Nouvelles approches thérapeutiques systémiques de la maladie
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Nouvelles approches thérapeutiques systémiques de la maladie
Nouvelles approches thérapeutiques systémiques de la maladie métastatique Docteur Caroline JACQUY INTRODUCTION : Environ 25% des cancers colorectaux ont une présentation initiale métastatique. Actuellement, grâce à l’utilisation de nouvelles combinaisons de cytostatiques, le diagnostic d’un cancer du sein métastatique ou l’apparition des métastases dans un second temps n’est plus à considérer comme une fatalité avec une option palliative à court terme. Il faut plutôt envisager la prise en charge diagnostique et thérapeutique de ce type de pathologie cancéreuse comme une maladie chronique avec une concertation pluridisciplinaire indispensable entre les différents intervenants. Depuis 40 ans, l’utilisation du 5FU reste à la base des combinaisons thérapeutiques qu’il soit utilisé en monothérapie ou en bio-modulation avec l’acide folinique. Différents schémas de ce cytostatique ont été utilisés, tantôt en bolus, tantôt en perfusion continue ce qui semble actuellement être la meilleure approche thérapeutique. L’introduction dès 1999 de deux cytostatiques essentiels c'est-à-dire (Irinotecan) CPT 11® et l’Oxaliplatine (Eloxatine®) ont permis d’obtenir des survies médianes de 16 à 19 mois. L’utilisation préférentielle d’un schéma de type Folfox (4) ou Folfiri en première ligne a montré des résultats tout à fait similaires. La toxicité à long terme de ces combinaisons reste malheureusement le facteur très souvent limitant avec pour l’Oxaliplatine, un problème de polyneuropathie sensitivo-motrice invalidante et pour le CPT 11, une toxicité hématologique et muqueuse. Le contexte de pause thérapeutique ou de maintenance légère par une chimiothérapie moins toxique est en cours d’étude actuellement. L’identification des mécanismes physio-pathologiques moléculaires dans le cancer colo-rectal ont permis le développement thérapeutique dans des études pilote de phase 1 puis dans des larges études randomisées de deux médicaments essentiels : d’une part le Bevacizumab qui inhibe la néo-angiogénèse et d’autre part le Cetuximab, anticorps monoclonal dirigé contre l’EGFR. Inhibition de la néo-angiogénèse : L’angiogénèse tumorale, définie par la formation de nouveaux vaisseaux à partir de vaisseaux préexistants, est un processus biologique indispensable au développement tumoral, un apport suffisant en oxygène et nutriments étant crucial pour la survie des cellules cancéreuses. A l’état dormant, il existe un équilibre entre l’apoptose et la prolifération des cellules tumorales. La vascularisation de la tumeur est assurée correctement par les vaisseaux présents. Sous l’effet de divers stimuli, l’équilibre préexistant entre facteurs proangiogéniques et facteurs anti-angiogéniques est rompu (shift angiogénique). Parmi les principaux facteurs pro-angiogéniques, nous citerons le VEGF (vascular endothelial growth factor) qui est produit en excès et qui déclenche le processus d’angiogénèse. Les néo-vaisseaux tumoraux sont ainsi formés sont différents des vaisseaux sanguins normaux : ils forment en effet un réseau anarchique, désorganisé, riche en vaisseaux immatures sur le plan structurel. Sur le plan fonctionnel, les débits sont très irréguliers et la perméabilité considérablement augmentée. Il existe donc un blocage notamment dans la diffusion vers la tumeur des défenses naturelles de l’organisme et des traitements cytostatiques. L’ensemble de ces observations a conduit à évaluer l’intérêt de nouvelles molécules antiVEGF pour traiter les pathologies tumorales. En effet, la surexpression du VEGF est très fréquente dans de nombreux cancers et en particulier dans les cancers colorectaux où elle est associée à un mauvais pronostic clinique. L’Avastin ® ou Bevacizumab est le premier anticorps monoclonal humanisé recombinant ciblant le VEGF. Cet anticorps se lie au VEGF et inhibe de ce fait la liaison du VEGF à ces différents récepteurs à la surface des cellules endothéliales. La neutralisation de l’activité biologique du VEGF réduit puis normalise la vascularisation de la tumeur inhibant ainsi sa croissance et entrainant la mort tumorale par hypoxie. Il existe également une corrélation moléculaire très étroite entre la voie de l’angiogénèse et le pathway EGFR ce qui implique pour le futur une synergie entre les nouveaux médicaments ciblant ces deux voies de développement tumoral. L’étude HURWITZ (1) publiée en 2004 a permis d’obtenir rapidement le remboursement de l’Avastin en première ligne métastatique aux USA par la FDA en association avec le régime standard américain IFL comprenant de l’Irinotecan. Un gain de 30% pour la survie (ajout de 4,7 mois) ainsi qu’une réduction de 34% du risque de décès est observée. L’association IFL jointe à l’Avastin permet d’obtenir une survie médiane globale de plus de 20 mois. L’avastin ralenti donc la progression de la maladie en première ligne métastatique (PFS de 10.6 mois, soit un ajout de 4,4 mois). Le taux important de réponse obtenue est de 44% avec une durée de réponse de 10 mois. Les effets secondaires les plus courants sont en corrélation avec le système vasculaire avec l’apparition d’une hypertension artérielle qui est cependant manageable avec les traitements classiques, de rares cas de protéinurie devant faire interrompre leur traitement et 14% d’accidents thromboemboliques artériels. L’Avastin en combinaison avec l’Oxaliplatine (2) donne également de très bons résultats que ce soit en première et deuxième ligne métastatique avec un taux non négligeable de réponse. Il n’existe cependant aucun facteur prédictif qu’il soit clinique ou biologique pour déterminer les répondeurs à cette thérapie qui reste onéreuse et qui est actuellement non remboursé en Belgique. Un trait essentiel du traitement par l’Avastin est qu’il doit être prolongé et maintenu au risque d’une repousse vasculaire tumorale. Dans cette optique et dans le contexte d’une chimiotoxicité trop importante des agents classiques, l’Avastin pourrait être acteur privilégié dans un traitement de maintenance avec une monothérapie par 5FU mais cela demande à être confirmé dans des études randomisées. L’Avastin est également un médicament probablement très important dans le down staging des métastases hépatiques précédant l’intervention chirurgicale, puisqu’en combinaison avec les différents cytostatiques, il permet d’atteindre jusqu’à 60% de réponse anti-tumorale (3). Les précautions quant à son utilisation avant une intervention sont connues avec une pause thérapeutique six à huit semaines sans aucun problème de cicatrisation. Inhibition de la voie EGFR : La famille des récepteurs HER se compose de quatre récepteurs membranaires étroitement apparentés : HER 1/ EGFR (ERB1), HER 2, HER 3 et HER 4. Les récepteurs de cette famille ont une morphologie similaire avec un domaine extracellulaire de liaison au Ligand, une région d’ancrage trans-membranaire et un domaine interne cytoplasmique à activité tyrosine kinase (TK). HER 1/EGFR intervient dans la croissance et la différenciation des cellules dans de nombreuses tumeurs humaines ce qui suggère un rôle décisif dans la tumorogénèse. L’EGFR joue un rôle clé dans le mécanisme de la prolifération, l’invasion, le développement des métastases, l’angiogénèse, le processus d’adhésion, l’apoptose et notamment la sensibilité à la radiothérapie. Le développement au début des années 2000 du Cetuximab ou Erbitux® a permis une avancée majeure dans le développement des thérapies ciblées. L’Erbitux est un anticorps monoclonal recombinant IgG 1 qui se lie spécifiquement à l’epidermal growth factor receptor ou EGFR sur les cellules normales et sur les cellules tumorales. Il inhibe de manière compétitive la liaison du Ligand à l’EGFR et bloque ainsi les phénomènes de phosphorilation de tyrosine kinase en affectant également les autres mécanismes de tumorogénèse. La dysrégulation de la voie HER 1/EGFR confère à la tumeur un facteur de mauvais pronostic. C’est l’étude BOND (5) publiée en 2004 qui a permis le remboursement et qui a installé le Cetuximab comme une molécule majeure chez des patients qui étaient résistants à l’Irinotecan. La combinaison du Cetuximab avec l’Irinotecan en phase de résistance a permis de restaurer la chimio-sensibilité avec un taux de réponse de 23% et une PFS à 4 mois. La combinaison du Cetuximab avec les deux cytostatiques classiques, l’Irinotecan et l’Oxaliplatine a été développée par la suite en première et deuxième ligne thérapeutique et les résultats vous sont présentés dans les tableaux ci-dessous. Avec Irinotecan % OR PFS (M) S med (M) 1ère ligne 47% 8.9 M 23M 2ème ligne 16% 4M 10.7M BOND 23% 4M 8.6M Avec Oxaliplatine 1ère ligne Monothérapie % OR 40 → 70% 12% PFS 12.3 M S med (M) 30M La toxicité essentielle du Cetuximab est cutanée avec une fréquence importante de RASH eczématiformes corrélés cependant à la réponse tumorale. Le Cetuximab constitue également une molécule très importante avant de proposer une chirurgie des métastases hépatiques puisqu’en combinaison avec la chimiothérapie, il donne des taux de réponse de 40 à 80%, facilitant ainsi le down staging tumoral. CONCLUSION : L’apport des thérapies ciblées a singulièrement transformé la prise en charge de la maladie métastatique en combinaison avec les cytostatiques classiques. Le problème essentiel est un problème de coût et de prise en charge par la société. Actuellement peu de facteurs prédictifs de réponse sont déterminés mais les données moléculaires permettront certainement de sélectionner au mieux les patients qui répondent précocement à ces traitements et qui peuvent donc bénéficier à plus long terme du maintien de ces thérapies. L’approche de la maladie métastatique dans le cancer colorectal reste une approche pluridisciplinaire dès le diagnostic et pendant les différentes étapes de la thérapie qu’elle soit chirurgicale ou chimiothérapique. Références : 1 - Hurwitz H and al N. Engl. J. Med 2004 ; 350 : 2335-2342 2 - Hochster HS and al J. Clin. Oncol. 2006; 24 : 1485 (a 3510) 3 - Fucks ans al J. Clin. Oncol. 2007; a 4027, Vol 25, n°185 4 - Tournigand as C. and al J. Clin. Oncol. 2004; vol 22 n°1 / 129 5 - Cunningham D N. Engl. J. Med. 2004; 351: 337-45