Droit du travail, de l`emploi et droits de la personne

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Droit du travail, de l`emploi et droits de la personne
Droit du travail, de l’emploi et droits de la
personne
Été 2005
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Clauses de perte d’ancienneté et de perte d’emploi en cas
d’invalidité prolongée : fini les automatismes!
Par Nicolas St-Pierre et Rolland Forget
De nombreuses conventions collectives en vigueur dans le monde du travail stipulent qu’un salarié perdra
l’ancienneté qu’il a accumulée ainsi que son emploi s’il s’absente du travail en raison d’une invalidité non
couverte par la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles1 (ci-après appelée la
« L.A.T.M.P. »), c’est-à-dire une invalidité qui ne résulte pas du travail, au-delà d’une certaine période de temps
variant généralement de un à deux ans. Plusieurs contrats d’emploi conclus avec des salariés-cadres contiennent
des clauses identiques. S’il est vrai qu’au fil des ans certains tribunaux d’arbitrage et cours de justice ont reconnu
la validité de telles clauses et permis leur application de manière automatique, deux décisions récentes de la Cour
d’appel du Québec indiquent qu’en cette matière la prudence est désormais de mise et que les automatismes n’ont
plus leur place.
Dans l’affaire Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal c. Centre universitaire de santé McGill
(Hôpital général de Montréal) 2 (ci-après appelé « Centre universitaire de santé McGill »), la Cour d’appel était
appelée à se pencher sur le cas d’une secrétaire médicale qui, au terme d’une période d’invalidité de 36 mois,
avait perdu son emploi en application d’une clause de la convention collective régissant ses conditions de travail.
La salariée avait quitté ses fonctions en raison d’une dépression nerveuse et avait, par la suite, bénéficié de quatre
périodes de réadaptation, lesquelles s’étaient cependant toutes soldées par un échec. Quelque deux ans après le
début de son congé de maladie, la salariée avait été victime d’un accident d’automobile sans lequel elle aurait pu
reprendre le travail à temps complet à l’intérieur du délai de 36 mois prévu par la convention collective. Au
moment de sa terminaison d’emploi, la salariée demeurait incapable de fournir une quelconque prestation de
travail en raison de cet accident et aucune date de retour au travail n’était encore prévisible.
Dans son jugement, la Cour d’appel souligne d’abord que l’employeur a contrevenu, par sa politique, au droit à
l’égalité en matière d’emploi garanti par la Charte des droits et libertés de la personne3 puisqu’il a traité la
salariée sans tenir compte de sa situation réelle, de ses besoins et de ses capacités. La Cour reconnaît que, du point
de vue de l’employeur, il peut être idéal d’adopter et d’appliquer une norme d’une rigidité absolue, mais précise
que cette façon de faire ne remplit pas l’obligation d’accommodement qui incombe à ce dernier. Cette obligation
constitue « en fait l’obligation pour l’employeur de s’entendre avec le plaignant sur une mesure satisfaisante sans
que cela n’entrave indûment l’exploitation de l’entreprise de l’employeur et ne lui impose une contrainte
excessive », d’indiquer la Cour. Bien que cette dernière convienne que les quatre périodes de réadaptation
consenties à la salariée puissent être considérées comme des mesures d’accommodement, elle rappelle néanmoins
que, si la salariée n’a pu reprendre le travail, c’est pour un motif totalement indépendant de la dépression qui avait
provoqué son départ en congé de maladie trois ans plus tôt. Du coup, la Cour suggère qu’une obligation
d’accommodement distincte existerait à l’égard de chacune des causes d’invalidité subies par la salariée.
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., S.R.L
DROIT DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DROITS DE LA PERSONNE 2
La clause de la convention collective en cause dans l’affaire Procureur général du Québec c. Syndicat des
professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (S.P.G.Q.) 4 différait quelque peu de celle dont il
était question dans l’affaire précédente puisque, au lieu de prévoir une cessation d’emploi automatique au terme
d’une absence prolongée, elle conférait à l’employeur une simple discrétion à cet égard, une fois écoulées les 104
semaines d’assurance traitement offertes par la convention collective. L’employeur avait exercé cette discrétion et
mis fin à l’emploi d’une fonctionnaire absente depuis plus de deux ans en raison d’une dépression. Avant de
prendre sa décision, l’employeur avait obtenu une expertise médicale indiquant que, quoiqu’incapable
d’accomplir les tâches habituelles de son emploi dans l’immédiat, la salariée serait en mesure d’effectuer un
retour progressif au travail 10 semaines plus tard.
Invités à examiner le bien-fondé de la décision prise par l’employeur, les juges de la Cour d’appel s’entendent
pour affirmer, de façon générale, qu’en matière d’accommodement un employeur ne peut appliquer sans
discernement une clause qui prévoirait une perte automatique d’ancienneté et d’emploi en cas d’invalidité
prolongée. Aussi rappellent-ils, en l’occurrence, que l’employeur avait l’obligation de faire le point sur l’état de
santé de la salariée à l’expiration des 104 semaines d’assurance traitement garanties par la convention collective.
Pour le juge Rothman, l’employeur se devait, en vertu de son obligation d’accommodement, de considérer le plan
de retour au travail progressif proposé par la plaignante, tout en gardant à l’esprit les deux années
d’accommodement déjà consenties. De façon similaire, la juge Rousseau-Houle écrit que l’employeur avait le
fardeau de démontrer qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il avait accédé à la demande d’accommodement
supplémentaire formulée par la salariée, à savoir l’octroi d’un congé sans solde de 10 semaines. Le coût financier
engendré par la mesure d’accommodement requise, le moral du personnel, l’atteinte à la convention collective,
l’interchangeabilité des effectifs et des installations de même que l’importance de l’exploitation de l’employeur
constituent autant d’éléments qui, selon la magistrate, doivent être pris en considération pour évaluer la
raisonnabilité de la mesure d’accommodement demandée. Pour sa part, la juge Thibault affirme qu’en raison de
son libellé la convention collective permet à l’employeur de congédier un salarié qui ne peut établir, à l’expiration
de la période d’assurance traitement, sa capacité de revenir au travail dans un délai raisonnable. La longueur de ce
délai s’appréciera notamment, poursuit-elle, en fonction de la nature de l’emploi exercé par le salarié, du
pronostic rattaché à la maladie qui l’affecte, de la taille de l’entreprise qu’exploite l’employeur et de la période
d’assurance traitement déjà autorisée. Ainsi, conclut-elle, l’employeur a agi de manière discriminatoire en mettant
fin à l’emploi de la salariée malgré son retour annoncé au travail.
À la lumière de ces deux décisions de la Cour d’appel du Québec, il appert que, dorénavant, les employeurs
pourront difficilement s’abriter derrière les clauses de perte d’ancienneté et de perte d’emploi incluses dans
certaines conventions collectives ou contrats individuels d’emploi afin de justifier le congédiement administratif
de salariés absents pour cause de maladie. En effet, à l’expiration de la période d’invalidité convenue,
l’employeur devra analyser attentivement la situation du salarié en cause et s’assurer d’avoir en main toutes les
informations pertinentes et nécessaires à la prise d’une décision éclairée. À cette fin, l’employeur pourrait
notamment exiger du salarié qu’il se soumette à un examen médical par un professionnel de son choix.
Dans l’éventualité où le dossier médical du salarié fait état d’un retour au travail possible à plus ou moins brève
échéance, l’employeur devra démontrer qu’il subirait une contrainte excessive s’il maintenait plus longtemps le
lien d’emploi du salarié, le délai supplémentaire demandé étant déraisonnable. Comme l’illustre l’arrêt Centre
universitaire de santé McGill, l’employeur sera tenu de faire la preuve d’une contrainte excessive même en
l’absence d’une date déterminée de retour au travail. Ainsi, le caractère permanent de l’invalidité du salarié, les
rechutes répétées de celui-ci et les responsabilités rattachées au poste qu’il occupait au sein de l’entreprise
pourront être invoqués par l’employeur afin de justifier la rupture du lien d’emploi. Quoi qu’il en soit, il demeure
qu’à l’avenir il sera beaucoup plus difficile pour un employeur de mettre fin à l’emploi d’un salarié invalide.
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DROIT DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DROITS DE LA PERSONNE 3
Soulignons en terminant que les principes exposés ci-haut ne trouveront pas application si le salarié a subi une
lésion professionnelle au sens de la L.A.T.M.P. En effet, cette loi prévoit un mécanisme d’accommodement
distinct qui rendrait difficile la transposition des règles énoncées par la Cour d’appel.
Nicolas St-Pierre s’est spécialisé en droit du travail, de l'emploi et droits de la personne. Dans le cadre de sa
pratique, il s’est concentré notamment sur les questions relatives à l'accréditation syndicale, à la négociation et
l'interprétation de conventions collectives, l'arbitrage de griefs, les contrats de travail et les normes du travail. Il se
dirige maintenant vers une carrière de journalisme au sein du journal La Presse.
Rolland Forget se spécialise dans les domaines du droit du travail, de l'emploi et des droits de la personne. En plus de
donner des conseils de nature générale et préventive, il représente ses clients dans une vaste gamme de litiges qui
soulèvent des questions en matière d'emploi, de relations de travail et de droits de la personne devant des conseils
d'arbitrage, les tribunaux civils et diverses commissions en matière de travail telles que les audiences présidées par la
Commission des relations du travail du Québec et le Conseil canadien des relations industrielles. Il représente des
entreprises dans divers domaines d'activités économiques, dont les secteurs forestier, manufacturier, du transport et du
commerce au détail, tant au niveau privé qu'au niveau parapublic.
On peut communiquer avec Me Forget au 514 397 7447 ou à [email protected].
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1) L.R.Q., c. A-3.001.
2) D.T.E. 2005T-311, J.E. 2005-627 (C.A.) (18 mars 2005). Requête en autorisation de pourvoi en Cour suprême déposée le
16 mai 2005;
3) L.R.Q., c. C-12, art. 10 et 16.
4). Montréal 500-09-013759-030 (C.A.) (31 mars 2005),.