La consécration du parallélisme de principe entre provisions

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La consécration du parallélisme de principe entre provisions
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
Fiscalité
La consécration du parallélisme de
principe entre provisions comptables
et provisions fiscales
(CE 23 décembre 2013 n° 346018, Foncière du Rond-Point)
La jurisprudence récente montre que le juge de l’impôt s’est efforcé de réduire
les divergences entre le traitement comptable et le traitement fiscal des
provisions dans le respect des textes et de la logique propre au droit fiscal.
Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé par la décision “Foncière du Rond-Point“
du 23 décembre 2013 (n° 346018, plén.), que, lorsqu’une provision a été
constituée dans les comptes d’un exercice et qu’elle est fiscalement
déductible, l’entreprise doit la déduire au titre de ce même exercice. Sa
reprise lors d’un exercice ultérieur entraînera en effet une augmentation
de l’actif net du bilan de clôture de l’exercice concerné, et donc du résultat
fiscal de ce dernier même si aucune déduction n’a été initialement opérée
lors de l’exercice de constitution de la provision.
Ainsi, lorsqu’une provision passée dans les écritures comptables est
déductible fiscalement, l’entreprise n’a pas le choix : elle est tenue de
suivre le traitement comptable en déduisant, au titre de l’exercice où elle
a été comptabilisée, la provision de son résultat fiscal.
En application de l’article 39, 1-5° du CGI,
la déduction des provisions est subordonnée à leur constatation effective dans les
écritures de l’exercice. Seules peuvent par
conséquent donner lieu à une déduction
du résultat fiscal les provisions qui satisfont aux conditions de comptabilisation
définies par les autorités comptables. La
comptabilisation est donc une condition
nécessaire de la déductibilité fiscale.
Mais elle n’est pas toujours une condition
Résumé de l’article
Un arrêt du Conseil d’Etat de 2013
a considéré qu’une provision comptable non déduite fiscalement lors
de sa constitution devait néanmoins
être réintégrée fiscalement lors de
son annulation comptable (d’où
une majoration du bénéfice fiscal
alors qu’il n’y a pas de déduction
fiscale initialement). Cet arrêt a pu
paraître surprenant parce que des
décisions antérieures n’allaient pas
dans ce sens. En fait, la portée
de cet arrêt est assez limitée car
l’application des corrections symétriques permet de reconstituer la
provision fiscale d’origine pourvu
que le dernier exercice corrigé ne
soit pas prescrit.
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suffisante, un texte fiscal pouvant exclure
toute déduction de certaines provisions.
Dans ces conditions, l’arrêt “Foncière du
Rond-Point“ a comme conséquence de
placer les entreprises qui constituent des
provisions dans une situation d’insécurité
puisqu’elles s’exposent :
• soit à la réintégration sans contrepartie
des provisions comptables, si elles ne
les ont pas, de bonne foi, déduites sur le
plan fiscal ;
• soit au rejet de la déductibilité de ces
provisions, si elles les ont, à tort, fiscalement déduites.
La décision “Foncière du Rond-Point“ a
surpris de nombreux professionnels qui
ont cru sur le fondement des décisions
antérieures, en l’existence d’une liberté de
déduction fiscale des provisions déduites
au plan comptable. C’est à l’exposé de
cette jurisprudence et à la nouveauté de
la décision “Foncière du Rond-Point“
éclairée notamment par les conclusions
du Rapporteur public Edouard Crepey,
que sera consacrée la première partie de
cet article.
Le seconde partie est consacrée à
l’incidence du mécanisme des corrections
symétriques et de la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture qui restreint de
façon significative la portée de la décision
“Foncière du Rond-Point“ qui est interve-
// N°478 Juillet-Août 2014 // Revue Française de Comptabilité
Par Patrick COLLIN,
Directeur des affaires fiscales
du Conseil supérieur de l’ordre
des experts-comptables
nue pendant une période où l’intangibilité
du bilan d’ouverture, abandonnée par la
jurisprudence du Conseil d’Etat, n’avait
pas été rétablie par le législateur, ce qui
a permis l’application des règles de prescription conduisant à un redressement.
Le mécanisme des corrections symétriques et la règle de l’intangibilité du
bilan d’ouverture peuvent toutefois être
annihilés par la reconnaissance de l’existence d’une erreur comptable délibérée,
motivation qui ne devrait être réservée par
l’administration et la jurisprudence qu’aux
situations manifestement abusives. Ce
dernier point constituera la troisième
partie cet article.
I. La décision “Foncière
du Rond-Point“ :
évolution ou révolution ?
La décision “Foncière du Rond-Point“
a mis un terme à la controverse sur la
faculté pour une entreprise, de ne pas
déduire fiscalement une provision comptabilisée l’exercice de survenance du
risque alors même qu’elle remplit toutes
les conditions de déduction de l’article
39-1-5° du CGI.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de
Paris du 18 novembre 2010 (n° 09-04821)
que la Haute Assemblée a infirmé, avait
reconnu cette possibilité.
Fiscalité
D’autres juridictions, tel le Tribunal administratif de Montreuil par ses décisions du
6 décembre 2012 (n° 1109486, Sté Dalkia)
et du 4 juillet 2013 (n° 1110039, Sté France
Télécom SA) avaient retenu une position
inverse et défendu le point de vue suivant
lequel un contribuable qui a passé comptablement une provision remplissant les
conditions pour être fiscalement déduite
doit en principe procéder à sa déduction
et ne peut ultérieurement opposer la nonprise en compte initiale de cette provision
à l’administration en cas de redressement
au titre de l’exercice de la reprise 1.
Les décisions antérieures
et l’absence de doctrine
administrative ont pu laisser
croire en l’existence d’une
liberté de déduction fiscale des
provisions déduites au plan
comptable
Par le passé, le Conseil d’Etat avait admis :
• que la constitution d’une provision est
une faculté pour une entreprise et qu’il
lui est loisible de ne pas l’exercer du tout
(CE 18 décembre 1963 n° 56852 ; CE
12 février 1965 n° 60409) ou de ne l’exercer que partiellement en constituant une
provision d’un montant moins élevé que
celui qui serait justifié (CE 5 mars 1975
n° 89781, Sté Compagnie centrale ; CE
10 décembre 2004 n° 236706, Sté Roissy
Films) ; ces deux dernières décisions
concernaient des cas dans lesquels les
contribuables avaient comptabilisé des
provisions d’un montant inférieur à celui
du risque ou de la perte encouru ;
• qu’une entreprise peut, dans un premier
temps, limiter le montant d’une provision,
puis en augmenter le montant à la clôture
des exercices suivants dans la limite du
risque ou de la perte existant à la clôture
de chaque exercice, même si aucun événement influant sur la gravité de ce risque
n’est survenu (CE 27-5-1983 n° 27412).
Ces décisions, qui avaient retenu des
formules ambigües, ont pu laisser croire
à l’existence d’une liberté de provisionnement à tel point que nombre de
professionnels de la comptabilité ont
considéré que la décision “Foncière du
Rond-Point“ constituait une véritable
surprise et traduisait une solution inique 2.
Certains commentateurs considéraient
qu’en l’absence de prescription légale
expresse et en invoquant la notion de
“décision de gestion“ et la symétrie entre
la dotation d’une provision et la reprise de
celle-ci, une entreprise était libre de déduire
fiscalement une provision enregistrée en
comptabilité et qu’il était exclu qu’elle fasse
l’objet d’un redressement lors de la reprise 3.
Ce sentiment était renforcé par le fait que
l’administration fiscale ne s’était pas pro-
noncée de manière explicite sur ce sujet.
Tout au plus, avait-elle adopté une position
pragmatique sur la non-taxation d’une
reprise de provision comptable non déduite
fiscalement par l’entreprise apporteuse.
Selon cette doctrine 4, seules les provisions
non déductibles par nature (e.g. dotations
pour impôts non déductibles, provisions
pour retraites, charges futures qu’aucun évènement en cours ne rend probable à la date
d’effet de la fusion, etc.) peuvent donner lieu
à une neutralisation de la reprise au niveau
de la société bénéficiaire des apports. En cas
de provisions non déduites par l’apporteuse
pour des raisons de convenance (existence
de déficits), la non-taxation de la reprise de
provision pourra être remise en cause au
niveau de la société bénéficiaire des apports,
car celle-ci ne peut déduire des charges qui
se rapportent à l’exploitation de la société
apporteuse.
Toutefois, cette position pouvait être
interprétée comme visant à lutter contre
le transfert des déficits fiscaux dans le
cadre d’opérations soumises au régime
fiscal de droit commun des fusions 5.
Selon la décision “Foncière du
Rond-Point“, la constitution
d’une provision nécessaire est
obligatoire aux plans comptable
et fiscal
En droit comptable, la dotation d’une
provision est obligatoire lorsque les
1. Cf. Revue de jurisprudence fiscale RJF
3/14 ; chronique d’Emilie Bokdam-Tognetti,
pages 195 et suivts.
2. Voir l’article de Claude Lopater, “Provisions
Ne pas déduire ses provisions peut désormais
coûter cher Le Conseil d’Etat met la connexion
comptabilité/fiscalité dans tous ses états !“,
Feuillet Rapide Francis Lefebvre FR 3/14, p. 14.
3. Cf. article de Gauthier Blanluet, “Du nouveau
pour les provisions comptables non déduites
fiscalement“, paru au Feuillet Rapide Francis
Lefebvre FR 16/11, n°6.
4. Comité fiscal de la mission d’organisation
administrative – réunion du 31 janvier 1994.
5. Cf. Etude de Arnaud de Brosses et Mirouna
Verban, “Provision comptable/provision
comptable. Les entreprises entre le marteau
et l’enclume“, Bulletin fiscal Francis Lefebvre
4/14, point 6.
6. Conclusions du Rapporteur public Edouard
Crepey dans l’arrêt “Foncière du Rond-Point“,
parues à la Revue de Droit fiscal n° 14 du
3 avril 2014.
7. Voir également l’article de Gilles Bachelier
“Bénéfices industriels et commerciaux. Sort
des provisions comptables non déduites
fiscalement“, paru au Feuillet Rapide Francis
Lefebvre (FR 2/14, n°1).
conditions d’une telle dotation sont remplies. Une entreprise n’est donc pas libre
comptablement de d’inscrire ou non une
provision à son bilan.
En effet, même en cas d’absence ou d’insuffisance du bénéfice, il doit être procédé
aux provisions nécessaires pour que les
comptes annuels donnent une image fidèle
du patrimoine, de la situation financière
et du résultat de l’entreprise (C. com. art.
L 123-20, al. 2 et PCG, art. 312-2).
Par la décision “Foncière du Rond-Point“,
le Conseil d’Etat juge que « lorsqu’une
provision a été constitué dans les
comptes de l’exercice et, sauf si les règles
de propres au droit fiscal y font obstacle
(…), le résultat fiscal de ce même exercice
doit, en principe, être diminué du montant
de cette provision dont la reprise, lors
d’un ou de plusieurs exercices ultérieurs,
entraîne en revanche une augmentation
de l’actif net du ou des bilans de clôture
du ou des exercices correspondants ».
Cet arrêt s’inscrit dans le cadre de la jurisprudence qui pose comme principe général
l’interprétation des règles fiscales à la lumière
des notions comptables, lorsque fiscalité et
comptabilité ne sont pas compatibles.
Cette décision trouve également son
fondement dans la connexion fiscalocomptable inscrite à l’article 38 quater
de l’annexe III au CGI qui dispose que
« les entreprises doivent respecter les
définitions édictées par le comptable
général, sous réserve que celles-ci ne
soient pas incompatibles avec les règles
applicables pour l’assiette de l’impôt ».
Pour le Rapporteur public Edouard
Crepey dans cette affaire (cf. point n° 7
des conclusions 6 7), la question posée
par la décision “Foncière du Rond-Point“
relative à une provision comptable non
Abstract
A 2013 Supreme Court caselaw has
stated that an accounting provision
not deducted for tax purposes has
to be taxed at the time of its reversal
generating then a double taxation.
This position seems surprising at
first sight as the precedent caselaw
did not rule in that sense... However
the scope of that decision appears
to be limited as the French tax
rules of “symmetrical corrections“
should entail the reconstitution of
the original provision and then a tax
deduction.
Revue Française de Comptabilité // N°478 Juillet-août 2014 //
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Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
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déduite fiscalement, n’a jamais été tranchée. Dans toutes les affaires antérieures,
il se serait agi de situations dans lesquelles les contribuables auraient passé
des provisions insuffisantes à la fois sur
le plan comptable et sur le plan fiscal.
II. Conséquences à venir
de la décision “Foncière
du Rond-Point“ au
regard de la prescription,
du mécanisme des
corrections symétriques
et de la règle de
l’intangibilité du bilan
d’ouverture
La décision “Foncière du Rond-Point“
laisse en suspens de nombreuses questions parmi lesquelles figurent les conséquences de cette nouvelle jurisprudence
au regard :
• du mécanisme des corrections symétriques qui consiste à corriger de manière
symétrique le bilan d’ouverture d’un exercice des erreurs qui y figurent et qui ont
été rectifiées au bilan de clôture ;
• et de la règle de l’intangibilité du bilan
d’ouverture du premier exercice non prescrit qui constitue une limite à l’application
de ce mécanisme.
A cet égard, il convient de rappeler que
le Conseil d’Etat juge que le mécanisme
des corrections symétriques et la règle
de l’intangibilité du bilan d’ouverture
s’appliquent aux écritures comptables
du bilan après retraitement fiscal extracomptable (cf. CE 30 juin 2008 n° 288314,
3ème et 8ème s.-s., Lemoine ; RJF 10/08,
n° 1100).
Ainsi, pour être rapportée au résultat imposable de l’exercice de reprise, la provision
doit nécessairement être inscrite au bilan
fiscal d’ouverture de cet exercice. Mais,
s’agissant d’une écriture se rapportant
dans plusieurs bilans successifs, l’administration doit corriger tous les bilans antérieurs non atteints par la prescription où
cette provision se retrouve.
Plusieurs situations doivent être distinguées :
Provision dotée au cours
d’un exercice non prescrit
Si la provision a été dotée lors d’un
exercice non prescrit, l’administration va
devoir remonter jusqu’à cet exercice par
application de la théorie des corrections
symétriques (bilan fiscal après retraitement extracomptable).
Elle fera apparaître la provision à la clôture
de l’exercice, sans pouvoir l’inscrire au
bilan d’ouverture, puisqu’à cette date
la dotation n’a pas été enregistrée dans
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les comptes. Il en résultera une variation
d’actif net négative qui devrait ouvrir droit
à une déduction égale à la réintégration
opérée au titre de l’exercice de reprise.
A cet égard, il convient de remarquer que
le contribuable n’échappera pas nécessairement pour autant au redressement
au titre de l’exercice de reprise, comme
pourrait le laisser penser une lecture a
contrario de la dernière phrase du deuxième considérant de l’arrêt aux termes
duquel: « ces corrections demeurent
toutefois sans incidence sur le bien-fondé
du rehaussement des bases d’imposition
de l’année au cours de laquelle la perte a
été constatée lorsque le plus ancien des
exercices concernés est prescrit » 8.
Une telle position serait, selon certains
auteurs, contraire aux principes d’annualité de l’impôt et de spécialité des exercices dans la mesure où la dotation et la
réintégration concernent des exercices
différents 9. Il appartiendrait donc au
contribuable de demander expressément
un dégrèvement au titre de l’exercice de
dotation.
Provision dotée au cours
d’un exercice prescrit
Si la provision a été dotée lors d’un exercice prescrit, il convient d’analyser si la
reprise est intervenue :
• avant le 1er janvier 2005, c’est-à-dire
sous l’empire de l’abandon de la règle
de l’intangibilité du bilan d’ouverture du
premier exercice non prescrit résultant
de la décision min. c/ Sarl Ghesquière
Equipement (CE 7 juillet 2004 n° 230169) ;
• après le 1er janvier 2005, c’est-à-dire
après que la règle de l’intangibilité du
bilan d’ouverture eut été rétablie par
l’article 38 4 bis du CGI issu de la loi de
finances pour 2005.
L’hypothèse d’une reprise avant le 1er janvier 2005 correspond à celle de l’arrêt
“Foncière du Rond-point“ dans laquelle le
contribuable acquitte l’impôt sur la reprise
d’une provision qu’il n’a pas déduite et
qu’il ne pourra jamais déduire puisque
les règles de prescription s’opposent à ce
qu’il puisse rétablir la situation qui aurait
dû prévaloir s’il avait déduit la provision.
Si la reprise intervient après le 1er janvier
2005, il convient de distinguer selon que :
• l’exercice de reprise est le premier exercice non prescrit ; dans cette hypothèse,
8. Cf. Revue de Droit fiscal n° 14, 3 avril
2014 ; Note G. Blanluet, pp. 24 et suivts.
9. Cf. Revue de jurisprudence fiscale RJF
3/14 ; chronique Emilie Bokdam-Tognetti,
pages 195 et suivts).
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l’impossibilité de corriger le bilan d’ouverture fait obstacle au rehaussement, la
provision en cause n’y figurant pas ;
• l’exercice de reprise n’est pas le
premier exercice non prescrit ; dans
cette hypothèse, la provision peut être
inscrite au bilan d’ouverture ; mais par
application des corrections symétriques,
la provision doit être affectée au bilan de
clôture du premier exercice non prescrit,
le bilan d’ouverture restant intangible ;
il en résultera une variation d’actif net
négative au titre de cet exercice ce qui
fera donc bénéficier l’entreprise d’une
déduction au titre du premier exercice
non prescrit.
Dans ce dernier cas, la déduction ouvrira
droit à un dégrèvement sauf si elle devait
être neutralisée en application des règles
de l’intégration fiscale.
III. La reconnaissance
de l’existence d’une
erreur comptable
délibérée, comme les
redressements, doivent
être réservés aux
situations manifestement
abusives
Incidences de l’existence d’une
erreur délibérée sur le mécanisme
des corrections symétriques
et sur la règle de l’intangibilité
du bilan d’ouverture du premier
exercice non prescrit
Les corrections symétriques ne s’appliquent pas en cas d’erreurs « délibérées
» ou « volontaires », dès lors que le Conseil
d’Etat a posé une exception à l’application du principe de correction symétrique
des bilans dans ces situations (CE 22
décembre 1967 n° 63437 et 64187 ; CE
24 novembre 1971 n° 75549 plén. ; CE
27 juillet 1979 n°11717, SARL X ; CE
7 juillet 2004 n°230169 ass., min. c/ SARL
Ghesquière Equipement).
Il en est ainsi, notamment, dans les
cas d’omissions volontaires répétées
d’exercice en exercice de tout ou partie des créances acquises à la date de
clôture de chacun des bilans successifs
établis au cours de la période vérifiée
ou lorsque le chef d’entreprise change,
à son gré, le mode de comptabilisation
de ces mêmes créances dans l’intention
de faire échapper à l’impôt le montant
des sommes correspondantes. Il en est
de même lorsqu’un contribuable s’est
abstenu systématiquement de manière
délibérée de faire figurer dans ses
bilans certaines catégories de stocks ou
lorsqu’une erreur comptable volontaire
a été commise à des fins non fiscales
(BOI-BIC-BASE-40-20-10, n° 20).
Fiscalité
Quant à la règle de l’intangibilité de l’actif
net du bilan de clôture du dernier exercice
prescrit, le Conseil d’Etat (CE 27 juillet
1979 n° 11717, SARL X précité) avait
considéré qu’elle ne pouvait bénéficier
au contribuable (dans les rares cas où
elle lui est favorable) si la surestimation
de cet actif net procède d’initiatives
délibérément irrégulières.
Mais le Rapporteur public Edouard
Crepey dans l’affaire “Foncière du RondPoint“ (cf. point 16 des conclusions) fait
remarquer que l’existence d’une erreur
délibérée ne devrait pas en neutraliser
l’application puisqu’il s’agit d’une règle
objective et absolue qui s’impose en
toutes circonstances à toutes les parties
au litige.
Et ce d’autant plus que, depuis l’introduction dans le CGI de l’article 38 4 bis
par la loi de finances pour 2005, « le
principe d’intangibilité du bilan d’ouverture trouve sa source dans la loi et son
champ d’application est aussi fixé dans la
loi. L’erreur délibérée ne figure pas dans
la liste, dressée par le législateur, des
exceptions au principe d’intangibilité.
Elle ne peut donc faire obstacle à son
application » 10.
L’appréciation de la notion
d’erreur comptable délibérée
Par la décision “Foncière du Rond-Point“
le Conseil d’Etat juge qu’une provision
constituée dans les comptes d’un exercice doit, sauf si les règles propres du
droit fiscal s’y opposent, être déduite fiscalement, et sa reprise lors d’un exercice
ultérieur entraîne une augmentation de
l’actif net du bilan de clôture de l’exercice
concerné
Les redressements qui seront effectués
en s’appuyant sur cette décision n’ont
réellement d’intérêt que s’ils s’appuient
sur les règles de prescription ; en effet,
ce sont les règles de prescription qui
empêchent le contribuable de réclamer
une déduction, soit parce que, pour des
faits antérieurs à 2005, l’exercice de dotation de la provision est prescrit, soit parce
que la règle des corrections symétriques
ne peut s’appliquer en présence d’une
erreur comptable délibérée.
A cet égard, il convient de rappeler
q u ’ e n c o m p t a b i l i t é u n e p ro v i s i o n
s’entend d’un passif dont l’échéance
ou le montant n’est pas fixé de façon
précise (PCG, art. 212-3) et que la
constatation d’une provision est obligatoire en comptabilité lorsque l’entreprise a une obligation envers un tiers et
qu’il est probable que cette obligation
provoquera une sortie de ressources au
bénéfice de ce tiers sans contrepartie
au moins équivalent attendue de celuici (PCG, art. 312-1).
L’exigence, posée par l’actuel plan
comptable, d’absence de contrepartie
émanant du tiers envers lequel l’entreprise est tenue n’est pas prévue au plan
fiscal. Cette condition, dont l’application
n’est pas sans poser des difficultés
d’appréciation, peut dans certains cas
(limités) empêcher, faute de comptabilisation, la déduction de provisions
qui étaient auparavant déductibles du
résultat imposable.
Les conditions comptables de constitution des provisions sont plus strictes que
les conditions imposées par les règles
fiscales ce qui théoriquement devrait
donc restreindre les cas où la déduction
comptable est obligatoire alors qu’elle ne
le serait pas au plan fiscal.
Il reste que l’enregistrement de provisions
au plan comptable et la déduction au plan
fiscal comprend une marge d’interprétation.
Pour ces raisons, la notion d’erreur
comptable délibérée devrait faire l’objet
de précisions au regard de cette définition
comptable des provisions.
Selon certains commentaires 11, il ne saurait y avoir d’erreur comptable délibérée
de la part d’un contribuable qui :
• ne déduit pas, par prudence, une provision qui pourrait être considérée comme
non déductible par l’administration ;
• n’ignorait pas que la provision était
déductible mais qui a usé de cette faculté
en se référant à l’interprétation communément admise de la jurisprudence
antérieure à la décision “Foncière du
Rond-Point“.
Les redressements fiscaux ne
devraient concerner que les cas
manifestement abusifs
D’aucuns seraient tentés de déduire les
provisions enregistrées en comptabilité,
10. Cf. article de Gauthier Blanluet, Revue
de Droit fiscal n° 14, 3 avril 2014, pp. 24 et
suivts.
11. Cf. article Gauthier Blanluet, Revue de
Droit fiscal n° 14, 3 avril 2014, pp. 24 et
suivts.
12. Cf. Etude de Arnaud de Brosses et
Mirouna Verban, “Provision comptable/
provision comptable. Les entreprises entre le
marteau et l’enclume“, Bulletin fiscal Francis
Lefebvre 4/14, point 6.
qu’elles soient déductibles ou non au plan
fiscal, quitte à s’exposer à leur réintégration à l’issue d’un contrôle fiscal.
D’autres, peut-être plus sourcilleux, préféreront réintégrer des provisions qu’ils
estiment non déductibles et s’exposer
à un redressement entraîné par la nondéduction de la reprise de provision.
Les entreprises se retrouvent donc
coincées entre le marteau et l’enclume
selon la formule employée par Arnaud
de Brosses et Mirouna Verban dans leur
article paru au Bulletin Fiscal Francis
Lefebvre d’avril 2014.
Face à ce dilemme, les professionnels de
la comptabilité ne peuvent que souhaiter
que les contrôles à venir sur les exercices
antérieurs à 2014 soient caractérisés par
une certaine retenue, voire que, par le
fait de tolérances administratives précisées par la doctrine administrative, les
redressements soient limités à certaines
hypothèses de manipulations délibérées
caractérisées de la part du contribuable
et qu’en toute hypothèse les sanctions
fiscales accompagnant les redressements
ne soient pas prononcées ou au moins
soient limitées.
A cet égard, il conviendrait de faire valoir
la conviction de bonne foi des praticiens
que les provisions pouvaient ne pas être
déduites fiscalement, compte tenu de :
• la jurisprudence antérieure qui avait
jugé de manière constante qu’une écriture de provision que l’entreprise peut
ne pas exercer ou n’exercer que partiellement (cf. points 6 et 7 des conclusions
du Rapporteur public Edouard Crépey) ;
• l’ambiguïté de la doctrine administrative
qui avait émis un avis négatif du Comité
fiscal de la Mission d’organisation administrative du 31 janvier 1994) 12 ;
• la subtilité qui caractérise trop souvent
les conditions de déductibilité fiscale,
mais aussi comptable, des provisions.
Ceci, sans compter le paradoxe, pour le
moins, qu’il y aurait à sanctionner par des
redressements inconsidérés la prudence
ayant conduit à ne pas minorer le résultat
fiscal, donc l’impôt ...
Cette conviction est partagée par certains 13.
Enfin, la qualification de manquement
délibéré de nature à neutraliser les corrections symétriques ne saurait être que
très exceptionnellement retenue (cf. point
17 des conclusions du Rapporteur public
Edouard Crépey).
13. Cf. article de Claude Lopater, “Le Conseil
d’Etat met la connexion comptabilité/fiscalité
dans tous ses états !“, FR 3/14, n°14.
Revue Française de Comptabilité // N°478 Juillet-août 2014 //
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