Alice Zeniter - Prix de la Closerie des Lilas 2013,Vous n`êtes

Transcription

Alice Zeniter - Prix de la Closerie des Lilas 2013,Vous n`êtes
Alice Zeniter – Prix de la
Closerie des Lilas 2013
Prix littéraires et mondanités font souvent ménage commun. La
Closerie des Lilas ne déroge pas à ce mariage des genres.
Ainsi, c’est dans le somptueux cadre de la célèbre brasserie
parisienne du 171 boulevard du Montparnasse que s’est tenue
mardi 09 avril dernier la 7e cérémonie de remise du Prix du
même nom.
Particularité de cette distinction : un jury exclusivement
composé de femmes, en charge de désigner une heureuse
lauréate. A la différence donc du Femina, qui consacre
indifféremment hommes ou femmes.
L’heureuse élue de
27 ans. Déjà trois
« Sombre dimanche
convaincu le jury,
l’édition 2013 est ainsi une jeune auteure.
romans à son actif. Alice Zeniter.
», encensé par la critique à sa sortie, a
présidé par Emmanuelle de Boysson.
Et c’est entouré du Tout-Paris que l’écrivain française a
célébré cette reconnaissance de ses pairs : Frédéric
Beigbeder, Véronique Ovaldé, David Foenkinos, Erik Orsenna,
Amélie Nothomb, PPDA, Mazarine Pingeot, Tatiana de Rosnay,
Tonino Benacquista, Amanda Sthers, Nicolas Bedos, Arielle
Dombasle, Jean-Pierre Mocky, …
Passée l’heure de l’annonce et de la remise des distinctions,
tout ce petit monde s’est laissé envoûter par les mélodies du
jeune et talentueux groupe parisien : Théodore, Paul et
Gabriel. Qui comme son nom ne l’indique pas, est lui aussi
exclusivement féminin.
Mais ça, c’est une autre
prochainement sur Arkult !
histoire
…
à
suivre
très
Alice Zeniter – Lauréate du
Prix de la Closerie des
Lilas 2013
Vous
n’êtes
pas
d’oublier Aliide Truu…
prêt
Dressons rapidement le tableau. En toile de fond, des
territoires ruraux et bucoliques piétinés sans détour, tour à
tour par l’Allemagne d’Hitler puis l’URSS de Staline. Au
milieu, des Estoniens et des Estoniennes qui survivent,
luttent, se révoltent ou s’inclinent. C’est l’histoire d’une
rencontre, une histoire de famille mais avant tout, l’histoire
d’un pays balte: l’Estonie. Il plane sur ces pages l’ombre
d’un autre monde, le bloc de l’Est. Rien de bien réjouissant
en somme… Cependant ce livre est une petite merveille.
L’écriture de Sofia Oksanen est brutale. On n’entre
certainement pas dans l’histoire comme on entrerait dans une
maison de famille douillette où l’on retrouve ses chaussons.
On doit s’accrocher aux personnages, on se heurte à leurs
destins chaotiques, on se bat pour recoller aux bribes de
l’histoire de l’après-guerre. Et puis, avant qu’on ait eu le
temps de s’en rendre compte, on est coincé dans le terrible
engrenage invisible qu’on croyait pourtant propre aux polars.
La narration est alternée et décapante, moitié à l’Est moitié
à l’Ouest. Les chapitres ont des titres à rallonge aussi
évocateurs que « C’est toujours la mouche qui gagne », ou
« Aliide avale un lilas à cinq pétales et tombe amoureuse »,
ou encore « Un passeport, ça se met dans la poche
intérieure ».
Aliide et Zara, des prénoms pas communs, pour des héroïnes peu
conventionnelles. Ces deux femmes que deux générations
séparent ont en commun un destin bouleversé par la folie des
hommes. Leur rencontre est un choc, quasiment une rencontre du
3ème type. Le face à face de ces deux femmes est un huis-clos
oppressant. Au fur et à mesure que l’on remonte dans le temps,
on comprend la haine, la rage, la jalousie, la rancœur, la
douleur et la peur. On assiste, impuissant, à la naissance
d’un tyran malgré elle dans un pays déshonoré. Une tragédie
moderne et puissante comme on en rencontre rarement.
Aliide n’est pas une méchante au rire diabolique qui retentit
jusqu’aux confins de l’enfer mais elle est implacable.
Zara, elle, est innocente, peut-être aussi inconsciente.
Alors, purge-t-on le bébé ? Oui c’est sûr.
Jette-t-on le bébé avec l’eau du bain ? Sûrement pas !
L’auteur
Sofi Oksanen écrit en finnois, son père est finlandais et sa
mère estonienne, elle a peut être reçu de celle-ci l’amour de
ces terres méconnues. Passionnée de Marguerite Duras, cette
trentenaire ne fait pas mentir l’adage qui dit que « L’habit
ne fait pas le moine ». La plume a beau être rigoureuse et le
style recherché,
Sofia Oksanen est une punk au look
anticonformiste. Qui l’eût cru ?
Prix Femina étranger en 2010 et véritable best seller, son
troisième roman remue, secoue, bouleverse et fait découvrir
une partie obscure de l’Histoire.
Au même titre que le personnage de « Grenouille » de Patrick
Süskind ou que le personnage Dexter de la série américaine
éponyme, vous n’êtes pas prêt d’oublier Aliide Truu.
Extraits
« 1991, BERLIN
La photo que Zara tient de sa grand-mère
Sur la photo, deux jeunes filles étaient assises côte à côte
et regardaient fixement l’objectif, sans oser lui sourire ?
Leurs robes qui tombaient sur les hanches étaient un peu
bizarres. L’ourlet de l’une des filles était plus haut à
droite qu’à gauche.[…] Et tandis que Zara observait la photo,
elle remarqua quelque chose qui lui avait échappé jusque-là :
les visages des filles avaient quelque chose de très innocent,
et cette innocence rayonnait sur leurs joues rondes jusqu’à
elle si bien qu’elle se sentit gênée. » [1]
« 1952, ESTONIE OCCIDENTALE
L’odeur du foie de morue, la lumière jaune de la lampe
L’odeur du chloroforme flottait par la porte. Dans la salle
d’attente, Aliide se cramponnait à un numéro tout corné de
Femme soviétique, où Lénine était d’avis que la femme, dans le
capitalisme est doublement soumise, esclave du travail
ordinaire du capital et du travail domestique. » [2]
[1] « Purge »
Sofi Oksanen, édition la Cosmopolite chez Stock
(2010) , p114
[2] « Purge »
(2010) , p265
Sofi Oksanen, édition la Cosmopolite chez Stock