Je suis mort le jour où j`avais décidé de vivre
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Je suis mort le jour où j`avais décidé de vivre
Semaine 27 Je suis mort le jour où j’avais décidé de vivre Je suis mort le jour où j’avais décidé de vivre. J’avais tout mais j’étais vide, je rampais sur les cimes. Dans les souvenirs précédant le fracas de mon être, je roulais à vélo sur la corniche, funambule entre les murs dessinant les contours de vignobles en terrasses. Les frondaisons verdoyantes, une journée ensoleillée rafraîchie d’une douce brise. Je scrute un ciel bleu pur et les reflets irisés ondoyant dans une étendue de mercure piquetée de voiles blanches, bordée par une chaîne de montagnes sur la rive opposée à mes coteaux. Un lac alpestre par une journée printanière, c’est déjà un morceau retrouvé. Mais pour le reste, je ne m’appartiens plus. Excepté le choc au détour d’un virage, une voiture à contresens et l’explosion, mes atomes constitutifs qui se désagrègent, me fuient, me décomposent. Le verre brisé qui me pénètre et les limbes après la douleur, cette lame sans fond, son mouvement qui me rassemble puis me disperse. Je n’ai pas vu défiler ma vie, en tout cas il ne m’en reste rien. Choisir une saison fleurie pour trépasser, j’étais sûrement prévoyant. Combien de temps s’écoule ensuite… Je flotte dans le coin supérieur d’une salle de réanimation, lumière crue, alarmes stridentes, des blouses blanches s’affairent autour d’une enveloppe de chair. Est-ce ma dépouille percée de cathéters reliés à des solutés de perfusion suspendus, un tube dans la trachée et un ballon de ventilation qui surélève ce thorax fracassé ? La calotte crânienne est apparente, surmontant un visage tuméfié, violacé, le gisant a été scalpé. Il est nu, pâle, écorché, des souliers de cycliste aux pieds. Des électrodes sont appliquées sur la poitrine, un choc électrique est délivré et agite ce corps d’une secousse sismique, on le masse énergiquement pour suppléer la pompe défaillante, le sang se remet en mouvement. Le fleuve s’écoule, il véhicule des molécules qui fouettent le palpitant et contractent les vaisseaux qui constituent son lit. Un autre choc et je quitte mon éther. La douleur me possède de nouveau, j’ai regagné ma carcasse. Il fait si sombre, les sons me parviennent toujours, les alarmes et les voix, mais elles s’atténuent, doucement, jusqu’à ce qu’un murmure les recouvre. Un crissement métallique, une pulsation hypnotique, une clameur de jungle. Ainsi débutèrent mes voyages immobiles, des visions ou des réminiscences, c’est une autre inconnue. J’avance sur une trace, dans cette forêt primaire, dans une humidité et une chaleur réconfortantes et les clameurs d’insectes, de batraciens tropicaux. Je progresse dans ce règne végétal, parmi les bouquets de bambou, l’ébène et l’acajou, plonge dans une ravine et enjambe une crique, je suis une partie de ce grand tout, un fragment de cet ensemble. Mes bottes en caoutchouc finissent par m’entraver, ainsi que mon pantalon trempé, en toile de jute rayé grenat. Je me retrouve bientôt au pied d’un immense fromager au tronc serti d’épines. Le ciel est invisible, la canopée l’a effacé, le ciel n’existe pas. Je m’allonge, épuisé, enfiévré mais serein. Je suis revenu in utero, enveloppé d’eau tiède, loin de la fureur du monde, je serai bientôt un arbre moi aussi. Julien Garcia