La consécration du parallélisme de principe entre provisions
Transcription
La consécration du parallélisme de principe entre provisions
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références Fiscalité La consécration du parallélisme de principe entre provisions comptables et provisions fiscales (CE 23 décembre 2013 n° 346018, Foncière du Rond-Point) La jurisprudence récente montre que le juge de l’impôt s’est efforcé de réduire les divergences entre le traitement comptable et le traitement fiscal des provisions dans le respect des textes et de la logique propre au droit fiscal. Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé par la décision “Foncière du Rond-Point“ du 23 décembre 2013 (n° 346018, plén.), que, lorsqu’une provision a été constituée dans les comptes d’un exercice et qu’elle est fiscalement déductible, l’entreprise doit la déduire au titre de ce même exercice. Sa reprise lors d’un exercice ultérieur entraînera en effet une augmentation de l’actif net du bilan de clôture de l’exercice concerné, et donc du résultat fiscal de ce dernier même si aucune déduction n’a été initialement opérée lors de l’exercice de constitution de la provision. Ainsi, lorsqu’une provision passée dans les écritures comptables est déductible fiscalement, l’entreprise n’a pas le choix : elle est tenue de suivre le traitement comptable en déduisant, au titre de l’exercice où elle a été comptabilisée, la provision de son résultat fiscal. En application de l’article 39, 1-5° du CGI, la déduction des provisions est subordonnée à leur constatation effective dans les écritures de l’exercice. Seules peuvent par conséquent donner lieu à une déduction du résultat fiscal les provisions qui satisfont aux conditions de comptabilisation définies par les autorités comptables. La comptabilisation est donc une condition nécessaire de la déductibilité fiscale. Mais elle n’est pas toujours une condition Résumé de l’article Un arrêt du Conseil d’Etat de 2013 a considéré qu’une provision comptable non déduite fiscalement lors de sa constitution devait néanmoins être réintégrée fiscalement lors de son annulation comptable (d’où une majoration du bénéfice fiscal alors qu’il n’y a pas de déduction fiscale initialement). Cet arrêt a pu paraître surprenant parce que des décisions antérieures n’allaient pas dans ce sens. En fait, la portée de cet arrêt est assez limitée car l’application des corrections symétriques permet de reconstituer la provision fiscale d’origine pourvu que le dernier exercice corrigé ne soit pas prescrit. 46 suffisante, un texte fiscal pouvant exclure toute déduction de certaines provisions. Dans ces conditions, l’arrêt “Foncière du Rond-Point“ a comme conséquence de placer les entreprises qui constituent des provisions dans une situation d’insécurité puisqu’elles s’exposent : • soit à la réintégration sans contrepartie des provisions comptables, si elles ne les ont pas, de bonne foi, déduites sur le plan fiscal ; • soit au rejet de la déductibilité de ces provisions, si elles les ont, à tort, fiscalement déduites. La décision “Foncière du Rond-Point“ a surpris de nombreux professionnels qui ont cru sur le fondement des décisions antérieures, en l’existence d’une liberté de déduction fiscale des provisions déduites au plan comptable. C’est à l’exposé de cette jurisprudence et à la nouveauté de la décision “Foncière du Rond-Point“ éclairée notamment par les conclusions du Rapporteur public Edouard Crepey, que sera consacrée la première partie de cet article. Le seconde partie est consacrée à l’incidence du mécanisme des corrections symétriques et de la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture qui restreint de façon significative la portée de la décision “Foncière du Rond-Point“ qui est interve- // N°478 Juillet-Août 2014 // Revue Française de Comptabilité Par Patrick COLLIN, Directeur des affaires fiscales du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables nue pendant une période où l’intangibilité du bilan d’ouverture, abandonnée par la jurisprudence du Conseil d’Etat, n’avait pas été rétablie par le législateur, ce qui a permis l’application des règles de prescription conduisant à un redressement. Le mécanisme des corrections symétriques et la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture peuvent toutefois être annihilés par la reconnaissance de l’existence d’une erreur comptable délibérée, motivation qui ne devrait être réservée par l’administration et la jurisprudence qu’aux situations manifestement abusives. Ce dernier point constituera la troisième partie cet article. I. La décision “Foncière du Rond-Point“ : évolution ou révolution ? La décision “Foncière du Rond-Point“ a mis un terme à la controverse sur la faculté pour une entreprise, de ne pas déduire fiscalement une provision comptabilisée l’exercice de survenance du risque alors même qu’elle remplit toutes les conditions de déduction de l’article 39-1-5° du CGI. L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 18 novembre 2010 (n° 09-04821) que la Haute Assemblée a infirmé, avait reconnu cette possibilité. Fiscalité D’autres juridictions, tel le Tribunal administratif de Montreuil par ses décisions du 6 décembre 2012 (n° 1109486, Sté Dalkia) et du 4 juillet 2013 (n° 1110039, Sté France Télécom SA) avaient retenu une position inverse et défendu le point de vue suivant lequel un contribuable qui a passé comptablement une provision remplissant les conditions pour être fiscalement déduite doit en principe procéder à sa déduction et ne peut ultérieurement opposer la nonprise en compte initiale de cette provision à l’administration en cas de redressement au titre de l’exercice de la reprise 1. Les décisions antérieures et l’absence de doctrine administrative ont pu laisser croire en l’existence d’une liberté de déduction fiscale des provisions déduites au plan comptable Par le passé, le Conseil d’Etat avait admis : • que la constitution d’une provision est une faculté pour une entreprise et qu’il lui est loisible de ne pas l’exercer du tout (CE 18 décembre 1963 n° 56852 ; CE 12 février 1965 n° 60409) ou de ne l’exercer que partiellement en constituant une provision d’un montant moins élevé que celui qui serait justifié (CE 5 mars 1975 n° 89781, Sté Compagnie centrale ; CE 10 décembre 2004 n° 236706, Sté Roissy Films) ; ces deux dernières décisions concernaient des cas dans lesquels les contribuables avaient comptabilisé des provisions d’un montant inférieur à celui du risque ou de la perte encouru ; • qu’une entreprise peut, dans un premier temps, limiter le montant d’une provision, puis en augmenter le montant à la clôture des exercices suivants dans la limite du risque ou de la perte existant à la clôture de chaque exercice, même si aucun événement influant sur la gravité de ce risque n’est survenu (CE 27-5-1983 n° 27412). Ces décisions, qui avaient retenu des formules ambigües, ont pu laisser croire à l’existence d’une liberté de provisionnement à tel point que nombre de professionnels de la comptabilité ont considéré que la décision “Foncière du Rond-Point“ constituait une véritable surprise et traduisait une solution inique 2. Certains commentateurs considéraient qu’en l’absence de prescription légale expresse et en invoquant la notion de “décision de gestion“ et la symétrie entre la dotation d’une provision et la reprise de celle-ci, une entreprise était libre de déduire fiscalement une provision enregistrée en comptabilité et qu’il était exclu qu’elle fasse l’objet d’un redressement lors de la reprise 3. Ce sentiment était renforcé par le fait que l’administration fiscale ne s’était pas pro- noncée de manière explicite sur ce sujet. Tout au plus, avait-elle adopté une position pragmatique sur la non-taxation d’une reprise de provision comptable non déduite fiscalement par l’entreprise apporteuse. Selon cette doctrine 4, seules les provisions non déductibles par nature (e.g. dotations pour impôts non déductibles, provisions pour retraites, charges futures qu’aucun évènement en cours ne rend probable à la date d’effet de la fusion, etc.) peuvent donner lieu à une neutralisation de la reprise au niveau de la société bénéficiaire des apports. En cas de provisions non déduites par l’apporteuse pour des raisons de convenance (existence de déficits), la non-taxation de la reprise de provision pourra être remise en cause au niveau de la société bénéficiaire des apports, car celle-ci ne peut déduire des charges qui se rapportent à l’exploitation de la société apporteuse. Toutefois, cette position pouvait être interprétée comme visant à lutter contre le transfert des déficits fiscaux dans le cadre d’opérations soumises au régime fiscal de droit commun des fusions 5. Selon la décision “Foncière du Rond-Point“, la constitution d’une provision nécessaire est obligatoire aux plans comptable et fiscal En droit comptable, la dotation d’une provision est obligatoire lorsque les 1. Cf. Revue de jurisprudence fiscale RJF 3/14 ; chronique d’Emilie Bokdam-Tognetti, pages 195 et suivts. 2. Voir l’article de Claude Lopater, “Provisions Ne pas déduire ses provisions peut désormais coûter cher Le Conseil d’Etat met la connexion comptabilité/fiscalité dans tous ses états !“, Feuillet Rapide Francis Lefebvre FR 3/14, p. 14. 3. Cf. article de Gauthier Blanluet, “Du nouveau pour les provisions comptables non déduites fiscalement“, paru au Feuillet Rapide Francis Lefebvre FR 16/11, n°6. 4. Comité fiscal de la mission d’organisation administrative – réunion du 31 janvier 1994. 5. Cf. Etude de Arnaud de Brosses et Mirouna Verban, “Provision comptable/provision comptable. Les entreprises entre le marteau et l’enclume“, Bulletin fiscal Francis Lefebvre 4/14, point 6. 6. Conclusions du Rapporteur public Edouard Crepey dans l’arrêt “Foncière du Rond-Point“, parues à la Revue de Droit fiscal n° 14 du 3 avril 2014. 7. Voir également l’article de Gilles Bachelier “Bénéfices industriels et commerciaux. Sort des provisions comptables non déduites fiscalement“, paru au Feuillet Rapide Francis Lefebvre (FR 2/14, n°1). conditions d’une telle dotation sont remplies. Une entreprise n’est donc pas libre comptablement de d’inscrire ou non une provision à son bilan. En effet, même en cas d’absence ou d’insuffisance du bénéfice, il doit être procédé aux provisions nécessaires pour que les comptes annuels donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise (C. com. art. L 123-20, al. 2 et PCG, art. 312-2). Par la décision “Foncière du Rond-Point“, le Conseil d’Etat juge que « lorsqu’une provision a été constitué dans les comptes de l’exercice et, sauf si les règles de propres au droit fiscal y font obstacle (…), le résultat fiscal de ce même exercice doit, en principe, être diminué du montant de cette provision dont la reprise, lors d’un ou de plusieurs exercices ultérieurs, entraîne en revanche une augmentation de l’actif net du ou des bilans de clôture du ou des exercices correspondants ». Cet arrêt s’inscrit dans le cadre de la jurisprudence qui pose comme principe général l’interprétation des règles fiscales à la lumière des notions comptables, lorsque fiscalité et comptabilité ne sont pas compatibles. Cette décision trouve également son fondement dans la connexion fiscalocomptable inscrite à l’article 38 quater de l’annexe III au CGI qui dispose que « les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l’assiette de l’impôt ». Pour le Rapporteur public Edouard Crepey dans cette affaire (cf. point n° 7 des conclusions 6 7), la question posée par la décision “Foncière du Rond-Point“ relative à une provision comptable non Abstract A 2013 Supreme Court caselaw has stated that an accounting provision not deducted for tax purposes has to be taxed at the time of its reversal generating then a double taxation. This position seems surprising at first sight as the precedent caselaw did not rule in that sense... However the scope of that decision appears to be limited as the French tax rules of “symmetrical corrections“ should entail the reconstitution of the original provision and then a tax deduction. Revue Française de Comptabilité // N°478 Juillet-août 2014 // 47 Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références Fiscalité déduite fiscalement, n’a jamais été tranchée. Dans toutes les affaires antérieures, il se serait agi de situations dans lesquelles les contribuables auraient passé des provisions insuffisantes à la fois sur le plan comptable et sur le plan fiscal. II. Conséquences à venir de la décision “Foncière du Rond-Point“ au regard de la prescription, du mécanisme des corrections symétriques et de la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture La décision “Foncière du Rond-Point“ laisse en suspens de nombreuses questions parmi lesquelles figurent les conséquences de cette nouvelle jurisprudence au regard : • du mécanisme des corrections symétriques qui consiste à corriger de manière symétrique le bilan d’ouverture d’un exercice des erreurs qui y figurent et qui ont été rectifiées au bilan de clôture ; • et de la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit qui constitue une limite à l’application de ce mécanisme. A cet égard, il convient de rappeler que le Conseil d’Etat juge que le mécanisme des corrections symétriques et la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture s’appliquent aux écritures comptables du bilan après retraitement fiscal extracomptable (cf. CE 30 juin 2008 n° 288314, 3ème et 8ème s.-s., Lemoine ; RJF 10/08, n° 1100). Ainsi, pour être rapportée au résultat imposable de l’exercice de reprise, la provision doit nécessairement être inscrite au bilan fiscal d’ouverture de cet exercice. Mais, s’agissant d’une écriture se rapportant dans plusieurs bilans successifs, l’administration doit corriger tous les bilans antérieurs non atteints par la prescription où cette provision se retrouve. Plusieurs situations doivent être distinguées : Provision dotée au cours d’un exercice non prescrit Si la provision a été dotée lors d’un exercice non prescrit, l’administration va devoir remonter jusqu’à cet exercice par application de la théorie des corrections symétriques (bilan fiscal après retraitement extracomptable). Elle fera apparaître la provision à la clôture de l’exercice, sans pouvoir l’inscrire au bilan d’ouverture, puisqu’à cette date la dotation n’a pas été enregistrée dans 48 les comptes. Il en résultera une variation d’actif net négative qui devrait ouvrir droit à une déduction égale à la réintégration opérée au titre de l’exercice de reprise. A cet égard, il convient de remarquer que le contribuable n’échappera pas nécessairement pour autant au redressement au titre de l’exercice de reprise, comme pourrait le laisser penser une lecture a contrario de la dernière phrase du deuxième considérant de l’arrêt aux termes duquel: « ces corrections demeurent toutefois sans incidence sur le bien-fondé du rehaussement des bases d’imposition de l’année au cours de laquelle la perte a été constatée lorsque le plus ancien des exercices concernés est prescrit » 8. Une telle position serait, selon certains auteurs, contraire aux principes d’annualité de l’impôt et de spécialité des exercices dans la mesure où la dotation et la réintégration concernent des exercices différents 9. Il appartiendrait donc au contribuable de demander expressément un dégrèvement au titre de l’exercice de dotation. Provision dotée au cours d’un exercice prescrit Si la provision a été dotée lors d’un exercice prescrit, il convient d’analyser si la reprise est intervenue : • avant le 1er janvier 2005, c’est-à-dire sous l’empire de l’abandon de la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit résultant de la décision min. c/ Sarl Ghesquière Equipement (CE 7 juillet 2004 n° 230169) ; • après le 1er janvier 2005, c’est-à-dire après que la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture eut été rétablie par l’article 38 4 bis du CGI issu de la loi de finances pour 2005. L’hypothèse d’une reprise avant le 1er janvier 2005 correspond à celle de l’arrêt “Foncière du Rond-point“ dans laquelle le contribuable acquitte l’impôt sur la reprise d’une provision qu’il n’a pas déduite et qu’il ne pourra jamais déduire puisque les règles de prescription s’opposent à ce qu’il puisse rétablir la situation qui aurait dû prévaloir s’il avait déduit la provision. Si la reprise intervient après le 1er janvier 2005, il convient de distinguer selon que : • l’exercice de reprise est le premier exercice non prescrit ; dans cette hypothèse, 8. Cf. Revue de Droit fiscal n° 14, 3 avril 2014 ; Note G. Blanluet, pp. 24 et suivts. 9. Cf. Revue de jurisprudence fiscale RJF 3/14 ; chronique Emilie Bokdam-Tognetti, pages 195 et suivts). // N°478 Juillet-Août 2014 // Revue Française de Comptabilité l’impossibilité de corriger le bilan d’ouverture fait obstacle au rehaussement, la provision en cause n’y figurant pas ; • l’exercice de reprise n’est pas le premier exercice non prescrit ; dans cette hypothèse, la provision peut être inscrite au bilan d’ouverture ; mais par application des corrections symétriques, la provision doit être affectée au bilan de clôture du premier exercice non prescrit, le bilan d’ouverture restant intangible ; il en résultera une variation d’actif net négative au titre de cet exercice ce qui fera donc bénéficier l’entreprise d’une déduction au titre du premier exercice non prescrit. Dans ce dernier cas, la déduction ouvrira droit à un dégrèvement sauf si elle devait être neutralisée en application des règles de l’intégration fiscale. III. La reconnaissance de l’existence d’une erreur comptable délibérée, comme les redressements, doivent être réservés aux situations manifestement abusives Incidences de l’existence d’une erreur délibérée sur le mécanisme des corrections symétriques et sur la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit Les corrections symétriques ne s’appliquent pas en cas d’erreurs « délibérées » ou « volontaires », dès lors que le Conseil d’Etat a posé une exception à l’application du principe de correction symétrique des bilans dans ces situations (CE 22 décembre 1967 n° 63437 et 64187 ; CE 24 novembre 1971 n° 75549 plén. ; CE 27 juillet 1979 n°11717, SARL X ; CE 7 juillet 2004 n°230169 ass., min. c/ SARL Ghesquière Equipement). Il en est ainsi, notamment, dans les cas d’omissions volontaires répétées d’exercice en exercice de tout ou partie des créances acquises à la date de clôture de chacun des bilans successifs établis au cours de la période vérifiée ou lorsque le chef d’entreprise change, à son gré, le mode de comptabilisation de ces mêmes créances dans l’intention de faire échapper à l’impôt le montant des sommes correspondantes. Il en est de même lorsqu’un contribuable s’est abstenu systématiquement de manière délibérée de faire figurer dans ses bilans certaines catégories de stocks ou lorsqu’une erreur comptable volontaire a été commise à des fins non fiscales (BOI-BIC-BASE-40-20-10, n° 20). Fiscalité Quant à la règle de l’intangibilité de l’actif net du bilan de clôture du dernier exercice prescrit, le Conseil d’Etat (CE 27 juillet 1979 n° 11717, SARL X précité) avait considéré qu’elle ne pouvait bénéficier au contribuable (dans les rares cas où elle lui est favorable) si la surestimation de cet actif net procède d’initiatives délibérément irrégulières. Mais le Rapporteur public Edouard Crepey dans l’affaire “Foncière du RondPoint“ (cf. point 16 des conclusions) fait remarquer que l’existence d’une erreur délibérée ne devrait pas en neutraliser l’application puisqu’il s’agit d’une règle objective et absolue qui s’impose en toutes circonstances à toutes les parties au litige. Et ce d’autant plus que, depuis l’introduction dans le CGI de l’article 38 4 bis par la loi de finances pour 2005, « le principe d’intangibilité du bilan d’ouverture trouve sa source dans la loi et son champ d’application est aussi fixé dans la loi. L’erreur délibérée ne figure pas dans la liste, dressée par le législateur, des exceptions au principe d’intangibilité. Elle ne peut donc faire obstacle à son application » 10. L’appréciation de la notion d’erreur comptable délibérée Par la décision “Foncière du Rond-Point“ le Conseil d’Etat juge qu’une provision constituée dans les comptes d’un exercice doit, sauf si les règles propres du droit fiscal s’y opposent, être déduite fiscalement, et sa reprise lors d’un exercice ultérieur entraîne une augmentation de l’actif net du bilan de clôture de l’exercice concerné Les redressements qui seront effectués en s’appuyant sur cette décision n’ont réellement d’intérêt que s’ils s’appuient sur les règles de prescription ; en effet, ce sont les règles de prescription qui empêchent le contribuable de réclamer une déduction, soit parce que, pour des faits antérieurs à 2005, l’exercice de dotation de la provision est prescrit, soit parce que la règle des corrections symétriques ne peut s’appliquer en présence d’une erreur comptable délibérée. A cet égard, il convient de rappeler q u ’ e n c o m p t a b i l i t é u n e p ro v i s i o n s’entend d’un passif dont l’échéance ou le montant n’est pas fixé de façon précise (PCG, art. 212-3) et que la constatation d’une provision est obligatoire en comptabilité lorsque l’entreprise a une obligation envers un tiers et qu’il est probable que cette obligation provoquera une sortie de ressources au bénéfice de ce tiers sans contrepartie au moins équivalent attendue de celuici (PCG, art. 312-1). L’exigence, posée par l’actuel plan comptable, d’absence de contrepartie émanant du tiers envers lequel l’entreprise est tenue n’est pas prévue au plan fiscal. Cette condition, dont l’application n’est pas sans poser des difficultés d’appréciation, peut dans certains cas (limités) empêcher, faute de comptabilisation, la déduction de provisions qui étaient auparavant déductibles du résultat imposable. Les conditions comptables de constitution des provisions sont plus strictes que les conditions imposées par les règles fiscales ce qui théoriquement devrait donc restreindre les cas où la déduction comptable est obligatoire alors qu’elle ne le serait pas au plan fiscal. Il reste que l’enregistrement de provisions au plan comptable et la déduction au plan fiscal comprend une marge d’interprétation. Pour ces raisons, la notion d’erreur comptable délibérée devrait faire l’objet de précisions au regard de cette définition comptable des provisions. Selon certains commentaires 11, il ne saurait y avoir d’erreur comptable délibérée de la part d’un contribuable qui : • ne déduit pas, par prudence, une provision qui pourrait être considérée comme non déductible par l’administration ; • n’ignorait pas que la provision était déductible mais qui a usé de cette faculté en se référant à l’interprétation communément admise de la jurisprudence antérieure à la décision “Foncière du Rond-Point“. Les redressements fiscaux ne devraient concerner que les cas manifestement abusifs D’aucuns seraient tentés de déduire les provisions enregistrées en comptabilité, 10. Cf. article de Gauthier Blanluet, Revue de Droit fiscal n° 14, 3 avril 2014, pp. 24 et suivts. 11. Cf. article Gauthier Blanluet, Revue de Droit fiscal n° 14, 3 avril 2014, pp. 24 et suivts. 12. Cf. Etude de Arnaud de Brosses et Mirouna Verban, “Provision comptable/ provision comptable. Les entreprises entre le marteau et l’enclume“, Bulletin fiscal Francis Lefebvre 4/14, point 6. qu’elles soient déductibles ou non au plan fiscal, quitte à s’exposer à leur réintégration à l’issue d’un contrôle fiscal. D’autres, peut-être plus sourcilleux, préféreront réintégrer des provisions qu’ils estiment non déductibles et s’exposer à un redressement entraîné par la nondéduction de la reprise de provision. Les entreprises se retrouvent donc coincées entre le marteau et l’enclume selon la formule employée par Arnaud de Brosses et Mirouna Verban dans leur article paru au Bulletin Fiscal Francis Lefebvre d’avril 2014. Face à ce dilemme, les professionnels de la comptabilité ne peuvent que souhaiter que les contrôles à venir sur les exercices antérieurs à 2014 soient caractérisés par une certaine retenue, voire que, par le fait de tolérances administratives précisées par la doctrine administrative, les redressements soient limités à certaines hypothèses de manipulations délibérées caractérisées de la part du contribuable et qu’en toute hypothèse les sanctions fiscales accompagnant les redressements ne soient pas prononcées ou au moins soient limitées. A cet égard, il conviendrait de faire valoir la conviction de bonne foi des praticiens que les provisions pouvaient ne pas être déduites fiscalement, compte tenu de : • la jurisprudence antérieure qui avait jugé de manière constante qu’une écriture de provision que l’entreprise peut ne pas exercer ou n’exercer que partiellement (cf. points 6 et 7 des conclusions du Rapporteur public Edouard Crépey) ; • l’ambiguïté de la doctrine administrative qui avait émis un avis négatif du Comité fiscal de la Mission d’organisation administrative du 31 janvier 1994) 12 ; • la subtilité qui caractérise trop souvent les conditions de déductibilité fiscale, mais aussi comptable, des provisions. Ceci, sans compter le paradoxe, pour le moins, qu’il y aurait à sanctionner par des redressements inconsidérés la prudence ayant conduit à ne pas minorer le résultat fiscal, donc l’impôt ... Cette conviction est partagée par certains 13. Enfin, la qualification de manquement délibéré de nature à neutraliser les corrections symétriques ne saurait être que très exceptionnellement retenue (cf. point 17 des conclusions du Rapporteur public Edouard Crépey). 13. Cf. article de Claude Lopater, “Le Conseil d’Etat met la connexion comptabilité/fiscalité dans tous ses états !“, FR 3/14, n°14. Revue Française de Comptabilité // N°478 Juillet-août 2014 // 49