L`obligation de nommer un fiduciaire indépendant
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L`obligation de nommer un fiduciaire indépendant
PROTECTION DU PATRIMOINE L’obligation de nommer un fiduciaire indépendant par Claude Drapeau, notaire et planificateur financier Le constituant d'une fiducie non testamentaire peut agir comme fiduciaire de la fiducie qu’il a créée. Pour des raisons évidentes, le constituant d’une fiducie testamentaire ne pourra agir comme fiduciaire. Le bénéficiaire d’une fiducie peut également agir comme fiduciaire de la fiducie concernée. Le Code civil du Québec ne permet cependant pas que le fiduciaire concerné agisse seul. Cet article est d’ordre public et on ne peut y déroger. La famille Spicer Nous avons traité, à la chronique du mois dernier (Entracte – Vol 15 no 9, page 5), d’un surprenant jugement (Affaire Spicer) alors que le juge a refusé de nommer la fille du testateur – qui n’est ni un bénéficiaire actuel ou futur de la fiducie créée par le testament – comme fiduciaire de la fiducie constituée au profit de la conjointe du testateur au motif qu’elle n’était pas une personne impartiale et totalement désintéressée. Quelles qualités doit-on rechercher du fiduciaire visé à l’article 1275 C.c.Q.? Pour répondre à cette question, il est utile de rappeler le libellé de l’article 1275 C.c.Q. : « Le constituant ou le bénéficiaire peut être fiduciaire, mais il doit agir conjointement avec un fiduciaire qui n'est ni constituant ni bénéficiaire. ». Cet article 1275 C.c.Q. exige donc que : ✓ le fiduciaire, qui est aussi le constituant, agisse conjointement avec un autre fiduciaire qui n'est pas un bénéficiaire de cette fiducie. ✓ le fiduciaire, qui est aussi un bénéficiaire, agisse conjointement avec un autre fiduciaire qui n’est pas le constituant ni un bénéficiaire de cette fiducie. Cet article apparaît suffisamment clair pour ne pas devoir être interprété. Il suffit que l’un des fiduciaires ne soit pas un bénéficiaire afin d’avoir les qualités requises pour être nommé à titre de fiduciaire requis par l’article 1275 C.c.Q. Illustrons à l’aide de deux exemples : 1. Pierre constitue, par testament, une fiducie exclusive au profit de sa conjointe. Au décès de sa conjointe, on mettra fin à la fiducie pour donner naissance à une fiducie au profit de ses 2 enfants majeurs, Louise et Jocelyn. Pierre nomme sa conjointe et sa fille Louise comme fiduciaires de la fiducie exclusive au profit du conjoint. Cette désignation est-elle conforme aux exigences de l’article 1275 C.c.Q. ? Nous croyons, dans l’état actuel du droit, que Louise ne peut valablement agir comme fiduciaire requis par l’article 1275 C.c.Q. puisqu’elle est une bénéficiaire éventuelle de la fiducie appelée à recevoir le patrimoine fiduciaire de la fiducie exclusive au profit du conjoint. La jurisprudence sera peut-être appelée à se prononcer sur cette question pour permettre la nomination de Louise puisqu’elle n’est pas directement bénéficiaire de la fiducie au profit du conjoint. Pour l’instant, nous préférons opter pour une position prudente en ne permettant pas à Louise d’agir comme la seule fiduciaire telle que requise par l’article 1275 C.c.Q. 2. Julie, femme d’affaires, entend constituer une fiducie familiale (non testamentaire) au profit de ses deux enfants majeurs (18 et 20 ans), de son conjoint et d’une société dont elle détiendra 100 % des actions. La fiducie se portera acquéreur de 100 % des actions participantes d’une entreprise familiale (compagnie) à être constituée immédiatement après la création de la fiducie. Julie désire être la seule fiduciaire au motif qu’elle ne sera pas l’une des bénéficiaires de la fiducie familiale. Est-ce que sa nomination comme seule fiduciaire est valable ? La pratique, en droit des fiducies, est à l’effet qu’il existe deux écoles de pensée sur cette question. Les uns, s’appuyant sur le texte strict de 1275 C.c.Q., acceptent que Julie soit la seule fiduciaire puisqu’elle n’est pas personnellement bénéficiaire de la fiducie concernée. Les autres prétendent que Julie, étant actionnaire à 100 % de la société, elle-même bénéficiaire de la fiducie concernée, ne peut agir comme seule fiduciaire puisqu’elle est « indirectement » bénéficiaire de la fiducie par l’intermédiaire de la société. Quelle position adopter ? Pour ma part et avec respect pour l’opinion contraire, je préfère la position la plus sécuritaire dans l’état actuel du droit, soit celle de la nomination de deux fiduciaires, soit Julie et un autre fiduciaire qui n’est pas un bénéficiaire ni direct ni indirect. En attendant un jugement qui ne saurait tarder sur cette question, rappelons-nous la maxime « trop fort ne casse pas » ! Examen du droit et de la doctrine Je reproduis les commentaires du ministre en regard de l’article 1275 C.c.Q. : « Cet article est nouveau. La création d'une ouverture en faveur du constituant vient mettre fin aux hésitations du droit antérieur, qui estimait que le donateur ne pouvait être fiduciaire en raison de la formulation de l'article 981a C.C.B.C. L'ouverture en faveur du bénéficiaire est nouvelle, mais conforme au droit antérieur et à la pratique. Toutefois, la présence d'un fiduciaire impartial est exigée, afin d'assurer une administration objective et d'atténuer les conflits d'intérêts possibles. Le constituant ou le bénéficiaire ne peut agir comme fiduciaire unique, car cela favoriserait une division purement artificielle du patrimoine et fournirait un moyen facile d'éviter le paiement de certaines obligations. Cet article n'empêche pas le constituant de participer au fonctionnement de la fiducie, ni le bénéficiaire d'exercer un certain droit de regard; il assure à la gestion fiduciaire un minimum d'objectivité. ». La doctrine antérieure au jugement du juge Hurtubise dans l’affaire Spicer est peu abondante. Le professeur Jacques Beaulne i interprète l’article 1275 C.c.Q. en exigeant la présence d’un « tiers non intéressé » ou « totalement désintéressé ». Avec respect pour l’opinion du professeur Jacques Beaulne, je crois que la présence d’un fiduciaire « totalement désintéressé » va au-delà des exigences du texte de 1275 C.c.Q. qui prévoit simplement qu’au moins un fiduciaire ne soit ni le constituant ni un fiduciaire. Je réfère le lecteur à un intéressant texteii de Me Charles C. Gagnon au même effet. Les commentaires du ministre semblent créer une certaine confusion à un texte de loi parfaitement clair. Les commentaires concernant la présence d’un « fiduciaire impartial » et ceux prévoyant un « minimum d’objectivité » sont-ils parfaitement conciliables ? Quelle est la différence entre un minimum et un maximum d’objectivité ? Le dictionnaire Larousse définit le mot « impartial » comme suit : « Qui ne favorise pas l'un aux dépens de l'autre; qui n'exprime aucun parti pris; équitable. ». Comment est-il possible de ne jamais favoriser l’un aux dépens de l’autre ? Les praticiens du droit des fiducies ne devraient pas interpréter 1275 C.c.Q. avec des exigences qui vont au-delà du texte législatif. Fiduciaire indépendant? Fiduciaire neutre? Fiduciaire nonparticipant? Force est de constater que ni l’article 1275 C.c.Q. ni les commentaires du ministre de la Justice n’utilisent les expressions « fiduciaire neutre » ou « fiduciaire indépendant » retenues par les praticiens pour la rédaction des testaments fiduciaires et des conventions de fiducies. La seule exigence de 1275 C.c.Q. est la présence d’un fiduciaire qui n’est pas le constituant ni un bénéficiaire sans que ce bénéficiaire doive être « neutre » ou « indépendant ». Si les notions de « fiduciaire neutre » ou de « fiduciaire indépendant » peuvent être interprétées comme créant des exigences supplémentaires à celles de l’article 1275 C.c.Q., il semble approprié de remplacer, tant dans nos testaments fiduciaires que dans nos conventions de fiducie, ces expressions par celle de « fiduciaire non-participant » qui est plus près du texte de loi et des intentions de la majorité de nos clients. Suite au bas de la page suivante ENTRACTE est publié douze fois par année par la Chambre des notaires du Québec. Ce numéro est tiré à 5 000 exemplaires. Dans le journal, la forme masculine désigne, selon le contexte, aussi bien les hommes que les femmes. La mission de la Chambre des notaires du Québec est d’assurer la protection du public et de favoriser l’épanouissement professionnel de ses membres. ÉDITEUR - M. Christian Tremblay RESPONSABLE DES COMMUNICATIONS - M. Antonin Fortin COMPOSITION ET MISE EN PAGE - Pénéga Communication inc. IMPRESSION - Payette et Simms CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC Tour de la Bourse, 800, Place-Victoria Bureau 700, C.P. 162, Montréal (Québec) H4Z 1L8 (514) 879-1793 - (514) 879-1923 (télécopieur) PRÉSIDENT - Me Denis Marsolais COMITÉ ADMINISTRATIF - Me Denis Marsolais, président, Me Maurice Piette, vice-président, Me Hugo Couturier, Me André Gilbert, Me Louise-Marie Lemieux et Mme Marjolaine Lafortune. DIRECTEUR GÉNÉRAL - M. 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