L`art du voyage. René Lalique : la recherche

PATRIMOINE
L’art du voyage. René Lalique : la recherche
Réputé dans le monde entier, le maître du verre René Lalique a créé, dans
la période de l’entre-deux-guerres, de nombreux éléments de décoration
pour les trains de luxe. Des chefs-d’œuvre des arts décoratifs que l’on peut
admirer en Alsace, au musée Lalique ou à la Cité du train, et à Paris grâce
à l’exposition consacrée à l’Orient Express jusque fin août.
alentueux, inventif, bijoutier d’exception et grand
maître du verre, René Lalique
(1860-1945) a acquis une notoriété mondiale au cours des
deux périodes fastueuses des
arts décoratifs, l’Art nouveau
au tournant des XIXe et
© Lalique
T
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XXe siècles, et l’Art déco durant
les années 1920-1930. Du Japon aux États-Unis, du Portugal à la Grande-Bretagne, en
passant bien sûr par la France
avec le musée Lalique, à Wingen-sur-Moder (Alsace), une
cinquantaine de musées pré-
sentent ses créations. Et, non
seulement le nom est resté,
mais la fabrique Lalique, à
proximité dudit musée, poursuit son activité avec succès.
Car l’une des grandes réussites
de René Lalique est d’avoir su
concilier admirablement l’art
© Christophe RECOURA/Culturespaces
du beau, de l’Art nouveau à l’Art déco
et l’industrie : il fut l’un des
premiers artistes à s’intéresser à
la production en série, afin de
proposer des objets de haute
qualité accessibles à tous. Outre une clientèle privée pour
laquelle il produit des bijoux
au temps de l’Art nouveau,
puis des pièces d’arts de la table, le créateur est sollicité
pour parer de ses décors des
espaces publics : aménagement
de boutiques, salons, salles à
manger. Emblèmes de la modernité, l’automobile, le train,
le paquebot sont des moyens
de transport qui connaissent à
partir des années 1910 un extraordinaire développement.
Fort de sa maîtrise des techniques et de ses idées dans l’air
du temps, René Lalique est
amené à créer des bouchons
de radiateur pour les voitures :
de petites sculptures de verre
(victoire, libellule, coq…) ornant avec élégance l’avant des
automobiles de luxe. Il travaille
pour de grands paquebots de
croisière comme le Normandie,
Figures et raisins (ci-dessus), un motif inventé par René Lalique
pour les trains de luxe. Il orne notamment les parois de la voiture-barrestaurant de l’Orient Express (photo de gauche), où se croiseront
hommes politiques, têtes couronnées, écrivains, vedettes de cinéma
et agents secrets…
le De Grasse (panneaux de
frise), l’Ile-de-France ou le Paris
(ornements muraux et luminaires).
En toute logique, René Lalique
sera invité à concevoir des panneaux en verre pour les cloisons des compartiments du
Côte d’Azur Pullman Express, un
luxueux train de jour qui dessert la Riviera française, inauguré en décembre 1929. À
l’époque, les créations du
Champenois font sensation, la
décoration est qualifiée de
« pure merveille ». « On se croit à
l’intérieur de grands appartements, meublés avec art, une succession de salons somptueux, tous
décorés dans une tonalité particulière. Des lumières très douces
se dissimulent derrière des verreries d’un goût exquis », raconte
le journal L’Excelsior. Le talent
du maître du verre Art déco est
souligné : « De grands panneaux
de verre moulés avec motifs formant relief dans la masse vitreuse
constituent les cloisons intérieures
d’une grande séduction ; quelques
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© Christophe RECOURA/Culturespaces
PATRIMOINE
© Christophe RECOURA/Culturespaces
Le salon de la voiture présidentielle PR1, achevé en 1923. Comme motif pour les portes et les luminaires (situés en hauteur), Lalique a choisi
la branche de laurier. Ce salon est visible à la Cité du train, à Mulhouse.
La maquette du bureau de la voiture PR1, décorée du bouquet de fleurs. Pour ce motif, Lalique a associé du verre blanc pressé-moulé et des
feuilles d’argent. Les panneaux sont faits en bois d’acajou et bois de platane. Sa fille Suzanne a créé le motif « rails » des fauteuils et de la moquette.
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Une voiture du Venise Simplon Orient
Express ornée des célèbres panneaux
de verre à motif floral de René Lalique.
Le monde aquatique aussi…
La créativité de René Lalique ne connaissait pas de limite quant
aux motifs qu’il imaginait pour ses œuvres, comme le montre le
musée Lalique, à Wingen-sur-Moder, là où l’artiste avait implanté sa
verrerie en 1921. Sur place, on peut découvrir des centaines de
pièces tout aussi exceptionnelles les unes que les autres : bijoux,
vases, dessins, flacons de parfum, arts de la table, fontaines, lustres, appliques, bouchons de radiateur d’automobile et même trophées sportifs… De plus, pendant plusieurs mois, l’exposition temporaire « Le Monde aquatique de Lalique » donne un coup de
projecteur, dans une ambiance marine et mystérieuse, aux œuvres
de ce créateur tant inspiré par la nature. Les hôtes naturels du milieu aquatique – poisson, coquillage, hippocampe, méduse, cygne,
grenouille, libellule, algue – voisinent avec ses habitantes mythiques : naïades, sirènes, ondines et nymphes, tous représentés
sous toutes les formes, en bijoux, dessins, verre, ornements, vaisselle ou orfèvrerie. « Observateur attentif des êtres et des choses,
René Lalique avait trouvé dans la nature une inspiratrice féconde, reprise ensuite par les nouvelles générations d’artistes de la famille »,
souligne Véronique Brumm, directrice et conservatrice du musée. Il
racontait à ses petits-enfants que son « grand plaisir, enfant, était de
marcher le long des berges de la Marne dans le sens de l’eau qui
coule… vers l’inconnu (…) Ma Champagne natale où j’ai rencontré
rivières, étangs, ruisseaux… Ce sont des souvenirs doux, caressants, féminins… » Parmi les œuvres exposées, certaines sont prêtées par le Musée Gulbenkian de Lisbonne, la Fondation Rothschild
de Londres, le musée des Arts et Métiers et celui des Arts décoratifs de Paris, ainsi que la manufacture Lalique, située à proximité de
ce joli musée à l’architecture signée Jean-Michel Wilmotte.
Musée Lalique, 67290 Wingen-sur-Moder.
Tél. : 03 88 89 08 14. www.musee-lalique.com
Ouvert toute l’année. Exposition temporaire « Le monde aquatique
de Lalique » jusqu’au 11 novembre.
A. J.-L.
publique 1), il créera un
luxueux intérieur, entièrement
orné de marqueterie et richement décoré dans le style Art
déco. La voiture dispose d’un
salon, d’un bureau et d’une
chambre présidentielle, ainsi
que de deux cabines et un office. Elle est exposée à la Cité
du train, à Mulhouse. « Au
préalable, Lalique avait bien sûr
fait une maquette de cette voiture. Le musée l’a préemptée afin
d’enrichir ses collections », signale Véronique Brumm. « Il
s’agit d’un cube de 2 mètres sur 2,
doté de six panneaux de marqueterie en bois et verre, et dont
les motifs ont été dessinés par Suzanne Lalique. L’ensemble est en
très bon état. » La voiture présidentielle, elle, a été inaugurée en 1923 par un voyage officiel du président Millerand.
Par la suite, ses successeurs, de
Gaston Doumergue à René
Coty, l’utiliseront également. La
PR1 sera réformée en 1954
avant d’être remplacée par la
PR2 l’année suivante. Mais ça,
c’est une autre histoire…
Anne JEANTET-LECLERC
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© Jérôme Galland/SNCF
vases du même artiste osent emprunter leur charme et leur poésie à la flore et à la faune et ne
pas le demander à la seule géométrie. Il y faut aujourd’hui beaucoup de courage et du génie »,
pouvait-on lire dans le journal
L’Âme du peuple.
Pour l’intérieur des voitures à la
livrée bleu nuit et or que l’on
peut actuellement admirer dans
l’exposition « Il était une fois
l’Orient Express », à l’Institut
du monde arabe à Paris (Lire
LVDR nos 3445 et 3463), Lalique
a en effet proposé différents
agencements. « Parmi eux, des
panneaux Figurines et Raisins,
composées de trois pans de verre
enchâssés dans des boiseries : deux
représentent des femmes nues sur
fond de pampre et le troisième un
jeune homme jouant de la flûte »,
commente Véronique Brumm,
directrice et conservatrice du
musée Lalique. Mais ils ne sont
pas les seuls. D’autres, ornés
d’un bouquet de fleurs, sorte de
marqueterie comportant des incrustations de verre blanc
moulé-pressé, sur fond de
feuilles d’argent dans des panneaux en bois de platane et acajou, lui sont également attribués. « En réalité, ils sont le fruit
d’une collaboration avec sa fille,
Suzanne Lalique-Haviland (18921989), qui a également créé un
velours brun frappé vieil or pour
les fauteuils et la moquette marron, tous deux à motif de carreaux
ajourés. On peut aussi y voir des
rails ! » Le luxe se niche aussi
dans les détails…
Prestige oblige, la République
demandera à René Lalique de
concevoir la décoration de la
première voiture spécialement
construite pour les déplacements en train du président
de la République, qui était
alors Alexandre Millerand.
Pour PR1 (Présidence de la Ré-