Le Baiser (der Kuss), Gustav Klimt (1907-1908)

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Le Baiser (der Kuss), Gustav Klimt (1907-1908)
Le Baiser (der Kuss), Gustav Klimt (1907-1908)
PRESENTATION Le Baiser (Der Kuss), Gustav Klimt , 1907-­‐1908 Huile sur toile, 180 X 180 cm Vienne, Österreischeiche Galerie, Belvedere Le Baiser est l’une des œuvres les plus abouties et les plus célèbres de Klimt. Elle a été créée dans sa période dite dorée (1901-­‐1907) et correspond à sa phase symboliste. C’est aussi l’une des œuvres les plus célèbres de l’art du XXe siècle. CONTEXTE Je peux situer l’œuvre dans un mouvement artistique En 1897 Gustav Klimt créée le mouvement de la Sécession viennoise (Wiener Sezession) dont il devient le premier président. A l’époque, il a 35 ans et est déjà un peintre historiciste reconnu de l’Establishment viennois. Il a décoré le nouveau Burgtheater (1886-­‐1888 ), le musée des beaux-­‐Arts (Kunsthistorisches Museum, 1890) et réalisé des vitraux de l’église votive, premier grand édifice du Ring. La Sécession viennoise fait suite à une profonde dépression de l’artiste à la suite de la mort de son père et de son frère, la même année (1892). Elle rompt avec l’historicisme académique pour une nouvelle esthétique en phase avec le modernisme international : Volonté de s’ouvrir aux nouveautés provenant de l’étranger. « Une époque nouvelle a besoin d’un art nouveau » (« Eine neue Zeit braucht eine neue Kunst ») déclare Klimt. La Sécession viennoise organise sa première exposition en 1898. Klimt quittera la Sécession en 1905. Je suis capable de donner les caractéristiques principales du mouvement, du style. Et de situer l’œuvre dans un contexte historique Ce mouvement de la Sécession viennoise qui prendra bientôt le nom d’ « Art nouveau » (Jugendstil) se caractérise par une stylisation des formes, tant dans la peinture que dans l’architecture et dans l’artisanat. Il veut forger un langage neuf, moderne et international. Il s’inscrit d’ailleurs dans un courant artistique international : en Europe (Williams Morris et l’Arts and Crafts donnent le Modern Style en GB ; Art nouveau et verreries d’Emile Gallé en France ; Jugendstil en Allemagne ; Sezessionstil en Autriche) et aux Etats-­‐Unis (artiste Tiffany) Les artistes de ce mouvement veulent introduire de la beauté et de l’humanité dans ce monde de plus en plus uniformisé et technique issu de la Révolution industrielle (à la base de la conception du design moderne). Le mouvement prend ses modèles non plus dans la tradition, mais directement dans la nature (utilisation de la ligne dynamique et serpentine). Celle-­‐ci est très présente dans l’oeuvre de Klimt. Le mouvement a aussi une dimension symboliste très marquée dans l’œuvre de Klimt, et notamment dans sa période dite dorée (1901-­‐1907) dont le tableau Le Baiser est un exemple. DESCRIPTION-­‐SENS Dans cette composition conçue comme une icône byzantine sur un fond de bronze, un couple s’enlace, dans une étreinte fusionnelle. Les deux protagonistes sont enveloppés dans des manteaux dorés qui occupent une grande partie de la surface peinte. Organisation de l’oeuvre De forme carrée, ce tableau est d’une taille conséquente (180 x180 cm) que l’on peut qualifier de « grandeur nature ». L’œuvre est organisée en trois parties : le couple ; la prairie fleurie sur laquelle se trouve le couple, et le fond. Ces trois parties sont de factures différentes : prédominance de l’or – que Klimt considérait comme une non-­‐couleur – et stylisation dans le traitement du couple dont seuls les visages et les parties du corps visibles sont peints de manière réaliste (couleur) ; grande utilisation de la couleur dans le parterre de mille fleurs également traité de manière stylisée; fond uni de couleur bronze. Analyse L’or abondamment utilisé dans le traitement du couple évoque la richesse et la préciosité des mosaïques byzantines que Klimt avait admirées lors d’un précédent voyage à Ravenne. L’artiste a, durant une période de sa vie, fréquemment recouru à ce matériau précieux si bien que l’on a désigné cces années 1901-­‐1907 comme sa période dorée (« goldene Periode »). Précieux par excellence, l’or confère au couple uni dans l’amour un caractère sacré et hiératique. La cloche – auréole, mandorle ?– dans laquelle il s’inscrit l’ isole du reste du monde et contribue à sa sacralisation. Ce tableau montre la fusion absolue du couple dans cet échange amoureux. On peut, à ce titre, considérer le choix de la forme carrée comme celui de l’équilibre. Cependant, les éléments masculin et féminin restent clairement identifiables : l’homme est revêtu d’une tunique ornée de motifs rectangulaires tandis que le motif du cercle et les lignes courbes prédominent sur la robe de la femme. Celle-­‐ci est intimement liée à la nature, ainsi que l’attestent les motifs fleuris de son vêtement, les fleurs parsemant sa chevelure et les filaments végétaux qui tombent en pluie d’or sur ses chevilles et l’ancrent plus profondément encore dans ce parterre de millefleurs sur lequel elle est agenouillée. C’est la femme en effet qui, dans la composition, fait le lien entre le couple et la nature épanouie en mille floraisons C’est aussi elle qui fait le lien avec le monde réel : son visage – le seul visible des deux – est traité de manière très réaliste. Elle apparaît abandonnée dans l’étreinte, mais dans cet abandon elle montre une fragilité et une pâleur presque mortelle qui contraste avec le rouge des coquelicots qui ornent sa robe. Par ailleurs, il n’échappe pas au spectateur que l’homme, dans sa posture debout, domine la femme dans l’affirmation de sa puissance. Nous voyons que, sous le couvert d’équilibre, le tableau révèle des tensions internes et des déséquilibres que l’on va également rencontrer dans les autres éléments de la composition (parterre et fond). Ecrin et miroir de leur étreinte, le tapis de millefleurs fait écho au couple d’amants par les fleurs colorées qui renvoient à la robe de la femme et les guirlandes de feuilles dorées qui enserrent ses chevilles. On peut y voir une sorte de piédestal sur lequel se tient le couple sacralisé dans l’étreinte. Mais on ne peut s’empêcher de voir dans ce sol qui se dérobe soudain sous les pieds de la femme comme un déséquilibre menaçant : le couple si solidement arrimé l’un à l’autre apparaît comme au bord d’un précipice. Les pieds de la femme ont déjà basculé dans le vide. On retrouve cette tension dans le fond du tableau. Traité en aplat uni, ce fond de bronze confère à l’œuvre un caractère abstrait en supprimant tout effet de perspective. L’absence de perspective – et donc de monde réel autour des amants – fige cette étreinte dans une sorte d’éternité. Cependant, quand on scrute ce fond de bronze, on aperçoit des points lumineux qui pourraient évoquer un ciel constellé d’étoiles, et des motifs géométriques (carrés) en filigrane qui lui donnent néanmoins une certaine profondeur symbolique – néant ou cosmos ? Avis de l’élève ELARGISSEMENT • Rapprochement et comparaison avec d’autres œuvres de Gustav Klimt Die Erfüllung (L’Accomplissement), élément de la frise de marbre, mosaïques, majolique du palais Stoclet à Bruxelles (1905-­‐1909) (carton de préparation conservé au Musée des arts appliqués à Vienne : peinture) Ressemblance frappante avec Le Baiser (étreinte, visage de la femme seul visible, vêtements sacrés du couple, symbolisme dans les motifs masculin, féminin...) mais moins abouti que Le Baiser (dans le traitement de la femme, dans le traitement de la nature, dans la composition). Ici, le motif de l’étreinte amoureuse n’est qu’un élément s’intégrant dans une composition plus vaste. • Rapprochement et comparaison avec d’autres œuvres ayant pour thème le baiser -­‐ Edvard Munch : Le Baiser (1897), Musée Munch, Oslo, Norvège Huile sur toile, 99 cm × 81 cm Ressemblances dans la composition : fusion amoureuse , dimension symboliste (ici les visages ne font plus qu’un, mais invisible) ; isolement du couple du reste du monde (qui se manifeste ici dans le traitement de la lumière : clarté/pénombre). -­‐ Le thème du Baiser dans les sculptures sur pierre de Constantin Brancusi. Le sculpteur roumain Constantin Brancusi (1876-­‐1957) a beaucoup travaillé sur ce thème du baiser dont il a réalisé plusieurs versions, entre 1907 et 1945. Que les bustes soient ou non prolongés de jambes accolées, le baiser se trouve réduit à l’essentiel (fusion des corps, stylisation extrême, moment d’éternité conféré par le choix du matériau–pierre, traitement à la fois primitif et moderne). Le monument funéraire de 1910 réalisé pour une jeune fille russe qui s’était suicidée par amour fait référence à une tradition roumaine selon laquelle deux arbres plantés l’un à côte de l’autre, près d’une tombe, évoquent la force de l’amour face à l’éternité. Le Baiser (1910) Paris, cimetière du Montparnasse Le Baiser (1923 et 1925) 36,5 x 25,5 x 24 cm
Musée d’Art moderne, Centre
Georges Pompidou, Paris -­‐ Robert Doisneau : Le Baiser de l’Hôtel de Ville (1950), Similitudes (fusion du couple, isolement du reste du monde : couple figé dans le baiser sur fond de monde en mouvement...). Différences : légèreté du traitement ; instant fugitif saisi sur le vif ; symbolisme absent.