage dans une vaste stratégie de développement externe en multipliant, d’une part, les accords de coopération et surtout, d’autre part, les rachats d’entreprises nationales britanniques (telle GEC Marconi), américaines (comme la division « Systèmes de contrôle » de Lockheed) et européennes continentales (la division « Electronique de défense » de Siemens). Au final, largement soutenue par le gouvernement des Etats-Unis afin de rendre difficile l’européanisation du secteur de la défense17, la fusion industrielle transatlantique est bien avancée ; entre janvier 1997 et mi-2000, la SBAC recense ainsi « 23 rachats de sociétés aéronautiques américaines par des sociétés britanniques et 27 rachats de sociétés britanniques par des sociétés américaines » (Dufresne et Dubourg, 2001)18. Cependant, bien qu’en retrait par rapport aux Etats-Unis, les relations industrielles s’intensifient avec l’Europe continentale dans la mesure ou les différents programmes civils et militaires chapeautés par EADS intéressent commercialement les groupes britanniques : « les industriels britanniques de l’aéronautique et de l’espace réaffirment leur attachement aux programmes européens et tout particulièrement à ceux d’Airbus. » (Beauclair, 2002)19. 3 - Géographie commerciale et industrielle Finalement, la restructuration de l’industrie aéronautique britannique s’est avérée une stratégie économiquement efficace. Entre 1985 et 1999, les exportations augmentent de 50%20, le chiffre d’affaires par salarié augmente de 83%21. Quant à ses répercussions sur le commerce extérieur, cette stratégie s’avère également payante (tableau 3). De plus en plus grâce aux activités civiles, l’industrie dégage en effet un excédent commercial confortable compris entre 2 et 3 milliards de Livres au cours des années 1990. Tableau 3 : Le solde commercial de l’industrie aéronautique (en milliards de Livres) Civil Militaire Total 1990 0,5 0,9 1,5 1991 1,1 1,5 2,6 1992 1,4 1,4 2,7 1993 1,9 0,3 2,2 1994 1,6 0 1,6 1995 3,1 -0,6 2,5 1996 2,4 0,2 2,6 1997 1,3 1,9 3,1 1998 2,1 0,6 2,6 1999 3,8 -1,7 2,1 Source : d’après B. Dufresne et Y. Dubourg Géographiquement, les échanges privilégient les pôles européen et américain, avec lesquels l’industrie aéronautique britannique effectue entre 75 et 80% de son commerce extérieur. Mais des différences sont notables dans la nature des relations commerciales avec les principaux partenaires (tableau 4). Le solde est négatif (-0,6 milliards de livres) avec l’Amérique en raison des achats d’avions commerciaux à Boeing par les compagnies aériennes et des achats de matériel militaire américain par le Département de la Défense. En 17 Voir J-P. Hébert, op.cit. Op. cit. p. 18. 19 N. Beauclair, 2002, L’industrie britannique se veut pro-Airbus, in Air & Cosmos, n°1851, pp.10-12. 20 Avec bien sûr des variations inter-annuelles, les exportations représentent environ 70% du chiffre d’affaires du secteur. 21 Source : SBAC. 18 7 revanche, le solde est positif (2,4 milliards de Livres) avec l’Union Européenne grâce essentiellement aux activités civiles, le programme Airbus en l’occurrence, ce dont BAe Systems bénéficie largement. Les exportations de l’industrie aéronautique civile connaissent en effet une expansion marquée depuis quelques années (4,8 milliards de Livres en 1990, 5,1 milliards en 1995, 9,4 milliards en 1999). Tableau 4 : Structure géographique du commerce extérieur de l’industrie aéronautique (en 1999, en milliards de Livres) Amériques Union Européenne Europe hors UE Asie & Océanie Afrique & Moyen Orient Total Exportations Importations 4,5 5,1 4,2 1,8 0,4 0,4 1,3 0,9 0,8 0,8 11,2 9,1 Solde -0,6 2,4 0 0,4 0 2,1 Source : d’après B. Dufresne et Y. Dubourg En conséquence, cette expansion de l’activité civile, reposant en grande partie sur le programme Airbus, tire la croissance depuis quelques années. Ce qui n’est pas sans impact sur les territoires concernés par cette activité civile, à savoir essentiellement Bristol-Filton et Chester-Broughton impliqués dans la production des ailes pour les Airbus, mais aussi dans une moindre mesure Woodford (au sud de Manchester) où sont produits les jets régionaux de BAe Systems. Sur le moyen terme, les perspectives de ces territoires sont assez encourageantes dans la mesure où la SBAC prévoit que l’ascension de l’industrie civile est appelée à se maintenir. Ainsi, si les dépenses militaires (recherche et développement, commandes d’équipement) ont largement participé à la structuration géographique de l’industrie aéronautique22, il semble désormais que l’activité civile joue un rôle croissant dans les dynamiques territoriales de cette industrie. Quoi qu’il en soit, la répartition spatiale des établissements relevant de l’industrie aéronautique et aérospatiale fait désormais apparaître trois grandes concentrations (figure 2). La première, située autour de Londres et dans le sud-est du pays, est la plus importante ; elle accueille par exemple de nombreux sous-traitants, les activités aérospatiales (missiles, satellites), et le siège social de BAe Systems (à Farnborough). La seconde dessine un arc de cercle depuis la région de Bristol au sud jusqu’à la conurbation de Liverpool et Manchester ; elle intègre donc les usines Rolls-Royce (Derby), le site de production des avions régionaux (« Regional jets », RJ et RJX) de BAe Systems (Woodford) et les sites de production d’avions militaires près de Preston (Warton et Samlesbury). La troisième se trouve en Ecosse ; c’est la moins importante, où BAe Systems fabrique par exemple des avions d’affaires. L’industrie aéronautique et aérospatiale britannique apparaît au final comme moins concentrée que celle de ses rivaux et partenaires européens23. 22 M. Breheny (ed.), 1988, Defense expenditure and regional development, Mansell Publishing Limited, Londres. 23 Voir sur ce point P. Beckouche, 1996, La nouvelle géographie de l’industrie aéronautique européenne : entre monde et nations, L’Harmattan, Paris, et en particulier les quelques pages sur le Royaume-Uni (pp.108-118). 8 Figure 2 : Répartition régionale des établissements industriels (aéronautique et aérospatiale, 2000) UK REGION TOTAL SITES East Midlands Eastern London North East North West Northern Ireland Scotland South East South West Wales West Midlands Yorkshire and Humberside (n/a) Grand Total Source : d’après SBAC 9 47 104 116 9 150 12 125 326 169 20 75 39 28 1220 II - LA STRUCTURE SPATIALE DE LA FILIERE AIRBUS L’activité civile relevant du programme Airbus est localisée dans les deux binômes urbains de Bristol-Filton et Chester-Broughton24, dans les usines de Airbus UK (filiale de BAE Systems), essentiellement chargées de la fabrication des ailes. Dans les grandes lignes, la division spatiale du travail entre les deux sites s’organise selon une hiérarchie fonctionnelle assurant à Bristol-Filton les fonctions de conception, de design, de recherche et de test final, et à Chester-Broughton les fonctions de production, d’assemblage, de conditionnement et d’envoi des ailes. L’analyse des relations entre ces deux binômes montre que ces « deux sites fonctionnent comme une unité » (G. Hodge)25. Dans chacun de ces deux binômes, l’impact de l’industrie aéronautique est considérable, tant en termes de développement urbain (emploi, aménagement…) qu’en termes de construction d’interdépendances territoriales. 1 - Organisation géographique de la production Les activités conduites à Bristol-Filton sont en fait relativement diversifiées, même si pour l’essentiel celles-ci relèvent des programmes Airbus, et en particulier des études concernant les ailes des Airbus. La diversité des activités du site se lit dans la répartition des 5770 emplois de l’usine26. Ainsi, 4270 personnes font ici partie d’Airbus UK. Parmi celles-ci, 500 travaillent dans les services de direction (200) et des achats (300). L’activité ingénierie occupe 2000 personnes (chercheurs et ingénieurs pour l’essentiel) : bureaux d’études pour la conception des ailes, recherches sur les matériaux et l’aérodynamique, réalisation de tests. Cependant, l’activité de production industrielle occupe tout de même 1770 salariés pour diverses réalisations : équipements en systèmes électriques des ailes de l’A320 (assemblées à Chester-Broughton puis envoyées à Filton pour cette opération finale avant d’être expédiées à Toulouse), partie du fuselage pour l’A321 mais aussi pour les Jets Régionaux (RJ et RJX), pièces spéciales (pour les ailes des A330/340). C’est donc bien à Bristol-Filton que se trouve l’organe stratégique d’Airbus UK, avec la direction générale qui définit les orientations stratégiques et négocie les priorités du groupe auprès des partenaires, avec le service achat dont le rôle est primordial auprès des réseaux de sous-traitants, avec les tâches « conceptuelles » des programmes (recherche et ingénierie sur l’aérodynamique, les matériaux, les structures, l’intégration des systèmes), et la conception et production d’éléments complexes qui requièrent également des compétences de haut niveau. Par ailleurs, sur le site se trouvent également 1500 salariés employés dans le cadre de différentes activités, liées ou non au programme Airbus : systèmes d’alimentation en carburant, fuselage central pour les jets régionaux, sous-systèmes pour les trains d’atterrissage, conduites à haute pression et divers composants spéciaux. L’ensemble de ces éléments est acheminé vers les sites d’assemblage, Chester-Broughton et Woodford en Grande-Bretagne, ou encore Hambourg et Toulouse, soit par la route ou par les airs (jets internes et Beluga). Le programme de l’A380 devrait concourir au renforcement du pôle de compétence de Filton et, 24 Nous parlons ici de « binômes urbains » et non simplement de villes car si l’on pense immédiatement à Bristol et à Chester, les usines sont en réalité établies sur les territoires communaux de Filton et de Broughton. Ce qui complique sérieusement les stratégies des acteurs publics et privés, en particulier dans le cas de Broughton, située dans le Pays de Galles. Voir plus bas les enjeux politiques, culturels et territoriaux. 25 Entretien avec Grenville Hodge. 26 Source : Airbus UK, chiffres 2001. 10 à terme, conduire au recrutement de 600 à 700 personnes supplémentaires sur le site, des ingénieurs pour l’essentiel. En revanche à Chester-Broughton, l’activité, centrée sur la fabrication des ailes pour les Airbus27, est essentiellement manufacturière. En 2001, l’usine emploie près de 4900 salariés28. La très grande majorité de ces salariés (soit environ 4500 personnes, dont un peu plus de 4200 permanents et environ 300 travailleurs temporaires) est affectée à la production manufacturière ; 3100 d’entre eux sont directement affiliés à la fabrication des ailes (assemblage des éléments métalliques, installation de l’équipement électrique et des soussystèmes, peinture…), tandis qu’un peu plus de 1400 salariés relèvent de « l’emploi indirect » (réception des pièces, fonctionnement de l’usine et de l’outil de production, conditionnement et acheminement de la production…). Quant aux services non directement liés à la production manufacturière (direction, gestion du personnel, sécurité…), ils n’occupent que quelque 350 personnes, confirmant ainsi la place de Chester-Broughton dans la division spatiale du travail. Pour autant, si les qualifications requises à Broughton n’atteignent pas les niveaux de celles de Filton, elles nécessitent tout de même des compétences d’un certain niveau propres à la technicité des biens produits. Par ailleurs, dans ce site, l’impact attendu du programme A380 est bien plus conséquent qu’à Filton ; Airbus UK prévoit en effet de recruter environ 1500 personnes nouvelles : 1100 pour la production industrielle, 400 pour le non-manufacturier. Ce qui ferait monter le nombre d’employés du site à près de 6400 à l’horizon 2009. Notons que le programme A380 bénéficie de la progression d’Airbus UK sur la « courbe d’apprentissage » dans les domaines de l’aérodynamique, de la résistance des matériaux mais aussi de la fabrication. Ainsi, l’automation de la production se renforce ; la robotisation du processus d’assemblage des ailes se développe (cf. le « Automated Wing Box Assembly-AWBA), limitant relativement le besoin en main d’œuvre. La structure spatiale de la production peut être lue à une autre échelle, à travers les relations de sous-traitance qui lient les sites de Bristol-Filton et Chester-Broughton à d’autres territoires industriels. En fait, il convient de distinguer deux réseaux de sous-traitance qui co-existent (voir figure 3). Le premier est d’envergure nationale ; quelques entreprises établies sur le sol britannique participent ainsi aux activités de Airbus UK. On peut citer notamment les établissements de Smiths Industries (système de gestion de vol, pièces pour le système d’alimentation en carburant), de Messier Dowty (système de commande de vol), ou encore de GKN Westland Aerospace (design et réalisation de composants de nacelles et d’éléments de structure, matériaux composites). Le second réseau de sous-traitance participe des logiques d’internationalisation qui se sont accélérées depuis la phase de reconversion vers l’activité civile et la régulation marchande au cours des années 1980. Finalement, ce réseau mondial de sous-traitants est extrêmement étoffé ; il articule quelques entreprises asiatiques, mais aussi et surtout des entreprises européennes ou étasuniennes ainsi que des entreprises britanniques implantées en Europe continentale ou en Amérique du Nord. Le réseau de sous-traitance de Airbus UK est donc largement internationalisé, à quelques notables exceptions près. Il apparaît donc que dans ses choix de sous-traitants Airbus UK ne privilégie pas particulièrement les entreprises britanniques. En fait ces deux réseaux de sous-traitants (national et international) sont pour ainsi dire mis en concurrence, et il est vraisemblable que 27 L’usine exerce cependant une activité résiduelle d’assemblage des ailes et du fuselage pour les « business jets » de Hawker. 28 Source : Airbus UK ; les chiffres, arrondis pour faciliter la lisibilité des informations, sont à prendre comme des ordres de grandeur, toutefois assez précis. 11 le développement des NTIC réduise quelque peu le rôle du face-à-face, abondant ainsi dans le sens de la mondialisation de la sous-traitance29. Corrélativement, en dehors des grands donneurs d’ordres, l’activité aéronautique locale (soustraitance, activités périphériques) est relativement peu développée. Elle concerne essentiellement les activités de service supérieur (ingénierie, génie logiciel…) et très peu l’activité de production industrielle. Ainsi quelques entreprises de conseil et d’ingénierie informatique se développent à Bristol-Filton. En guise d’exemples, peuvent être signalées deux entreprises implantées dans le parc d’activité « Aztec West », à quelques kilomètres au nord de BAe Systems et Rolls Royce : WS Atkins Science & Technology (90 salariés, spécialisée dans la résistance des matériaux) et Zukan Redac UK Ltd. (140 salariés, spécialisée en CAO et industrialisation assistée par ordinateur)30. A Broughton la modestie de ce réseau d’entreprises intervenant dans la sous-traitance aéronautique est encore plus frappante. Peuvent être signalées : CK Technologies Inc. (10 salariés, électronique embarquée), European Aviation Services (10 salariés, conseil et ingénierie), Hawarden Air Services (10 salariés, maintenance d’avions). Au final, les relations de sous-traitance d’Airbus UK ne génèrent pas un véritable « effet cluster » comme c’est le cas à Toulouse qui, accueillant les chaînes d’assemblage final, polarise les entreprises désireuses d’avoir un accès direct au donneur d’ordre majeur de l’activité. Nous reviendrons ultérieurement sur ce point crucial, qui s’explique par un faisceau de facteurs convergents. 29 30 Entretien avec Grenville Hodge. Source : Directory of high technology companies, West of England Strategic Partnership. 12 Figure 3 : Un réseau global de sous-traitants AMERIQUE DU NORD GRANDE-BRETAGNE Messier Dowty, Canada ADI, USA C&D Interiors, USA Contour Aerospace, USA Ralee, USA The Aerostructures Corp. , USA BF Goodrich (roués, freins) , USA Vickers Sterers, USA Allied Signal, USA Bae Military Aircraft (Salmesbury & Brough) GKN, Westlands Lucas Aerospace, Europe Smiths, Harlow Ultra Electronics, Greenford FR-Hitemp, Wimbourne Aerostructures Hamble, Hants Smiths Industries, Glos General Engineering, Ilford Trim Engineering, Dorset Dowty Group, Europe Messier Dowty, Gloucester Bae Aerostructures Ltd, Chadderton Airbus UK EUROPE CONTINENTALE RESTE DU MONDE Messier Dowty, France Intertechnique, France Messier Bugatti, France Asco, Belgique Fokker, Pays-Bas Swiss Federal, Suisse Liebherr, Allemagne Daewoo, Corée-du-Sud Kawasaki Heavy Ind., Japon Samitomo, Japon Catie, Chine Hawker De Havilland, Australie Source : d’après Airbus UK 13 Plus spécifiquement, les relations entre les sites britanniques et Toulouse sont relativement denses. En plus des liaisons induites par le transport des produits par le Beluga, on relèvera que chaque jour, une navette relie Filton à Toulouse pour transporter des employés, qui effectuent des déplacements de courte durée –encore que là aussi les NTIC atténuent l’impératif du face-à-face– ou des séjours de plus longue durée, dans les bureaux d’études, le service des achats ou sur les chaînes d’assemblage, pouvant atteindre quelques mois31. 2 - Airbus dans les systèmes urbains de Bristol et de Chester En termes d’emplois, les répercussions de l’activité aéronautique et aérospatiale sont bien sûr considérables, tant à la hausse qu’à la baisse. Si, grâce aux programmes Airbus (celui de l’A380 en particulier), le secteur aéronautique est aujourd’hui globalement créateur d’emplois à Bristol-Filton et Chester-Broughton, il n’en a pas toujours été ainsi et ce secteur a connu des fluctuations historiques notables, jusque dans les années 1990 qui ont vu diminuer les dépenses militaires32. Avec la fin de la guerre froide, c’est plus généralement l’ensemble du complexe de haute technologie lié à l’activité de défense qui traverse une véritable crise, à Bristol, mais aussi dans d’autres villes de l’industrie militaire du sud-ouest britannique ou plus généralement des pays industriels33. Cependant, à la fin de la décennie 1990, tant à Bristol qu’à Chester le marché du travail est dynamique, en partie grâce à la croissance récente de l’emploi dans les établissements d’Airbus UK. Pour autant, dans ces deux binômes urbains, le secteur manufacturier subit les tendances générales au déclin des effectifs, tandis que le secteur des services est quant à lui générateur d’emplois. Ainsi dans le bassin d’emplois de Bristol34, entre 1991 et 1998, la part de l’industrie dans l’emploi total passe de 17,4% à 13,8%. Cette évolution se lit également dans le fait qu’au cours de cette période l’industrie perd 14,3% de ses salariés, tandis que les services en gagnent 13,5% (tableau 5). Mais à l’intérieur de l’industrie, le contraste est saisissant entre le secteur des équipements de transport qui, en dépit de la bonne santé actuelle d’Airbus UK, est en déclin sur l’ensemble de la période considérée (-39,8%) et les équipements optiques et électriques (+57,9%). A Bristol, comme dans la plupart des grandes métropoles, la tertiarisation de l’économie locale s’appuie en particulier sur la croissance des services supérieurs (activité financière et conseil au entreprises, +16,3%) faisant de Bristol un centre financier de second rang, de la distribution (+13,2%), de la santé et des services sociaux (+22,2%). 31 Au total, Ray Wilson estime à environ 200 le nombre de Britanniques qui travaillent à Toulouse dans le cadre des programmes Airbus. 32 Voir J. Lovering, 1989, BAe Systems in Bristol : what future ?, Bristol City Council and University of Bristol ; voir également R. Wall, op.cit., pour une perspective historique, et voir le tableau 1 pour des données chiffrées à l’échelle nationale portant sur la période contemporaine. 33 Voir P. et R. Gripaios, 1994, The impact of defense cuts : the case of redundancy in Plymouth, in Geography, Vol. 79/1, n°342, pp. 32-41 ; voir également sur le cas emblématique de Los Angeles A. Scott, 2000, L’urbanisme industriel en Californie du Sud : les dilemmes et les occasions civiques de l’ère post-fordiste, in G. Benko et A. Lipietz, La richesse des régions, PUF, Paris, pp. 169-198. 34 Bassin d’emplois : TTWA (Travel To Work Area) 14 Tableau 5 : Evolution de l’emploi à Bristol (1991-1998, TTWA) Emploi total Industrie Equipement de transport Equipement optique et électrique Services 1991 320 362 55 724 16 888 3 278 244 093 70 703 52 845 30 388 Finance et services aux entreprises Distribution, gros et détail Santé et travail social Source : Census of Employment, cité in K. Bassett 1998 346 028 47 772 10 164 5 177 277 033 82 240 59 821 37 134 Variation +25 666 -7 952 -6 724 +1 899 +33 940 +11 537 +6 976 +6 746 % +8,0 -14,3 -39,8 +57,9 +13,5 +16,3 +13,2 +22 ;2 Si nous ne disposons pas des mêmes informations concernant le marché du travail à ChesterBroughton, il est tout de même possible de donner quelques indications générales. Dans ce cas, il faut clairement distinguer Chester de Broughton. Chester est une ville dans laquelle l’industrie occupe traditionnellement une place très modeste ; elle représente en 1997 quelque 8% de la population active35. L’économie de Chester est donc largement dominée par les services qui représentent 82% de l’emploi total, répartis entre différentes grandes branches : tourisme (près de 30%), distribution commerciale (environ 20%), administration publique (32%), finance et services aux entreprises (21%). A proximité immédiate, Broughton (commune de l’Alyn & Deeside District) fait partie d’un comté dans lequel la situation est pourtant diamétralement différente ; dans le comté de Flintshire en effet, les services représentent 55% de l’emploi total, tandis que l’industrie occupe près de 38% de la population active36. L’activité aéronautique de Airbus UK (près de 4900 salariés) marque ainsi fortement sa présence dans la structure de l’emploi du côté gallois de la frontière. L’aéronautique occupe donc une place différente dans les territoires concernés par la filière Airbus en Grande-Bretagne. Dans chacune de ces villes, l’industrie aéronautique, même si elle constitue un pilier de l’économie urbaine, occupe une place plus ou moins importante, et le statut de cette activité oppose diamétralement Chester, Broughton et Bristol. Fondée par les Romains, la ville de Chester est en effet dotée d’un patrimoine historique et architectural (romain et surtout médiéval) extrêmement riche, grâce auquel l’activité touristique, qui représente près de 30% de la population active, occupe une position prépondérante dans l’économie locale. Plus récemment, la ville a cherché à diversifier ses bases économiques en aménageant des zones d’activités destinées à accueillir de nouvelles entreprises. Cette stratégie, emblématique des mutations de la politique urbaine en GrandeBretagne37, est couronnée de succès puisqu’elle débouche en particulier sur la croissance remarquable du secteur « finance et services aux entreprises » (qui passe en fait de 5% de l’emploi tertiaire en 1981 à 21% en 1997) 38. En conséquence, si la région de Chester parvient à se diversifier, c’est en partie grâce aux stratégies des pouvoirs publics locaux, qui ont 35 Ce chiffre traduit une augmentation récente, tant en raison de la croissance des entreprises industrielles locales que des investissements industriels consentis par des entreprises extérieures et localisés dans deux nouvelles zones d’activité. Ce point est discuté plus bas. 36 Source : Flintshire County, Business directory, 2000. 37 Pour une théorisation des transformations des politiques urbaines et de la gouvernance locale en GrandeBretagne, voir N. Oatley (ed.), 1998, Cities, economic competition and urban policy, Paul Chapman Publishing, Londres. 38 Source : Chester City Council, Towards the year 2002. 15 conduit une politique de développement fondée sur un appui aux entreprises existantes, sur l’aménagement de parcs d’activités et sur l’accueil d’activités de services dynamisés par les processus de la mondialisation. En revanche, de l’autre côté de la frontière séparant l’Angleterre du Pays de Galles, le comté de Flintshire, et en fait une partie du nord-est du Pays de Galles, est un ancien « pays noir »39, dans lequel même l’industrie aéronautique tendait à péricliter. En effet, l’entreprise étasunienne Raytheon programmait à la fin de la décennie 1990 de fermer son activité de maintenance, installée sur le site de l’aéroport Hawarden de BAe Systems (à Broughton) ; il faut que les pouvoirs publics interviennent pour que Raytheon revienne sur sa décision. Raytheon Aircraft Services, qui assure donc de la maintenance (entretien, réparation, modification) d’avions, y compris bien sûr ceux de la gamme Raytheon, représente tout de même près de 300 salariés. Cependant ce territoire parvient à se développer à nouveau depuis deux décennies grâce à toute une série de facteurs convergents. Tout d’abord, la route A55, construite dans les années 1980-1990, permet de relier rapidement le comté aux autoroutes M53 et M56 en direction de Liverpool et Manchester, désenclavant ainsi la région (voir figure 4), et des investissements étrangers (Etasuniens, Allemands ou Japonais40) et Britanniques se sont dès lors plus facilement orientés vers le comté41. En prenant appui sur ces investissements extérieurs, l’économie locale est parvenue à se reconstituer comme une sorte d’atelier de production dans différents domaines : pharmacie et santé (Convatec Ltd., installée en 1980, emploie plus de 1000 salariés), alimentation (Headland Foods Ltd., entreprise locale crée au milieu des années 1970 puis établie en 1990 dans le Castle Park à Flint, emploie près de 500 salariés), mais aussi, grâce à de nombreuses petites entreprises, électronique et informatique. Ensuite, du côté britannique, le comté de Chester (Chestershire) est un lieu de résidence prisé par la haute bourgeoisie de Liverpool et Manchester ; classiquement, cette population fait pression pour « la protection de l’environnement », c’est-à-dire contre tout développement industriel excessif susceptible de dégrader ses conditions de vie. Consécutivement, la localisation des activités industrielles s’effectue préférentiellement dans le comté de Flintshire en Pays de Galles. Enfin, bien évidemment, les stratégies spécifiques de BAe Systems visant à prendre part au développement d’Airbus ont favorisé le redémarrage d’une activité aéronautique qui imprime désormais fortement son empreinte sur la vie économique locale. La fabrication des ailes à Broughton est en effet l’opportunité de reconvertir une usine fragilisée par le déclin de l’activité « business jets » qui s’y déroulait. Et, là aussi, les pouvoirs publics ont récemment encore accompagné la croissance de l’industrie aéronautique. En particulier, l’Assemblée Nationale Galloise a ainsi accordé une aide à Airbus UK de 19,5 millions de livres pour la construction des bâtiments destinés à la fabrication des ailes de l’A380, et 6 millions supplémentaires pour la formation de la main d’œuvre42. 39 Dans le Comté de Flintshire, comme ailleurs, l’industrie traditionnelle (sidérurgie, exploitation du charbon, industrie textile) s’effondre dans les années 1970. Cependant, l’entreprise métallurgique British Steel Plc y emploie toujours plus de 1000 salariés. Source : Flintshire Business Directory, 2000. 40 Toyota par exemple dispose depuis 1991 d’une usine de fabrication de moteurs automobiles, située dans le Deeside Industrial Park (voir figure 7). Les moteurs sont ensuite envoyés à Valenciennes et à Derby. 41 Entretien avec Dave Heggarty. 42 Les enjeux, considérables, liés à cette question du développement de l’usine de Broughton sont discutés en troisième partie. 16 Figure 4 : Chester-Broughton dans son contexte régional Frontière Pays-de-Galles-Angleterre Limite de comté Limite de district Principal axe routier Ville et espace urbanisé Quant à elle, la ville de Bristol a traversé une longue histoire économique qui repose sur le commerce maritime43 (vin, esclaves dans le cadre du commerce triangulaire…), puis également sur une activité proto-industrielle et industrielle (verre, porcelaine, travail des métaux –fer, laiton, cuivre–, coton, tabac, chocolat). La ville se développe spectaculairement à partir du XVII.iéme siècle, puis aux XVIII.ième et XIX.ième siècles, bien que la révolution industrielle concentre alors les intérêts dans des villes situées plus au nord en Angleterre. A partir du début du XX.ième siècle, l’aventure aéronautique porte la prospérité et le dynamisme de Bristol. Aujourd’hui, si l’économie urbaine est encore largement imprégnée de l’activité aéronautique autour de BAe Systems et de Rolls-Royce, elle est cependant de plus en plus diversifiée ; Bristol se tourne en effet vers la sous-traitance dans le domaine des services financiers pour Londres et vers les activités « culturelles » (multimédia, production cinématographique…), ce qui se traduit par la spectaculaire croissance du secteur « finance et services aux entreprises » au cours des années 1990. Le développement historique de l’aéronautique au cours du XX.ième siècle pourrait rapprocher Bristol de Toulouse, mais alors 43 Bristol est une ville portuaire ; c’est de Bristol que part Jean (John) Cabot en direction de l’Amérique du Nord. 17 que Toulouse, comme positionnée à la tête du réseau des villes européennes de l’aéronautique civile, accroît les économies d’échelle externes en se spécialisant toujours plus dans ce secteur et en polarisant les entreprises et les emplois, Bristol, située en quelque sorte en périphérie du système Airbus, se diversifie pour devenir un relais de la capitale dans les services financiers et les activités directionnelles. 3 - Airbus, trajectoires de développement et interdépendances territoriales En fait, le choix stratégique de BAe Systems de participer aux programmes Airbus à partir de 1979 est lourd de nombreuses implications, tant pour l’entreprise que pour les territoires dans lesquels elle est intégrée. Cette décision renforce en effet la spécialisation des établissements de Bristol-Filton et de Chester-Broughton dans le domaine des ailes. Ce qui, parallèlement, signifie que l’entreprise renonce à ses compétences et à son savoir-faire dans d’autres domaines, comme les gros porteurs. L’arrêt du programme Concorde en 1979 marque ainsi la fin de la compétence de Bristol en matière de conception et d’assemblage complet pour ce type d’avion. Certes, ce choix accélère la progression de BAe Systems sur la courbe d’apprentissage dans le domaine retenu, celui des ailes, améliorant ainsi la compétitivité globale de l’entreprise dans ce segment ; mais il accroît corrélativement la complémentarité et les relations de dépendance entre les différentes entreprises impliquées dans la filière Airbus et donc, au final, entre les territoires concernés à l’échelle internationale. Cette coopération entre des établissements toujours plus spécialisés et performants, qui implique un minimum de confiance entre les partenaires, est sans doute un facteur essentiel du succès d’Airbus44. En revanche, il est essentiel de souligner que pour Bristol-Filton, cette décision implique un renoncement à rester un territoire de conception des programmes susceptible de polariser équipementiers et soustraitants. En conséquence, si l’on voit apparaître un « milieu » aéronautique à Toulouse, l’effet « milieu » n’est pas aussi clairement perceptible à Bristol-Filton, encore moins à ChesterBroughton. Pour comprendre cette situation, il faut faire intervenir tout un faisceau de facteurs explicatifs. Ainsi, aux côtés des choix stratégiques de BAe Systems, mais aussi de l’internationalisation des partenariats commerciaux et industriels et des relations de soustraitance, discutée ci-dessus, on soulignera le fait que l’absence de véritable tradition industrielle à Bristol et à Chester dans des domaines connexes a nuit à l’émergence d’un « cluster » aéronautique dans ces villes45. Par ailleurs, facteur trop souvent négligé, les dimensions spatiales relativement modestes de la Grande-Bretagne jouent un rôle considérable dans la mesure où les informations ou les compétences nécessaires ne sont jamais très éloignées géographiquement. La taille du pays conduit ainsi à recruter la main d’œuvre non seulement localement, mais à l’échelle nationale, à rechercher des sous-traitants dans un rayon élargi, ou encore à se rendre à Londres rapidement si nécessaire46 (figure 5). 44 Entretien avec Grenville Hodge. Entretien avec Ray Wilson. 46 Bristol est à quelque deux heures de route de l’agglomération industrielle du grand Londres, mais aussi du siège social de BAe Systems à Farnborough. 45 18 Figure 5 : Bristol dans le sud britannique Principal axe routier Villes et espace urbanisé Base militaire En conséquence, il paraît peu approprié d’analyser l’industrie aéronautique britannique à travers les notions de « cluster », de « système productif localisé » (SPL) ou encore de « district industriel ». Si cette notion est assurément pertinente pour appréhender le cas de Toulouse, il semble que l’idée de « chaîne nationale de sous-traitants » avancée par le Department of Trade and Industry (DTI) est plus adaptée pour saisir la situation britannique. Si le pôle aéronautique de Bristol-Filton dans son ensemble (c’est-à-dire BAe Systems et Rolls Royce) a tout de même générer un réseau de sous-traitance de capacité, ce réseau est sans commune mesure avec la densité industrielle du secteur à Toulouse. A ce titre, l’analyse des répercussions des programmes Airbus en Grande-Bretagne comporte des enjeux théoriques non dénués d’intérêts qui mériteraient de plus amples analyses. 19 III - L’ORGANISATION TERRITORIALE DES METROPOLES Tant à Bristol-Filton qu’à Chester-Broughton, la croissance urbaine est remarquable. Mais cette croissance ne repose en fait que partiellement sur la dynamique de l’activité aéronautique induite par les succès du programme Airbus. Comme nous l’avons vu précédemment, d’autres activités participent en effet à la croissance économique locale. Dans un contexte de léger accroissement de la population47, le processus d’étalement urbain que connaissent ces deux villes donne naissance à de nouvelles banlieues, dotées du cortège désormais classique d’équipements et infrastructures dans ce type d’espace (lotissements résidentiels, échangeurs autoroutiers, centres commerciaux). La structure spatiale de l’économie locale (tant pour l’industrie aéronautique donc que pour les autres secteurs d’activité) fait apparaître différents pôles d’activité. L’aménagement des parcs d’activités, nouveaux espaces industriels destinés à accueillir les activités en expansion, sous la férule des collectivités territoriales participe à la recomposition du rapport centre/périphérie et à l’émergence d’une organisation polycentrique de ces agglomérations. Au total, l’organisation du territoire urbain dans ces deux binômes urbains résulte de la combinaison des stratégies et du dynamisme des acteurs économiques d’un côté, et des stratégies de développement et d’aménagement urbain des acteurs politiques de l’autre. 1 – Bristol-Filton : l’émergence d’une « Edge city »48 Le fait le plus remarquable dans le cas de Bristol, depuis deux décennies, est le développement accéléré de la frange nord (« North fringe ») de l’agglomération49. Pour autant, si ce développement semble récent, on soulignera que l’activité aéronautique prend son essor sur ce site de Filton dès 1910, lorsque Georges White, un entrepreneur local alors à la tête de la compagnie de transport de Bristol50, suite à un voyage en France où il s’intéressa à l’activité aéronautique naissante, décide de créer une activité aéronautique au nord de Bristol, sur un terrain plat et vaste situé au terminus d’une ligne de transport du tramway. Les activités qui s’y développent permettent d’ailleurs de rentabiliser cette ligne de transport. C’est ainsi l’acte de naissance de quatre compagnies51, dont essentiellement la Bristol Aeroplane Company Ltd. Cette « North fringe », où sont installés les principaux employeurs du secteur aéronautique (BAe Systems et Rolls-Royce), est aujourd’hui bornée et irriguée par des infrastructures de transport autoroutier et notamment par l’intersection des autoroutes M4 (axe « structurant » du fameux « corridor M4 », en provenance de Londres) et M5 (à destination de Birmingham 47 Précisons que la région urbaine de Bristol compte près de 1 million d’habitants, répartis dans les quatre autorités locales, à savoir City of Bristol (40%), South Gloucester (24%), North Sommerset (19%), Bath & North East Somerset (17%), tandis que la région urbaine de Chester-Broughton compte quelque 200 000 personnes, dont 120 000 personnes pour le District de Chester (Angleterre) et près de 80 000 pour le District de Alyn & Deeside dans le comté de Flintshire (Pays de Galles). 48 Voir le désormais classique ouvrage de J. Garreau, 1991, Edge city, Doubleday, New York. 49 Pour une analyse fine de cette question, voir C. Lambert, R. Griffiths, N. Oatley, N. Taylor et I. Smith, 1998, On the edge : the development of Bristol’s North Fringe, ESRC Cities/University of Bristol and University of the West of England, Working Paper n°9. 50 Soit la « Tramway Company ». 51 Voir sur la genèse de l’industrie aéronautique à Bristol-Filton et sur l’aventure entrepreneuriale de Sir Georges White, R. Wall, op. cit. 20 et du Nord de la Grande-Bretagne) (voir figure 6). Ainsi, stratégiquement localisée, cette portion de l’agglomération se développe rapidement, depuis les années 1980, devenant un pôle d’emplois de référence, un lieu de résidence et de vie nouveau, au point de concurrencer le centre historique dans certaines de ses fonctions (universitaires, commerciales…), ce qui oriente Bristol vers un modèle urbain polycentrique52. Pour autant, le centre conserve des fonctions essentielles et puissantes (université, autorités politiques, activités culturelles, multimédia, services financiers…). Quant au port, activité historique de Bristol et encore aujourd’hui un pôle d’emploi majeur de l’agglomération, il s’est déplacé vers l’estuaire de la Severn où il fait l’objet d’une politique de redéveloppement. Les docks du centre historique (« Harbourside ») font en conséquence l’objet depuis 20 ans d’une politique de reconversion visant à traiter ces friches industrielles, et à en tirer un argument touristique ; avec un franc succès. Figure 6 : La région urbaine de Bristol Source : d’après Bristol City Council En fait, l’agglomération est marquée par la rivalité centre/périphérie qui oppose la ville de Bristol et la « North fringe ». Certes, cette rivalité est fonctionnelle entre un centre historique compact et une périphérie diffuse en expansion, un nouvel espace périurbain, si ce n’est une 52 Voir I. Smith, 2001, Having the edge : exploring notions of polycentrism in urban development, Communication à la Planning Research Annual Conference, Liverpool, 12 p. 21 « ville émergente »53. Mais, dans un contexte de transformation des structures gouvernementales locales (puisqu’en 1996 la Réforme sur le Gouvernement Local –Local Government Reform– débouche sur la transformation des structures territoriales locales : les 6 anciens districts laissent la place à 4 « Unitary Authorities »54), cette rivalité est aussi politique. En dépit de la pression de Bristol pour que cette partie dynamique de l’agglomération soit intégrée dans son territoire à l’occasion de la réforme de 1996, la North fringe reste sous l’autorité d’une collectivité territoriale indépendante (désormais South Gloucester) et concurrente de Bristol (City of Bristol). Assurément, cette rivalité constitutive du développement de la North fringe est dommageable à une gouvernance urbaine cohérente, en particulier sur la question des transports collectifs urbains puisque l’expansion urbaine rapide depuis la fin des années 1980 s’accompagne de congestions des infrastructures de transport. Ce dont les pouvoirs publics semblent peu à peu convenir ; ainsi, à la faveur d’un changement de sensibilité politique, South Gloucester cherche depuis la fin des années 1990 à mieux contrôler la croissance urbaine de la North fringe afin de respecter les impératifs de régénération urbaine de Bristol et la tension entre ces deux collectivités territoriales s’est atténuée55. Le développement de cette zone périurbaine repose sur un certain nombre de points forts (figure 6). Le point de départ de la croissance de cette portion de l’agglomération est donc le pôle aéronautique constitué essentiellement par les sites de Airbus UK et de Rolls-Royce. Le site de Airbus UK occupe un espace considérable (voir figure 6), essentiellement localisé sur le sol de Filton (South Gloucester), mais débordant légèrement sur le territoire de Bristol (City of Bristol). A proximité se trouvent les usines de Rolls Royce56, qui sont en fait les anciens établissements de Bristol-Siddeley Engines de Patchway rachetés par l’entreprise de Derby en 1966. L’activité principale de Rolls Royce dans ces établissements, qui emploient environ 5000 salariés, est la conception et la réalisation de moteurs d’avions militaires ; mais Rolls Royce y produit également des pièces complexes pour l’ensemble de sa gamme de moteurs. Il convient de souligner que ces deux poids lourds de l’économie locale n’entretiennent pas de relations directes (commerciales, industrielles ou technologiques). Située à l’extrémité occidentale du fameux « Corridor M4 », Bristol semblait au début des années 1980 bien placée pour devenir un pôle technologique de premier plan. En conséquence, les pouvoirs publics locaux ont alors commencé à aménager un parc d’activité destiné à accueillir les industries de haute technologie. Jouant un rôle précurseur, le « Aztec West Science Park » accueille aujourd’hui plus de 80 sociétés, dont par exemple ST Microelectronics (200 salariés). Pour la plupart, elles sont spécialisées dans l’industrie informatique (génie logiciel, expertise en CAO/DAO en relation avec les grandes entreprises locales). Le parc représente au total une masse d’emplois d’environ 5200 personnes. Dans son ensemble, la North fringe attire d’autres entreprises industrielles (comme Hewlett Packard ou Du Pont) ou de service (Sun Life), parfois de l’étranger, des Etats-Unis en particulier. Les entreprises intéressées par une localisation dans le North fringe s’implantent dans les différents parcs d’activités progressivement aménagés à cet effet dans la zone (comme le Bristol Parkway North, aménagé en 1995). Cette dynamique du pôle d’emploi est un aiguillon pour la transformation de l’université ; l’ancien Institut Polytechnique de Bristol (Bristol 53 Selon le titre éponyme du livre de G. Dubois-Taine et Y. Chalas (sous la dir. de), 1997, La ville émergente, Ed. de l’Aube, La Tour d’Aigues. 54 Kingswood et North Avon fusionnent pour donner naissance à South Gloucester, tandis que Bath et Wansdyke fusionnent pour donner naissance à Bath and North East Somerset. 55 C. Lambert, R. Griffiths, N. Oatley, N. Taylor et I. Smith, 1998, On the edge : the development of Bristol’s North Fringe, ESRC Cities/University of Bristol and University of the West of England, Working Paper n°9. 56 Rolls Royce Military Aero Engines Ltd. 22 Polytechnic), devenu « University of the West of England », fait l’objet d’un plan d’expansion à partir de 1987. De nouveaux bâtiments sont construits, et le nombre d’étudiants croît considérablement (l’université compte ainsi 13000 étudiants et 2000 employés en 1996)57. En phase avec le développement de la zone, dans l’objectif d’opérer un processus de « déconcentration-reconcentration » fonctionnelle de ses services, le Ministère de la Défense (MoD) ouvrait en 1996 un complexe à Abbey Wood destiné à accueillir ses services des achats, préalablement répartis en plusieurs points du territoire national (à Londres ou ailleurs). Ce complexe, véritable petite ville, avec quelque 6000 salariés et des activités induites par cet effet de masse (crèche, restaurants, bibliothèque…), est un point fort de la croissance urbaine de la North fringe, qui compense la baisse des emplois dans les industries aéronautiques du début de la décennie 1990. Une station ferroviaire a été spécialement construite à proximité de cet établissement afin de transporter les employés, mais également, l’impact de cette masse salariale est considérable sur le marché immobilier. Afin de répondre à une demande forte sur le marché du logement, les pouvoirs publics58 engagent en fait dès 1987 la création d’un vaste ensemble résidentiel, « Bradley Stoke ». Intéressant la plupart des grands constructeurs britanniques, réunis en un consortium (Bradley Stoke Ltd.), le projet connaît un démarrage rapide59, avant de subir un épisodique tassement au début des années 1990, en raison de la conjoncture économique du moment60, non sans conséquences pour certains ménages à la limite du surendettement. Suivant le schéma classique des « edge cities », un vaste centre commercial employant 3500 persones, le « Cribbs Causeway », est inauguré en 1998. L’ouverture de ce vaste centre commercial dans cette partie de l’agglomération est emblématique des mutations urbaines contemporaines de Bristol et de la rivalité centre/périphérie61. En fait, l’un des enjeux essentiels liés à la création de ce complexe commercial périphérique repose sur le fait que Bristol dispose historiquement d’un centre commercial puissant au cœur de la ville, le « Broadmead Shopping Center ». Le départ de certaines enseignes de Broadmead vers Cribbs Causeway a accentué la crainte de concurrence que le centre ville ressentait alors. En fait, étant donné la croissance démographique, il apparaît a posteriori que le marché est assez vaste pour deux équipements commerciaux de cette ampleur. Du coup, sur ce point également, les tensions entre les collectivités territoriales se sont ensuite apaisées. Mais le Cribbs Causeway reste une facette significative de la « ville émergente » qui se dessine à Bristol. Ainsi, les formes résidentielles de cette partie de la ville reprennent des modèles généraux contemporains liés au développement de la banlieue pavillonnaire : lotissements plus ou moins fermés, recours à l’automobile dans les déplacements, étalement urbain. Pour ce qui est plus spécifiquement de l’impact local d’Airbus, on relèvera qu’il n’y a pas d’aménagement industriel particulier directement imputable au programme A380. Le site de Airbus UK est en effet suffisamment vaste pour accueillir le supplément d’activité et d’emplois (600 à 700 nouveaux ingénieurs recrutés) escompté. En revanche, à ce jour n’est pas résolu un conflit qui oppose d’un côté Airbus UK, qui a pour projet de convertir son aéroport d’entreprise en un aéroport commercial, et de l’autre, les pouvoirs publics (la ville de 57 C. Lambert et al., op. cit. A cette époque, il s’agit du District de North Avon. 59 En trois ans à partir du lancement de Bradley Stoke, près de 2500 maisons individuelles y sont construites. 60 Ce qui vaudra à ce projet le sobriquet de « sadly broke » (« tristement fauché »). 61 Une procédure judiciaire oppose même le comté de North Avon et la ville de Bristol, laquelle est déboutée, et l’autorisation de construction est accordée en 1992. 58 23 Bristol est dotée d’un aéroport commercial situé au Sud-Ouest de l’agglomération) et les riverains. 2 - Chester-Broughton et la question frontalière Au regard de la question frontalière, la situation territoriale de Chester-Broughton comporte des traits communs à celle de Bristol-Filton, mais en plus marqués en raison de la très forte dualité politique et culturelle entre Chester en Angleterre et Broughton au Pays de Galles. Cette dualité génère un puissant effet de frontière. Mais il existe également des traits de différenciation nets entre ces deux binômes urbains, car à Broughton le programme A380 est directement à l’origine d’aménagements territoriaux considérables autour du site industriel de Airbus UK. Sur ce point, à l’échelle de l’aire urbaine, il est donc nécessaire de distinguer les dynamiques territoriales de Chester de celles de Broughton pour pouvoir interpréter le développement de l’industrie aéronautique et en relativiser la portée. En d’autres termes, en dépit de l’intégration fonctionnelle de ce binôme urbain, mais aussi en dépit des coopérations entre acteurs politiques locaux62, la frontière marque nettement son empreinte dans le territoire. Ainsi les stratégies de développement économique conduites par les pouvoirs publics ne reposent pas sur les mêmes fondements, les mêmes atouts ; de même, l’organisation de l’espace oppose le district de Chester de celui de Alyn & Deeside. Prenant appui sur un centre historique de qualité, le tourisme occupe un place importante à Chester63, tandis que les activités relevant des services supérieurs mais aussi de l’industrie manufacturière se sont récemment développées dans les deux parcs d’activités aménagés depuis la décennie 1980 par la ville de Chester (figure 7). Participant d’une logique de spécialisation fonctionnelle de l’espace, ces deux parcs ne répondent pas, en principe, aux mêmes impératifs industriels. Situé à l’ouest de Chester, dans un secteur où se sont développées les activités banales (industrie, commerce), chevauchant la frontière entre le Pays de Galles et l’Angleterre, le « Chester West Business Park » est destiné à l’accueil d’activités industrielles et de services relativement peu sophistiquées. En revanche, au sud de la ville, à proximité immédiate de la voie rapide A55, le « Chester Business Park » cible préférentiellement les activités directionnelles. Ainsi, quelques établissements financiers se sont implantés à partir de la fin des années 1980 dans cette zone d’activité, apportant une offre d’emplois et une masse salariale considérables dans l’économie locale, comme par exemple les services financiers de Marks & Spencer (plus de 1500 salariés), la Bank of Scotland (2500 salariés), ou encore la Maryland Bank of North America (2800 salariés). Mais on relèvera également dans ces deux parcs l’installation de services directionnels d’entreprises industrielles telles que Bristol-Myers Squibb (industrie pharmaceutique, 250 salariés), Shell Chemicals (chimie, 150 salariés), Manweb (électricité, 150 salariés), de services publics comme Royal Mail (550 salariés), et d’entreprises de production industrielle telles Trinity Mirror Plc. (publication de presse, 330 salariés), Strix UK (matériel de contrôle électrique, 200 salariés), Barry Callebaut (chocolaterie, 40 salariés), ou encore Bradford Soap Works (production de savons, 50 salariés). L’implantation récente de ces entreprises à Chester explique la croissance de l’emploi industriel, et, surtout, celle plus spectaculaire encore de 62 Il n’existe pas de structure politique régionale binationale, mais dans de nombreux domaines (développement économique, aménagement de l’espace, lobbying auprès des instances supérieures du pouvoir…) les autorités locales anglaises et galloises entretiennent des liens serrés. Source : entretien avec Barbara Mothershaw, le 4 avril 2001. 63 Voir partie II. 24 l’emploi dans le secteur « finance et services aux entreprises » (qui occupe 21% de l’emploi tertiaire en 1997, contre 5% en 1981). D’un point de vue spatial, le processus d’étalement urbain de Chester s’organise donc selon un schéma dans lequel le centre structure sa périphérie immédiate, développant de longue date une banlieue résidentielle, y compris en Pays de Galles (figure 7), élaborant aujourd’hui des outils de polarisation et de dynamisation de l’activité économique à travers ces deux parcs. Du côté anglais, cette croissance urbaine ne s’appuie donc finalement que de manière marginale sur l’industrie aéronautique ; en effet, cette industrie est localisée en Pays de Galles, et la partie britannique de la région urbaine n’occupe, relativement à cette activité, qu’une simple fonction résidentielle. Figure 7 : La structure spatiale de l’économie urbaine de Chester-Broughton Du côté gallois de la frontière, reposant sur quelques points forts, le développement territorial prend une forme polynucléaire (figure 7), puisque plusieurs pôles d’emplois sont répartis dans un espace semé de villages et de bourgs. Deux grands pôles d’emplois méritent d’être relevés. Le pôle aéronautique bien sûr, avec 7000 emplois à terme, est ancré sur l’aéroport Hawarden à quelque 6 kilomètres seulement à l’Ouest de Chester (Airbus UK, Raytheon Aircraft Services). Avec une superficie de 405 hectares (plus 80 hectares à terme probablement), stratégiquement localisé à 12 kilomètres à l’ouest de Chester, le « Deeside Industrial Park » est une zone d’activité généraliste qui accueille plus de 8000 salariés dans divers secteurs 25 industriels : alimentation (Iceland Frozen Foods Plc, Brookfield Foods Ltd.), packaging (Almedica Europe Ltd.), imprimerie (Shotton Paper Co.), pharmacie (Convatec Ltd.), ou encore ingénierie, produits semi-finis de la construction, métallurgie. Il n’existe pas de centre urbain fort susceptible de faire contrepoids à Chester, qui joue donc le rôle de centre à l’échelle de cette aire urbaine binationale. A l’instar de la North fringe à Bristol-Filton, ici, la croissance périurbaine induite par l’évolution des modes de déplacement et des modes de vie, des formes de l’habitat et, surtout, par la croissance de l’activité aéronautique et de l’emploi dans les usines de Airbus UK à Broughton, s’accompagne des changements de paysages désormais classiques dans ce type d’espace : infrastructures de transport revisitées, centre commercial, lotissements pavillonnaires. Cette mutation est bien sûr particulièrement sensible dans l’Est du district Alyn & Deeside, à Broughton, au sud immédiat des établissements de Airbus UK, où les pouvoirs publics ont aménagé un vaste centre commercial (le Broughton Park Shopping Centre). Stratégiquement localisé, ce centre commercial, tout en satisfaisant les besoins d’une clientèle galloise, limitant ainsi la sortie d’argent du district64, draine inversement une clientèle anglaise depuis Chester. Ainsi, le succès des programmes Airbus se répercute-t-il massivement dans le processus d’urbanisation, favorisant en conséquence l’autonomisation fonctionnelle de Broughton, voire sa capacité de polarisation. Qui plus est, contrairement à ce qui se produit dans les établissements de Filton, les aménagements induits par le programme A380 sont considérables sur le site industriel de Airbus UK à Broughton (figure 8). En effet, en raison du surcroît de travail à venir, de l’embauche de quelque 1500 personnes supplémentaires et des caractéristiques techniques et physiques des ailes de l’A380, une nouvelle usine doit être construite pour accueillir les nouvelles chaînes de production65. En outre, des aménagements sur les berges de la rivière Dee sont prévus afin d’acheminer par barge les ailes jusqu’au port de Mostyn (voir figure 4), où elles seront embarquées à destination de Bordeaux. On soulignera que contrairement à d’autres sites de production, tel Hambourg en particulier, l’ensemble de ces aménagements peut s’effectuer sans contraintes autres que techniques66. En effet, d’une part Airbus UK dispose de vastes réserves foncières autour de ses bâtiments et de son aéroport d’Hawarden, et, d’autre part, la densité urbaine est nulle entre les usines et la rivière Dee, ce qui rend celleci directement et facilement accessible. 64 Source : Alyn & Deeside Local Plan (Written Statement). Avec la nouvelle usine (100 000 m²), la superficie totale consacrée à la production sera doublée. 66 C’est-à-dire que, dans un contexte marqué socialement par l’industrie manufacturière et par les réminiscences de la crise de l’économie fordiste, les risques de voir apparaître un mouvement de type NIMBY est ici peu probable. 65 26 Figure 8 : A380 : des aménagements massifs à Broughton Source : d’après Alyn & Deeside District Par ailleurs, les pouvoirs publics locaux sont directement impliqués dans cette dynamique économique et urbaine. Ils conduisent en conséquence une politique favorable au développement industriel, en particulier en matière d’aménagement du territoire (zones industrielles, transport, espaces résidentiels)67, ou en ce qui concerne la définition des programmes de formation de la main d’œuvre, en partenariat avec Airbus UK et le Deeside College68. Mais le gouvernement du Pays de Galles lui-même appuie ces diverses opérations d’aménagement et de régulation locale du marché du travail puisque, après des négociations serrées, celui-ci accordait en septembre 2000 une subvention à BAe Systems (Airbus UK) pour assurer que la production des ailes de l’A380 se fasse à Broughton69. La somme allouée est destinée à la construction de la nouvelle usine (pour un montant de 19,5 millions de livres) et à la formation de la main d’œuvre (pour un montant de 6 millions de livres). 67 Entretien avec Ian Gorton. Voir aussi le « Alyn & Deeside local plan » (Written Statement et Proposals Map). Entretien avec Dave Heggarty. 69 Voir Airbus UK News n° 84, octobre 2000 ; voir aussi le Flintshire Evening Leader, 3 avril 2001. 68 27 3 - Les enjeux politiques, culturels, territoriaux. L’analyse de la situation concrète du développement économique et urbain à ChesterBroughton et à Bristol-Filton permet de mettre en évidence que les enjeux politiques et territoriaux ne sont pas négligeables dans ces deux binômes urbains. A Chester-Broughton, dans un contexte d’affirmation identitaire de la part de la communauté galloise, l’enjeu essentiel renvoie à la relation transfrontalière entre le Pays de Galles et l’Angleterre. Quant à la métropole de Bristol, elles est caractérisée par un processus d’expansion urbaine dans la « Local Authority » de South Gloucester selon les modalités des « edge cities » ; l’enjeu central renvoie ici au problème plus général de la gouvernance urbaine. Dans les usines de Airbus UK à Broughton, quelque 60% de la main d’œuvre est galloise. L’aide financière accordée par le Pays de Galles à BAe Systems (Airbus UK) est assortie de la garantie que, de même, 60% des nouveaux salariés embauchés par Airbus UK dans le cadre du programme A380 seront des Gallois. C’est à la lumière de cet impératif qu’il convient d’interpréter cette subvention. En particulier, dans un contexte régional marqué, d’une part, par la présence du côté anglais des deux vastes bassins d’emplois que sont les métropoles de Liverpool et Manchester, distantes de quelque 60 kilomètres (voir figure 4), et, de l’autre, par un marché du travail local tendu où le taux de chômage est bas et où Airbus UK cherche à recruter du personnel auprès des autres entreprises70, l’objectif de la somme affectée aux programmes de formation de la main d’œuvre est de permettre aux Gallois de postuler chez Airbus UK. En effet, l’essentiel des nouveaux emplois requerront des niveaux de qualification supérieurs à ceux des postes actuels. L’enjeu de ce programme de formation est donc, d’une part, d’éviter une pénurie de travailleurs qualifiés gallois sur le marché du travail local, et, d’autre part, d’éviter que des dysfonctionnements n’apparaissent sur le marché du travail et que l’ensemble de l’économie locale ne soit au final pénalisée. La régulation de ce système pourrait simplement être assurée par le marché, auquel cas les grandes villes anglaises situées à proximité seraient à même de fournir la main d’œuvre nécessaire. Mais, dans ce contexte frontalier, l’enjeu dépasse la simple question du fonctionnement économique et du marché du travail ; l’enjeu est aussi culturel et identitaire, et les pouvoirs publics Gallois cherchent à promouvoir la création d’emplois pour leurs citoyens. A cette échelle également, cela signifie que la régulation de l’activité aéronautique ne peut se penser sous l’angle exclusif des logiques marchandes, mais que des formes de régulation politique et socioculturelle s’infiltrent dans le « libre » jeu du marché. Dans la métropole de Bristol, le problème majeur posé est lié au fait que le développement de la North fringe s’effectue dans un contexte territorial marqué par un rapport centre-périphérie relativement tendu. Quand bien même cette rivalité semble s’atténuer depuis quelques années, les autorités locales restent néanmoins confrontées au problème de la gestion d’un modèle d’urbanisation façonné largement par l’automobile, héritage de plus de 20 années de manque de concertation entre acteurs politiques. Les dysfonctionnements induits par ce déficit de régulation politique locale (congestion des transports, défaillances du marché immobilier, etc.) risquent à terme de nuire au processus de développement industriel. 70 Par exemple, afin de conserver le ratio Gallois/Anglais, Airbus UK cherche en effet à recruter des employés de British Steel Plc (établissements de Shotton). Source : Flintshire Evening Leader. 28 Conclusion L’analyse du « système Airbus » en Grande-Bretagne permet de dégager quelques enseignements. Tout d’abord, la réorientation stratégique de BAe Systems vers l’activité civile et vers les partenariats européens a un impact territorial dans les deux binômes urbains concernés par les programmes Airbus. Cependant, les deux sites industriels, bien que fonctionnellement étroitement imbriqués, ne bénéficient pas également des retombées du programme A 380, en raison des places respectives qu’ils occupent dans la division du travail au sein d’Airbus UK. Ensuite, les réactions même des territoires dans lesquels ces usines sont implantées sont différenciées en raison de contextes politiques, culturels et identitaires originaux. Enfin, cette analyse interroge la stratégie globale de BAe Systems à l’égard d’EADS. En effet, grâce au processus de spécialisation en cours depuis la fin de la décennie 1970, les sites industriels Airbus UK de Filton et Broughton ont désormais acquis une compétence particulière et irremplaçable qui les propulse au premiers rangs mondiaux dans le domaine de la conception et de la production des ailes. Parallèlement, du point de vue capitalistique, BAe Systems a fait le choix de rester en marge du processus d’intégration de l’industrie aéronautique européenne sous l’égide de EADS. Dans quelle mesure cette relative indépendance n’offre-t-elle pas la possibilité à Airbus UK de proposer ces remarquables compétences à d’autres avionneurs ? 29 Liste des entretiens en Grande-Bretagne -Malcolm Adams, Business Development, BAE Systems, Woodford. -Marion Cooper, Team Manager for Economic Development, Bristol City Council. -Bernard Dufresne, attaché commercial, Services d’Expansion Economique, Ambassade de France au Royaume-Uni, Londres. -Ian Gorton, chargé d’études, Transportation and Planning Department, Flintshire County Council. -Keith Hayward (Professor), Head of Economic and Political Affairs, The Society of British Aerospace Companies (SBAC), Londres. -Dave Heggarty, Head of Economic Developemnt & Tourism, Flintshire County Council. -Grenville Hodge, Head of Strategy & External Affairs, Airbus UK, Filton/Bristol. -Jaspal Jandu, Research Analyst, SBAC, Londres. -Barbara Motershaw, Head of Economic & Tourism Development, Chester City Council. -Mark Rogers, Inward Investment Executive, West of England Strategic Partnership, Bristol. -Ian Smith, Professor of Geography, University of the West of England, Filton/Bristol. -John Whalley, Chief Executive, North West Aerospace Alliance, Nelson. -Ray Wilson, Executive Vice-President Procurement, Airbus Industrie, Blagnac. 30 Bibliographie Bassett K., 2001, Discovering cities : Bristol, Geographical Association ed., Sheffield, 50 p. 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