Sainte Jeanne des abattoirs, texte de Bertolt Brecht, traduction de
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Sainte Jeanne des abattoirs, texte de Bertolt Brecht, traduction de
Dimanche 3 avril Sainte Jeanne des abattoirs, texte de Bertolt Brecht, traduction de Pierre Deshusses, mise en scène de Marie Lamachère Crédit Photo : Denise Oliver Fierro Sainte Jeanne des abattoirs, texte de Bertolt Brecht, traduction de Pierre Deshusses, mise en scène de Marie Lamachère La metteuse en scène Marie Lamachère fait de Sainte Jeanne des abattoirs (1929-1931), pièce emblématique de Bertolt Brecht sur l’économie libérale américaine, non seulement une méditation sur la réalité impuissante et conservatrice des relations économiques et sociales, conjuguée à la nécessité d’une religion salutaire, mais aussi l’instrument d’une réflexion et expérimentation du sens de l’action politique. En toile de fond, Chicago et ses abattoirs, une ville dans la ville industrielle, où fourmillent plus de cent mille ouvriers asservis dans un travail à la chaîne pour tuer des millions de bœufs, cochons, moutons. Circulent sur les toiles légères des écrans scéniques qui laissent apparaître en transparence le bâtiment dur de béton des abattoirs avec sa petite tour de contrôle dévolue aux chefs, des images de documents, de films d’époque et d’aujourd’hui, de photos d’hier et contemporaines sur les abattoirs de Chicago en 1900 et ceux actuels de Marvejols d’où est interviewé un ouvrier loquace. La coupe est pleine pour la misère endurée par les travailleurs de Chicago, les ouvriers sont à présent en quête de travail, subissant directement les conséquences de la réorganisation capitalistique de la filière économique : « Les Magnats des abattoirs – viande et conserve – se font la guerre, et de magouilles en délits d’initiés, d’OPA en faillites, provoquent « une crise » non sans bénéficiaires. » Face à ces conflits d’intérêt Jeanne Dark, pieuse missionnaire des Chapeaux noirs, avatar théâtral de l’Armée du Salut, croit à la pitié et entend faire appel aux bons sentiments de Pierpont Mauler, le roi de la viande et le géant de la conserve. Mal lui en a pris, le démon en question lui fait découvrir que « les pauvres sont mauvais », le chômage et la misère provoquant la dégradation morale de la dignité de l’être. Tandis que le patron se débarrasse de ses concurrents en les conduisant à la faillite, provoquant un chômage de masse chez les travailleurs, Sainte Jeanne accomplit un chemin de croix, quittant sa communauté pour ne pas être complice des industriels dans le prétexte argué aux miséreux d’une vie meilleure après l’enfer terrestre. Sans emploi, elle rejoint l’action des ouvriers chômeurs mais s’interroge sur les conséquences de la violence dans l’opposition politique de ces derniers. Jeanne est la protagoniste – héroïne et victime – d’un conte noir et cruel où personne n’est bon. La prise de conscience ouvrière est mise en exergue dans la mise en scène lumineuse de Marie Lamachère – de jeunes comédiens issus de la diversité (jusqu’à quand s’autorisera-t-on à en faire la remarque ?) commentent des images de manifestations d’époque, s’interpelant, interprétant leur situation, aptes à réfléchir enfin. Pleins d’allant, interrogateurs, vifs et enjoués, ils sont des citoyens autonomes. Quant à Mauler et ses acolytes qui mènent la danse, ils sont interprétés par de beaux comédiens aguerris, prenant un plaisir manifeste à fouler un plateau de théâtre et à s’invectiver les uns les autres sur la scène, à prendre à parti encore le public luimême, et désignant de leur bras et doigt levés l’assemblée de spectateurs sollicités et conviés à méditer à leur tour. Les acteurs endiablés et enfiévrés – hommes virils en costume cravate – n’en finissent pas de monter ni de descendre les escaliers infernaux de la scénographie alerte de Delphine Brouard – patrons, ouvriers, producteurs et éleveurs, intercesseurs – se vouant à leur unique fondement – le gain, l’intérêt, le profit. Seule, Jeanne, que joue avec vraie sérénité et un aplomb patient Laurélie Riffault, semble se mouvoir paisiblement, portée par sa foi inquiète et persistante en l’homme, en dépit de tout. À cette atmosphère trouble et échauffée, s’ajoutent la musique pétillante d’Iris Lancery et Bruno Capelle, la fanfare et les chansons de Clément Bonnefond, Émilie Dreyer-Dufer, Anaïs Vaillant et Damien Valero. La troupe entière parle avec esprit de notre sombre réalité économique. L’épopée touche à notre présent sans limites, notre « marécage » aurait-dit Brecht. Véronique Hotte Théâtre de l’Échangeur à Bagnolet, les 2, 3 et 4 avril