Mémoire de l`appelante

Transcription

Mémoire de l`appelante
Dossier no 34743
COUR SUPRÊME DU CANADA
(EN APPEL D’UN ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC)
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
APPELANTE
(appelante)
- et STÉPHANE MCRAE
INTIMÉ
(intimé)
MÉMOIRE DE L’APPELANTE
Me Sébastien Bergeron-Guyard
Me Thomas Jacques
Procureurs aux poursuites
criminelles et pénales
Directeur des poursuites
criminelles et pénales
Complexe Jules-Dallaire
Tour 1, bureau 500
2828, boul. Laurier
Québec (Québec)
G1V 0B9
Me Jean Campeau
Procureur aux poursuites
criminelles et pénales
Directeur des poursuites
criminelles et pénales
Bureau 1.230
17, rue Laurier
Gatineau (Québec)
J8X 4C1
Tél. : 418 643-9059 poste 20867
Téléc. : 418 646-5412
[email protected]
Tél. : 819 776-8111 poste 60416
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Procureurs de l’appelante
Correspondant de l’appelante
Henri A. Lafortune Inc.
Tél. : 450 442-4080
Téléc. : 450 442-2040
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-2Me Stéphanie Carrier
Bureau 300
10, rue Notre-Dame Est
Montréal (Québec)
H2Y 1B7
Tél. : 514 886-2538
Téléc. : 514 221-2181
[email protected]
Procureure de l’intimé
-iTABLE DES MATIÈRES
MÉMOIRE DE L’APPELANTE
PARTIE I
–
EXPOSÉ CONCIS DE LA POSITION
ET DES FAITS
Page
.............................................. 1
Sommaire
.............................................. 1
Mise en contexte
.............................................. 2
PARTIE II
–
EXPOSÉ CONCIS DES QUESTIONS
EN LITIGE
............................................ 10
PARTIE III
–
EXPOSÉ CONCIS DES ARGUMENTS
............................................ 11
A)
QUESTION 1 – La Cour d'appel a-t-elle erré en
introduisant une nouvelle norme juridique, ou à tout le
moins un champ d'exclusion du régime de l'article 264.1
C. cr., à savoir celui du « cercle fermé », et en statuant que
des paroles menaçantes prononcées dans des circonstances
où l'on suppose qu'il pourrait exister une expectative de
confidentialité ne peuvent satisfaire à l'actus reus et à la
mens rea de l'infraction créée à cet article?
............................................ 11
1.
Principes formulés par cette Cour
............................................ 11
a)
But de l'article 264.1 C.cr.
............................................ 11
b)
Actus reus
............................................ 11
c)
Mens rea
............................................ 12
Erreurs de droit
............................................ 13
2.
a)
Utilisation du terme « transmis » dans les
chefs d’accusation
............................................ 13
b)
Actus reus
............................................ 15
c)
Mens rea
............................................ 17
- ii TABLE DES MATIÈRES
MÉMOIRE DE L’APPELANTE
3.
B)
C)
Page
Caractère erroné de la nouvelle norme juridique du
« cercle fermé »
............................................ 19
QUESTION 2 – La Cour d'appel a-t-elle erré en droit en
érigeant au titre de moyen de défense le fait que des
menaces soient proférées en raison de la frustration, de la
colère ou du désir de vengeance?
............................................ 22
Demande de consignation de verdicts de culpabilité
..............................................26
PARTIE IV
–
DÉPENS
............................................ 35
PARTIE V
–
ORDONNANCES DEMANDÉES
............................................ 36
PARTIE VI
–
TABLE
ALPHABÉTIQUE
SOURCES
PARTIE VII –
DES
............................................ 38
LÉGISLATION
Code criminel, article 264.1 (L.R.C., 1985, ch. C-46)
..............................................40
-1Mémoire de l’appelante
Exposé concis de la position et des faits
MÉMOIRE DE L’APPELANTE
PARTIE I – EXPOSÉ CONCIS DE LA POSITION ET DES FAITS
Sommaire
1.
Dans les arrêts R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72 et R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758
(recueil de sources de l’appelante, ci-après « r.s.a. », onglets 15 et 4), cette Cour a édicté
des balises afin de guider les tribunaux inférieurs dans la détermination de l'actus reus et de
la mens rea de l'infraction prévue à l'article 264.1 C.cr. Dans le présent dossier, la Cour
d'appel du Québec s'est laissée guider, à bon droit, par les balises édictées dans ces arrêts de
principe. Cependant, elle est sortie des sentiers battus en statuant que des propos menaçants
ne pouvaient pas constituer des menaces au sens de l'article 264.1 C.cr. lorsque ces propos
étaient extériorisés en présence d'une ou de plusieurs personnes dans des circonstances où il
pourrait exister une expectative de confidentialité (« cercle fermé »). Dans le présent
dossier, il s'agit de menaces proférées en présence de codétenus et visant des personnes
associées au système judiciaire.
2.
Ainsi, selon la Cour d'appel, lorsque des paroles menaçantes sont prononcées dans un
« cercle fermé », l'actus reus requis pour l'infraction n'est pas satisfait puisqu'il n'y aurait
pas de destinataire « au même titre que la lettre menaçante qui n'est jamais mise à la
poste ». En outre, dans ce même contexte, la mens rea requise ne serait pas non plus
satisfaite puisque la personne qui profère les menaces aurait eu l'intention que ses paroles
ne soient pas ébruitées. Ce faisant, elle ne pourrait pas avoir l'intention de faire craindre ou
d'intimider.
3.
En statuant de la sorte, la Cour d'appel a introduit une nouvelle norme juridique qui ajoute
un élément de prévisibilité de la transmission des menaces aux personnes visées par cellesci. Lorsque des menaces seront proférées dans un « cercle fermé », le poursuivant devrait
désormais faire la preuve qu'il y avait une prévisibilité objective que les paroles soient
-2Mémoire de l’appelante
Exposé concis de la position et des faits
ébruitées (actus reus), ainsi qu'une prévisibilité subjective (mens rea) qu'elles le soient. Ce
faisant, il suffirait pour être acquitté, d'une inférence que l'auteur des propos croyait
bénéficier du sceau de la confidence – basée, par exemple, sur la « loi du silence » en
milieu carcéral, la complicité, la loyauté, l'amitié, le lien familial, etc. – écartant ainsi
l'existence d'une menace.
4.
Nous soumettons respectueusement que la Cour d'appel a erré en introduisant cette
nouvelle norme juridique. En effet, dès lors que des paroles objectivement menaçantes sont
sciemment extériorisées en présence d'une ou de plusieurs personnes avec l'intention
qu'elles soient prises au sérieux, il existe un risque que ces paroles soient ébruitées et
qu'elles suscitent la crainte et l'intimidation. C'est précisément pour éviter cela que le
législateur a introduit la disposition prévue à l'article 264.1 C.cr.
5.
La Cour d'appel a également statué, subsidiairement, que les propos menaçants exprimés
par l'intimé en présence de codétenus ne constituaient pas des menaces au sens de
l'article 264.1 C.cr. parce que ces propos auraient été motivés par la frustration, la colère ou
un désir de vengeance, excluant par le fait même tout élément de crainte ou d'intimidation.
La Cour d'appel consacre ainsi un nouveau moyen de défense : elle fait en sorte qu'une
personne pourra être acquittée d'avoir sciemment proféré des menaces de mort, si ses
menaces sont motivées par la frustration, la colère ou un désir de vengeance. Dorénavant,
quiconque prononce des menaces de mort en étant ainsi motivé le ferait en toute impunité.
Mise en contexte
6.
Voici la trame factuelle retenue par l'honorable juge de première instance et reprise par la
Cour d'appel du Québec dans son arrêt dont nous appelons en l’espèce :
« En juin 2009, Stéphane McRae est en attente de plusieurs procès où
il est accusé d'infractions relatives au trafic de stupéfiants. Il est
détenu au centre de détention de New-Carlisle et également à celui de
Rimouski. Pendant un certain temps, est aussi détenu Louis-Joseph
Comeau, qui devra répondre également d'infractions relatives au trafic
-3Mémoire de l’appelante
Exposé concis de la position et des faits
de stupéfiants. L'un et l'autre sont très révoltés des accusations portées
contre eux, en veulent aux procureurs en poursuite, aux policiers et
surtout à ceux qui les ont dénoncés et/ou signé des déclarations qui les
incriminent. Sont détenus en même temps et au même endroit
Édouard Collin et Patrick Cloutier.
Messieurs Comeau et McRae complotent ensemble un projet visant à
attaquer Me Lili-Pierre Trottier-Lapointe, la procureure de la
Couronne, un policier enquêteur au dossier, à savoir Benoît Corriveau
et les témoins Anthony Devouge, Armand Laflamme, Guillaume
Bujold et Tony Gionest. Au centre de détention de Rimouski, l'accusé
avait présenté Comeau à Patrick Cloutier comme son « tueur à gage ».
Étant informés de ces faits, des enquêteurs décident de poser un
dispositif d'écoute sur Patrick Cloutier avec le consentement de ce
dernier. On veut par-là, non seulement entendre et présenter en preuve
les paroles de l'accusé, mais aussi celles (théorie des actes manifestes)
de l'autre participant au complot, à savoir Louis-Joseph Comeau.
Ainsi le ministère public a mis en preuve autant les paroles de l'accusé
que celles de Louis-Joseph Comeau par les témoins Patrick Cloutier et
Édouard Collin. Patrick Cloutier explique que pendant un certain
temps il était dans la même aile (wing) que Louis-Joseph Comeau et
passait des messages de celui-ci à l'accusé.
On a aussi établi que : a) lors d'une visite de McRae à la cellule
d'Édouard Collin à la prison de New Carlisle, il dit qu'il « va faire
descendre des gars d'en haut pour arranger la face à la procureure LiliPierre Trottier-Lapointe (la grosse vache) et à Anthony Devouge parce
qu'il est d'avis que ce dernier l'aurait dénoncé (stoolé) », b) il informe
Patrick Cloutier qu'il a retenu les services d'un détective privé pour
trouver l'adresse de Me Trottier-Lapointe, c) il demande à Patrick
Cloutier de faire des démarches afin de trouver l'adresse du policierenquêteur Benoît Corriveau, d) il dira aussi à Patrick Cloutier qu'une
fois son procès terminé qu'il allait tuer les témoins qui auraient déposé
contre lui (stoolé) entre autres Anthony Devouge, Armand Laflamme,
Guillaume Bujold et Tony Gionest. »
•
Dossier de l’appelante, ci-après d.a., vol. I, p. 10 et 11, par. 2, arrêt C.A.Q.,
citant les paragraphes 2 à 6 du jugement de première instance.
7.
Pour les témoins Patrick Cloutier et Édouard Collin, il n'y avait pas de doute que l'intimé et
Louis-Joseph Comeau voulaient s'en prendre à la procureure, à l'enquêteur ainsi qu'aux
-4Mémoire de l’appelante
Exposé concis de la position et des faits
témoins. C'est en raison, non seulement du sérieux de leurs menaces, mais aussi de leur
capacité à les mettre à exécution que messieurs Cloutier et Collin ont rapporté leurs propos
à la police. Ces derniers n'ont d'ailleurs jamais adhéré au projet criminel de l'intimé et de
Louis-Joseph Comeau. Voici des extraits du témoignage de messieurs Cloutier et Collin qui
rendent compte des appréhensions qui les ont amenés à dévoiler les menaces verbalisées
par l’intimé :
Édouard Collin :
Q.
Comme, quand vous avez eu, là, les verbalisations que vous
nous avez rencontrés, comment vous vous êtes senti par rapport à ça?
R.
Ben...
Q.
En fait, qu'est-ce que ça a créé comme réaction chez vous?
R.
Ben, j'me sus senti mal certain. Y'a personne que, y'a personne
hein qui, qui mérite d'être,d'être abattu ou quecqu'chose (d.a., vol. II,
p. 7 et 8).
[…]
R.
Même, Monsieur le Juge, avant que j'ai arrivé ici, j'avais dit au
procureur que j'témoignais pas parce que j'voulais pas avoir
d'représailles, de représailles en prison, que m'a dire que je m'en
souvenais pus de rien. Pis là, j'ai dit : " Non faut que justice soit faite."
(d.a., vol. II, p. 56 et 57).
Patrick Cloutier :
Q.
Okay. Pourquoi vous essayez de rejoindre la Sureté du
Québec?
R.
Parce que là ben, on parlait de, de vie humaine. T'sais y'a un
bout, t'entends, t'entends. Y'a des prisonniers qui font ben des euh, des
bla-bla là. Mais nous autres on savait qu'eux autres sontaient assez
solides.
Q.
Ça veut dire quoi être assez solide pour vous?
R.
Assez solide que y sontaient respectés dans le milieu, que
quand t'es prêt à, y s'est confié à moé que tu fêtes ton anniversaire de
mariage avec des " Full Patch " faque t'es solide, là.
-5Mémoire de l’appelante
Exposé concis de la position et des faits
Q.
Okay. Et pourquoi vous décidez d'appeler la Sureté du
Québec?
R.
Ben parce que moé, premièrement j'voulais pas être mêlé à ça.
Pis que faire un message de savoir les dates de Cour, le dossier pis ces
affaires-là, ça m'dérange pas, là. Mais là on parle d'une vie humaine.
Faque moé dans ma tête, ça m'tentait pas d'ouvrir la télévision,
d'entendre parler que comme c'te madame-là aurait sauté dans son
char mais qu'yavait des enfants à bord ou n'importe quoi, t'sais ou
qu'yavait un enfant autour que... J'sais comment ça marche dans le
milieu des motards. Ça fait que ça m'tentait pas d'entendre parler de ça
pis j'voulais pas euh, j'aurais pas pu vivre avec ça (d.a., vol. II, p. 99
et 100).
8.
Quant à la crédibilité des témoins Patrick Cloutier et Édouard Collin, le juge de
première instance a conclu ainsi :
« En contre-interrogatoire, l'ancien procureur de l'accusé a tenté
d'attaquer la crédibilité des témoins Cloutier et Collin, mais l'exercice
n'entraîna aucun résultat. Tant par leur réponse que par leur attitude,
l'un et l'autre témoignaient de façon franche et directe. Ni l'un ni
l'autre n'ont reçu quelque avantage que ce soit ou ne s'imaginaient en
recevoir, ils ont décidé de dénoncer ces faits parce qu'ils les
considéraient trop sérieux. Ils craignaient que des meurtres ne soient
commis, et qu'ils n'y soient associés et/ou accusés d'avoir participé à la
commission de ces crimes. [Nous soulignons] (d.a., vol. I, p. 6 et 7,
par. 12, Jugement de première instance.)
9.
L'intimé et Louis-Joseph Comeau n'ont pas été accusés de complot. Toutefois, pour
chacune des personnes visées par les menaces, ils ont fait l'objet d'accusations en vertu de
l'article 264.1 C.cr. dans des procès séparés (d.a., vol. I, p. 18, Dénonciation tenant lieu
d'acte d'accusation.)
10.
Bien que les infractions aient eu lieu à New Carlisle dans le district de Bonaventure (dossier
no 105-01-000604-095), le procès de l'intimé s'est tenu, de consentement des parties, à Percé
dans le district de Gaspé du 26 au 28 avril 2010 et les 22 et 24 septembre 2010 devant le juge
Jean-Paul Decoste de la Cour du Québec (dossier no 110-01-000215-108).
-6Mémoire de l’appelante
11.
Exposé concis de la position et des faits
Durant le procès, l'intimé a exercé son droit de ne pas témoigner et de ne pas présenter
d'éléments de preuve dans le cadre de sa défense.
12.
Ayant à déterminer si l'intimé avait « sciemment proféré, transmis, ou fait recevoir par une
personne une menace… » selon les termes de l'article 264.1 C.cr., le juge de
première instance s'est posé les questions suivantes :
« […] la poursuite a-t-elle prouvé l'actus reus et la mens rea de
l'infraction visée par l'article 264.1(1) du Code criminel, ou n'a-t-elle
pas plutôt prouvé un complot pour meurtre (465.1a) C.cr.), pour
commettre des voies de fait ou un complot pour entrave à la justice
(139(2) C.cr.). Les paroles de l'accusé à Collin et/ou Cloutier
constituent-elles vraiment des menaces ou l'accusé ne fait-il pas plutôt
simplement raconter ses projets à l'un et l'autre? Ou encore sa
démarche ne vise-t-elle pas essentiellement à lui demander de l'aider à
réaliser ses projets? » (d.a., vol. I, p. 7, par. 13, Jugement de première
instance.)
13.
Guidé par son interprétation de l'arrêt R. c. Clemente, précité, il conclut de l'ensemble du
dossier que :
•
les paroles prononcées par l'intimé aux témoins Cloutier et Collin ne l'ont pas été
dans l'intention qu'elles soient transmises aux personnes visées, mais sont plutôt la
manifestation de l'intention de l'intimé de se venger de ces personnes une fois le
procès terminé (d.a., vol. I, p. 7 et 8, par. 14);
•
il en aurait été autrement si le tribunal « était resté sous l'impression » que l'intention
de l'intimé était de faire transmettre un message à ces personnes dans le but de les
dissuader de témoigner (d.a., vol. I, p. 7 et 8, par. 14);
•
il n'y a pas de destinataires des menaces, puisque les codétenus Cloutier et Collin qui
les ont entendus n'avaient le mandat ni exprès ni tacite de les transmettre aux
personnes visées (d.a., vol. I, p. 7 et 8, par. 14);
-7Mémoire de l’appelante
•
Exposé concis de la position et des faits
il est invraisemblable que l'intimé ait pu imaginer que si Cloutier ou Collin avait
rapporté ces paroles à la procureure ou à l'enquêteur, il y ait eu une possibilité que
l'attitude de ces derniers ait pu changer (d.a., vol. I, p. 8, par. 15);
•
les paroles de l'intimé ne sont que « l'expression de la frustration et la révolte d'un
criminel qui se sent coincé par le système judiciaire ». Il n'exprime pas une menace
de causer des blessures ou la mort, mais ses paroles expriment sa colère (d.a., vol. I,
p. 8, par. 16);
•
si tant est qu'un complot était établi entre Comeau et l'accusé, la preuve présentée
« fait plutôt allusion » à un « complot pour meurtre », ou « complot dans le but de
commettre des voies de fait », ou « complot pour entrave à l'administration de la
justice », qu'à une menace quelconque (d.a., vol. I, p. 8, par. 17).
14.
En conséquence, l'accusé a été acquitté en regard de tous les chefs d'accusation.
15.
Dans un arrêt du 3 février 2012, la Cour d'appel a confirmé les verdicts d'acquittement en
faisant siens les motifs du juge de première instance.
16.
La Cour d'appel cite d'abord des passages pertinents des arrêts de principe R. c. McCraw et
R. c. Clemente, précités. Puis, elle conclut que, considérés de façon objective, les propos de
l'intimé « peuvent faire craindre, de façon sérieuse, que des gestes susceptibles de causer la
mort ou des lésions corporelles seront posés à l'initiative de l'intimé. » (d.a., vol. I, p. 13
et 14, par. 8). Toutefois, elle conclut que, mis en contexte, les propos tenus par l'intimé ne
constituent pas une menace et elle s'explique comme suit :
« Les propos transmis ou confiés par l'intimée à trois autres détenus ne
peuvent être assimilés à « un moyen d'intimidation visant à susciter un
sentiment de crainte chez son destinataire », au même titre que la lettre
menaçante qui n'est jamais mise à la poste. Ces échanges s'effectuaient
dans un cercle fermé. Le simple fait d'extérioriser une pensée ne suffit
pas pour imputer un geste criminel. Comme le souligne à bon droit le
premier juge, il n'y a pas ici de « destinataire ». Les propos tenus sont
-8Mémoire de l’appelante
Exposé concis de la position et des faits
« l'expression de la frustration et la révolte d'un criminel qui se sent
coincé par le système judiciaire ». L'élément de crainte insufflé à une
victime est dès lors absent. » [Nous soulignons] (d.a., vol. I, p. 14,
par. 9, arrêt C.A.Q.)
17.
La Cour d'appel enchaîne en disant que tel n'est pas la seule difficulté, car la menace doit
être transmise « sciemment ». Traitant alors de la mens rea, elle s'en remet aux conclusions
suivantes du juge de première instance :
•
les propos tenus par l'intimé aux témoins Cloutier et Collin n'ont pas été prononcés
dans l'intention qu'ils soient transmis aux personnes concernées;
•
messieurs Cloutier et Collin n'avaient pas le mandat tacite ou exprès de transmettre
ces propos;
•
les propos n'étaient que la manifestation d'une frustration et simplement l'intention de
se venger éventuellement, sans pour autant transmettre une menace;
•
compte tenu du contexte, ces propos ne pouvaient être perçus comme « visant à
intimider ». (d.a., vol. I, p. 16, par. 16, arrêt C.A.Q.)
18.
Enfin, la Cour d'appel note que l'accusé ne s'est pas fait entendre et qu'« il est bien difficile
de savoir ce qu'il avait en tête ». Elle pose alors la question suivante :
« Croyait-il que ses propos seraient ébruités et pourraient apeurer les
personnes visées par ses plans? » (d.a., vol. I, p. 16, par. 18, arrêt
C.A.Q.)
19.
Elle constate que le juge a rejeté cette hypothèse qu'il n’a estimée ni vraisemblable ni
logique. Elle reconnaît que le juge spécule peut-être à ce sujet. Elle conclut néanmoins que
la poursuite n'a pas fait la preuve que l'accusé avait l'intention d'intimider et rejette l'appel.
-9Mémoire de l’appelante
20.
Exposé concis de la position et des faits
Par ailleurs, Louis-Joseph Comeau (coconspirateur) a subi son procès devant le juge Robert
Lévesque de la Cour du Québec le 26 octobre 2010. Ce procès s'est déroulé par des
admissions écrites des parties et par le dépôt des déclarations du témoin Patrick Cloutier.
Le débat portait sur des questions de droit et les parties s'entendaient sur les principes
édictés par la Cour suprême du Canada, notamment sur le fait qu'il n'était pas nécessaire
que le ministère public prouve « que la menace se rende à la victime potentielle ou que
cette dernière ait effectivement connaissance de la menace ou craigne à cet égard » (R. c.
Comeau, [2010] J.Q. no 31933, par. 23; décision du juge Robert Lévesque, j.c.q., r.s.a.,
onglet 5).
21.
L'avocat de l'accusé M. Comeau plaidait essentiellement qu'il fallait tenir compte du
contexte spécifique du dossier où des détenus échangeaient entre eux « sur la base de la
confiance et de la loi du silence » (Comeau, précitée, par. 21). Il plaidait également que les
détenus voulaient certainement que leurs propos demeurent secrets et que, partant, ils ne
pouvaient avoir l'intention d'intimider ou d'être pris au sérieux.
22.
Dans un jugement écrit du 3 décembre 2010, le juge Lévesque prend acte du fait que son
collègue a acquitté Stéphane McRae (l'intimé) « d'accusations similaires dans un contexte
semblable » (Comeau, précitée, par. 24), mais il juge que des propos tenus dans un cercle
fermé peuvent tout de même constituer des menaces au sens de l'article 264.1 C.cr. Il
déclare donc M. Comeau coupable sur tous les chefs (Comeau, précitée, par. 44 à 48).
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- 10 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des questions en litige
PARTIE II – EXPOSÉ CONCIS DES QUESTIONS EN LITIGE
QUESTION 1 – La Cour d'appel a-t-elle erré en introduisant une nouvelle norme
juridique, ou à tout le moins un champ d'exclusion du régime de l'article 264.1 C. cr., à
savoir celui du « cercle fermé », et en statuant que des paroles menaçantes prononcées dans
des circonstances où l'on suppose qu'il pourrait exister une expectative de confidentialité ne
peuvent satisfaire à l'actus reus et à la mens rea de l'infraction créée à cet article?
23.
L'appelante entend démontrer qu’aux fins de la détermination de l'actus reus et de la mens
rea de l'infraction prévue à l'article 264.1 C.cr., la Cour d'appel a erronément introduit une
nouvelle norme juridique fondée sur l'expectative de confidentialité, soit celle du « cercle
fermé ». Cette norme s'appliquerait à toute situation où des paroles sont prononcées avec la
croyance qu'elles l'ont été sous le sceau de la confidence basée, par exemple, sur la « loi du
silence » en milieu carcéral, la complicité, la loyauté, l'amitié, le lien familial, etc. Dans une
telle situation, le ministère public serait ainsi indirectement contraint de prouver la
prévisibilité objective et subjective que les menaces soient ébruitées et éventuellement
portées à la connaissance des victimes potentielles. Cette nouvelle norme juridique va à
l'encontre du but de l'article 264.1 C.cr.
QUESTION 2 – La Cour d'appel a-t-elle erré en droit en érigeant au titre de moyen de
défense le fait que des menaces soient proférées en raison de la frustration, de la colère ou
du désir de vengeance?
24.
L'appelante entend également démontrer que la Cour d'appel a erré en statuant que les
propos menaçants exprimés par l'intimé en présence de codétenus ne constituaient pas des
menaces au sens de l'article 264.1 C.cr. parce que ces propos auraient été extériorisés par
frustration ou colère, excluant ainsi tout élément de crainte ou d'intimidation. Ce faisant, la
Cour d'appel a pris en compte un facteur non pertinent et a introduit un nouveau moyen de
défense qui va à l'encontre de l'objet de l'article 264.1 C.cr.
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- 11 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
PARTIE III – EXPOSÉ CONCIS DES ARGUMENTS
A)
QUESTION 1 – La Cour d'appel a-t-elle erré en introduisant une nouvelle norme
juridique, ou à tout le moins un champ d'exclusion du régime de l'article 264.1 C. cr.,
à savoir celui du « cercle fermé », et en statuant que des paroles menaçantes
prononcées dans des circonstances où l'on suppose qu'il pourrait exister une
expectative de confidentialité ne peuvent satisfaire à l'actus reus et à la mens rea de
l'infraction créée à cet article?
1.
25.
Principes formulés par cette Cour
Depuis l'entrée en vigueur de l'article 264.1 C.cr. en 1985, cette Cour s'est prononcée à
trois occasions sur la portée de cette disposition dans les arrêts R. c. McCraw et R. c.
Clemente, précités, et tout récemment dans l’arrêt R. c. O’Brien, 2013 CSC 2 (r.s.a.,
onglet 18). Les principes énoncés dans ces arrêts peuvent se résumer ainsi :
a)
26.
But de l'article 264.1 C.cr.
« Le but et l'objet de l'article sont d'assurer une protection contre la crainte et l'intimidation.
Le législateur, lorsqu'il a adopté l'article, a agi pour protéger la liberté de choix et d'action
de la personne, une question d'une importance fondamentale pour les membres d'une
société démocratique » (McCraw, précité, p. 82).
b)
27.
Actus reus
L'actus reus consiste à déterminer si « considérés de façon objective, dans le contexte de
tous les mots écrits ou énoncés et compte tenu de la personne à qui ils s'adressent », les
termes visés constituent une menace de causer la mort ou des lésions corporelles pour une
personne raisonnable (McCraw, précité, p. 83). Pour constituer un acte criminel au sens de
- 12 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
cet article, la menace n'a pas besoin d'être exécutée ou suivie d'un acte (Clemente, précité,
p. 761 et 762 et McCraw, précité, p. 81 et 82).
c)
28.
Mens rea
« La mens rea est l'intention de faire en sorte que les paroles prononcées ou les mots écrits
soient perçus comme une menace de causer la mort [ou des lésions corporelles], c'est-à-dire
comme visant à intimider ou à être pris au sérieux » (Clemente, précité, p. 763) [nous
soulignons]. Ces deux derniers éléments doivent être analysés de façon disjonctive, c’est-àdire que le ministère public est tenu de prouver soit l’intention que les paroles visent à
intimider, soit l’intention qu’elles soient prises au sérieux (voir Clemente, précité; R. c.
Hiscox, [2002] B.C.J. no 1060 (C.A.C.-B.), par. 10 (r.s.a., onglet 11); R. c. Valle-Quintero,
[2002] O.J. no 4107 (C.A.Ont.), par. 60 (r.s.a., onglet 23) et R. c. Fenton, [2008] A.J.
no 439 (Alb.Q.B.), par. 46 à 55 (r.s.a., onglet 9).
29.
« Il n'est pas nécessaire que la menace soit exécutée; l'infraction est complète lorsque la
menace est proférée » (McCraw, précité, p. 81). « L'intention d'exécuter la menace n'est pas
pertinente pour déterminer si une déclaration de culpabilité peut être maintenue »
(McCraw, précité, p. 82). L'intention que les menaces proférées soient transmises à la
victime potentielle ou que cette dernière soit au courant des menaces ne constituent pas des
éléments essentiels de l'infraction (Clemente, précité, p. 763).
30.
« La question de savoir si l'accusé avait l'intention d'intimider ou si les termes qu'il a
employés visaient à être pris au sérieux sera habituellement tranchée, en l'absence
d'explications de la part de l'accusé, en fonction des mots utilisés, du contexte dans lequel
ils s'inscrivent et de la personne à qui ils étaient destinés » (Clemente, précité, p. 762). Sont
à considérer, l'effet des paroles prononcées sur la personne qui les a reçues, ainsi que l'effet
que ces paroles auraient eu sur la personne visée si elles lui avaient été rapportées (id.,
p. 762 in fine et p. 763; voir aussi O’Brien, précité).
- 13 Mémoire de l’appelante
2.
31.
Exposé concis des arguments
Erreurs de droit
Dans le présent dossier, tant le juge de première instance que la Cour d'appel étaient bien
au fait des normes juridiques applicables. Ils ont d'ailleurs cité de larges extraits des arrêts
de principe dans leur jugement. Cependant, ils ont consacré une nouvelle norme juridique,
ou à tout le moins un champ d'exclusion du régime de l'article 264.1 C.cr., celui du « cercle
fermé », qui échappe aux éléments de l'actus reus et de la mens rea de l'infraction créés à
cet article.
32.
La Cour d'appel utilise la notion de « cercle fermé » pour faire référence à des paroles
extériorisées en présence d'une ou de plusieurs personnes dans des circonstances où l'on
suppose qu'il pourrait exister une expectative de confidentialité. Cette notion s'appliquerait
vraisemblablement à toutes situations où des paroles sont prononcées avec la croyance
qu'elles l'ont été sous le sceau de la confidence basée, par exemple, sur la « loi du silence »
en milieu carcéral, la complicité, la loyauté, l'amitié, le lien familial, etc.
a)
33.
Utilisation du terme « transmis » dans les chefs d’accusation
La Cour d’appel postule que le choix du terme « transmis » au lieu de « proféré » dans les
chefs d’accusation emporte un fardeau de preuve plus lourd pour le ministère public. À cet
effet, au tout début de son analyse, elle souligne ceci :
« L’intimé n’est pas accusé d’avoir proféré mais d’avoir « transmis »
des menaces ». (d.a., vol. I, p. 13, par. 8).
34.
D’abord, selon la Cour d’appel, le fardeau de preuve serait plus élevé quant à l’actus reus,
puisqu’il faudrait prouver une prévisibilité objective que les menaces soient ébruitées ou
que les destinataires (codétenus) aient retransmis aux victimes potentielles les menaces
qu’ils ont reçues. Quant à la mens rea, il deviendrait essentiel de prouver la prévisibilité
subjective de transmission, c'est-à-dire que l'accusé savait ou voulait que ses propos soient
ébruités.
- 14 Mémoire de l’appelante
35.
Exposé concis des arguments
Le sens commun du terme « proférer » s’entend du fait d’articuler à voix haute
(Dictionnaire Le Nouveau Petit Robert 2013, p. 2034). Lorsque les menaces ne sont pas
articulées de cette façon, consistant plutôt en des écrits ou des gestes menaçants, le
ministère public allègue dans son chef d’accusation l'autre moyen de commettre
l'infraction, à savoir « transmettre » les menaces, lequel désigne le fait de faire passer d’une
personne à une autre un écrit, des paroles, etc. (id., p. 2604). La Cour d'appel postule que la
mention du terme « transmis », emporte un fardeau de preuve plus lourd qu'en cas
d'allégation d'avoir « proféré » les menaces. Cette interprétation est incohérente avec
l’objet de l’infraction puisque le fardeau du ministère public différerait selon que les
menaces ont été articulées à voix haute (proférées) versus celles qui auraient été
extériorisées autrement, soit sous forme de gestes ou d’écrits menaçants (transmises). Cette
interprétation est également contraire aux enseignements de cette Cour dans les arrêts
Clemente et McCraw, précités, lesquels établissent le fardeau du ministère public sans
aucunement suggérer cette distinction.
36.
Rappelons que les chefs d’accusation reprochent à l’intimé d’avoir transmis aux codétenus
M. Cloutier ou M. Collin (selon le cas), une menace de causer la mort ou des lésions
corporelles à l’égard des victimes potentielles. La preuve de cette transmission (actus reus)
a été faite hors de tout doute raisonnable au procès puisque les codétenus ont témoigné
avoir reçu, à plusieurs reprises, les menaces que l’intimé leur avait transmises. Il en est de
même quant à la mens rea, puisque les mots utilisés par l’intimé, le contexte dans lequel ils
s’inscrivaient et leurs effets sur les personnes qui les ont reçues (codétenus) ne laissaient
aucun doute sur l’intention d’intimider ou que ses paroles soient prises au sérieux.
37.
Les chefs d’accusation ne reprochent pas à l’intimé d’avoir transmis aux victimes
potentielles des menaces par l’intermédiaire des codétenus. Si tel avait été le cas, il aurait
été possible d’alléguer (sans garantie de succès) que le fait d’apporter aux chefs
d’accusation la précision : « par l’intermédiaire des codétenus » est assimilable à un moyen
de transmission (means of conveying) devenu un élément essentiel uniquement en raison du
choix du ministère public de particulariser les infractions (voir notamment R. c. Corser,
- 15 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
[2004] A.J. no 1335 (Alb.Q.B.) (r.s.a., onglet 6) et R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217,
par. 21 (r.s.a., onglet 7).
38.
L’importance accordée au choix du terme « transmis » démontre que la Cour d’appel l’a
assimilé à tort à un moyen de transmission et qu’elle a fait fi des modifications législatives
qui ont été apportées à la disposition portant sur les menaces et dont la version antérieure
« ne s’appliquait qu’aux menaces transmises par certains moyens » (Clemente, précité,
p. 763).
b)
39.
Actus reus
Rappelons d'abord le contexte dans lequel les paroles menaçantes ont été prononcées.
L'intimé est en détention provisoire en attendant de subir son procès à l'égard d'infractions
reliées aux stupéfiants et à la violence. Il fut arrêté à la suite de la délation de ses proches et
de gens du milieu, soit les témoins Anthony Devouge, Armand Laflamme, Guillaume
Bujold et Tony Gionest. En détention, l'intimé manifestait un profond désir de vengeance et
il en voulait également à l'enquêteur Benoit Corriveau et à la procureure de la Couronne,
Lili-Pierre Trottier-Lapointe. En conséquence, l'intimé a prononcé des paroles menaçantes
en présence de trois personnes différentes, soit messieurs Comeau, Cloutier et Collin, tous
des codétenus criminalisés. Il a répété ses propos menaçants à plusieurs reprises sur une
période de plusieurs jours. Les paroles menaçantes évoquaient de façon détaillée la manière
dont il entendait procéder pour tuer des personnes associées au système judiciaire. L'intimé
avait d'ailleurs dit à Patrick Cloutier qu'il avait embauché un détective privé pour retrouver
l'adresse personnelle de la procureure de la Couronne et qu'il s'était trouvé une personne
prête à commettre les meurtres, soit Louis Joseph Comeau, qu'il présentait comme étant son
« tueur à gages ».
40.
À la lumière de ces faits, la Cour d'appel a conclu que, considérés de façon objective, les
propos de l'intimé « peuvent faire craindre, de façon sérieuse, que des gestes susceptibles
de causer la mort ou des lésions corporelles seront posés à l'initiative de l'intimé. »
- 16 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
(d.a., vol. I, p. 13, par. 8). Elle a toutefois conclu que, considérant que les propos s'étaient
tenus dans un « cercle fermé », ils ne pouvaient constituer une menace parce qu'il n'y aurait
pas de destinataire, « au même titre que la lettre menaçante qui n'est jamais mise à la
poste » :
« Les propos transmis ou confiés par l'intimée à trois autres détenus ne
peuvent être assimilés à « un moyen d'intimidation visant à susciter un
sentiment de crainte chez son destinataire », au même titre que la lettre
menaçante qui n'est jamais mise à la poste. Ces échanges s'effectuaient
dans un cercle fermé. Le simple fait d'extérioriser une pensée ne suffit
pas pour imputer un geste criminel. Comme le souligne à bon droit le
premier juge, il n'y a pas ici de « destinataire ». Les propos tenus sont
« l'expression de la frustration et la révolte d'un criminel qui se sent
coincé par le système judiciaire ». L'élément de crainte insufflé à une
victime est dès lors absent. » [Nous soulignons] (d.a., vol. I, p. 14,
par. 9, arrêt C.A.Q.)
41.
La Cour d'appel assimile ainsi les paroles prononcées dans un « cercle fermé » à la
situation où une personne parlerait seule à voix haute sans savoir qu'elle est ou qu’elle peut
être écoutée.
42.
Nous soumettons respectueusement que la Cour d'appel a erré, puisque, d'une part, elle
postule que la personne qui profère des menaces est fondée à revendiquer une expectative
de confidentialité et, d'autre part, elle exige ainsi que le ministère public prouve qu'il
existait une prévisibilité objective que les paroles soient ébruitées au-delà du « cercle
fermé ». Ce fardeau de preuve devrait, à tort, s'additionner à celui énoncé dans l'arrêt
McCraw, à savoir que, considérés de façon objective, les termes visés constituent une
menace de causer la mort ou des lésions corporelles pour une personne raisonnable
(McCraw, précité, p. 83). Qui plus est, la Cour d'appel ignore le fait que la notion de
« destinataire », au sens commun du terme, inclut le « récepteur du message émis par le
destinateur » (Dictionnaire Le Petit Larousse Illustré 2013, p. 337; voir aussi Le Nouveau
Petit Robert 2013, p. 713). Le fait que le « destinataire » inclue la personne en présence de
qui les menaces sont extériorisées est d’ailleurs cohérent avec le fait que les menaces n’ont
- 17 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
pas à être retransmises à la victime potentielle ou que cette dernière soit mise au courant
(Clemente, précité, p. 763).
c)
43.
Mens rea
En l’espèce, l'intimé a exercé son droit de ne pas témoigner au procès, la question de savoir
s'il avait l'intention d'intimider ou si les termes qu'il a employés visaient à intimider ou à
être pris au sérieux devait être tranchée « en fonction des mots utilisés, du contexte dans
lequel ils s'inscrivent et de la personne à qui ils étaient destinés » (Clemente, précité,
p. 762).
44.
Avec égard, la preuve présentée par le ministère public ne permettait qu'une seule
conclusion logique, à savoir que l'accusé avait l'intention que ses paroles soient prises au
sérieux. Cette intention s'est d'ailleurs matérialisée, puisque les codétenus Cloutier et Collin
ont jugé ces paroles très sérieuses, au point qu'ils se sentaient dans l'obligation d'aviser les
autorités afin de prévenir un drame. Manifestement, ces paroles, qui ont troublé et intimidé
les codétenus, auraient eu le même effet sur les victimes potentielles si elles leur avaient été
rapportées (Clemente, précité, p. 762 et 763). Rappelons que le juge de première instance a
mentionné que Cloutier et Collin avaient décidé de « dénoncer ces faits parce qu'ils les
considéraient trop sérieux ». « Ils craignaient que des meurtres ne soient commis, et qu'ils
n'y soient associés et accusés d'avoir participé à la commission de ces crimes » (d.a., vol. I,
p. 6 et 7, par. 12). La Cour d'appel a aussi mentionné que les propos de l'intimé pouvaient
« faire craindre, de façon sérieuse, que des gestes susceptibles de causer la mort ou des
lésions corporelles seront posés à l'initiative de l'intimé. » (d.a., vol. I, p. 13 et 14, par. 8).
45.
Pourtant, sur le fondement que les paroles menaçantes avaient été prononcées dans un
« cercle fermé », la Cour d'appel a statué que la mens rea de l'article 264.1 C.cr. n'était pas
satisfaite en inférant du contexte que l'intimé avait l'intention que ses paroles ne soient pas
ébruitées. La Cour d'appel conclut ainsi son arrêt :
- 18 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
« Or, le juge conclut que la preuve « n'établit pas que les paroles
qu'adressait l'accusé à Messieurs Collin et Cloutier étaient prononcées
dans l'intention qu'elles soient transmises à ces témoins possibles ou
potentiels », bien au contraire. De même, « la preuve ne laisse pas
supposer qu'ils [Collin et Cloutier] avaient le mandat tacite ou express
(sic) de transmettre ce message aux personnes concernées ». De l'avis
du juge, l'intimé était frustré et manifestait simplement l'intention de
se venger, éventuellement, sans pour autant transmettre une menace.
En somme, dans le contexte de cette affaire, les propos de l'intimé ne
pouvaient être perçus « comme visant à intimider ».
[…]
L'intimé n'a pas fait de preuve et ne s'est pas fait entendre. Il est bien
difficile de savoir ce qu'il avait en tête. Croyait-il que ses propos
seraient ébruités et pourraient apeurer les personnes visées par ses
plans? Le juge rejette cette hypothèse qu'il n'estime ni vraisemblable
ni logique. Peut-être le juge spécule-t-il à ce sujet, mais il demeure
que la preuve de l'intention coupable, de l'intention de l'intimé de
chercher à intimider, était à la charge du ministère public qui n'a pas
été en mesure de s'en acquitter. » [Nous soulignons] (d.a., vol. I, p. 16,
par. 16 et 18, arrêt C.A.Q.)
46.
En résumé, la Cour d'appel introduit ainsi une nouvelle norme juridique qui rend
déterminant le fait que des paroles menaçantes soient prononcées dans des circonstances où
l'on suppose qu'il pourrait exister une expectative de confidentialité (« cercle fermé »).
Dans un contexte similaire, au titre de la mens rea, il ne suffira plus de prouver que l'accusé
avait l'intention que ses paroles soient prises au sérieux (ou visent à intimider). Le ministère
public sera en outre tenu de prouver la prévisibilité subjective, c'est-à-dire que l'accusé
savait que « ses propos seraient ébruités ». La Cour d'appel impose ainsi indirectement le
fardeau de démontrer l'intention de la transmission des paroles menaçantes. Ce faisant, elle
rétablit le fardeau de preuve qui existait avant 1985, soit lorsque l'ancien article 331 C.cr.
(S.R.C. 1970, ch. C-34) était en vigueur. Voir à cet effet, R. c. Clemente, p. 763, précité, R.
c. Tibando, [1994] O.J. no 188 (C.A.Ont.) (r.s.a., onglet 22) et R. c. Neve, [1993] A.J.
no 993 (C.A.Alb.), demande d'autorisation refusée à : [1994] S.C.C.A. no 65 (r.s.a.,
onglet 17). Dans l’arrêt Neve, précité, cette Cour avait d’ailleurs refusé la permission d’en
appeler de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta qui stipulait expressément ceci :
- 19 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
The appellant also argues that the Crown must prove a specific
intention on the part of an accused that threats be conveyed to the
ultimate target victim. Again we disagree. There is no requirement in
this section that the threat be communicated to the target of the threat,
nor is there any requirement that the perpetrator intend that the threat
be communicated to the target. [Nous soulignons] (R. c. Neve, [1993]
A.J. no 993 (C.A.Alb.), par. 5).
47.
Pour être acquitté, rappelons-le, il suffirait désormais d'inférer que l'auteur des propos avait
l'intention que ses paroles ne soient pas ébruitées, les ayant prononcées avec la croyance
qu'elles étaient faites sous le sceau de la confidence – basée, par exemple, sur la « loi du
silence » en milieu carcéral, la complicité, la loyauté, l'amitié, le lien familial, etc. – donc
prononcées dans un « cercle fermé ».
3.
48.
Caractère erroné de la nouvelle norme juridique du « cercle fermé »
La norme juridique du « cercle fermé » est née, dans le présent dossier, dans le contexte où
des menaces ont été proférées en présence de codétenus dans le cadre d'un complot visant à
faire assassiner des personnes associées au système judiciaire. La Cour d'appel a conclu à
l'absence d'actus reus et de mens rea sur la base d'une équation erronée. Selon elle, des
propos par ailleurs menaçants ne le seraient pas s'ils sont verbalisés dans le cadre d'un
projet visant à les mettre à exécution puisqu'ils seraient destinés, intrinsèquement, qu'aux
personnes faisant partie du projet. Étant donné que ces propos menaçants seraient destinés
exclusivement aux personnes faisant partie du « cercle fermé », ils ne pourraient être
objectivement perçus comme des menaces au sens de l'article. 264.1 C.cr., puisqu'ils
seraient assimilables à « une lettre menaçante qui n'est jamais mise à la poste ».
Parallèlement, lorsque des propos menaçants sont verbalisés dans le cadre d'un projet visant
à les mettre à exécution, il faudrait inférer que l'accusé désire maximiser ses chances de
mener à bien son projet criminel et qu'il a ainsi l'intention que ses paroles ne soient pas
ébruitées. Ce faisant, il faudrait inférer que l'accusé n'a pas l'intention d'intimider ou de
susciter la crainte et conclure ainsi à l'absence de mens rea.
- 20 Mémoire de l’appelante
49.
Exposé concis des arguments
L'adoption de la norme du « cercle fermé » est erronée et la prévisibilité objective et
subjective de la transmission des propos ne sont pas des éléments essentiels. En effet, cette
norme ignore complètement le but et l'objet de l'article 264.1 C.cr. qui sont « d'assurer une
protection contre la crainte et l'intimidation » en criminalisant des propos avant même
qu'ils ne parviennent aux victimes potentielles. Depuis les arrêts McCraw et Clemente,
précités, il est établi que le fait que la victime visée soit ou non au courant de la menace ne
constitue pas un élément essentiel de l'infraction visée à l'article 264.1 C.cr. La disposition
criminalise ainsi le simple risque que des propos menaçants puissent potentiellement se
rendre à la personne visée et qu'ils la fassent éventuellement craindre ou l'intimident. Ainsi,
dès lors que des paroles objectivement menaçantes sont extériorisées en présence d'une ou
de plusieurs personnes avec l'intention qu'elles soient prises au sérieux, l'accusé n'a plus de
contrôle sur la portée de ses paroles. Il existe conséquemment un risque potentiel que ses
paroles soient ébruitées et qu'elles suscitent éventuellement la crainte et l'intimidation. C'est
précisément pour éviter cela que le législateur a introduit la disposition prévue à
l'article 264.1 C.cr.
50.
Lorsque des propos menaçants sont extériorisés dans un « cercle fermé », plus ils seront
sérieux, plus grande sera la probabilité que les personnes présumées se trouver dans ce
cercle préviennent les victimes potentielles ou dénoncent aux autorités policières afin de
prévenir un drame. Ainsi, plus les propos menaçants sont sérieux, plus grand est le risque
qu'ils soient ébruités et qu'ils suscitent éventuellement la crainte et l'intimidation,
contrevenant ainsi à l'article 264.1 C.cr. Les faits du présent dossier illustrent bien cette
réalité puisque, même si l'on suppose que l'intimé croyait à l’existence d'une expectative de
confidentialité en proférant ses propos menaçants, les codétenus se sont sentis dans
l'obligation d'aviser les autorités afin de prévenir un drame.
51.
La décision Henry c. R., [2007] J.Q. 17878 (r.s.a., onglet 1) illustre également que la
norme du « cercle fermé » ne saurait être retenue. Dans ce dossier, l'accusé avait transmis à
une collègue et amie (Mme Lavallée) une menace à l'égard de leur patron. Les propos
menaçants avaient été proférés sous le sceau de la confidence basée sur l'amitié (« cercle
- 21 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
fermé »). Or, les paroles menaçantes ayant été extériorisées en présence d'une personne
avec l'intention qu'elles soient prises au sérieux, l'accusé n'avait plus de contrôle sur la
portée de ses paroles et elles ont finalement cheminé jusqu'à la victime potentielle. La Cour
supérieure résumait la situation ainsi :
« Mme Lavallée dit avoir réellement eu peur pour son patron.
Perplexe et tenaillée entre son amitié pour l'appelant, le désir qu'il ne
perde pas son emploi et la crainte qu'elle éprouvait, elle en informa
son conjoint afin qu'il la conseille.
À son insu, son conjoint, qui était aussi un collègue de travail, décida
d'avertir la direction. C'est ainsi que l'appelant fut arrêté le même
après-midi à son lieu de travail. » [Nous soulignons] (Henry c. R.,
[2007] J.Q. 17878, par. 13 et 14, r.s.a., onglet 1)
52.
La simple extériorisation de propos menaçants, jumelée avec l'intention qu'ils soient pris au
sérieux, constitue donc un risque suffisant ainsi qu'une turpitude morale répréhensible
donnant lieu à l'application de l'article 264.1 C.cr.
53.
En l'espèce, l'extériorisation répétée du projet de tuer et du plan détaillé pour y parvenir
constituaient des menaces au sens de l'article 264.1 C.cr., peu importe que les propos
menaçants aient été ou non proférés dans un « cercle fermé ». Le fait que les propos
menaçants de l'intimé aient pu constituer l'actus reus d'un complot de meurtre n'exclut pas
qu'ils puissent également tomber sous l'égide de l'article 264.1 C.cr. Nous soumettons
respectueusement que l'honorable juge de première instance errait ainsi en droit lorsqu'il
affirmait ceci :
« Si tant est qu'un complot était établi entre Comeau et l'accusé,
(comme le soutenait le ministère public pour faire la preuve d'actes
manifestes), nous sommes d'avis que la preuve fait plutôt allusion à un
« complot pour meurtre », ou « complot dans le but de commettre des
voies de fait », ou « complot pour entrave à l'administration de la
justice », qu'à une menace quelconque. » (d.a., vol. I, p. 8, par. 17,
Jugement de première instance)
- 22 Mémoire de l’appelante
54.
Exposé concis des arguments
D'ailleurs, le juge Robert Lévesque, j.c.q., dans le cadre du procès de Louis-Joseph
Comeau, a jugé que des propos tenus dans un « cercle fermé » pouvaient également
constituer des menaces au sens de l'article 264.1 C.cr. Il s'est exprimé ainsi :
« Les propos de l'accusé ont été pris au sérieux par Cloutier qui a
considéré qu'il était de son devoir de dénoncer une situation
dangereuse.
Même dans le cadre d'un complot ou de la préparation d'un crime, des
menaces peuvent être proférées.
À supposer que l'accusé ne veut pas ou ne s'attende pas à ce que ses
propos aillent ailleurs que dans les oreilles et la tête de Cloutier et
McRae, il est bien connu qu'un co-accusé ou un co-détenu peut
changer d'idée en tout temps, de tels propos n'étant investis d'aucun
privilège et ne bénéficiant d'aucune attente en matière de
confidentialité ou de discrétion. » (R. c. Comeau, précitée, par. 44
à 46)
55.
En terminant, même si la norme juridique du « cercle fermé » n'était pas erronée et que la
prévisibilité objective et subjective de transmission étaient des critères déterminants (ce que
nous nions), rappelons que les codétenus Cloutier et Collin n'ont jamais adhéré au projet
criminel de l'intimé et de Louis-Joseph Comeau. Il est donc inexact de prétendre qu'ils
faisaient partie d'un « cercle fermé » et que l'intimé avait une expectative de confidentialité.
B)
QUESTION 2 – La Cour d'appel a-t-elle erré en droit en érigeant au titre de moyen
de défense le fait que des menaces soient proférées en raison de la frustration, de la
colère ou du désir de vengeance?
56.
Dans son arrêt, la Cour d'appel cite les paragraphes 14 à 16 du jugement de
première instance qui paraissent, selon elle, constituer les questions centrales. Dans ces
passages, l'honorable juge de première instance conclut que les paroles de l'intimé ne sont
que « l'expression de la frustration » et, conséquemment, qu'elles ne constituent pas des
menaces au sens de l'article 264.1 C.cr. :
- 23 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
« […] Il n'y a pas ici de « destinataire »; les codétenus Collin et
Cloutier entendaient ces paroles, mais la preuve ne laisse pas supposer
qu'ils avaient le mandat tacite ou express de transmettre ce message
aux personnes concernées.
Et le raisonnement nous apparaît encore plus évident quand on s'arrête
aux paroles qui faisaient allusion à la procureure du ministère public
Me Trottier-Lapointe et à l'enquêteur Benoît Corriveau. Il est
invraisemblable que McRae puisse s'être imaginé que si
Monsieur Cloutier ou Monsieur Collin rapportaient ces paroles à l'une
ou l'autre qu'il y avait une possibilité que leur attitude allait changer.
Nous interprétons ces paroles comme l'expression de la frustration et
la révolte d'un criminel qui se sent coincé par le système judiciaire. Il
n'exprime pas une menace de causer des blessures ou la mort aux
témoins délateurs « s'ils témoignent », mais il manifeste sa colère... »
[Nous soulignons] (d.a., vol. I, p. 11 et 12, par. 3, arrêt C.A.Q., citant
les par. 14 à 16 du jugement de première instance).
57.
Au soutien de sa conclusion, le juge de première instance cite l'arrêt de la Cour d'appel du
Québec R. c. LSJPA-1026, [2010] J.Q. no 6413 (2010 QCCA 1241) (r.s.a., onglet 14). Dans
cet arrêt, un adolescent de 15 ans, résidant en centre d'accueil, s'était vu sommer par son
éducatrice de regagner sa chambre après avoir perturbé la période du repas. Plusieurs
minutes plus tard, l'éducatrice s'était présentée à la chambre de l'adolescent pour lui
annoncer qu'il serait privé de certains privilèges en raison de son comportement. Ce dernier
lui avait alors proféré des menaces de lui causer des lésions corporelles. L'adolescent a été
accusé de voies de fait et de menace de causer des lésions corporelles. Le juge de première
instance l'a acquitté du chef de voies de fait, mais il l'a déclaré coupable du chef de menace.
La Cour d'appel infirma le jugement de première instance et acquitta l'accusé en statuant
que celui-ci n'avait pas la mens rea nécessaire parce que ses paroles n'étaient que
l'expression de la frustration. À cet égard, elle s'est exprimée ainsi :
« Si le juge de première instance avait fait ce dernier exercice et vérifié
si l'appelant avait la mens rea nécessaire, il aurait convenu que les
paroles ont été prononcées par un adolescent séquestré dans sa
chambre dans un moment de colère pour manifester sa frustration et
non pour inquiéter ou intimider son éducatrice, qui était d'ailleurs
accompagnée d'un agent d'intervention lors de l'événement. À cet
- 24 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
égard, celle-ci a déclaré qu'elle ne s'était pas sentie troublée par
l'événement - comme ne l'aurait pas été une personne raisonnable
placée dans les mêmes circonstances - et qu'elle avait continué
normalement son quart de travail. » (R. c. LSJPA-1026, précité, par. 6.)
58.
Nous soumettons respectueusement que l'arrêt LSJPA-1026, précité, a abordé un cas très
différent et qu'il n'aurait pas dû servir d'assise juridique dans le présent dossier. Pourtant, la
Cour d'appel a statué que les propos menaçants exprimés par l'intimé plusieurs fois en
présence de codétenus ne constituaient pas des menaces au sens de l'article 264.1 C.cr.
parce que ces propos auraient été extériorisés par frustration, excluant ainsi tout élément de
crainte ou d'intimidation. À cet effet, la Cour d'appel s'est exprimée ainsi :
« Comme le souligne à bon droit le premier juge, il n'y a pas ici de
« destinataire ». Les propos tenus sont « l'expression de la frustration
et la révolte d'un criminel qui se sent coincé par le système
judiciaire ». L'élément de crainte insufflé à une victime est dès lors
absent. » [Nous soulignons] (d.a., vol. I, p. 14, par. 9, arrêt C.A.Q.)
59.
En statuant ainsi, la Cour d'appel érige en moyen de défense le fait que des paroles
menaçantes soient proférées en raison de la frustration ou de la colère. D'une part, cette
défense est susceptible de neutraliser l'actus reus en assimilant ces paroles à celles qui
auraient été proférées à la blague (words spoken in jest). D'autre part, la nouvelle défense de
colère (ou de frustration) se situerait à mi-chemin entre l'automatisme sans troubles mentaux
et la provocation et neutraliserait l'intention criminelle requise. Il y a un grand risque que cet
arrêt, créant une telle défense, soit retenu à titre de précédent s'étendant à d'autres infractions
criminelles, puisque la défense de colère (frustration) était, à ce jour, totalement étrangère au
Code criminel (voir notamment : R. c. Parent, [2001] 1 R.C.S. 761 (r.s.a., onglet 19)).
60.
Le moyen de défense fondé sur l'expression de la frustration semble trouver son origine
dans une interprétation erronée d'un obiter dictum de la Cour d'appel du Manitoba dans
l'arrêt R. c. Clemente, [1993] M.J. no 612 (r.s.a., onglet 3), plus tard confirmé par cette
Cour à : [1994] 2 R.C.S. 758. La Cour d'appel du Manitoba, se basant sur l'arrêt R. c.
Payne-Binder, [1991] Y.J. no 232 (C.A.T.Y.) (r.s.a., onglet 20), avait écrit ceci :
- 25 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
« The intent to intimidate, to instill fear in the victim, is the element that
makes a threat a crime. It is the absence of that element that excludes
from the criminal sanctions of the offence the idle threat, words
blurted out in anger, bitterness or frustration. » [Nous soulignons]
(R. c. Clemente, [1993] M.J. no 612, par. 14.)
61.
Plusieurs tribunaux à travers le Canada semblent avoir interprété à tort qu'en confirmant la
décision de la Cour d'appel du Manitoba dans l'arrêt Clemente, cette Cour a entériné le
principe voulant que des paroles menaçantes soient automatiquement exclues du régime de
l'article 264.1 C.cr. lorsqu'elles sont proférées par frustration ou colère (words blurted out
in anger, bitterness or frustration); voir notamment : LSJPA-1026, précité; Payne-Binder,
précité; R. c. Medeiros, [2000] O.J. no 2697 (Ont.Ct.J.) (r.s.a., onglet 16); R. c. Fischer,
[1999] A.J. no 1156 (Alb.P.Ct.) (r.s.a., onglet 10); R. c. Jex, [2004] O.J. no 1907 (Ont.S.Ct.)
(r.s.a., onglet 12); R. c. Sather, [2008] O.J. no 918 (Ont.Ct.J.) (r.s.a., onglet 21), R. c.
Eakin, [2002] M.J. no 349 (Man.P.Ct.), par. 58 (r.s.a., onglet 8).
62. Dans l'arrêt Clemente, précité, la question centrale consistait à déterminer si le simple fait
que la menace ait été proférée avec l'intention qu'elle soit prise au sérieux était suffisant au
titre de la mens rea de l'article 264.1 C.cr. C'est précisément cette question que cette Cour a
tranchée en répondant par l'affirmative. Ce faisant, cette Cour n'a pas avalisé l'obiter dictum
de la Cour d'appel du Manitoba concernant la notion de l'expression de la frustration ou de
la colère.
63.
Nous sommes d'avis que des paroles menaçantes, même si elles sont extériorisées par
frustration ou colère, doivent être sanctionnées par l'article 264.1 C.cr. dès lors qu'elles ont
été proférées avec l'intention qu'elles soient prises au sérieux (ou qu'elles visent à
intimider). Par ailleurs, si tant est que « l'expression de la frustration ou de la colère » soit
un élément pertinent, il ne s'agirait tout au plus que d'un des éléments à soupeser aux fins
de la détermination de l'actus reus et de la mens rea.
- 26 Mémoire de l’appelante
64.
Exposé concis des arguments
En terminant, même si le moyen de défense fondé sur l'expression de la frustration, de la
colère ou du désir de vengeance était recevable en droit, l'intimé ne pourrait s'en prévaloir.
En effet, ses paroles menaçantes ont été prononcées à plusieurs reprises sur plusieurs jours
en présence de trois personnes différentes. Les paroles menaçantes évoquaient de façon
détaillée la manière dont il entendait procéder pour tuer des personnes associées au système
judiciaire et elles ne sont en rien assimilables, comme l'a fait la Cour d'appel, à la simple
expression de la « frustration et la révolte d'un criminel qui se sent coincé par le système
judiciaire » (d.a., vol. I, p. 14, par. 9). Cela nous apparaît d'ailleurs prima facie
inconciliable avec l'autre conclusion de la Cour d'appel voulant que les propos de l'intimé
pouvaient « faire craindre, de façon sérieuse, que des gestes susceptibles de causer la mort
ou des lésions corporelles » seraient posés.
C)
DEMANDE DE CONSIGNATION DE VERDICTS DE CULPABILITÉ
65.
Dans l’arrêt R. c. Katigbak, [2011] 3 R.C.S. 326 (r.s.a., onglet 13), cette Cour rappelait
que les cours d’appel : « ne peuvent remplacer un verdict d’acquittement par un verdict de
culpabilité que si les conclusions de fait du juge du procès étayent, au regard du droit
applicable, une déclaration de culpabilité hors de tout doute raisonnable (sous-al.
686(4)b)(ii)) » (par. 50). De plus, dans l’arrêt R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171 (r.s.a., onglet
2) cette Cour a réitéré que la consignation d’un verdict de culpabilité exige : « que toutes les
conclusions nécessaires pour justifier un verdict de culpabilité doivent avoir été tirées
explicitement ou implicitement, ou ne pas être en cause. » (par. 31).
66.
D’entrée de jeu, nous soulignons qu’il n’y a pas eu de preuve suffisante présentée au procès
pour justifier un verdict de culpabilité sur le chef d’accusation no 6. Par contre, n’eût été les
erreurs de droit commises par le juge de première instance et la Cour d’appel, des verdicts
de culpabilité auraient été imposés sur les chefs d’accusation nos 1 à 5. Nous demandons
ainsi à cette Cour de consigner des verdicts de culpabilité sur les chefs nos 1 à 5, tel que
nous l’avions demandé précédemment à la Cour d’appel (voir : Avis d’appel à la Cour
- 27 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
d’appel du Québec, d.a., vol. I, p. 20 à 23 et Ordonnances demandées à la Cour d’appel du
Québec, ibid, p. 24).
67.
Nous exposerons maintenant certains passages des témoignages des codétenus Patrick
Cloutier et Édouard Collin en première instance (la transcription intégrale de leur
témoignage se trouve dans le dossier de l’appelante; Cloutier : d.a., vol. II, p. 68 à 132
et 159 à 221 et Collin : id., p. 1 à 59). Étant donné que leur témoignage constitue l’essentiel
de la preuve à charge au soutien des chefs nos 1 à 5, il importe de rappeler d’abord la
conclusion du juge de première instance quant à leur crédibilité:
« En contre-interrogatoire, l'ancien procureur de l'accusé a tenté
d'attaquer la crédibilité des témoins Cloutier et Collin, mais l'exercice
n'entraîna aucun résultat. Tant par leur réponse que par leur attitude,
l'un et l'autre témoignaient de façon franche et directe. Ni l'un ni
l'autre n'ont reçu quelque avantage que ce soit ou ne s'imaginaient en
recevoir, ils ont décidé de dénoncer ces faits parce qu'ils les
considéraient trop sérieux. Ils craignaient que des meurtres ne soient
commis, et qu'ils n'y soient associés et/ou accusés d'avoir participé à la
commission de ces crimes. [Nous soulignons] (d.a., vol. I, p. 6 et 7,
par. 12, Jugement de première instance.)
68.
Parallèlement, rappelons aussi que la Cour d’appel était d’avis que « les mots utilisés par
l'intimé, considérés de façon objective, peuvent faire craindre, de façon sérieuse, que des
gestes susceptibles de causer la mort ou des lésions corporelles seront posés à l'initiative de
l'intimé » (d.a., vol. I, p. 13, par. 8).
69.
En plus des faits relatés par le juge de première instance dans son jugement et que nous
avons cités dans le présent mémoire au par. 6 (voir également, d.a., vol. I, p. 3 à 5, par. 2
à 6), voici certains éléments de preuve présentés à l’égard des chefs nos 1 à 5 :
70.
Chef no 1 – Menaces transmises à Patrick Cloutier de causer la mort ou des lésions
corporelles à la procureure Me Lili-Pierre Trottier-Lapointe :
- 28 Mémoire de l’appelante
•
Exposé concis des arguments
Patrick Cloutier a agi comme intermédiaire (appelé dans le milieu carcéral « pigeon
voyageur ») afin de transmettre des messages entre l'intimé et Louis Joseph Comeau
(d.a., vol. II, p. 84, 86, 96 et 97);
•
Patrick Cloutier mentionne que sa relation avec l’intimé était comme celle d’un frère
(d.a., vol. II, p. 77 et 78);
•
En mars 2009, alors que Patrick Cloutier est détenu à Rimouski, l'intimé lui présente
Louis Joseph Comeau comme étant son tueur à gages (d.a., vol. II, p. 72 et 74);
•
L'intimé lui mentionne à plusieurs reprises qu'il allait faire disparaître la procureure
de la Couronne (Me Lili-Pierre Trottier-Lapointe) (d.a., vol. II, p. 89);
•
Pour ce faire, il était à la recherche de son adresse et il disait avoir engagé un
détective privé (d.a., vol. II, p. 90);
•
Il en voulait à la procureure de la Couronne puisqu’il lui reprochait de porter de
nouvelles accusations à son égard à chacun de ses passages à la Cour (d.a., vol. II,
p. 89).
71. Voici un extrait du témoignage de Patrick Cloutier quant aux menaces qui lui ont été
transmises par l’intimé à l’endroit de la procureure Me Trottier-Lapointe :
« Q. Qui dit quoi?
R. Qu'ya des menaces qu'y met au sujet de la procureure de la
Couronne Lili Trottier-Lapointe, parce que à rajoute toujours des
chefs d'accusation, à promet toujours de remettre des chefs
d'accusation de surplus.
Q. Et il dit quoi quand vous dites : " Il dit des choses. C'est quoi ses
paroles?
R.
Ses paroles, c'est au sujet de la faire disparaitre.
- 29 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
Q.
Et ça veut dire quoi, dans le milieu, la faire disparaitre?
R.
Dans le milieu, ben c'est un meurtre.
Q.
Et ça, il vous dit ça à quelle reprise, à combien de reprises?
R.
Y me l'dit à plusieurs reprises.
Q.
Okay. Et ça, quand il vous donne la raison, c'est pourquoi?
R. C'est parce que à y rentre dedans. À chaque fois qu'y passe en
Cour, à y rentre dedans. À le, à l'pousse à bout, à l'en rajoute. Y dit
qu'à tout le temps, à manque de vérité ou euh t'sais à l'attaque, dans
l'fond, là.
Q.
Okay. Puis il vous dit ça à l'égard d'elle?
R.
Oui.
Q.
Est-ce qu'il vous dit d'autres choses en ce qui la concerne?
R. Que y cherchait son adresse, pis qu'yavait un détective privé
pour s'occuper de trouver les adresses pis les choses, là. »
(d.a., vol. II, p. 89 et 90)
[…]
Q.
Est-ce qu'il vous explique?
R. C'est que en sortant, ben y va y mettre, y va aller les voir un à
un, leur mettre l'arme à feu dans le visage, les regarder, pis c'est fini.
Faque… ».
Q.
Est-ce qu'il vous parle de d'autres personnes?
R. Y m'parle euh, c'est la Sureté du Québec, y'a les témoins,
Trottier-Lapointe.
(d.a., vol. II, p. 94)
72.
Chef no 2 – Menaces transmises à Patrick Cloutier de causer la mort ou des lésions
corporelles à l'enquêteur Benoît Corriveau :
- 30 Mémoire de l’appelante
•
Exposé concis des arguments
L'intimé informe Patrick Cloutier qu'il a l'intention de tuer l'enquêteur Benoît
Corriveau (« lui faire lever les pattes ») (d.a., vol. II, p. 94);
•
Pour y parvenir, l'intimé demande à Patrick Cloutier de trouver l'adresse de
l'enquêteur Corriveau (d.a., vol. II, p. 90);
73.
Voici un extrait du témoignage de Patrick Cloutier quant aux menaces qui lui ont été
transmises par l’intimé à l’endroit de l'enquêteur Corriveau :
Q. Okay. Est-ce que vous avez des demandes particulières, vous, en
ce qui concerne ces revendications-là?
« R. J'ai une demande de trouver l'adresse à Benoit Corriveau » (d.a.,
vol. II, p. 90)
[…]
Q.
Est-ce qu'il vous explique?
R. C'est que en sortant, ben y va y mettre, y va aller les voir un à
un, leur mettre l'arme à feu dans le visage, les regarder, pis c'est fini.
Faque… ».
Q.
Est-ce qu'il vous parle de d'autres personnes?
R. Y m'parle euh, c'est la Sureté du Québec, y’a les témoins,
Trottier-Lapointe.
Q.
La Sureté du Québec, vous voulez dire quoi?
R.
Ben Benoit Corriveau. »
[…]
« R. Y cherchait son adresse. Y voulait y faire lever les pattes. »
(d.a., vol. II, p. 94)
[…]
« Q. Vous parlez de l'adresse. Qu'est-ce qu'il vous fait comme
demande concernant l'adresse?
- 31 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
R. De trouver l'adresse à Benoit Corriveau. Moé j'ai dit : « J'sais
qu'y reste dans le secteur de Chandler. » Mais l'adresse, je l'avais pas.
Ça fait que lui, y'avait un détective privé qu'y m'disait, faque y serait
capable de trouver l'adresse. » (d.a., vol. II, p. 96)
74.
Chef no 3 – Menaces transmises à Patrick Cloutier de causer la mort ou des lésions
corporelles aux témoins Anthony Devouge, Armand Laflamme, Guillaume Bujold et
Tony Gionet :
•
L'intimé mentionne à Patrick Cloutier que les témoins Armand Laflamme, Anthony
Devouge, Guillaume Bujold et Tony Gionet l’ont dénoncé (« stoolé ») et qu'ils
viendront témoigner contre lui. Ainsi, l’intimé précise qu’il va tuer ces témoins (il dit
leur imposer une « sentence à vie ») (d.a., vol. II, p. 91 à 94);
75.
Voici un extrait du témoignage de Patrick Cloutier quant aux menaces qui lui ont été
transmises par l’intimé à l’endroit des témoins Anthony Devouge, Armand Laflamme,
Guillaume Bujold et Tony Gionest :
« R. Eyh y’avait les témoins. Mais quand qu'ya r’venu d’la Cour, y
m'a dit, on a commencé à faire une marche, y'avait parlé à son avocat,
y dit :
« J'ai dit à mon avocat comme quoi que tous les témoins, y'ont une
sentence à vie. »
Q.
Ça veut dire quoi, ça?
R. C'est qu'y vont tous mourir tant qu'yen a un aussitôt qu'y va être
à l'extérieur sinon de l'intérieur…
[…]
R. Dans son procès, ceux-là qui l'onvaient « stoolé » pis que, qu'y
venaient témoigner contre lui, qu'yonvaient après, y'ont mis une
sentence à vie à faire.
[…]
Q.
Okay. Et ça veut dire quoi une « sentence à vie » là?
- 32 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
R. Une sentence à vie, ça veut dire que tant que y vont, tant qu'y
vit, y a pouvoir arriver pis les rejoindre un à un, qu'y va les tuer. Ça
faque ça veut dire que y vont mourir.
[…]
Q.
Est-ce qu'il vous le dit à une (1) reprise ou à plusieurs reprises?
R.
Plusieurs reprises.
Q. Okay. Est-ce qu'il vous dit concrètement comment ça va se
passer?
R.
Pas de réponse.
Q.
Est-ce qu'il vous explique?
R. C'est que en sortant, ben y va y mettre, y va aller les voir un à
un, leur mettre l'arme à feu dans le visage, les regarder, pis c'est fini.
Faque… ».
Q.
Est-ce qu'il vous parle de d'autres personnes?
R. Y m'parle euh, c'est la Sureté du Québec, y'a les témoins,
Trottier-Lapointe.
Q.
La Sureté du Québec, vous voulez dire quoi?
R.
Ben Benoit Corriveau. »
(d.a., vol. II, p. 91 à 94)
76.
Patrick Cloutier a également témoigné à l’effet que l’intimé et Louis-Joseph Comeau
s’échangeaient des messages en vue de mettre sur pied un plan visant à tuer la procureure,
l’enquêteur et les témoins (d.a., vol. II, p. 96 et 97). Il expliqua que l’intimé et M. Comeau
voulaient que les témoins soient assassinés avant leurs procès afin qu’ils ne puissent
témoigner contre eux (d.a., vol. II, p. 98 et 99). M. Cloutier expliqua ensuite avoir choisi de
dénoncer en raison du sérieux des menaces et du fait qu’il croyait l’intimé capable de les
mettre à exécution (d.a., vol. II, p. 99 et 100). Il mentionna avoir communiqué en urgence
avec l’enquêteur Benoit Corriveau afin de l’informer que sa vie et celles de la procureure et
- 33 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
des témoins étaient menacées. Il l’informa également qu’une date précise avait été fixée
pour la commission des meurtres (d.a., vol. II, p. 103 et 104).
77.
Chefs nos 4 et 5 – Menaces transmises à Édouard Collin de causer la mort ou des
lésions corporelles à la procureure Me Lili-Pierre Trottier-Lapointe et au témoin
Anthony Devouge :
•
L'intimé se rend dans la cellule d'Édouard Collin à la prison de New Carlisle. Lors
d'une conversation, l'intimé lui mentionne qu'il va mandater des personnes (« il va
faire descendre des gars d'en haut ») pour tuer (« arranger la face ») à Me TrottierLapointe et à Tony Devouge (d.a., vol. II, p. 1 à 4 et 31);
•
Lors de cette conversation, l'intimé mentionne à Édouard Collin en vouloir à la
procureure de la Couronne puisque cette dernière porterait toujours de nouvelles
accusations contre lui (d.a., vol. II, p. 6);
•
L'intimé verbalise aussi en vouloir à Anthony Devouge, car ce dernier l'avait dénoncé
aux policiers (« stoolé ») (d.a., vol. II, p. 7).
78.
Voici un extrait du témoignage d’Édouard Collin quant aux menaces qui lui ont été
transmises par l’intimé à l’endroit de la procureure Me Trottier-Lapointe et du témoin
Anthony Devouge :
« Q. Qu'est-ce qui est arrivé?
R. Ben, y'avait v'nu dans ma cellule, pis, euh, y'avait parlé qu'y
voulait, y'avait dit qu'yétait pour appeler ses gars en haut pour v'nir,
pour descendre pour arranger la face à Lili Trottier-Lapointe, pis à
Tony Devouge. »
(d.a., vol. II, p. 1 et 2)
[…]
- 34 Mémoire de l’appelante
Exposé concis des arguments
Q. Pour vous, je vais faire descendre des gens d'en haut pour
arranger la face, ça veut dire un meurtre, c'est ça?
R.
C'est exact. »
(d.a., vol. II, p. 31)
79.
En terminant, soulignons que nous ne réfèrerons pas à la preuve issue de l’installation d’un
dispositif d’écoute électronique sur Patrick Cloutier (body pack), puisque le juge de
première instance n’a pas expressément statué sur son admissibilité à titre d’exception à la
règle du ouï-dire aux fins d’imputer à l’intimé les paroles de son coconspirateur LouisJoseph Comeau.
-----------
- 35 Mémoire de l’appelante
Dépens
PARTIE IV – DÉPENS
Aucuns dépens.
-----------
- 36 Mémoire de l’appelante
Ordonnances demandées
PARTIE V – ORDONNANCES DEMANDÉES
POUR LES MOTIFS EXPOSÉS, L'APPELANTE PRIE CETTE COUR DE :
•
ADMETTRE l'appel;
•
ANNULER l’arrêt de la Cour d’appel du Québec prononcé le 3 février 2012 dans le
dossier 200-10-002572-100;
•
ANNULER les verdicts d'acquittement prononcés par le juge Jean-Paul Decoste,
j.c.q., le 24 novembre 2010 dans le dossier 110-01-000215-108, à l'endroit des chefs
d'accusation no 1, no 2, no 3, no 4 et no 5;
•
CONSIGNER des verdicts de culpabilité quant aux chefs d’accusation no 1, no 2,
no 3, no 4 et no 5;
•
MAINTENIR le verdict d'acquittement sur le chef d'accusation no 6;
•
ORDONNER le retour du dossier à la Cour du Québec du district de Gaspé pour
l’imposition de la peine appropriée;
•
RENDRE toute autre ordonnance que pourraient requérir les fins de la justice.
SUBSIDIAIREMENT :
•
ORDONNER la tenue d'un nouveau procès;
•
RENDRE toute autre ordonnance que pourraient requérir les fins de la justice.
- 37 Mémoire de l’appelante
Ordonnances demandées
LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS.
Québec, le 26 février 2013
___________________________________
Me Sébastien Bergeron-Guyard
Procureur aux poursuites criminelles et pénales
Bureau des affaires extérieures,
de la sécurité et du développement
Directeur des poursuites criminelles et pénales
Procureur de l’appelant
- 38 Mémoire de l’appelante
Table alphabétique des sources
PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES
Paragraphe(s)
Henry c. R., [2007] J.Q. no 17878 (C.S.)
................................................51
R. c. Audet, [1996] 2 R.C.S. 171
................................................. 65
R. c. Clemente, [1993] M.J. no 612 (C.A.Man.)
......................................60,61,62
R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758
..........1,13,16,25,27,28,29,30,35
...38,39,42,43,44,46,49,54,58,60
R. c. Comeau, [2010] J.Q. no 31933 (sous la présidence de
l’honorable Robert Lévesque, j.c.q., 3 décembre 2010)
.................................20,21,22,46
R. c. Corser, [2004] A.J. no 1335 (Alb.Q.B.)
................................................37
R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217
................................................37
R. c. Eakin, [2002] M.J. no 349 (Man.P.Ct.)
................................................61
R. c. Fenton, [2008] A.J. no 439 (Alb.Q.B.)
................................................28
R. c. Fischer, [1999] A.J. no 1156 (Alb.P.Ct.)
................................................61
R. c. Hiscox, [2002] B.C.J. no 1060 (C.A.C.-B.)
................................................28
R. c. Jex, [2004] O.J. no 1907 (Ont.S.Ct.)
................................................61
R. c. Katigbak, [2011] 3 R.C.S. 326
................................................65
R. c. LSJPA-1026, [2010] J.Q. no 6413 (C.A.Q., rapporté
aussi à : 2010 QCCA 1241)
......................................57,58,61
R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72
.....1,16,25,26,27,28,29,35,42,49
R. c. Medeiros, [2000] O.J. no 2697 (Ont.Ct.J.)
................................................61
R. c. Neve, [1993] A.J. no 993 (C.A.Alb.); demande
d'autorisation refusée à : [1994] S.C.C.A. no 65
................................................46
- 39 Mémoire de l’appelante
Table alphabétique des sources
Paragraphe(s)
R. c. O’Brien, 2013 CSC 2
...........................................25,30
R. c. Parent, [2001] 1 R.C.S. 761
................................................59
R. c. Payne-Binder, [1991] Y.J. no 232 (C.A.T.Y.)
...........................................60,61
R. c. Sather, [2008] O.J. no 918 (Ont.Ct.J.)
................................................61
R. c. Tibando, [1994] O.J. no 188 (C.A.Ont.); demande
d'autorisation refusée à : [1994] S.C.C.A. no 208
................................................46
R. c. Valle-Quintero, [2002] O.J. no 4107 (C.A.Ont)
................................................28
PARTIE VII
LÉGISLATION
- 40 Code criminel, article 264.1 (L.R.C., 1985, ch. C-46)
ARTICLE 264.1 DU CODE CRIMINEL (L.R.C., 1985, CH. C-46)
Proférer des menaces
Uttering threats
264.1 (1) Commet
une
infraction
quiconque sciemment profère, transmet
ou fait recevoir par une personne, de
quelque façon, une menace :
264.1 (1) Every one commits an offence
who, in any manner, knowingly utters,
conveys or causes any person to receive
a threat
a) de causer la mort ou des lésions
corporelles à quelqu’un;
b) de brûler, détruire ou endommager des
biens meubles ou immeubles;
c) de tuer, empoisonner ou blesser un
animal ou un oiseau qui est la propriété
de quelqu’un.
(a) to cause death or bodily harm to any
person;
(b) to burn, destroy or damage real or
personal property; or
(c) to kill, poison or injure an animal or
bird that is the property of any person.
Peine
Punishment
(2) Quiconque commet une infraction
prévue à l’alinéa (1)a) est coupable :
(2) Every one who commits an offence
under paragraph (1)(a) is guilty of
a) soit d’un acte criminel et passible d’un
emprisonnement maximal de cinq ans;
b) soit d’une infraction punissable sur
déclaration de culpabilité par procédure
sommaire
et
passible
d’un
emprisonnement maximal de dix-huit
mois.
(a) an indictable offence and liable to
imprisonment for a term not exceeding
five years; or
(b) an offence punishable on summary
conviction and liable to imprisonment
for a term not exceeding eighteen
months.
Idem
Idem
(3) Quiconque commet une infraction
prévue à l’alinéa (1)b) ou c) est coupable :
(3) Every one who commits an offence
under paragraph (1)(b) or (c)
a) soit d’un acte criminel et passible d’un
emprisonnement maximal de deux ans;
b) soit d’une infraction punissable sur
déclaration de culpabilité par procédure
sommaire.
(a) is guilty of an indictable offence and
liable to imprisonment for a term not
exceeding two years; or
(b) is guilty of an offence punishable on
summary conviction.
L.R. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 38;
1994, ch. 44, art. 16.
R.S., 1985, c. 27 (1st Supp.), s. 38; 1994,
c. 44, s. 16.