Ariane 6, la riposte des Européens face à SpaceX

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AÉRONAUTIQUE - DÉFENSE
Ariane 6, la riposte des Européens face à SpaceX
DENIS FAINSILBER (HTTP://WWW.LESECHOS.FR/JOURNALISTES/INDEX.PHP?ID=126) | Le 31/10 à 16:24 | Mis à jour à 17:24
La nouvelle génération d’Ariane doit entrer en production en 2018 pour un premier tir deux ans plus tard - ESA–David Ducros
La nouvelle génération du lanceur européen, annoncée moins chère de 40 à 50 % que
sa devancière Ariane 5, a reçu le « go » dé៉�nitif. Une décision accélérée par l’analyse
de la concurrence.
Un des anciens patrons d'Arianespace, la société chargée de commercialiser les vols de la fusée européenne, l'a dit un
jour: «notre science est celle où le succès est le plus proche de l'échec». En cet automne 2016, les faits lui donnent
amplement raison. Plus de trente ans après le lancement d'Ariane 5, un lanceur déjà tiré à 88 reprises mais à présent trop
cher à exploiter, peu flexible et inadapté à une hausse des cadences, l'Europe spatiale a su dépasser ses divergences,
pour rester compétitive. Et actuellement, les astres sont bien alignés pour Ariane 6, le successeur «low cost» de la famille,
qui avait pourtant accouché dans la douleur voici deux ans. La principale enveloppe financière du contrat de
développement (1,7 milliard d'euros) sera en principe o iciellement débloquée jeudi 3 novembre, lors d'un conseil de
l'Agence spatiale européenne (ESA), après un premier acompte de 680 millions approuvé en 2015.
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Cette même instance ayant déjà validé à la mi-septembre le «point d'étape» présenté sur Ariane 6, ceci ouvre la voie à la
commercialisation, dès la fin de cette année, de la nouvelle fusée qui doit e ectuer son premier vol en 2020, en binôme
avec Ariane 5 pendant trois ans. L'accord principal trouvé entre les ministres de l'espace à la fin 2014 à la conférence de
Luxembourg devrait ainsi structurer pour plusieurs décennies l'Europe spatiale. Au total, ce programme est chi ré à
quelque 3,4 milliards d'euros, en incluant la part supportée directement par les industriels (400 millions) et le coût du
nouveau pas de tir en construction à Kourou, en Guyane (600 millions).
La raison de ce sursaut? Elle se nomme à l'évidence SpaceX, la firme du très médiatique Elon Musk. «C'est certain que la
compétition nous a stimulé et accéléré les réflexions », selon Stéphane Israël, le PDG (http://www.lesechos.fr/financemarches/vernimmen/definition_president-directeur-general.html#xtor=SEC-3168) d'Arianespace, arrivé à ce poste à
une époque (printemps 2013) où l'avenir et le design d'Ariane 6 étaient loin d'être dégrossis.
La Falcon de SpaceX clouée au sol
Répit certainement provisoire, qui renvoie aux premiers échecs d'Ariane 5 en 1996/1997 : l'épouvantail américain est
actuellement cloué au sol depuis deux mois. SpaceX a beau viser une reprise des tirs dès que possible, la spectaculaire
explosion au sol de son lanceur Falcon 9 début septembre, avec à bord un précieux satellite de 200 millions de dollars,
pendant un remplissage de routine de l'étage supérieur en oxygène liquide à deux jours de son décollage, fait désordre.
De quoi décaler sérieusement les plans de la société californienne qui, non contente de casser les prix quand la
concurrence internationale pointe son nez (certains de ses tirs sont facturés à peine 50 millions de dollars, soit la moitié
de ceux d'Ariane), veut frapper encore plus fort avec sa nouvelle Falcon Heavy. Un colosse équipé de 27 moteurs, capable
de placer en orbite «une masse équivalente à celle d'un Boeing 737 avec ses passagers et leurs bagages, soit plus de deux
fois la charge utile du lanceur Delta IV, son concurrent le plus proche, pour seulement un tiers de son prix!», fanfaronne la
firme sur son site internet...
«SpaceX recycle à l'export les béné埘�ces qu'il engrange sur son marché
domestique»
Vieux briscards du spatial, les Européens savent bien que la menace de leur obsédant rival ne s'est pas envolée dans
l'épaisse fumée du pas de tir de Cape Canaveral, en Floride. Et que leurs clients exècrent les monopoles. Elon Musk, qui a
signé ses premiers contrats en 2011, a déjà surmonté nombre d'échecs (notamment avec son premier lanceur léger
Falcon 1, puis en essayant de récupérer au sol le premier étage de ses Falcon 9). Et il dispose toujours d'un solide carnet
de commandes de 70 lancements à réaliser pour 10 milliards de dollars. Y compris de solides engagements auprès de la
Nasa ou de l'armée américaine, soit deux tiers de ses réservations de facto inaccessibles à la concurrence européenne,
barrée par le «Buy American Act». La règle est simple: «SpaceX recycle à l'export les bénéfices qu'il engrange sur son
marché domestique, décrypte Stéphane Israël. Il peut o rir un tir à 50 millions de dollars, mais un lancement de cargo
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vers la station
spatiale INDUSTRIE
avec sa capsule
Dragon: est
facturé
150 millions
de dollars,
et un tir pour
le GPS
américain
82
millions... S'il y a bien un prix qui n'existe pas en réalité, c'est celui de 62 millions de dollars a iché sur son site internet!
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il était grand temps de réagir le plus énergiquement possible».
Des di érents lanceurs qu'Ariane a rencontré précédemment sur sa route, aucun n'avait engendré jusqu'à présent de
mobilisation générale, mis à part des versions plus poussées d'Ariane 5: ILS, qui commercialise le russe Proton, a été
sauvé par l'insistance de quelques grands clients; Sea Launch, qui tirait des fusées russes Zenit depuis le Pacifique, a été
mis en faillite après plusieurs échecs; ULA (United Launch Alliance), la société commune mise en place depuis 10 ans sous
l'égide du Pentagone entre Boeing et Lockheed Martin pour chasser les doublons entre leurs Delta IV et Atlas V respectifs,
se contente pour l'essentiel des commandes institutionnelles américaines, malgré les plus de 1.300 missions à l'actif de
ces deux familles en cinq décennies. Quant à la Chine, elle se borne à lancer des satellites domestiques, en raison d'une
réglementation protectionniste sur les exportations d'armement (ITAR) qui, par ricochet, fait le jeu d'Arianespace.
Ambitieux projet de Je៩� Bezos
Toutefois l'o re pourrait changer, « car il y a pas mal d'impétrants pour la décennie 2020 », prévient un expert du spatial:
ULA, qui n'est pas totalement absent des radars, pourrait baisser ses prix grâce à son futur lanceur Vulcan. L'Inde, pour
l'instant limitée à 3 tonnes d'emport par sa fusée nationale PSLV, concurrente de la Vega d'Arianespace, veut développer
un lanceur lourd susceptible de se mêler aux appels d'o res internationaux. Les Russes n'ont pas totalement lâché prise,
comme en témoignent certains clients qui retournent chez Proton. Sans oublier le projet fou de Je Bezos, le richissime
PDG-fondateur d'Amazon: le New Glenn, un lanceur réutilisable beaucoup plus haut que tous ceux sur le marché (plus de
95 mètres dans sa variante plus puissante): son segment de marché n'est pas encore clairement a iché, mais la NASA a
récemment prévenu les Européens qu'il faudrait prendre ce projet au moins autant au sérieux que l'aventure SpaceX,
selon nos informations.
Côté clients, « le marché commercial des satellites de télécommunications, soit la partie soumise à concurrence, ne
dépasse pas 18 à 20 satellites par an à lancer. Un petit marché d'opportunité, sur lequel le rapport de force entre l'o re et
la demande peut varier très vite », selon Rachel Villain du cabinet spatial Euroconsult. Une donnée stable si l'on compte à
part les di érentes constellations, à l'activité irrégulière. D'autant que plusieurs d'entre elles, séduisantes sur le papier,
cherchent toujours du financement. Pour préserver sa part de marché (http://www.lesechos.fr/financemarches/vernimmen/definition_part-de-marche.html#xtor=SEC-3168) historique d'un peu plus de 50%, l'Europe se
devait donc de trouver un successeur à Ariane 5, son lourd symbole adopté en 1985 mais au départ destiné pour des vols
habités, comme vecteur de la navette Hermès qui n'aura jamais vu le jour. Avec un objectif a iché: des vols facturés
autour de 70 millions d'euros, soit une réduction des coûts de 40 à 50% par rapport à Ariane 5.
Nouveaux types de satellites
« Ce n'est pas SpaceX qui nous a fait bouger, c'est l'évolution du marché », plaide Alain Charmeau, le PDG d'Airbus Safran
Launchers (ASL), la nouvelle société commune entre le constructeur de la fusée et son motoriste, pivot du nouveau
dispositif industriel fort de 8.400 salariés en France et en Allemagne. «On a vu apparaître les satellites à propulsion
électrique, qui sont à la fois moins lourds et plus volumineux, et di érents types de constellations, dont certaines avec de
très petits satellites. De plus, les grands acteurs économiques, les Gafa (Google, Facebook
(http://lesechospedia.lesechos.fr/facebook.htm#xtor=SEC-3167), etc) qui ont des besoins de bande passante énormes,
se mettent à investir dans le spatial en tant que moyen de transport. Nous avions donc besoin de répondre à ces
évolutions», ajoute-t-il.
Au-delà de la sixième génération de sa fusée-maîtresse, qui balaiera mieux le marché avec ses deux formats de
propulsion, l'Europe a surtout fait table rase du passé en bouleversant toute la gouvernance et l'organisation industrielle
de la filière. Lassée de devoir débloquer chaque année plus de 100 millions d'euros pour compenser le déficit
d'exploitation d'Arianespace, avant tout fierté française. «Tous les acteurs européens ont compris en 2014 que si l'on ne
faisait pas d'Ariane 6 compétitive, il n'y aurait pas d'Ariane 6 du tout», résume Alain Charmeau.
Plusieurs versions d'Ariane abandonnées
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tous, l'impulsion décisive fut donnée par Geneviève Fioraso, alors ministre française
en charge du secteur. «Il
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a fallu mettre les industriels en phase côté français, convaincre l'agence française (le CNES) de la nécessité de trouver un
nouvel équilibre, travailler sur un programme à coûts moindres, plus modulaire, avec une plus grande intégration
industrielle, tout ça en rentrant dans la seringue budgétaire», dit-elle en se souvenant de multiples réunions
ministérielles informelles, généralement le dimanche. Il a fallu surtout remiser le projet du Cnes d'une Ariane 6
entièrement à poudre (PPH), au coût prohibitif, calée sur une charge utile uniforme de 6,5 tonnes en lancement simple,
selon l'étrange doctrine du «one size fits all». Et renoncer également à Ariane 5 ME, une nouvelle variante de la fusée
actuelle adoptée depuis un certain temps, défendue par l'industrie mais trop grosse pour les lancements institutionnels
européens, décisifs pour le futur équilibre financier d'Ariane.
«Les agences spatiales nous aident plus qu'elles nous contrôlent»
Pendant qu'Airbus et Safran révisaient leur copie, débouchant à l'été 2014 sur la version définitive du lanceur, évoluait en
parallèle la réflexion sur la nouvelle gouvernance, selon laquelle ASL, récemment formé, va devenir le premier
actionnaire d'Arianespace, en grimpant de 39% à 74%. Avec cette privatisation qui ne dit pas son nom, les industriels
acceptent de plus grandes responsabilités et une plus grande prise de risques (les Etats ne seront plus là pour boucher les
trous), mais ont aussi considérablement raccourci les délais, comme l'illustre les nouvelles relations avec les di érentes
agences spatiales: «Avant, on avait un certain nombre de revues sur l'état d'avancement
(http://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_comptabilisation-a-lavancement.html#xtor=SEC3168) des programmes, les experts nous posaient des questions et l'industrie se focalisait sur les réponses à apporter,
résume Alain Charmeau d'ASL; c'est ainsi qu'Ariane 5 ME a demandé 7 mois de revue et 550 documents distincts. Mais à
présent, les représentants des agences ont les infos en continu, ils nous aident plus qu'ils nous contrôlent, et cet exercice
aura duré seulement 15 jours cette année».
Dans le petit monde industriel d'Ariane 5 dimensionné au départ pour 2 à 4 tirs par an, il s'agit désormais de revoir
sérieusement le Meccano, pour accroître les cadences (11 à 12 Ariane 6 par an plus 3 Vega) et baisser les coûts fixes.
Réduction des allers-retours des composants entre les sites et les pays, économies d'échelle sur les commandes de
boosters, division par trois du temps de préparation du lanceur au sol à Kourou, impression 3D afin de limiter l'emploi
des matières premières... C'est nouveau, mais désormais le prix prime sur les performances.
Diviser par deux le prix au kilo lancé
Quant aux clients, les grands opérateurs de satellites, ils ont été étroitement associés dans la conception du lanceur, via
leur association (l'ESOA). La division par deux du coût du kilogramme lancé, promise par Ariane? «C'est un objectif
atteignable, l'industrie met toutes les chances de son côté pour y parvenir, avec toutes les améliorations apportées à la
chaîne industrielle, et avec une approche plus «business centric» que ce qui prévalait jusqu'à présent», estime Yohann
Leroy, directeur technique d'Eutelsat. Mais pas question de mettre tous ses oeufs dans le même panier: «nous avons
besoin d'avoir au moins trois lanceurs disponibles», en témoigne Falcon Heavy, «une solution que l'on regarde».
«Je me souviens ce que me disaient des industriels en 2012 à propos de SpaceX, commente Geneviève Fioraso : «un feu
de paille ! Ils vont se casser la figure»... Pourtant, on sentait bien qu'il allait émerger, avec le soutien de l'armée
américaine et de la NASA», relate aujourd'hui la députée PS.
DENIS FAINSILBER
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