Revue Economique - Inégalités et discriminations

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Revue Economique - Inégalités et discriminations
Discrimination à l’embauche :
une étude d’audit par couples dans le secteur financier
Pascale Petit∗
ARTICLE PARU DANS LA REVUE ECONOMIQUE EN 2004 (55 (3), PP. 611-621)
Résumé
Nous avons réalisé une étude d'audit par couples dans le secteur financier. Son objet est de comparer
l'accès aux entretiens d'embauche de couples de candidats dotés de caractéristiques productives et
non productives identiques, à l'exception du genre. L'originalité de cette étude est de réaliser cette
comparaison pour des âges, des situations familiales et des qualifications différentes. Les résultats
mettent en exergue un accès à l'emploi différencié pour les femmes et les hommes âgés de 25 ans. Les
jeunes hommes ont significativement plus de succès que les jeunes femmes pour les postes à
responsabilités et les jeunes femmes ont significativement plus de succès pour les postes subalternes.
Pour autant, cette étude ne confirme pas l'existence d'une discrimination à l'embauche systématique
fondée sur le genre, puisque le différentiel d'accès à l'emploi n'est pas significatif au sein des couples
de candidats plus âgés avec des enfants.
Classification JEL: J71, J82, C42.
Mots-clés : discrimination, embauche, audit, genres, bootstrap.
∗
EUREQua, UMR 8594 du CNRS, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 106-112 boulevard de l’Hôpital 75647
Paris cedex 13. Tél. 01.44.07.82.11. E-mail : [email protected]
Je remercie Pierre Cahuc et Emmanuel Duguet pour ses conseils en économétrie appliquée. Je remercie
également Yves Guillotin, Sébastien Vivier-Lirimont, les participants aux séminaires d’EUREQua et toutes les
personnes qui ont permis la mise en œuvre de cette étude, parmi lesquels les membres d’EUREQua. Je reste
seule responsable des erreurs ou omissions qui peuvent subsister.
Une version exhaustive de cet article est disponible sur Internet à l’adresse suivante :
http://eurequa.univ-paris1.fr/membres/Petit/petit.htm
1
INTRODUCTION
Malgré le dispositif légal relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, des
disparités persistent sur le marché du travail, tant du point de vue des salaires, que des trajectoires de
carrières, des promotions et de l'affectation des postes au sein des entreprises. Notamment, Crépon,
Deniau et Pérez-Duarte [2002] montrent que les femmes perçoivent des salaires inférieurs aux
hommes car elles sont affectées à des postes moins productifs. Ce résultat pose la question d'un
accès à l'emploi différencié des femmes et des hommes sur le marché du travail. L’objet de cet article
est d’identifier les déterminants de cette inégale répartition des emplois entre les femmes et les
hommes. Dans cette optique, plusieurs arguments peuvent être avancés. Tout d'abord, la
différenciation d'accès à l'emploi peut résulter d'une discrimination sur le marché du travail. Selon
Heckman [1998], une situation de discrimination apparaît lorsqu'un employeur ne réserve pas les
mêmes attributs (accès à l'emploi, à la formation, niveau des salaires, promotions...) à deux
travailleurs pourvus de caractéristiques productives parfaitement identiques et de caractéristiques non
productives différentes. Cain [1986] distingue deux fondements théoriques majeurs de la
discrimination. Le premier repose sur une aversion des employeurs, des salariés et des
consommateurs pour les minorités (Becker [1957]). Le second est induit par l'existence d'une
composante inobservée de la productivité des candidats lors de l’embauche (Arrow [1972 et 1973],
McCall [1972] et Phelps [1972]). L’employeur fonde alors ses croyances sur une évaluation de
l'individu (diplômes, expérience professionnelle, réussite des tests d'embauche...) et sur sa
connaissance de la productivité moyenne du groupe démographique auquel appartient le candidat.
L'existence d'une composante inobservée de la productivité des candidats génère une situation de
discrimination statistique: des individus ayant des capacités identiques, mais appartenant à des
groupes démographiques différents n'ont pas des parcours professionnels équivalents à cause de la
qualité moyenne, réelle ou supposée du groupe auquel ils appartiennent (Cahuc et Zylberberg
[2001]). Toutefois, les différences d'accès à l'embauche ne sont pas automatiquement induites par un
comportement discriminatoire des recruteurs. Elles peuvent également résulter d'une autocensure des
femmes, d'une inadéquation de leurs qualifications, ou encore d'une faiblesse relative de leur
productivité anticipée.
La méthodologie d'audit par couples vise à révéler la différenciation d'accès à l'emploi (Petit
1
[2003]). La première phase d'une étude d'audit consiste à réaliser un test d'accès à l'entretien
d'embauche ("correspondence testing"), c'est à dire à envoyer les candidatures (curriculum vitae et
lettres de motivation) de deux candidats équivalents aux mêmes entreprises. Leurs candidatures sont
semblables, à l'exception d'une seule caractéristique: leur appartenance au genre féminin ou
masculin. L'objectif est de constater si un candidat est plus fréquemment sollicité pour un entretien
1
Plusieurs travaux empiriques s’appuyant sur cette méthode de collecte des données existent dans la littérature
anglo-saxonne (Riach et Rich [1991], Kenney et Wissoker [1994], Neumark [1996]). Toutefois, à notre
connaissance, aucune étude d’audit par couples ne semble encore avoir été menée en Europe.
2
d'embauche. La seconde phase consiste à envoyer les candidats aux entretiens lorsqu'ils y ont été
conviés par les entreprises pour observer si l'un d'entre eux obtient plus fréquemment un emploi.
Selon Heckman [1998], une même caractéristique personnelle des candidats peut envoyer un signal
différent en terme de productivité espérée, selon que l'individu est une femme ou un homme. Par
exemple, bien que dotée des mêmes caractéristiques productives instantanées qu'un homme, une
femme d'une vingtaine d'années, n'étant pas encore mère de famille, n'a certainement pas la même
productivité espérée qu'un homme. Dans ce cas, elle n'envoie pas le même signal à un recruteur,
quant à sa productivité espérée.
Nous avons réalisé une étude d'audit par couples dans le secteur financier, pendant les trois
premiers mois de l'année 2002. Son objectif est d'appréhender les différences de performance en
matière d'accès à l'emploi, en croisant quatre dimensions: le genre, l'âge, la situation familiale et la
qualification. L'idée sous-jacente est de distinguer la part du différentiel d'accès à l'emploi des femmes
et des hommes que l'on peut expliquer par des variables familiales comme la présence d'enfants au
sein du ménage ou encore la probabilité de maternité et la composante incompressible résultant d'une
discrimination à l'embauche. A ce titre, l'originalité de cette étude est triple. Premièrement, elle permet
de comparer l'accès à l'emploi de femmes et d'hommes pour des âges, des situations familiales et des
niveaux de qualifications différents. Deuxièmement, elle rend compte des anticipations des recruteurs
quant à la productivité future des candidats. Troisièmement, elle permet de distinguer et d'évaluer
l'ampleur relative de la discrimination liée à l'aversion et la discrimination statistique.
Dans une première partie, nous mettons en avant le protocole suivi par l'étude d'audit. Dans une
deuxième partie, nous présentons les principaux résultats. Notamment, nous examinons si une
caractéristique personnelle particulière annihile le différentiel d'accès à l'emploi des femmes et des
hommes, et de fait, l'hypothèse d'une discrimination à l'embauche fondée exclusivement sur le genre
des individus. Enfin, nous déduisons de ces résultats des recommandations de politiques
économiques.
3
METHODOLOGIE ET COLLECTE DES DONNEES
Méthodologie
Une étude d'audit par couples consiste à contrôler systématiquement les différences d'accès à
l'emploi observées au sein de couples de candidats. Son objectif est de montrer dans quelle mesure
la simple appartenance au genre féminin ou masculin d'un candidat influe sur sa probabilité
d'embauche. Cette analyse se traduit par l'étude de la régression suivante :
Yai = γ + β(1 − R i ) + e ai
Les indices a et i identifient respectivement une entreprise et un candidat particuliers. R est la
variable indicatrice relative au genre du candidat. Elle prend la valeur 1 si l'individu i est une candidate
et 0 si l'individu i est un candidat. Y est la variable expliquée relative à la réponse de la firme a à la
candidature de l'individu i. Yai peut prendre alternativement deux valeurs: 0 si la réponse de la firme
est négative et 1 si la réponse de la firme est positive. Enfin, e est la perturbation de la régression et γ
est une constante. Les coefficients β et γ sont estimés par un modèle probit, à partir des données
collectées par l'étude d'audit par couples. L'estimateur de β est un indicateur du niveau de
discrimination à l'encontre des femmes. Une étude d'audit par couples conduite avec rigueur permet
d'obtenir un estimateur sans biais de β. La seule variable explicative est le genre du candidat, puisque
toutes les autres variables susceptibles d’expliquer la décision de l’employeur sont semblables pour
les deux candidats du couple, ou le cas échéant, aléatoires.
Collecte des données
Nous avons choisi d'appliquer la méthodologie d'audit par couples sous la forme d'un simple test
d'accès à l'entretien d'embauche pour améliorer la fiabilité et accroître la taille de l’échantillon. Par
ailleurs, comme les procédures de recrutement sont lourdes et coûteuses pour les firmes, il y a tout
lieu de penser qu'un candidat ne sera convoqué que si, à la lecture de sa candidature, il a une réelle
chance d'obtenir le poste.
Trois types de couples ont été constitués: un couple de candidats de 25 ans célibataires sans
enfant, un couple de candidats de 37 ans célibataires sans enfant et un couple de candidats de 37
ans mariés avec trois enfants à charge. Au sein de chaque couple, seul le genre distingue les deux
candidats. Les trois types de couples constitués permettent de comparer les signaux envoyés par la
candidature d'une femme qui va avoir des enfants, d'une femme qui a des enfants et d'une femme qui
4
2
n'en a pas, et qui, a priori, restera dans cette situation. Les trois types de couples de candidats sont
alternativement dotés de quatre profils de qualification: baccalauréat commercial, baccalauréat
comptabilité-gestion, BTS commercial et BTS comptabilité-gestion. Limiter l'étude à un test d'accès à
l'entretien d'embauche permet l'usage d'un seul couple pour chacune de ces caractéristiques
croisées. La personnalité et l'apparence des candidats n'entrent pas en considération dans les choix
des recruteurs puisque d’une part, le CV n'est pas accompagné d'une photographie et que d'autre
part, les recruteurs ne rencontrent pas les candidats.
3
Vingt-quatre CV et lettres de motivations types ont été construits. Pour chacune des quatre
qualifications, les candidatures confèrent aux trois couples de candidats une expérience significative à
des postes similaires à ceux auxquels ils candidatent, des formations, des trajectoires de carrière et
des loisirs semblables. Quel que soit leur âge, les candidats sont dotés d'une expérience
professionnelle équivalente dans le domaine de la banque, tant d'un point de vue quantitatif (nombre
4
d'années) que qualitatif (postes occupés). Aucune candidature ne laisse transparaître de période de
chômage. Des noms et prénoms usuels, des adresses électroniques, des numéros de téléphone et
des adresses dans des quartiers socio-économiquement comparables leur ont été attribués. Les lieux
de résidence des candidats sont localisés dans Paris intra-muros, dans des arrondissements
limitrophes, pour envoyer des signaux identiques concernant leur environnement et leur temps de
transport quotidien pour rejoindre leur lieu de travail. Enfin, un système de rotation des CV a été
instauré au sein de chaque couple.
La base des offres d'emploi parues dans l'ensemble des Agences Nationales Pour l'Emploi
(ANPE) d'Ile de France a été quotidiennement consultée durant l'étude. D'autres sites Internet
spécialisés dans les offres d'emploi et la rubrique consacrée au recrutement sur les sites web des
organismes financiers ont également été utilisés. L’étude a porté sur 7 branches d'activité: la banque
commerciale, la banque d'investissement et de gestion de patrimoines, la banque mutualiste, la
Caisse d'Epargne, l'affacturage, le crédit et le service financier de La Poste. Le choix a été fait
d'auditer des établissements plutôt que des entreprises, dans la mesure où ces établissements étaient
dotés de leur propre service de ressources humaines. Durant les trois premiers mois de l'année 2002,
les candidatures des trois couples ont été envoyées à toutes les offres de postes en contrat à durée
déterminée ou en contrat à durée indéterminée, localisée en Ile de France et correspondant à l'un des
quatre profils retenus. L'ensemble des candidatures à une offre a été posté le même jour, dans des
bureaux de Poste différents. Au total, 157 audits ont été réalisés (soit 942 candidatures envoyées) :
40 portant sur des postes commerciaux peu qualifiés, 24 sur des postes de comptables-gestionnaires
peu qualifiés, 58 sur des postes de commerciaux qualifiés et 35 sur des postes de comptables-
2
En France en 1995, le taux de fécondité des femmes âgées de 25 à 29 ans était de 130%, alors que le taux de
fécondité des femmes âgés de 35 à 39 ans n’était que de 50%. Par ailleurs, l'âge moyen à la maternité est de 29
ans (Doisneau [2002]).
3
Les CV et lettres de motivation des 24 candidats sont disponibles sur Internet à l’adresse suivante:
http://eurequa.univ-paris1.fr/membres/Petit/petit.htm
4
Cette harmonisation est possible en attribuant aux candidats des débuts de carrière de durées variables dans
d'autres secteurs d'activité.
5
gestionnaires qualifiés. Au total, 75 établissements appartenant à 59 entreprises françaises ou
européennes ont été audités.
RESULTATS
Traitement statistique de l’information collectée
La réponse est considérée positive lorsque le recruteur convie l’individu à un entretien ou qu'il se
manifeste pour obtenir plus de renseignements sur sa situation et ses qualifications. En revanche, la
réponse est considérée comme négative si le recruteur rejette la candidature ou s'il n'y répond pas.
Quatre événements disjoints et complémentaires sont associés aux réponses de chaque
établissement audité, pour chaque couple de candidats: la réponse est négative pour les deux
candidats du couple (indétermination), la réponse est positive pour les deux candidats (discrimination
non confirmée), la réponse est positive pour le candidat, mais négative pour la candidate
(discrimination à l'encontre de la candidate) et la réponse est positive pour la candidate, mais négative
pour le candidat (discrimination à l'encontre du candidat). Pour l'ensemble des établissements
auditées, on associe à ces quatre événements des probabilités d'apparition, respectivement notées PI,
PN, PH et PF, avec
Pi =
Nombre d' apparitions de l' évènement i
Nombre d' établissements audités
La discrimination nette à l'encontre de la femme (DN) est définie par:
DN = PH − PF , avec DN ∈ [ −1 ; 1]
DN mesure un accès aux entretiens d'embauche différencié selon le genre du candidat. Si DN=0,
l'homme et la femme ont la même probabilité d’être reçu en entretien. Si DN>0, la femme a un accès
plus limité que l'homme aux entretiens. La conclusion est inverse si DN<0. Trois tests de significativité
5
sont réalisés. Les écarts types sont estimés par la méthode du Bootstrap. Un intervalle de confiance
à 10% est présenté dans les résultats.
6
5
Les tests de significativité relatifs à DN consistent à tester successivement les trois hypothèses nulles suivantes
: la discrimination nette à l'encontre des femmes est significativement nulle, positive, négative. Les probabilités
critiques (p-value) de ces tests sont présentées dans les tableaux de résultats. Elles correspondent à la
probabilité de rejeter à tort l'hypothèse nulle. Nous choisissons de rejeter l’hypothèse nulle lorsque la probabilité
critique est inférieure à 10%, du fait de la taille restreinte des échantillons.
6
Cet intervalle de confiance correspond à l'intervalle des valeurs prises par DN avec une probabilité de 90%. Il
est calculé à partir de 10000 tirages aléatoires avec remise réalisés au sein de notre échantillon.
6
Tableau 1. Couples dotés d'un baccalauréat commercial
Nombre d’audits
PI
PN
PH
PF
DN
DN=0 (p-value)
DN>0 (p-value)
DN<0 (p-value)
Intervalle de confiance de DN à 10%
25 ans
célibataires-sans enfant
40
59.9%
22.4%
5.1%
12.6%
-7.5%
7.9%
8.9%
83.2%
[-15%, 0%]
37 ans
célibataires-sans enfant
40
82.5%
0%
10%
7.5%
2.5%
13.9%
58.1%
27.9%
[-5%, 10%]
7
37 ans
mariés-3 enfants
40
90%
0%
2.5%
7.5%
-5%
13.1%
9.4%
77.5%
[-12.5%, 0%]
Tableau 2. Couples dotés d'un baccalauréat comptabilité-gestion
Nombre d’audits
PI
PN
PH
PF
DN
DN=0 (p-value)
DN>0 (p-value)
DN<0 (p-value)
Intervalle de confiance de DN à 10%
25 ans
célibataires-sans enfant
24
54.1%
29.3%
4.1%
12.5%
-8.4%
12.7%
9.5%
77.8%
[-17%, 0%]
37 ans
célibataires-sans enfant
24
58.3%
20.8%
16.8%
4.1%
12.7%
6.5%
88.8%
4.6%
[0%, 25%]
37 ans
mariés-3 enfants
24
79%
8.4%
8.4%
4.2%
4.2%
20.6%
61%
18.3%
[-4.2%, 12.5%]
7
La première colonne du tableau 1 se lit de la façon suivante : les candidatures du couple de 25 ans célibataire
sans enfant et doté d’un baccalauréat commercial ont été envoyées à 40 établissements financiers. Dans 59.9%
des cas, les recruteurs n'ont convié aucun des deux candidats en entretien d'embauche. Dans 22.4% des cas, ils
ont invité les deux candidats. Ils n'ont souhaité rencontrer que l'homme dans 5.1% des cas et que la femme dans
12.6% des cas. La discrimination nette induite s’élève à -7.5%. Elle est significativement différente de zéro (avec
une probabilité critique associée au test DN=0 inférieure à 10%). La valeur de la discrimination nette est
significativement négative puisque les probabilités critiques associées aux tests des hypothèses nulles DN>0 et
DN<0 sont respectivement de 8.9% et 83.2%. Ce résultat est confirmé par l’intervalle de confiance de DN : cette
variable est négative ou nulle dans 90% des 10000 tirages aléatoires de l’échantillon. Ces résultats suggèrent
que les jeunes femmes dotées d'un baccalauréat commercial ont un meilleur accès aux entretiens d'embauche,
et par suite aux emplois requérant cette qualification, que les jeunes hommes dotés des mêmes caractéristiques.
7
Tableau 3. Couples dotés d'un BTS commercial
Nombre d’audits
PI
PN
PH
PF
DN
DN=0 (p-value)
DN>0 (p-value)
DN<0 (p-value)
Intervalle de confiance de DN à 10%
25 ans
célibataires-sans enfant
58
29.5%
43.1%
17.2%
10.3%
6.9%
5.9%
81.7%
12.3%
[-1.7%, 15.5%]
37 ans
célibataires-sans enfant
58
84.4%
3.5%
3.4%
8.7%
-5.3%
8.2%
8.1%
83.6%
[-10.3%, 0%]
37 ans
mariés-3 enfants
58
75.8%
8.6%
8.6%
7%
1.6%
12.7%
56.0%
31.2%
[-5.2%, 8.6%]
Tableau 4. Couples dotés d'un BTS comptabilité-gestion
Nombre d’audits
PI
PN
PH
PF
DN
DN=0 (p-value)
DN>0 (p-value)
DN<0 (p-value)
Intervalle de confiance de DN à 10%
25 ans
célibataires, sans enfant
35
60%
8.6%
25.7%
5.7%
20%
0.7%
98.5%
0.7%
[8.5%, 31.4%]
37 ans
célibataires, sans enfant
35
62.8%
14.3%
11.5%
11.4%
0.1%
13.9%
43.3%
42.8%
[-11.4%, 11.4%]
37 ans
mariés, 3 enfants
35
71.4%
8.6%
11.5%
8.5%
3%
14.2%
58.5%
27.3%
[-5.7%, 11.4%]
Interprétation des résultats
Analyse comparative des résultats inter-couples
Pour l'ensemble de leurs postes à pourvoir, les établissements financiers favorisent le
recrutement de jeunes salariés. Cette préférence apparaît nettement pour les postes de commerciaux
qualifiés, et dans une moindre mesure, pour les emplois de comptables-gestionnaires. Les salariés qui
occupent les postes de commerciaux qualifiés sont en contact direct et permanent avec la clientèle.
Ce sont eux qui vendent les produits financiers. Les recruteurs recherchent donc des salariés motivés,
en début de carrière, qui renvoient une image dynamique et efficace de l'établissement auprès de la
clientèle. Par ailleurs, les banques connaissent des problèmes de pyramide des âges. Pour
compenser le vieillissement de leur main d’œuvre, elles recrutent massivement des jeunes. Un
second ensemble de résultats concerne les candidats de 37 ans. Lorsqu'une différenciation apparaît,
les femmes sans enfant ont plus de succès que les femmes mères de famille. Les hommes sans
enfant sont plus fréquemment conviés en entretien que les hommes en charge de famille, pour les
postes peu qualifiés. En revanche, les hommes mariés pères de famille ont plus de succès que les
hommes sans enfant pour les postes qualifiés. Ces résultats confirment les conclusions théoriques de
François [1998] : les firmes favorisent les hommes mariés pour les postes les plus rémunérateurs, au
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détriment des hommes seuls, et les femmes célibataires sans enfant ont plus de succès que les
femmes mariées. Toutefois, ce résultat doit être nuancé par la forte probabilité d'indétermination des
candidats de 37 ans.
Analyse comparative des résultats intra-couples
Les recruteurs privilégient des candidats jeunes pour pourvoir l'ensemble de leurs postes.
Toutefois, c'est également pour ces candidats que la différenciation d'accès à l'emploi entre femmes
et hommes est la plus marquée : en valeur absolue, les discriminations nettes associées aux couples
âgés de 37 ans sont moins élevées que celles associées aux couples de 25 ans. Les résultats mettent
en évidence la volonté des recruteurs d'attribuer des postes peu qualifiés subalternes aux jeunes
femmes et les postes qualifiés d'encadrement et de décision aux jeunes hommes. Cette conclusion
est valable aussi bien pour la répartition des postes de comptables-gestionnaires que pour la
répartition des postes de commerciaux. Au regard de leur probabilité d'indétermination très élevée, les
candidats de 37 ans sans enfant ont peu de chance d'obtenir un emploi de commercial qualifié.
Toutefois, pour ce type de postes, les recruteurs ont une préférence significative pour les femmes,
alors qu’ils favorisent les hommes pour les emplois peu qualifiés de comptables-gestionnaires. Le
signal envoyé par la caractéristique "célibataire sans enfant" est donc positif pour les candidates de 37
ans et négatif pour les candidats du même âge. Aucune discrimination nette n'apparaît significative à
10% pour les couples de 37 ans mariés avec des enfants à charge: les hommes comme les femmes
ont peu de chances d'être recrutés, quel que soit le profil du poste à pourvoir. La caractéristique
"marié(e) avec des enfants" associée à une quinzaine d'années d'expérience professionnelle pénalise
donc autant les hommes que les femmes
Contrairement aux postes peu qualifiés, les postes qualifiés nécessitent un investissement dans
la formation spécifique des salariés. Notamment, les firmes doivent former leurs salariés à leurs
produits, à leurs techniques de vente ou à leurs logiciels pour qu'ils soient opérationnels. Un
employeur ne réalisera cet investissement coûteux que s’il anticipe un retour sur investissement
suffisant. D'après nos résultats, les employeurs choisissent de ne pas recruter de jeunes femmes pour
pourvoir leurs postes qualifiés qui nécessitent une formation. Ce résultat ne se retrouve pas pour les
couples plus âgés, et notamment, pour les couples avec des enfants. Il n'est donc pas imputable à la
seule variable de genre. Il est donc probable que relativement aux jeunes hommes, les jeunes
femmes célibataires sans enfant envoient un signal négatif en terme de productivité espérée et de
coût du travail anticipé. Il est vraisemblable que le plus faible investissement que les recruteurs sont
prêts à réaliser dans le capital humain des jeunes femmes soit lié à l'incertitude. Une première
incertitude porte sur l'éventualité d'une maternité à venir. Or, un congé de maternité est
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particulièrement coûteux pour un établissement financier.
Une seconde incertitude porte sur
8
La convention collective de la banque est particulièrement favorable aux femmes concernant le congé
maternité. Le code du travail prévoit 112 jours de congés durant lesquels la femme perçoit des indemnités
journalières de la Sécurité Sociale, souvent inférieures à son salaire. Dans ce cas, la convention collective de la
banque prévoit un complément de rémunération versé par l'employeur, qui associé aux indemnités de la Sécurité
Sociale assure 100% de son salaire mensuel de base à la salariée. D'autre part, elle prévoit un congé
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l'éventualité d'une ou de plusieurs interruptions de carrière, plus fréquentes et plus longue pour les
femmes que les hommes (Le Minez et Roux [2002]). Si l'on tient compte des différences de coût du
travail entre les femmes et les hommes, on ne peut pas parler de discrimination à l'embauche fondée
exclusivement sur le genre dans le secteur financier, puisque les femmes de 37 ans avec des enfants
ne subissent aucune discrimination significative quel que soit le profil du poste.
Tableau 5. Synthèse des résultats intra-couples
Emplois peu qualifiés
Commercial
Emplois peu qualifiés
Comptabilité-gestion
Emplois qualifiés
Commercial
Emplois qualifiés
Comptabilité-gestion
25 ans
célibataires-sans enfant
37 ans
célibataires-sans enfant
37 ans
mariés-3 enfants
Discrimination
en faveur des femmes
Absence
de discrimination
Absence
de discrimination
Discrimination
en faveur des femmes
Discrimination
en faveur des hommes
Absence
de discrimination
Discrimination
en faveur des hommes
Discrimination
en faveur des femmes
Absence
de discrimination
Discrimination
en faveur des hommes
Absence
de discrimination
Absence
de discrimination
RECOMMANDATIONS DE POLITIQUE ECONOMIQUE
Plusieurs mesures de politique économiques sont envisagées dans la littérature pour renforcer la
présence des femmes sur le marché du travail. Une première mesure évoquée consiste à imposer des
quotas en matière de recrutements de femmes dans des firmes spécifiques, pour des emplois donnés.
Cette discrimination positive accroît les opportunités d'emploi des femmes à des postes
rémunérateurs. Toutefois, Coate et Loury [1993] soulignent que les quotas d'embauche peuvent avoir
un impact désincitatif sur les investissements éducatifs des femmes et, de fait, s'avérer inefficaces.
Une seconde mesure, avancée par François [1998], consiste à subventionner l’externalisation du
travail domestique pour réduire le prix du travail domestique. La subvention induit une diminution du
coût de l'externalisation des tâches ménagères, et de fait, réduit l'espace de négociation liée à la prise
en charge par les femmes des tâches ménagères incombant à leur conjoint. Si la subvention est
suffisamment importante, la femme perçoit un gain équivalent à travailler dans le secteur des emplois
peu rémunérés ou à prendre en charge les tâches ménagères au sein de son ménage, moyennant
une compensation financière de son conjoint. De fait, elle n'a plus d'incitation à accepter un transfert
des tâches ménagères. L'homme doit donc fournir davantage d'efforts au sein du ménage. Sa
supplémentaire de 45 jours calendaires à plein salaire ou 90 jours calendaires à demi salaire, pris en charge par
l'employeur, si la salariée en fait la demande.
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désutilité liée à l'effort augmentant, l’employeur doit accroître son salaire. Il perd alors son incitation à
discriminer, puisqu'il rémunère l'homme à un niveau de salaire indépendant de l'activité de sa
conjointe. Ces préconisations de politiques économiques ne sont toutefois pas suffisantes au regard
des résultats de notre étude. En effet, les femmes semblent pâtir davantage de leur probabilité de
maternité que de leur charge familiale proprement dite. Les congés maternité génèrent donc un coût
organisationnel et salarial plus conséquent pour les firmes. En 1998, les banques ont dénoncé un
ensemble d'avantages acquis présents dans la convention collective, parmi lesquels les dispositions
relatives au congé maternité, plus généreuses que celles en vigueur dans d'autres branches
professionnelles. Depuis, les syndicats représentatifs font pression pour préserver l'ensemble des
avantages sociaux, qui bénéficient essentiellement aux femmes (Fakhfakh, Lemière, Merlateau et
Meurs [2003]). Nos résultats suggèrent que cette situation est sous optimale puisque en l’état, les
dispositions favorables en terme de congés maternité tendent à exclure les femmes potentiellement
concernées des postes à responsabilités. En effet, les banques sont incitées à employer les jeunes
femmes à des postes faiblement qualifiés. Ainsi, la réorganisation liée à leur départ en congé
maternité est facilitée, puisque ces postes nécessitent un capital humain spécifique moins conséquent
que les postes qualifiés. Par ailleurs, le coût salarial induit est plus faible, dans la mesure où ces
postes sont moins rémunérateurs. Une mesure de politique économique découlant de ces constats
consisterait en une mutualisation du coût lié à la maternité entre toutes les entreprises du secteur.
Chaque firme contribuerait au financement du coût, indépendamment de la part de femmes
constituant son effectif. La probabilité de maternité ne serait alors plus une variable discriminante lors
du recrutement des jeunes travailleurs, et de fait, les employeurs seraient plus enclins à recruter des
jeunes femmes à des postes à responsabilité.
CONCLUSION
Les résultats de cette étude confirment la tendance du secteur financier à privilégier le
recrutement de salariés jeunes et qualifiés. Les candidats de 25 ans rencontrent significativement plus
de succès que les candidats plus âgés, quel que soit le profil du poste. C'est toutefois parmi cette
sous-population de travailleurs que la différenciation d'accès à l'emploi est la plus élevée, en défaveur
des jeunes femmes. Toutefois, notre étude montre que ce résultat n'est pas lié à une aversion des
employeurs pour les femmes, mais à leur anticipation d’une productivité féminine en moyenne plus
faible et d’un coût du travail féminin en moyenne plus élevé, au sein de cette catégorie d’âge. En effet,
cette différenciation en défaveur des femmes n'apparaît pas pour les couples plus âgés. Les femmes
semblent donc pâtir davantage de leur probabilité de maternité que de leur charge familiale. Il
conviendrait alors de mutualiser le coût lié à la maternité entre toutes les entreprises du secteur pour
déconnecter la probabilité de maternité des candidates des décisions de recrutement des firmes.
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