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Le « travail » de passeur de cocaïne ou body packer et ses conséquences : à propos d’un cas The 'work' of cocaine smuggler or body packer and its consequences : a case report Ndiaye M., Soumah MM., Sow ML. Service de Médecine Légale et du Travail, Faculté de Médecine, Pharmacie et Odontologie, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Résumé Les body packers recrutés par les trafiquants pour assurer le transport in corpore, sont exposés à des risques de l’ingestion jusqu’à l’expulsion des boulettes de cocaïne. A partir d’une observation d’un body packer symptomatique, nous avons étudié l’ensemble des risques encourus par ces travailleurs particuliers. Les risques sanitaires vont de la mort brutale par rupture d’une boulette, aux manifestations d’intoxication aigue par fissuration d’une boulette et fuite, au syndrome d’occlusion intestinale en rapport avec la prise d’importantes doses d’anti-diarrhéique pour ralentir le transit et le blocage d’une boulette dans le tractus digestif. Les risques judiciaires sont liés aux peines d’emprisonnement et amendes infligées au passeur après son arrestation par les autorités sécuritaires aéroportuaires. Les risques de représailles exercés par les trafiquants sur les passeurs et leurs familles, concernent le refus de paiement, la torture, l’enlèvement et l’assassinat. J Int Santé Trav 2015;1:1-8. Summary The body packers recruited by traffickers to ensure transportation, are exposed to the risks of ingestion until the expulsion of the packs of cocaine. From an observation of a symptomatic body packer, we studied all of the risks incurred by these particular workers. Health risks ranging from brutal death from rupture of a packet, to manifestations of acute intoxication by a pellet cracking and leakage, to the syndrome of bowel obstruction in connection with taking large doses of antidiarrhoeal to slow down the transit and the blocking of a packet in the digestive tract. Judicial risks involve imprisonment and fines to the smuggler after his arrest by airport security authorities. The risk of reprisals by traffickers on the smugglers and their families, concern the refusal of payment, torture, kidnapping and murder. Mots clés : Cocaïne ; Body packer ; Risques sanitaires ; Risques judiciaires Key words : Cocaine ; Body Packer ; Health Risks ; Judicial Risks Ndiaye M et al. Passeur de cocaïne ou body packer J Int Santé Trav 2015;1:1-8 Introduction La cocaïne extraite des feuilles de deux espèces de coca (Erythroxylum coca, Erythroxylum novogranatense), se présente sous l’aspect d’une poudre cristalline blanche, légèrement volatile, inodore et de saveur amère. Les sensations d’euphorie ou « flash », de puissance intellectuelle et physique, d’indifférence à la douleur et à la fatigue et la dépendance notés lors de son usage, expliquent l’accroissement de sa consommation à travers le monde [1]. Cette demande donne lieu à un intense trafic très lucratif, utilisant divers moyens détournés et organisés dont le transport intra corporel (estomac, vagin, anus). Des passeurs appelés « mules », « bouletteux » ou « body packers », assurent le transport de la cocaïne conditionnée dans des emballages particuliers pour échapper aux contrôles policiers et douaniers. Malgré toutes les précautions, ce mode de transport peut être source de risques et dangers [2]. Nous rapportons l’observation d’un passager d’avion, passeur de cocaïne qui a présenté en cours de vol, une symptomatologie psychotique consécutive à la fissuration intra digestive d’une boulette. A partir de cette observation, nous passons en revue les différents risques encourus avec ce type de « travail ». Observation Il s’agissait d’un brésilien de 41 ans, ancien militaire au chômage, passager d’un vol Sao Paulo (Brésil) - Madrid (Espagne) qui a présenté 2 heures après le décollage une symptomatologie psychotique à type d’anxiété, irritabilité, logorrhée, agitation et agressivité. Ce tableau obligea l’équipe à l’immobiliser par une contention des mains et pieds et lui administrer une ampoule de chlorpromazine en intramusculaire. Après une accalmie de 30 minutes, il s’est plaint de précordialgies et a présenté des convulsions, obligeant l’atterrissage sur l’aéroport international Léopold Sédar Senghor de Dakar. Dès l’admission au niveau de la clinique des Mamelles de Dakar, il reçut 500 ml de sérum glucosé 10 % en perfusion et 10 mg de diazépam en intraveineuse directe. L’examen général retrouvait un bon état général, une importante sudation, une fièvre à 38°C, un tremblement, une tension artérielle à 14/7, une tachycardie à 120 battements par minute, une distension abdominale avec légère douleur lors de la palpation de la fosse iliaque gauche, une absence de défense abdominale et de cri de l’ombilic. Le bilan paraclinique montrait une hyperleucocytose avec polynucléose neutrophile (globules blancs 15000/mm3 et neutrophiles à 12700/mm3), des transaminases hépatiques élevées (TGO à 83,9 UI/l et TGP à 21,1 UI/l), une glycémie à 1,30 g/l et une créatinémie à 13,4 mg/l. On notait à l’ionogramme sanguin des taux de Cl à 85 mEq/l, Na à 110 mEq/l et K à 3,1 mEq/l. On notait un élargissement des complexes QRS à l’électrocardiogramme (ECG). Le taux de troponine se chiffrait à 0,047 µg/l au premier dosage et à 0,026 µg/l après 6 heures. La radiographie thoracique de face était normale et l’Abdomen Sans Préparation (ASP) montrait des formations oblongues à contours nets légèrement hyperdenses dessinant le cadre colique (figure 1). L’interrogatoire sur la nature de ces formations et les tergiversations notées avaient obligé à impliquer les autorités policières et permis une élucidation à savoir 77 boulettes de cocaïne conditionnées avec de la cellophane. Après les aveux, l’hydratation abondante par perfusion de sérum glucosé 5%, NaCl et KCl et l’administration d’adrénaline, béta bloquant et Lansoyl ®, avaient permis l’évacuation 2 heures après de 2 Ndiaye M et al. Passeur de cocaïne ou body packer J Int Santé Trav 2015;1:1-8 7 boulettes dont l’une visiblement fissurée pourrait expliquer la symptomatologie (figure 2). Cette première évacuation était suivie d’une nette amélioration clinique. Au bout de 4 jours, il avait évacué 77 boulettes de poids variant entre 15 et 18 grammes soit un total de 1,1 kg de cocaïne. Au 5ème jour, on notait une absence de boulettes dans 2 selles successives et sur la radiographie de l’abdomen sans préparation (ASP). Discussion La cocaïne est produite dans 3 pays, la Colombie, le Pérou et la Bolivie avec une production variant entre 800 et 1400 tonnes destinée aux marchés américain et européen. L’approvisionnement de ces marchés nécessite le recrutement de « travailleurs particuliers », les passeurs issus de milieux pauvres, qui acceptent le transport dans leurs orifices corporels moyennant 1500 à 3000 euros par kilo [3]. La cocaïne souvent pure, est conditionnée dans des emballages de nature diverse (latex, cire, ruban adhésif, cellophane, aluminium, parfois résine ou paraffine), prend le nom de boulette. Les boulettes de forme oblongue mesurant environ 4 cm de long pour 1,5 cm de diamètre, a un poids variant entre 15 et 18 grammes. Un passeur peut ingérer entre 30 et 150 boulettes. Après leur recrutement, les passeurs sont placés isolément ou en groupe, sur des vols à destination des pays de revente, munis de médicaments qui ralentissent le transit durant le trajet. Lorsque le portage est anal ou vaginal, les passeurs sont désignés sous le terme de body pusher [4,5]. Ainsi du recrutement à la livraison des boulettes aux trafiquants, le body packer est exposé à des risques sanitaires, judiciaires et de représailles. La mort brutale, risque sanitaire majeur, est liée à la survenue d’une intoxication massive par rupture d’une boulette dans le tractus digestif. Chaque boulette contient une dose suffisamment mortelle de cocaïne pure ou coupée (3 à 15 gr) car chez l’homme une dose mortelle après administration orale se situe entre 1 et 3 g [6,7]. L’étude menée à New York entre 1996 et 2001 sur les causes de décès de 50 body packers, montre le rôle primordial de l’intoxication massive. L’évolution de cette intoxication grave se déroule en 3 phases avec une première phase de stimulation, une seconde marquée par des convulsions tonicocloniques, une dyspnée et une tachyarythmie et une troisième caractérisée par une dépression, un coma et une défaillance cardio-respiratoire [8]. Les autres risques sanitaires sont liés à la fissuration, au blocage d’une boulette dans le tractus digestif et à l’utilisation d’anti-diarrhéiques. En effet la fissuration d’une boulette avec fuite de cocaïne comme notée dans notre observation, est responsable de l’apparition d’un tableau d’intoxication aigue avec des effets adrénergiques cardiaques (tachycardie, hypertension artérielle et arythmie ventriculaire) et neurologiques (mydriase, hyperthermie, agitation, convulsions, coma) [9]. Ces effets toxiques sont dus à la dérégulation du fonctionnement du système sympathique, à la perturbation du métabolisme des catécholamines et du système rénine-angiotensine [10]. La cocaïne provoque des ischémies généralisées, entrainant convulsions et infarctus du myocarde, des hypertensions massives favorisant la survenue de défaillances cardio-vasculaires. Au niveau tissulaire, on retrouve des nécroses et des signes de surcharge cellulaire en calcium. Un œdème pulmonaire, des hypertrophies ventriculaires gauches, des lésions des valvules et des vaisseaux suivis de décès peuvent survenir [11,12]. Le risque d’occlusion intestinale après ingestion de boulettes de cocaïne est le plus souvent fonctionnel, lié à la prise de doses massives d’anti-diarrhéiques ou en rapport avec l’obstacle constitué 3 Ndiaye M et al. Passeur de cocaïne ou body packer J Int Santé Trav 2015;1:1-8 par les boulettes. Ce qui explique la distension abdominale comme observée dans notre cas. Ainsi l’apparition d’une intolérance digestive, d’une défense de l’abdomen et de niveaux liquides sur l’ASP justifient une laparotomie avec évacuation chirurgicale des boulettes [13]. Les complications psychiatriques sont au premier plan au niveau de notre observation. Ce même constat est retrouvé dans l’étude de Nnadi [14] alors que dans celle de Rich [15] les complications cardiovasculaires constituent le principal motif. Pour la prévention des risques et dangers liés au transport intracorporel de boulettes de cocaïne, un interrogatoire rigoureux du passeur avec des informations précises, un examen clinique complet avec toucher rectal et la réalisation d’un ASP ou d’un scanner abdomino-pelvien sans injection si disponible, sont indispensables [16,17]. La découverte du transport in corpore par les forces sécuritaires aéroportuaires, expose le passeur à des poursuites judiciaires (emprisonnement, forte amende). Au Sénégal la modification du code des drogues, a criminalisé le trafic de drogue désormais passible des cours d’assises avec des peines de prison de 10 à 20 ans accompagnées de travaux forcés et d’une amende égale au triple de la valeur de la drogue saisie [18]. Les mêmes sanctions judiciaires sont également en vigueur dans les autres pays de la sous-région ouest africaine [19]. Les trafiquants peuvent exiger avant tout paiement un second voyage au passeur avec de nouveaux risques vitaux, sanitaires et judiciaires. Il arrive également que ce refus de paiement accompagné d’une impatience des trafiquants à récupérer la drogue, aboutissent à l’assassinat du body packer retrouvé souvent éventrer dans un hôtel [20]. En cas d’arrestation du body packer, les trafiquants peuvent exercer sur les membres de sa famille des représailles (enlèvement, torture, assassinat) pour éviter toute dénonciation [21]. Conclusion Les body packers sont exposés à des risques mécaniques par obstruction digestive mais également toxiques par rupture de l’enveloppe des boulettes. Cette intoxication aigue requiert une prise en charge immédiate avec évacuation des boulettes. Cette observation montre la nécessité d’une sensibilisation de la population sur ce phénomène. Contributions des auteurs Tous les auteurs ont contribué à la rédaction de ce manuscrit, lu et approuvé la version finale Conflits d’intérêt Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts 4 Ndiaye M et al. Passeur de cocaïne ou body packer J Int Santé Trav 2015;1:1-8 Références 1. United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC). Rapport mondial sur les drogues 2009, 2010, 70 p 2. Aks SE, Vander Hock TL, Hryhorczuk DO, Negrusz A, Tebbett I. Cocaine liberation from body packer in an in vitro model. Ann Emerg Med 1992 ; 21 : 221-4 3. United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC). Rapport mondial sur les drogues 2010, 2011, 112 p 4. 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