Sans maquillage je suis personne
Transcription
Sans maquillage je suis personne
Sans maquillage je suis personne Notre groupe s’est constitué pour échanger sur le concept du trauma. Au travers d’exposés de situations cliniques, que nous avons croisé avec des apports théoriques, nous avons mesuré que le trauma du sujet ne se situe pas toujours là où le professionnel l’envisagerait. Il nous apparaissait dès lors primordial de s’appuyer sur les nominations, sur les manifestations singulières de chaque jeune afin de s’ajuster au mieux à leurs réalités, aussi difficiles soient-elles. Chacun(e) a été libre d’amener des réflexions, des articles et de participer à l’écriture de la situation que nous présentons aujourd’hui, celle de Morgane. Ce qui a orienté le choix de cette vignette clinique parmi toutes celles dépliées, réside dans le traitement du trauma. À savoir, tenter de protéger la jeune en l’aidant à ne pas dévoiler le trauma. Nous vous proposons donc le récit de cette jeune et « du bricolage » effectué par les professionnel(le)s pour aider Morgane à se maquiller… ». Un p’tit mot d’histoire Morgane est arrivée à 16 ans dans le cadre de son placement sur une de nos maisons d’enfants à caractère social. Elle était auparavant placée chez une assistante familiale, depuis deux ans et demie. L’accueil a cessé à la demande de la professionnelle, du fait de nombreux vols commis par la jeune en F.A et de la dégradation des relations que ces actes ont généré. Morgane est issue d’une famille de 4 enfants, dont elle est l’ainée. Ses parents se sont séparés lorsqu’elle avait environ 13 ans, sa mère ayant quitté le domicile familial pour rejoindre dans le sud un jeune homme rencontré sur internet. Madame dissimulera d’ailleurs à son compagnon l’existence de ses deux filles ainées qu’elle fait passer pour des copines quand celles-ci l’appellent. Monsieur se retrouve alors seul à gérer ses enfants. Au moment de la séparation, une aide éducative administrative est alors en cours. En effet, des difficultés de prises en charge existaient avant la séparation du couple, signalées par l’école et concernant un absentéisme conséquent des enfants et des problèmes d’hygiène massifs. Aucun travail n’a été possible avec la famille durant l’AED, les parents n’honorant aucun des RDV proposés. Cependant la mesure a mis en exergue une absence quasi-totale de prise en charge et de soins adaptés aux besoins particuliers des enfants. C’est ce qui a conduit aux placements des 4 enfants en famille d’accueil. Si les difficultés existaient du temps de la vie de couple, le placement intervient alors que Mme a quitté le domicile familial. Différentes observations ont par la suite mises en évidence que Mr accueillait de jeunes gens qui pouvaient s’alcooliser et consommer des substances illicites en présence des mineurs (observations faites lors des temps de visite des enfants durant le placement). Journée d’étude du 3 juin 2016 : Les cliniques des abus sexuels ENTRE HONTE, TRAUMATISME ET RÉPÉTITION 1 Durant le placement en famille d’accueil, Monsieur est incarcéré pour trafic de drogues, nuisances sonores, accumulation de sursis pour des actes de violences (bagarres à l’arme blanche), extorsion de fonds, … . Il y restera jusqu’en avril 2014 soit 6 mois avant la majorité de Morgane. Morgane à la Maison d’Enfants Malgré l’incompréhension que suscite chez elle son arrivée sur la maison d’enfants, Morgane s’adapte rapidement. Nous constatons progressivement qu’elle entretient un rapport à l’autre complexe. En effet, la jeune ne semble pouvoir maintenir de distance à la fois physique mais aussi psychique avec l’autre. L’équipe éducative pouvait d’ailleurs nommer le sentiment d’une jeune en « proie aux autres », comme si « son corps ne lui appartenait pas ». Ainsi, Morgane se laissait facilement toucher par des garçons, se retrouvait dans des positions extrêmement équivoques (par exemple : assise à califourchon sur un garçon pour fumer sa cigarette). De la même façon, il lui semblait compliqué de se soustraire aux demandes de ses pairs (jeunes de la maison d’enfants, petits copains…). Toutes les relations amoureuses étaient possibles pour Morgane, les malveillantes comme les bienveillantes. Aussi, elle pouvait être maltraitée, humiliée ou à l’inverse respectée par les jeunes garçons qu’elle fréquentait, sans qu’elle ne différencie pour autant la nature des relations et la place dans laquelle elle était mise. Quand les travailleurs sociaux tentaient de lui pointer les situations de danger dans lesquelles elle se trouvait et la nécessité de l’en protéger, cela ne semblait pas faire sens pour elle. À partir de cette observation quant à la difficulté pour Morgane de se différencier et de prendre position, la jeune nous apparaissait toujours coller aux attentes de l’autre, se loger là ou celui-ci l’assignait. Notons qu’elle ne montrait aucune résistance au désir de l’équipe éducative de l’inscrire dans une démarche scolaire et professionnelle. D’ailleurs, il ne lui était jamais compliqué d’obtenir des stages, tant elle suscitait l’intérêt, du fait d’une certaine adéquation entre ce que le patron attendait et la manière qu’avait Morgane d’y répondre. Les travailleurs sociaux pouvaient dire : « elle passait bien avec tout le monde ». Pour autant, les stages étaient très rapidement interrompus dès lors qu‘on lui demandait de s’y investir subjectivement, de prendre position en son nom. L’équipe éducative observe alors qu’il est difficile de mobiliser Morgane en tant que sujet désirant. Le seul projet qu’elle ait jamais nommé résidait dans le fait de retourner vivre aux côtés de son père à sa majorité. Abordons à présent, plus précisément, la relation de Morgane à son père : lors de son accueil sur la maison d’enfants nous sommes d’emblée prévenus du lien particulier qui unit Morgane et son père. Madame a d’ailleurs pu dire que ses deux aînées sont « les filles de leur père » et que Morgane plus particulièrement « a pris (sa) place ». Les observations faites durant le placement n’auront de cesse de nous interroger sur la nature de la relation père-fille. Précisons de nouveau que Mr est incarcéré pendant l’accueil de Morgane. Ce dernier lui envoie des courriers réguliers aux contenus particuliers, les lettres pouvant s’apparenter à une correspondance d’adolescents amoureux pour ceux non avertis du lien de parenté les unissant. Journée d’étude du 3 juin 2016 : Les cliniques des abus sexuels ENTRE HONTE, TRAUMATISME ET RÉPÉTITION 2 Il lui demande constamment de répondre à ses courriers, à ses coups de téléphone, composant difficilement avec les absences ou indisponibilités de sa fille. De même lors des visites au parloir Mr assoit Morgane sur ses genoux, lui caresse les cheveux, lui demande de faire de lui un grand père, choisit ses petits amis…. Elle confiera qu’elle et son père dormait régulièrement ensemble dans le même lit. La jeune raconte ainsi qu’un jour elle constate du sang dans le lit à son réveil et « qu’avant ça craquait et ça lui faisait mal ». Son père lui répondra « t’inquiète pas, c’est normal, ce sont tes règles ». Morgane pourra nommer durant son placement avoir été abusée par les amis de passage de son père. Sa première relation sexuelle se fera, selon ses dires, à l’âge de 10 ans avec le petit ami de sa sœur et ami du père. Morgane nomme ces éléments, raconte sans pour autant que cela ne semble s’éprouver subjectivement, sans que cela ne l’affecte. De la même façon la jeune fille, comme nous l’évoquions précédemment, pouvait se confier sur ses relations amoureuses souvent teintées de violence et de demandes dégradantes sans jamais manifester de plaintes ou de ressentis particuliers quant à ce qu’elle vivait. « son corps c’était rien » comme avait pu le nommer un éducateur. En effet comme étrangère à son propre corps, la jeune pouvait laisser l’autre disposer de son corps à sa guise, l’abuser, le maltraiter. Dans l’après coup elle en parlait comme une spectatrice ayant assisté à une scène ne la concernant pas. D’ailleurs ce sentiment d’extériorité se manifestait aussi au niveau de l’hygiène : Morgane pouvait ne pas s’apercevoir, ne pas ressentir ses règles, elle se protégeait dès lors que l’autre lui soulignait. De même, il fallait au quotidien attirer son attention sur la question de l’hygiène, des douches notamment. Un éducateur pouvait ainsi dire « c’était comme si ça lui faisait violence d’aller se laver ». Notons que Morgane a régulièrement été infestée de poux, à tel point qu’ils étaient visibles sur ses cheveux et sur son front sans que celle-ci ne paraisse, pour autant, en subir un quelconque désagrément. C’étaient les professionnels qui étaient à l’initiative d’achat de traitement antiparasitaire. L’achat de vêtements s’avérait aussi compliqué, Morgane ne savait jamais quelle taille, quelle coupe lui correspondait. Lors des essayages, à la question de savoir comment elle se sentait dans le vêtement, la manière dont elle se percevait, la jeune répondait « c’est toi qui vois ». Ceci posant de nouveau la question de la conscience de son propre corps, de l’image qu’elle en avait, de la manière dont elle pouvait le ressentir. Elle laisse l’autre lui donner les coordonnées, les limites qu’elle ne semble pas avoir. Nous repérons en effet que Morgane ne semble pas disposer des garanties symboliques nécessaires à ordonnancer le monde qui l’entoure. Dans cette logique Morgane ne paraissait pas distinguer ce qui était de l’autre, de ce qui lui appartenait. On disait ainsi souvent qu’elle volait alors que dans les faits elle prenait l’objet comme s’il appartenait à tout le monde sans jamais se questionner sur la notion de propriété, de frontières. A partir de ces observations il s’agit donc, pour l’équipe accompagnant Morgane, d’introduire certaines limites, de contenir l’éparpillement et d’éviter, selon les dires d’un éducateur, qu’elle ne se « livre en pâture » aux autres l’entourant. Pour cette raison nous avons accompagné Morgane dans le choix d’une contraception. Seule, Morgane ne pouvait se protéger de l’autre puisqu’elle ne pouvait prendre position en son nom. Dès lors, les professionnels n’ont eu de cesse de tenter de la border et de la borner. Journée d’étude du 3 juin 2016 : Les cliniques des abus sexuels ENTRE HONTE, TRAUMATISME ET RÉPÉTITION 3 Si aujourd’hui, en lien avec le travail de réflexion mené dans l’après coup, les professionnels peuvent faire du lien entre ce que la jeune manifestait et leurs postures, s’ils peuvent mettre en évidence les effets, aussi minimes soient-ils, que leurs prises de position ont eu sur le devenir de Morgane, ces mêmes professionnels pouvaient nommer que durant le temps de l’accompagnement souvent ils se sont sentis démunis. En effet, eu égard au vécu d’abus de Morgane, au traumatisme considéré vécu par la jeune, les éducateurs nommaient une « tension » entre ce qu’ils désiraient pour elle : qu’elle se protège, qu’elle puisse par le biais d’un travail de réflexion, d’une certaine prise de conscience se mettre à distance de situations de dangers graves et ce que la jeune ne cessait de répéter en se « livrant aux autres ». Repartons de la notion de trauma : Le trauma ça surgit, ça sidère, c’est une effraction qu’on ne choisit pas, c’est la rencontre avec la part intime de chacun. Cette part intime qui recèle une zone d’ombre, inconsciente, refoulée, inaccessible à la conscience et pourtant toujours présente. Le trauma est constitutif selon Lacan d’une perte originelle, irrémédiable dans l’histoire de chacun d’entre nous et qui comporte toujours un reste inaccessible. Cette part intime, soumise au refoulement, c’est ce qui n’est pas soumis à la Loi, à la loi symbolique du Nom du père, tel que l’a nommé Lacan. En effet, chaque être est initialement en place d’objet de jouissance de l’Autre maternel jusqu’à ce que l’opération symbolique de castration, la fonction paternelle et la loi qu’elle incarne le sorte de son assujettissement et lui permette d’accéder à un statut de sujet désirant en son nom. Ce n’est pas le père en tant que personne mais bien la fonction qui assure l’opération symbolique de castration. Ainsi, pour illustrer notre propos, imaginons de façon mythique, une parfaite osmose entre la mère et son enfant qui les combleraient tous les deux. Dans une telle complétude, l’enfant ne se décollerait jamais de la mère et il ne serait jamais amené à vivre sa propre vie. Il resterait figé à l’état d’objet comblant la mère. La fonction paternelle indique d’une part à l’enfant une place autre que celle d’objet comblant la mère et d’autre part que celle-ci désire ailleurs qu’à l’endroit de l’enfant. Cette opération de castration confronte le sujet à la perte, au manque, en venant lui barrer l’accès à une jouissance illimitée. C’est cette même opération qui indique au sujet cette place autre et l’inscrit dans l’ordre symbolique. L’ordre symbolique, ce sont les mots, les discours de l’autre dans lesquels le sujet est introduit et qui lui permette de s’orienter dans le monde et de trouver sa place. Valérie Blanco dans « Dits de divan » nomme qu’en « inscrivant le sujet dans cette chaîne symbolique, la fonction paternelle ou Nom du père inscrit l’enfant dans une sorte de code commun (…) code accepté par la communauté des hommes ». En effet, cette loi de l’interdit universel de l’inceste, ce code commun, organise le monde et donne une place à chacun dans le lien social. Le trauma renvoie donc au surgissement, dans l’après coup d’une scène vécue, de cette part inconsciente de nous-même qui vient nous percuter sans qu’aucun mot ne parvienne à lui donner du sens. Journée d’étude du 3 juin 2016 : Les cliniques des abus sexuels ENTRE HONTE, TRAUMATISME ET RÉPÉTITION 4 Dit autrement le trauma c’est la rencontre imprévisible avec le réel. Nous sommes dès lors toujours tous « traumatisés » par cette perte originelle et certaines expériences de vie nous y ramènent parfois, non sans engendrer un certain trouble. Dès lors, s’agissant du trauma dans la névrose, il y a nécessité à prendre en compte l’évènement traumatisant en l’éclairant de l’histoire du sujet. En somme, il s’agit avec l’appui des mots, de mettre en perspective le trauma vécu avec cette part intime qui fait retour. Ainsi, c’est à la condition de s’engager dans un travail de nomination que le sujet pourra symboliser l’effroyable, y mettre du sens, afin de sortir de la sidération suscitée par la rencontre avec le réel. Il en va différemment lorsque les sujets ont un rapport particulièrement direct au réel, n’ont pas les défenses nécessaires pour faire face aux « accrocs de la vie ». Il arrive en effet, à la différence de la névrose, que la fonction paternelle n’opère pas. Faute de Loi du père, lorsqu’il y a, selon Lacan « forclusion du Nom du Père », le sujet reste assujetti au désir de l’Autre, rien ne vient le séparer d’une jouissance sans limites, rien ne vient dès lors introduire de manque et le « petit d’homme » est alors dans l’incapacité de désirer en son nom, d’occuper une place singulière. Ces sujets ne disposent pas du code commun, ils n’ont pas dans leur besace les mots, les discours pour s’expliquer le monde qui les entourent. Ils sont alors « démunis, sans rien qui les guide », comme désorientés. Dans le champ de la psychose, ces sujets, qui entretiennent un rapport direct au réel, en proie à une jouissance illimitée, sont toujours traumatisés puisque constamment confrontés à cette part intime, non soumise à la loi symbolique et au refoulement. Aussi, pour Marie Cécile Marty, dans son ouvrage « Adolescents de l’illimité », « le souvenir traumatique est rarement à retrouver : il est là, surprend et envahit le vécu au quotidien, la scène du rapport à l’autre ainsi que du rapport au corps ». Dans ces situations plus que de dénuder, il s’agit davantage de tisser un voile, de jeter un filet protecteur entre le sujet et l’abîme. Marie Cécile Marty peut d’ailleurs nommer, concernant des adolescents qui ont constamment à faire au trauma qu’il est nécessaire « de border le traumatisme, de résorber le noyau traumatique, de remailler avec les mots un filet de protection qui empêche que le sujet ne tombe dans le trou ». « Sans maquillage je suis personne », formule de Morgane qui, dans l’après coup, atteste de son rapport au monde. Si les observations sur Morgane, précédemment mises en évidence nous sont apparues progressivement, ce qui nous a d’emblée interpellés c’est l’impossibilité, pour elle, de prendre appui sur le symbolique, d’avoir recours aux mots pour expliquer ce qui lui arrivait au quotidien. Là où l’équipe éducative s’attendait à ce que Morgane témoigne de son vécu, y réfléchisse avec leur appui afin de se protéger et d’éviter la répétition, non seulement la jeune n’a rien pu nommer mais elle n’a cessé de répéter la position d’objet qu’elle occupait. Morgane ne semblait pouvoir s’orienter des interdits fondamentaux, de la Loi, du code commun pour mettre du sens au monde qui l’entoure et prendre place dans le lien social en tant que sujet. Journée d’étude du 3 juin 2016 : Les cliniques des abus sexuels ENTRE HONTE, TRAUMATISME ET RÉPÉTITION 5 En effet, comme souligné plus haut, c’est bien le désir de l’autre (éducateurs, petits amis, maîtres de stage, père…) qui guidait Morgane. Elle pouvait prendre appui sur n’importe quel autre mais n’est jamais parvenue, durant le temps de l’accueil, à occuper une position singulière. Morgane, assujettie au désir de l’autre n’était pas en capacité de faire le tri des propositions qui lui étaient faites, de se repérer dans ce qui lui arrivait. Dès lors, que penser de sa relation avec son père ? A quelle place ce dernier a-t-il assigné Morgane ? Plus que d’apparaître comme un père porteur de la Loi, il nous a semblé davantage du côté d’un père jouisseur, positionnant sa fille comme objet de tous ses caprices. Morgane ne pouvait que nous relayer les demandes les plus folles qui lui faisaient, sans toutefois, les questionner. Sans possibilité, semble-t-il, d’émerger comme sujet, le corps de Morgane paraissait ne pas lui appartenir. Si chacun naît avec un organisme, avoir un corps ne va pas de soi : chacun se fait un corps, se fabrique un corps dans un rapport avec un autre parlant. Cela signifie qu’il faut qu’il y ait un autre qui vienne nommer et qualifier les attributs du sujet et ainsi lui donner corps, ce qui implique de pouvoir prendre en compte l’enfant comme un sujet singulier. Le rapport de Morgane à son corps n’était ainsi pas sans nous poser questions. Celui-ci semblait lui échapper constamment. La jeune paraissait comme étrangère à son propre corps. On perçoit d’ailleurs bien cette étrangeté lorsqu’elle avait évoqué avoir constaté du sang dans son lit à son réveil et qu’elle avait nommé « avant CA craquait ». Cet évènement, abordé de manière extérieure par le « CA » ne semblait pas être relié à un ressenti subjectif de sa part. De la même manière et comme évoqué plus haut, la question de l’habillement était complexe car n’ayant pas la sensation « trop petit, trop grand, trop court », tout n’était que tissus. Ne pouvant qualifier son corps, tous les styles de vêtements étaient envisageables, même les plus inappropriés. Plutôt que de s’habiller l’autre l’habillait. Et c’est bien de cela dont il a s’agit dans le travail avec Morgane. Habiller son corps, le qualifier, le parer, le protéger, tel a finalement été notre manière d’accompagner Morgane (RDV chez l’esthéticienne, coiffeur, achats de vêtements adaptés, soins médicaux…). Soulignons d’ailleurs que l’un des axes de travail pour protéger le corps de Morgane s’est fait par le biais de la contraception. Celle-ci n’a été opérante que via la pose d’un implant. A défaut de pouvoir se débrouiller seule, « implanter » un outil à Morgane, n’a-t-il pas été la condition, pour lui permettre, à minima, de se protéger ? Nous avons ainsi fait l’hypothèse que venir « béquiller » Morgane, face à cette béance, face à ce qui fait défaut dans sa construction psychique, empêcherait peut-être « que le sujet ne tombe dans le trou ». Morgane, toujours traumatisée, car étant toujours en prise direct avec le réel, sans recours possible au symbolique nous a indiqué progressivement qu’il ne s’agissait pas, avec elle, de dévoiler plus en avant l’horreur de sa vie. Dans cette situation, le trauma, ce point d’horreur était là tout le temps, partout. Journée d’étude du 3 juin 2016 : Les cliniques des abus sexuels ENTRE HONTE, TRAUMATISME ET RÉPÉTITION 6 C’est pourquoi l’énonciation « Sans maquillage je suis personne » a été le fil conducteur de notre travail afin de soutenir sa solution pour voiler le réel toujours prêt à l’envahir. D’ailleurs ce n’est sans doute pas par hasard que Morgane ne se démaquillait pas le soir et que chaque matin elle en rajoutait une autre couche. Marie-Annick REUZÉ, Monitrice éducatrice MECS Association Chanteclair Céline SEBERT, Psychologue clinicienne Association Chanteclair Journée d’étude du 3 juin 2016 : Les cliniques des abus sexuels ENTRE HONTE, TRAUMATISME ET RÉPÉTITION 7