Je représente le SCPC, organisme de prévention de la corruption
Transcription
Je représente le SCPC, organisme de prévention de la corruption
Lionel BENAICHE Secrétaire Général Service Central de Prévention de la Corruption FRANCE Je suis intervenu à BRUXELLES, à l’occasion de la 20éme session du Forum de CRANS MONTANA, sur les deux thèmes figurant au programme ci-annexé : l’avenir des paradis fiscaux (débat plénier) et les initiatives anti-corruption entreprises par les Etats souhaitant adhérer (session spécialisée). Ces débats riches et consensuels ont été orientés vers la prévention (au sens large) de la corruption et la construction de socles déontologiques. Les débats parallèles du G20 et l’ « unanimité » de la remise en question du statu quo ont été « favorables » aux « régulateurs ». De nombreuses interrogations ont porté par ailleurs sur le sens à accorder au mot « fraude » et sur la légitimité (dans et hors Europe) des organismes de prévention ou de lutte contre la corruption (sui generis) à lutter non plus seulement contre celle-ci mais contre les fraudes de manière générale (on touche ici la problématique « onusienne » qui traite les fraudes à l’identité sur le même plan que la corruption et les infractions assimilées). Je tiens à votre disposition la documentation qui m’a servi de base à la préparation de l’exposé ainsi, à cette même fin, que les éléments de langage que m’a transmis Richard MARTINEZ. Je vous transmets (brièvement pour le point 2 compte tenu de l’aspect un peu « académique » du développement) les points principaux qui ont été développés. 1 / L’avenir des paradis fiscaux - l’autorégulation a révélé ses limites et les régulations mises en place ont été insuffisantes ou défaillantes (« balkanisation » des supervisions). Les causes probables : défaillance des contrôleurs, faiblesse des régulations professionnelles, internes ou externes ; absence d’indépendance des contrôleurs, existence de conflits d’intérêts, personnels mais aussi structurels ; gestion des conflits en interne (pas d’organe tiers neutre et impartial), pas de sensibilisation au risque déontologique (faible culture déontologique, déclaration d’intérêts non généralisée), contrôles trop peu fréquents, absence quasi-totale de sanctions en cas de faute (et, si elles sont constatées, faible publicité) - Constat « reformulé » par la Commission européenne lorsqu’elle souligne que le dispositif actuel de contrôle a été incapable de prévenir, gérer et résoudre la crise financière. Elle souligne notamment de nombreuses imperfections dans la coopération entre superviseurs nationaux. Ces remarques rejoignent celles formulées par le Groupe d’experts présidé par Mr De La Rosière, lequel propose de structurer et renforcer les superviseurs (qu’il qualifie de « clubs d’échanges ») par la création d’ici 2010 d’un Conseil des risques systémiques, organisme indépendant présidé par la Banque centrale européenne, chargé d’assurer une surveillance macro prudentielle. Il s’agirait de bâtir un système européen de superviseurs financiers, sous forme d’un réseau composé des 3 autorités européennes chargées de contrôler l’activité des secteurs bancaires, de l’assurance et des Bourses. Si la stabilité financière est menacée, le Conseil adresse (après, par exemple, un vote à la majorité simple) des alertes et des recommandations aux gouvernements concernés Le rôle de ces instances étant actuellement purement consultatif, le groupe prône le renforcement du statut et des pouvoirs de ces instances en leur conférant : - Un rôle d’ « arbitrage » en dernier ressort en cas de divergences persistantes entre 2 superviseurs nationaux ; - Un pouvoir de recommandation à l’encontre des autorités nationales en contravention avec la législation européenne ; - Un rôle de coordination Ce schéma évoque celui suggéré par le Président de l »AMF, Mr JOUYET, partisan d’une supervision européenne, avec une Commission européenne dotée de pouvoirs accrus : coordination, arbitrage et sanctions Pascal LAMY, Dr de l’OMC, suggère une régulation internationale de la finance adossée au FMI. Le Forum de stabilité financière propose quant à lui la création d’un collège international des régulateurs les plus représentatifs. A défaut, il pencherait en faveur de la création d’un régulateur bancaire et financier européen unique. En France, un récent groupe de travail parlementaire a exprimé ses préférences en faveur d’un modèle intégré, avec fusion des superviseurs nationaux (et la création subséquente d’une Autorité de contrôle prudentiel). Enfin, la Cour des Comptes, dans son rapport 2009, fait état, s’agissant des contrôleurs, d’un dispositif de surveillance fragmenté, d’une organisation cloisonnée et de statuts hétéroclites des différents acteurs de la finance internationale. Contre ces arguments, on met en avant l’absence de supériorité, pendant la crise, des pays disposant d’organes de contrôles « structurés » : par exemple, le BAFIN (Allemagne) ou le FSA (G.B.). Mais ces pays n’ont pas montré leur supériorité pendant la crise. Néanmoins, les spécialistes de la finance penchent unanimement en faveur de cette régulation unique (à condition toutefois que ce régulateur se voit attribuer un mandat clair et des pouvoirs suffisants pour obliger les établissements financiers à leur donner des informations pour vérifier leur solvabilité). Autre argument : il existe un continuum entre actions/obligations/crédit, une interpénétration entre banques commerciales/banques d’investissement ; d’où la pertinence de régulateurs nationaux intégrés coordonnés par l’Union européenne Parmi les causes « récurrentes » de cette crise, on peut mettre en avant : 1 – une concurrence effrénée entre les paradis fiscaux pour attirer les investisseurs ; 2 – une compétition entre les places boursières ayant fragilisé la supervision des marchés ; 3 – la défaillance des contrôles (faiblesse ou insuffisance des régulations professionnelles, internes et externes) ; 4 – le défaut d’indépendance des contrôleurs, caractérisé par l’existence de nombreux conflits d’intérêts non réglés (« porte ouverte » vers la corruption), personnels ou institutionnels ; On peut ajouter : une conception « absolutiste » du secret bancaire (véritable verrou à l’action répressive ou corrective) ; un droit « éclaté », parcellaire, et donc propice aux activités des lobbies, et des services répressifs désarmés (difficultés de la coopération judiciaire et fiscale). Les « listes noires » ont eu de surcroît peu d’impact sur l’orientation des conduites Les paradis fiscaux (PF) : éléments Entrée fracassante des PF dans le débat médiatique ; pas de critère unique, clair et objectif du PF (selon le Code général des impôts : un PF est un « pays à régime fiscal privilégié ») Leur rôle historique : défiscalisation (accentuation avec la globalisation, liberté de circulation étendue au capital financier) Règle dominante est celle du secret Nombre : en 2000, le FMI en compte 60, l’OCDE plus de 90. Fin 2005, les PF représentent (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) un tiers du stock des investissements directs à l’étranger des firmes internationales. Selon l’ONU, il y aurait dans les PF environ 3 millions de sociétés-écran. Mais PF également des « paradis réglementaires » (l’une des causes de la gravité de la crise, car ils « hébergent » la majorité des activités à risque des acteurs financiers de la planète : elles mettent en cause la stabilité du système financier international) Même si les paradis fiscaux sont – en qualité de juridictions du secret ou de la discrétion – souvent vecteurs de fraudes ou d’évasion fiscale, ces fraudes ne relèvent pas toutes de la grande criminalité (blanchiment de fonds, corruption…). Quelques exemples de fraudes : - Les entreprises établissent des filiales auxquelles elles transfèrent des recettes pour les soustraire à la fiscalité nationale - Présence des entreprises du CAC 40 - Technique de l’ « octroi » de licence : permet de transférer des droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur, brevet) d’une société holding vers une filiale enregistrée dans un PF (les revenus correspondants versés au concédant sont exempts d’impôts, tandis que la base imposable de la société concessionnaire se réduit fortement) - Sous-capitalisation, autre schéma de fraude : une entreprise fournit peu de capitaux à ses filiales installées dans des pays lourdement taxés pour les financer par des prêts ; elle déduit les intérêts payés des bénéfices imposables et les localise dans des filiales situées dans des PF Stratégies de réponse : Des actions graduées (obligation de vigilance), différenciées et adaptées aux risques doivent être mises en œuvre : simplifiées si le risque de fraude est faible, renforcées dans d’autres cas (entrée en contact du banquier en l’absence du client ou client « personne particulièrement importante », détenant par exemple une fonction publique importante). L’entrée en vigueur de la Directive Epargne devrait obliger les territoires qui reçoivent des placements en provenance d’un européen à informer l’administration fiscale de son pays de l’argent ainsi gagné ou bien à taxer ces revenus (15 pour cent jusqu’en juin 2009, 20 pour cent ensuite et 35 pour cent à partir de 2011). L’objectif vise à favoriser l’échange d’information et appliquer la Directive non seulement aux placements traditionnels, mais aux personnes morales (type trusts), aux produits financiers plus sophistiqués comme les produits dérivés, l’assurance-vie et tous les produits « innovants ». L’application de la 3éme Directive en matière de lutte contre le blanchiment d’argent sale (inspirée d’une des 40 recommandations du GAFI révisées en 2003) se propose d’élargir la définition de l’infraction grave sous-jacente au blanchiment : participation au trafic de stupéfiants, à la fraude aux intérêts financiers des Communautés européennes, à la corruption et à toute infraction réprimée d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à 1 an. Pourrait-on également réparer l’asymétrie d’information, qui permettrait aux banques de signaler au FISC les déclarations de soupçons ? En tout état de cause, les récents G20 et G8 sont porteurs d’avancées incontestables : - Obligation, pour les banques, à indiquer clairement dans leurs comptes la nature et le volume des transactions réalisées avec les paradis fiscaux (début de reporting pays par pays, qui permettrait de mettre en évidence les comportements anormaux) - Accords d’échanges ou de renseignements - Etablissement d’une liste noire internationale des PF (paiements effectués par les entreprises à destination ou en provenance des PF ne seraient plus déductibles fiscalement, ce qui pourrait modifier le comportement des multinationales - réactivation de la liste des pays ne respectant pas les standards de l’OCDE (crédibiliser la classification de certains pays « aux pratiques fiscales dommageables » ; la France a demandé que les pays soient « reclassifiés » en fonction de leur degré de coopération effective, réanimant la politique publique des listes noires) - Demander aux banques de se retirer entièrement de ces territoires (PF) Préconisations : Il faut revoir les lignes de partage entre autorégulation et régulation publique - Imposer des prescriptions impératives aux agences de notation, aux banques et aux marchés - Entreprendre des audits indépendants des corps de contrôle (recrutement sur appel d’offres, jurys extérieurs, DPI…) - Engager la responsabilité des conseils et professionnels du chiffre - Limiter la commercialisation des produits complexes Prise de conscience internationale (efforts américains) Avenant à la Convention fiscale franco-luxembourgeoise de 1958 permettant à la France d’obtenir des « renseignements sans limitation quant à la nature des impôts, des personnes et des renseignements visés par la demande ». Cette demande peut porter sur des renseignements bancaires sans que la législation interne luxembourgeoise ne s’y oppose » Assouplissement du secret bancaire en Suisse G20 de LONDRES : d’ici à PITTSBURGH (G20), chaque banque devra pouvoir justifier sa présence dans les Etats et territoires non coopératifs Propositions s’attaquant aux pratiques des prix de transferts Réflexion sur les mécanismes d’alerte (WB) – on aurait peut-être pu éviter certains scandales (légitimation de la « dénonciation » éthique, faite de bonne foi) ; exemples anglo-saxon (superviseurs déontologiques, souvent des avocats, recueillent les dénonciations « éthiques » au sein des entreprises sensibles : finances, santé…) 2 / Les conditions d’adhésion à l’UE Il s’agissait d’évoquer les principaux critères à satisfaire par les pays candidats en vue de l’adhésion. Le plus généralement, les instances européennes s’appuient sur un certain nombre de normes juridiques et référentiels parmi lesquels on compte : 1 / l’adhésion au 10éme Principe du Pacte Mondial (Global Compact) des Nations-Unies ; la signature et la ratification de la Convention sur la lutte contre la corruption (dite convention de Mérida) – Décembre 2005 ; l’adhésion à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions internationales – 1999 et aux principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales ; l’adhésion aux Conventions civile et pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption… Sont également pris en compte la participation des pays candidats aux initiatives anti-corruption engagées par certaines instances internationales (Chambre de commerce internationale, Guidelines de la Société financière internationale, plan de la Banque mondiale comprenant notamment le diagnostic de la corruption (par la mise en place d’indicateurs de gouvernance : mesure des droits politiques, civile et humains, mesures de la qualité du service public, de la police et du système judiciaire…)et le développement de plans d’action spécifiques. Les partenariats conclus avec des entreprises témoignent également d’une volonté de « moraliser » les pratiques : adhésion aux principes du « Partnership Against Corruption Initiative », développés avec le Forum économique mondial et Transparency International. Enfin, on peut citer la campagne « Publish What you Pay » et toutes les mesures visant à améliorer l’indice de perception de la corruption. Lionel BENAICHE