La cognition au prisme des sciences sociales

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La cognition au prisme des sciences sociales
La cognition au prisme
des sciences sociales
Sous la direction de :
Bernard Lahire & Claude Rosental
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ISBN : 9782914610414
SOMMAIRE
Introduction Bernard LAHIRE & Claude ROSENTAL .............................................................................7
Première partie Des déterminismes naturels ou sociaux de la cognition ?
Les neurosciences fournissent-elles une explication « plus » scientifique des
phénomènes socio-culturels ? Le cas de la confiance Louis QUÉRÉ ..................................................................................................................... 23 La nature du cognitif en questions Bernard LAHIRE ............................................................................................................... 55 La culture s'attrape-t-elle ? Remarques sur l'idée de contagion des idées Gérard LENCLUD ........................................................................................................... 107
Deuxième partie L'acquisition en société de capacités de visualisation
Rendre visibles les dangers du nucléaire.
Une contribution à la sociologie de la mobilisation Cyril LEMIEUX ............................................................................................................... 131 Apprendre à voir apparaître des formes, des structures et des symboles.
Le cas de l'enseignement de la logique à l'Université Claude ROSENTAL .......................................................................................................... 161 Voir apparaître : les « événements » de Medjugorje Elisabeth CLAVERIE ........................................................................................................ 191
Troisième partie Les propriétés cognitives des collectifs
Sociologie et cognition collective Chandra MUKERJI .......................................................................................................... 213 Écologie institutionnelle, « traductions » et objets frontières : des amateurs et
des professionnels au musée de zoologie vertébrée de Berkeley, 1907-1939 Susan LEIGH STAR & James R. GRIESEMER ................................................................. 233 Metadata, trajectoires et « énaction » Florence MILLERAND & Geoffrey C. BOWKER ............................................................ 277
Index thématique et conceptuel
321
INTRODUCTION
Bernard LAHIRE
Professeur de sociologie à l’Université de Lyon, École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines,
Directeur du Groupe de Recherche sur la Socialisation (UMR 5040 CNRS)
Claude ROSENTAL
Chercheur au CNRS, membre du Centre d’Étude des Mouvements Sociaux de l’Institut Marcel Mauss
(CNRS-EHESS)
Comment les sciences sociales peuvent-elles contribuer à l’étude des faits cognitifs ?
Quels objets spécifiques sont-elles à même de construire à partir des enjeux théoriques et des méthodes qui leur sont propres ? Cet ouvrage vise à apporter des éléments de réponse à ces questions en soumettant à l’examen les projets de collaboration en la matière avec d’autres disciplines, telles que la psychologie ou la neurobiologie, et en présentant les programmes d’investigations indépendants ou concurrents, ainsi que certains de leurs résultats. Il s’efforce en particulier de montrer en
quoi les phénomènes de perception, de représentation, de formation et de transmission de connaissances peuvent être utilement étudiés hors des laboratoires en formulant plusieurs interrogations, parmi lesquelles : En quoi les capacités cognitives individuelles sont elles indissociables des formes de vie sociale ? Est-il possible d’observer
les modalités d’incorporation d’expériences sociales et l’émergence de dispositions
(mentales et comportementales) ou de compétences ? Peut-on identifier des propriétés cognitives, non pas simplement d’individus isolés et saisis dans des séquences
d’action très courtes (ce que font nombre de travaux qui appuient leurs interprétations sur des données produites en situation de test), mais également de groupes de
tailles diverses, sur des temporalités plus ou moins longues ? En quoi les représentations collectives ne peuvent-elles être simplement envisagées comme le produit d’une
communication transparente et paisible de visions du monde mais exigent
l’observation et l’analyse de phénomènes de domination ou de conflits et la prise en
compte du rôle des dispositifs matériels et des formes d’organisation sociale ?
Introduction
Afin de préciser les apports possibles ou effectifs des sciences sociales à l’étude des
faits cognitifs, nous nous pencherons en premier lieu sur les spécificités de leurs
objets comparativement à ceux de la psychologie et de la biologie. Nous nous attacherons à dégager certaines différences de conceptualisation, d’échelles et de temporalités d’analyse, qui conduisent les chercheurs à étudier des réalités parfois très différentes, même si les mots employés pour les qualifier sont identiques. Par exemple,
ce que certains psychologues de la cognition vont percevoir comme relevant d’une
activité de dénombrement au cours d’une expérience ne sera pas automatiquement
considéré comme tel par un ethno-mathématicien ou un historien des sciences qui
possédera d’autres représentations de la nature de cet exercice1. Les approches des
mêmes phénomènes peuvent être ainsi en certains cas incommensurables voire concurrentes, au lieu de relever de regards complémentaires portés sur le « même objet ».
Par ailleurs, l’extension des phénomènes associés à une notion donnée, comme par
exemple celle de « visualisation », est susceptible de connaître des variations considérables, ne serait-ce que parce que les éléments pris pour objet ne sont pas identiques.
Les visualisations d’objets complexes, ancrées dans des dynamiques collectives,
comme par exemple celles relatives à certaines entités invisibles à l’œil nu ou jugées
supranaturelles, telles qu’elles sont prises en compte par la sociologie et
l’anthropologie, en offrent une bonne illustration (cf. le deuxième volet de cet ouvrage). De la même manière, ce que des psychologues cognitivistes travaillant à partir
de données de l’imagerie cérébrale peuvent entendre par « perception » n’a pas grand
chose en commun avec la « perception » historiquement et socialement différenciée
que peuvent mettre au jour, entre autres, des historiens de l’art étudiant essentiellement des œuvres et des discours2.
Pour cerner le rôle des divers présupposés qui contribuent à déterminer les champs
d’investigations et leurs résultats, nous devons être tout particulièrement sensibles à
l’impact des représentations que se font les chercheurs en sciences cognitives de la
science – de ses contenus et de sa division en domaines de savoirs séparés – sur
l’identification et l’attribution de capacités cognitives aux individus. Comme nous
aurons l’occasion de le préciser, il apparait en effet que ces représentations sociohistoriquement situées constituent les premières candidates à l’identification de
1
Voir notamment Marcia Ascher, Ethnomathematics : A Multicultural View of Mathematical Ideas, Pacific
Grove (CA), Brooks/Cole Publishing Co., 1991.
2
Voir, entre autres, les ouvrages d’Erwin Panofsky, La Perspective comme forme symbolique, traduit de
l'allemand sous la direction de Guy Ballangé, Paris, Minuit, 1975. Michael Baxandall, L'Œil du Quattrocento, traduit de l'anglais par Yvette Delsaut, Paris, Gallimard, Bibliothèque illustrée des histoires, 1985.
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Bernard Lahire & Claude Rosental
facultés diverses – innées ou acquises – chez les sujets étudiés. Dès lors, nombre
d’études expérimentales, et tout particulièrement celles menées en psychologie, tendent à nous en apprendre au moins autant sur les compétences des analystes que sur
celles de leurs sujets.
Ainsi en va-t-il, par exemple, des représentations de la logique, souvent structurées
autour du concept antique de syllogisme, qui sert alors de référence pour juger des
capacités des individus à « penser logiquement », alors même que les objets de la
logique comme discipline ont connu des évolutions majeures au cours du XXe siècle.
Mais nous pourrions évoquer bien d’autres représentations encore, comme par
exemple celles relatives aux notions de « norme », de « social », ou encore de « symbole ». Par ailleurs, on se rend compte que les chercheurs définissent couramment le
contenu et les contours de modules cognitifs conçus comme innés et encapsulés
dans le cerveau sur la base du découpage en domaines de savoirs ou de représentations séparés, autonomisés, qui est le produit non figé d’une histoire de longue durée. Les représentations savantes de l’architecture du cerveau à visée universelle renvoient en fait souvent aux visions situées des chercheurs de l’architecture de domaines historiques de savoirs et de représentations institutionnellement constitués.
Mettre au jour de tels présupposés, divergences d’objets et confusions des langues
entre les disciplines, mais aussi au cœur de chacune d’elle, constitue un préalable
important pour dégager fausses oppositions et accords apparents, pour établir des
collaborations interdisciplinaires pertinentes, ainsi que pour dégager des complémentarités d’approches et des espaces légitimes de concurrence. Les enjeux épistémologiques d’une telle démarche se doublent d’ailleurs d’enjeux sociologiques. Même si
tel n’est pas l’objet de cet ouvrage, il faut noter que la recherche et la production de
discours savants sur les capacités cognitives constituent un formidable objet de sociologie des sciences. En particulier, la prolifération des usages de mots-valises peut être
probablement saisie en partie comme la conséquence de la mise en place d’un certain nombre de dispositifs institutionnels (colloques, appels d’offres, etc.) qui favorisent les collaborations interdisciplinaires de surface, les mises en rapport trop rapides
de travaux et de concepts, structurées par des positions souvent prééminentes des
représentants des sciences de la vie. Et l’on peut formuler l’hypothèse selon laquelle
le fonctionnement relativement fermé de certaines communautés scientifiques, alimenté notamment par l’indifférence (les phénomènes cognitifs ne représentant
qu’une fraction des questions traitées par les sciences sociales), la méfiance ou la
critique radicale de nombre de chercheurs en sciences sociales à l’égard des recherches menées actuellement en sciences cognitives, ne fait que renforcer cette dynamique.
9
Introduction
De ce point de vue, les modes d’administration et de validation des preuves dans ce
domaine représentent un objet d’observation et d’interrogation non moins intéressant que la nature même des thèses soutenues. La complexité et la fragilité souvent
notoires des traductions et des montages destinés à défendre des thèses dans le cadre
des débats sur l’inné et l’acquis, sur nature et culture, ou encore sur le mentalisme
méritent l’attention, comme nous tâcherons de le souligner. Ceci vaut, bien sûr, tout
autant pour les travaux issus des sciences de la vie que pour ceux menés en sciences
humaines et sociales. Ce constat s’applique en particulier aussi bien aux défenses
d’une plasticité considérable de l’esprit humain en fonction de la vie sociale qu’aux
plaidoyers relatifs à un déterminisme fort de cette dernière par les capacités attribuées à l’esprit humain. Les travaux et les arguments déployés aujourd’hui encore
autour de débats aussi anciens forment une bonne illustration des lacunes et des
problèmes rencontrés actuellement.
C’est dans ce contexte que nous nous attacherons donc ici à montrer comment les
sciences sociales ont contribué (et continuent de contribuer) à l’étude des faits cognitifs, que ce soit en collaboration avec d’autres disciplines, ou de façon indépendante,
et parfois concurrente3. Comme nous le verrons, les collaborations avec d’autres
disciplines peuvent se faire sur la base d’options opposées. Certaines se dessinent
autour d’hypothèses mentalistes et/ou innéistes fortes, tout particulièrement lorsque
des anthropologues s’appuient sur des travaux expérimentaux menés en psychologie
et en neurobiologie. D’autres réunissent des psychologues, des sociologues, des anthropologues et des historiens formulant des hypothèses sur le caractère culturel des
phénomènes cognitifs, prônant ou pratiquant l’étude de ces derniers hors des laboratoires, et s’intéressant parfois aux capacités cognitives de collectifs4. En d’autres
3
Pour d'autres analyses, parmi de nombreux travaux, on peut renvoyer également à Bernard Conein,
Nicolas Dodier et Laurent Thévenot (sous la dir. de), Les Objets dans l’action, Paris, Éditions de l’EHESS
(série « Raisons Pratiques », n° 4), 1993 ; Sociologie du travail, n° 4 (numéro spécial consacré au thème
« Travail et cognition »), 1994 ; Bernard Conein et Laurent Thévenot (sous la dir. de), Cognition et
information en société, Paris, Éditions de l’EHESS (série « Raisons Pratiques », n° 8), 1997 et Anni
Borzeix, Alban Bouvier et Patrick Pharo (sous la dir. de), Sociologie et connaissance. Nouvelles approches
cognitives, Paris, CNRS Éditions, 1998.
4
Outre les travaux discutés dans la suite de cet ouvrage, voir notamment les recherches menées par
Michael Cole et celles réalisées dans leur prolongement. Voir en particulier Michael Cole & Sylvia
Scribner, Culture and thought : A Psychological Introduction, New York, John Wiley, 1974. Voir également
l’objectif que se fixait une anthropologue de l’Université de Berkeley, Jean Lave, dans le cadre d’une
« anthropologie sociale de la cognition », qui écrivait en introduction à un ouvrage devenu une référence majeure : « Le problème consiste à inventer ce que l'on a récemment surnommé “la psychologie
de plein air” (Geertz 1983). Ce livre est une recherche sur les conditions de possibilité d'une telle psychologie. Il conclut que les théorisations contemporaines des pratiques sociales nous offrent les moyens
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Bernard Lahire & Claude Rosental
termes, le travail interdisciplinaire tend à s’organiser aussi bien autour de thèses sur
l’existence d’invariants culturels et sur la détermination naturelle des catégories du
jugement qu’autour de démonstrations de la pluralité des modes d’appréhension du
monde liés à la vie en société, autrement dit de l’existence de cognitions historiquement, culturellement ou socialement différenciées.
Le premier volet de cet ouvrage sera consacré à une discussion critique de ces différentes options, au développement des questions relatives à la spécificité des approches des sciences sociales des phénomènes cognitifs et aux problèmes de traduction avec les autres disciplines. Puis pour illustrer plus clairement l’apport des
sciences sociales, et en particulier de la sociologie, de l’anthropologie et de l’histoire,
à l’étude des faits cognitifs hors des laboratoires, nous présenterons une sélection
d’études de cas en ouvrant deux dossiers : l’un consacré à la visualisation en société,
l’autre aux propriétés cognitives des collectifs. Apportons quelques précisions sur le
contenu de ces différents volets.
1. DES DÉTERMINISMES NATURELS OU SOCIAUX DE LA COGNITION ?
Dans le cadre de la première partie de cet ouvrage, Louis Quéré montre par un premier article comment des chercheurs en neurobiologie et en sciences humaines et
sociales (psychologie, économie, sociologie) peuvent définir et analyser un phénomène cognitif sur des modes très différents, en abordant plus particulièrement le cas
de la confiance. L’auteur analyse comment certains économistes assimilent ce phénomène à des questions de coopération et de réciprocité chez des agents susceptibles
de prendre librement des décisions d’investissement. La confiance est alors ramenée
au choix de confier ou non son argent, choix alimenté par une attente, une anticipation ou une estimation subjective de probabilité, et matérialisé par une éventuelle
transaction. Pour certains biologistes, ce phénomène procède de changements d’état
de la personne, se traduisant par un changement d’état du cerveau au pouvoir causal. L’instantanéisation (par le privilège accordé au moment passager de la prise de
décision) et l’événementialisation (par l’assimilation du phénomène à un événement
interne) permettent ainsi une réduction matérialiste de la confiance.
de sortir d'une perspective sur la cognition cantonnée dans les limites du laboratoire et de l'école, perspective qui rendait les chercheurs claustrophobes. Ce projet est celui d'une “anthropologie sociale de la
cognition” plus que d'une “psychologie”, puisqu'il y a lieu de penser que ce que nous appelons la cognition est, en fait, un phénomène social complexe. », Jean Lave, « Introduction : Psychology and Anthropology I », in Cognition in Practice. Mind, Mathematics and Culture in Everyday Life, Cambridge, Cambridge
University Press, 1988, p. 1.
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Introduction
Selon Louis Quéré, les sciences sociales proposent des conceptualisations toutes
autres, qui soulignent divers aspects de la confiance, à commencer par le caractère
progressif, diffus et parfois long de l’établissement de cette dernière. Cette dynamique ne serait généralement pas saisissable dans des moments de décision à
l’origine d’actions spécifiques. Faire confiance ne consisterait pas tant à escompter
un événement qu’à accepter d’être vulnérable et de se remettre aux bons soins d’une
personne. Le fait de faire confiance ou d’agir en confiance impliquerait un engagement personnel, une attitude active, ou un mode de comportement qui ne se résument pas à surmonter une aversion pour la trahison, à dépasser l’évitement social, à
s’attacher à quelqu’un, à faire une ouverture dans sa direction, ou encore à esquisser
une approche.
Pour l’auteur, les descriptions des différentes disciplines ne proposent pas en fait des
visions complémentaires d’un même phénomène dans la mesure où les objets ne
sont fondamentalement pas identiques. Dans la plupart des analyses proposées par
les sciences sociales, la confiance représente un phénomène dense du monde vécu
qui ne peut être ainsi séparé du vocabulaire intentionnel pour être décrit comme un
processus matériel : la compréhension que les acteurs sociaux possèdent du phénomène de la confiance est constitutive de ce dernier. Si ce phénomène demeure objectivable dans ses conditions d’émergence, de développement et de structuration par
les sciences sociales, il demeure très éloigné de la confiance des expériences de laboratoire et de celle de la théorie des jeux.
Dans un deuxième article, Bernard Lahire rappelle ce décalage en développant une
série d’analyses critiques sur les recherches mettant en jeu des hypothèses naturalistes et innéistes dans différentes disciplines des sciences de la vie, mais aussi des
sciences humaines et sociales. Il examine et révoque en doute en particulier un ensemble d’arguments formulés par des anthropologues qui s’appuient sur des résultats
d’expériences menées en laboratoire pour contester la thèse d’un caractère essentiellement social et culturel des faits cognitifs. Analysant les différents arguments et
thèses avancés (l'idée selon laquelle les structures fondamentales de l'esprit humain
seraient innées et ne feraient qu'être révélées ou s'actualiser au cours de nos expériences, la critique du principe durkheimien d’« explication du social par le social »
auquel se substitue le principe d’« explication du culturel par le psychologique »,
l’élaboration d’un modèle d’épidémiologie des représentations culturelles fondé sur
des bases naturalistes, la thèse de l’inégale séduction que les différentes représentations culturelles exerceraient sur l’esprit humain, l’hypothèse d’une modularité de
l’esprit, etc.), Bernard Lahire développe une série de contre-argumentations et répond aux critiques en formulant des solutions spécifiquement sociologiques aux
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Bernard Lahire & Claude Rosental
problèmes soulevés à partir de points de vue naturalistes. Il montre aussi, dans certains cas, les lacunes tant théoriques qu’empiriques dans le domaine des sciences
sociales qui expliquent que le terrain soit ouvert aux incursions innéistes et parfois
explicitement anti-sociologiques. Faisant le pari que la sociologie peut répondre au
défi scientifique lancé par les sciences cognitives plutôt que de s’agripper à des
croyances corporatistes (« tout est social », « tout est socialement construit », etc.), il
esquisse quelques voies possibles d’une avancée des sciences sociales sur ces questions.
Les lecteurs trouveront un écho et des développements complémentaires de cette
approche critique dans l’article de Gérard Lenclud consacré à une discussion de
l’ouvrage de Dan Sperber intitulé La Contagion des idées5. Gérard Lenclud y remet en
question une posture consistant à attribuer une définition et un rôle réduits à la
sphère de l’acquis et à la culture. Il s’oppose en particulier à l’idée selon laquelle la
culture serait constituée avant tout de représentations mentales qui se propagent par
contagion, certaines représentations se fixant mieux que d’autres compte tenu de la
nature du cerveau et des mécanismes interindividuels à l’œuvre dans les mécanismes
de la communication. S’inspirant des écrits de Wittgenstein, l’auteur s’interroge sur
le statut ontologique des représentations et sur la possibilité de considérer que les
représentations individuelles et mentales sont premières par rapport aux représentations publiques6. Gérard Lenclud s’attache notamment à montrer que le sujet monologique, et en particulier l’homo mentalis, n’est pas l’entité la plus adaptée à
l’élucidation des phénomènes culturels. Il critique également l’adoption d’une vision
atomiste du mental et défend une approche holiste de ce dernier dans la lignée de
certains travaux de la philosophie de l’esprit et de Durkheim7.
5
Voir Dan Sperber, La Contagion des idées. Théorie naturaliste de la culture, Paris, Odile Jacob, 1996. Pour
une réponse de Dan Sperber aux critiques formulées par Gérard Lenclud, voir Dan Sperber, « Réponse
à Gérard Lenclud », Communications, n° 66, 1998, pp. 185-192.
6
Le lecteur lira à ce propos avec profit l’ouvrage de Jacques Bouveresse intitulé Le Mythe de l’intériorité.
Expérience, signification et langage privé chez Wittgenstein, Paris, Minuit, Critique, 1976.
7
On peut considérer que l’orientation clairement anti-kantienne qu’Émile Durkheim expose dans
l’introduction aux Formes élémentaires de la vie religieuse (et plus spécifiquement dans la partie intitulée
« Sociologie religieuse et théorie de la connaissance ») est à l’origine de nombre de travaux et réflexions
sociologiques sur les questions de représentations et de formes de connaissance.
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Introduction
2. L'ACQUISITION EN SOCIÉTÉ DE CAPACITÉS DE VISUALISATION
À l’issue de ces discussions critiques, l’ouvrage propose, comme nous l’avons annoncé, d’illustrer les modes sur lesquels les sciences sociales peuvent étudier des faits
cognitifs hors des laboratoires, en ouvrant un premier dossier : celui de l’acquisition
en société de capacités de visualisation d’objets divers. L’article de Cyril Lemieux
livre tout d’abord une étude portant sur les conditions d’émergence d’une visualisation par les médecins, la presse et le grand public des dangers du nucléaire, et plus
particulièrement des déchets radioactifs traités à l’usine de la Hague. Il s’agit d’un
bon exemple de phénomène de visualisation qui ne relève pas d’investigations de
laboratoire, dans la mesure où l’acquisition des capacités correspondantes procède,
comme nous le montre l’auteur, de dynamiques fondamentalement collectives impliquant des organisations du monde social, des actions, des rapports de force et des
dispositifs se déployant à grande échelle.
Cyril Lemieux met en particulier au jour le rôle dans ce processus des usages
d’instruments technologiques, tels que des logiciels de traitement de données producteurs de diagrammes, ou encore de la presse. Il montre en effet comment les
journalistes peuvent être instrumentalisés par des scientifiques pour rendre visible les
dangers en question, autrement dit comment les média peuvent être pris comme des
dispositifs de visibilité et utilisés comme tels dès lors que leurs règles de fonctionnement sont maitrisées.
À cette occasion, Cyril Lemieux précise en quoi rendre visible et voir apparaitre impliquent des accomplissements pratiques continus de la part d’individus et de collectifs équipés et mobilisés pour diriger l’attention de tiers, dans le cadre de dynamiques réversibles. Le sociologue met en lumière le travail militant d’extraction, de
rassemblement et de mise en forme de données, requis pour faire apparaitre en société des objets qui, s’ils n’étaient pas auparavant cachés, étaient indistincts et indisponibles en tant que tels. Autrement dit, il montre dans quelle mesure un phénomène de visualisation peut représenter non seulement la cause mais aussi la conséquence d’une mobilisation, elle-même objectivable par l’analyse sociologique.
Après cette première étude, et sur un cas à première vue plus familier pour la psychologie cognitive, puisqu’il concerne la logique, l’article de Claude Rosental étudie
comment des individus acquièrent des capacités pour voir apparaitre des entités
aussi fondamentales que des structures, des formes et des symboles. L'analyse part
des résultats d'une enquête de type ethnographique sur les conditions d'enseignement d'un module d'introduction à la logique dans une université américaine. Elle
met notamment en lumière le rôle du collectif, des interactions et de divers disposi14
Bernard Lahire & Claude Rosental
tifs scriptovisuels pour faire et voir apparaître des formes, des structures et des symboles logiques. Elle montre comment ces apparitions émergent dans l’ensemble en
société et sur la durée, et comment elles sont hautement contrôlées par les enseignants, leurs textes choisis et leurs discours. Les tête-à-tête des individus avec les supports textuels sont ainsi fortement déterminés par l’expérience collective, et dès lors
guère réductibles à des vécus autonomes observables en laboratoire.
L’une des spécificités de cette analyse sociologique par rapport à certains travaux
menés en psychologie cognitive réside dans le fait qu’elle ne part pas de représentations stabilisées (propositionnalistes, inférentialistes, ou encore antiques autour de la
notion de syllogisme) de ce que serait « la » logique pour étudier alors comment des
individus acquièrent avec plus ou moins de succès des compétences en « la » matière,
en fonction éventuellement de dispositions innées qui seraient alors mises au jour.
L’analyse ne consiste pas à saisir les comportements à la lumière de telles représentations a priori. Bien au contraire, elle est notamment fondée sur un agnosticisme méthodologique (d’où l’usage du terme « apparition ») à l’égard de l’existence des structures et des formes logiques « derrière » le langage, telles que les uns et les autres (et
en particulier certains psychologues) les conçoivent en fonction de divers présupposés et notamment de leurs représentations de la science et de la logique. Claude Rosental tente plutôt de saisir comment les acteurs s’approprient ces concepts de façons
situées, variables, évolutives, et parfois conflictuelles, en développant des capacités
pour visualiser les phénomènes correspondants et en fédérant leurs points de vue à
des degrés divers. Par ailleurs, la nature du « social » comme ressource de l’analyse ne
se résume pas non plus, comme dans un certain nombre d’études de psychologie
cognitive fortement déconnectées des réflexions menées en sciences sociales sur cette
notion, à une perspective déontique (i.e. centrée sur des concepts d’obligation et de
permission), à une notion de contexte, et à des raisonnements en termes de coûtsbénéfices.
L’étude d’Elisabeth Claverie sur les visions de la Vierge sur un grand lieu de pèlerinage (Medjugorje en l’occurrence) témoigne d’un souci analogue de ne pas analyser
les comportements en fonction de représentations stabilisées des objets et des phénomènes cognitifs en jeu, avant même que l’étude ne débute. En l’occurrence,
l’auteur n’avait pas supposé d’emblée que les apparitions de la Vierge relevaient
d’hallucinations isolées qui auraient placé l’étude dans le champ de la psychopathologie ou de la psychiatrie. Elisabeth Claverie s’intéresse plutôt aux dynamiques individuelles et collectives et à l’organisation sociale et matérielle des apparitions, aux
catégories cognitives instaurées et mobilisées par les acteurs, et aux modes
d’objectivation déployés par ces derniers. Elle montre comment une entité, généra15
Introduction
lement baptisée « la Vierge », prend forme aux yeux des pèlerins, des guides, des représentants de l’église ou encore des « voyants » (ceux qui voient apparaitre) dans un
enchainement d’interactions et d’opérations sociales et matérielles, notamment dans
la formulation et la composition d’un grand nombre d’assertions faisant référence à
cet objet, incitant du reste l’ethnographe à le traiter comme un actant.
L’anthropologue décrit ainsi comment une ontologie complexe et traversée de contradictions se déploie à l’aide d’un vaste ensemble de médiations pour constituer une
présence active, compétente et requérable, et pour organiser les conditions de sa
vision.
Elisabeth Claverie montre par là-même que les apparitions représentent des opérations largement contrôlées et négociées en société, et que les vécus et capacités individuels auxquels elles correspondent sont ancrés dans l’action collective - même lorsqu’ils sont apparemment détachés de cette dernière par un effet d’isolement du
« voyant », que ce soit par un acte matériel ou par une expérience de pensée. Ces
phénomènes de visualisation résultent de la mise en place d’une chaine de médiations non réductibles les unes aux autres, qui apparaissent tout aussi essentielles les
unes que les autres, et dont la nature n’est donc pas simplement d’ordre physiologique. Comparativement, étudier des changements d’états du cerveau chez un
« voyant » au moment d’une apparition, pour chercher éventuellement à en identifier les causes matérielles premières, ne reviendrait pas à étudier le « même » phénomène sous un angle complémentaire, mais bien d’emblée à définir et circonscrire le
phénomène autrement.
Les résultats auxquels aboutit Elisabeth Claverie justifient ainsi a posteriori l’étude de
tels faits cognitifs hors des laboratoires. Ils illustrent également l’intérêt plus général
de ne pas limiter les recherches sur les phénomènes cognitifs à la perception d’objets
simples, dans une perspective avant tout matérialiste. Le fait que la complexité de
certains objets soit difficile à percevoir et à interroger en dehors des enquêtes menées
sur le terrain fournit d’ailleurs une raison supplémentaire d’étudier les mécanismes
cognitifs dans ces espaces.
3. LES PROPRIÉTÉS COGNITIVES DES COLLECTIFS
Enfin, les études de cas développées dans le troisième volet de cet ouvrage, consacré
à la présentation de recherches sur les capacités cognitives des collectifs, soulignent
elles aussi la pertinence d’une telle option. Tout d’abord, dans son article intitulé
« Sociologie et cognition collective », Chandra Mukerji analyse les résultats d’une
série de travaux sur la cognition distribuée, et en particulier sur le cas de l’histoire de
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Bernard Lahire & Claude Rosental
la construction du Canal du Midi. L’auteur met ainsi en lumière le rôle, pour la
formation de l’intelligence et pour sa définition même, des techniques, des choses,
des habitudes, des pratiques répétitives, et des actions spontanées (par opposition
aux actions dites « réfléchies » ou préméditées). Elle montre également l’importance
en la matière des collectifs, de leurs interactions, de leur organisation sociale et culturelle, et notamment des négociations, des concurrences et de la recherche de la
domination. Chandra Mukerji précise ainsi en quoi une intelligence plus grande que
celle que l’on peut trouver chez des individus peut naître au sein des collectifs, y
compris lorsque des conflits opposent leurs membres.
Cette thèse trouve un écho dans un second article, rédigé par Susan Leigh Star et
James Griesemer, qui ont étudié comment s’est opérée la coopération d’individus
issus d’horizons divers dans une entreprise de production de connaissances. Cette
entreprise consistait à la fois en l’organisation d’un musée de zoologie (le musée de
zoologie vertébrée de l’Université de Californie à Berkeley) et d’une théorie scientifique (une théorie insistant sur le rôle des facteurs géographiques dans l’évolution
des espèces animales). Les auteurs montrent comment les différents acteurs ont coopéré dans un tel projet grâce notamment à la mise en place de méthodes de standardisation et « d’objets frontières » tels que des répertoires ou des typifications, alors
qu’ils étaient dotés de compétences inégales, d’intérêts diversifiés et de représentations variables sur l’objet commun de leurs contributions (production de connaissances ou autres). Les objets frontières leur permettaient de garder une certaine autonomie, d’agir en fonction de leurs intérêts propres, de procéder à des transactions
avec leurs partenaires, tout en participant à une œuvre collective. Administrateurs
d’université, scientifiques professionnels, naturalistes amateurs, donatrice, trappeurs
et autres animaux pris au piège se trouvaient ainsi coordonnés.
Susan Leigh Star et James Griesemer exposent un cas où la capacité à produire des
connaissances collectivement ne relève pas simplement de l’agrégation de capacités
individuelles, mais aussi de dynamiques et d’éléments extérieurs aux cerveaux des
individus, incluant notamment des choses concrètes et des objets abstraits, une organisation spécifique des échanges et des conciliations d’intérêts. Les auteurs montrent comment la capacité des humains à connaitre peut être distribuée jusque dans
les dispositifs mis en place pour permettre leur coopération. Pour que leurs facultés
individuelles soient utilisables dans le cadre d’un projet collectif, certains modes
d’organisation et certains dispositifs apparaissent nécessaires, qui sont en partie à
l’origine de leurs capacités cognitives communes. Les auteurs analysent comment la
mise en place de ces modes d’organisation et de ces dispositifs peut nécessiter plusieurs années et dépendre fortement de leurs conditions d’émergence. Dès lors, on
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Introduction
comprend que ce type d’étude ne puisse être mené sous la forme d’expériences de
laboratoire, mais relève pleinement d’une démarche de sociologie historique.
Le dernier article de cet ouvrage illustre lui aussi clairement la pertinence d’une approche de sciences sociales, et plus particulièrement d’une analyse pragmatique et
interactionniste, pour l’étude des capacités cognitives des collectifs. Dans ce texte,
Geoffrey Bowker et Florence Millerand analysent un processus de coordination de
chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens, rassemblés autour d’un grand projet de
standardisation des pratiques de gestion des données dans le domaine de l’écologie.
Les auteurs étudient les conditions de développement d’un standard technique (de
métadonnées, c’est à dire de données sur des données) destiné à favoriser le traitement d’un vaste ensemble d’informations par un grand nombre de chercheurs du
domaine. En analysant le déroulement de ce processus, Geoffrey Bowker et Florence
Millerand montrent tout d’abord comment l’émergence d’une capacité collective
d’analyse d’un très grand nombre de données hétéroclites n’est pas sans nécessiter
une infrastructure technique et sociale complexe, et sans soulever de considérables
problèmes de coordination pour les acteurs impliqués. Cette capacité apparait ne pas
pouvoir être simplement obtenue là encore par l’agrégation de facultés cérébrales
individuelles.
Les auteurs montrent également comment l’élaboration d’un standard technique
permet la mise en rapport d’acteurs issus d’univers faiblement connexes, qui ne seraient sinon probablement pas amenés à interagir, à « penser ensemble » et à former
une intelligence collective pour essayer d’exploiter des informations très diverses. La
résorption relative des problèmes de coordination et des divergences de points de
vue rencontrés dans l’élaboration de cet objet frontière est analysée notamment en
termes d’alignement de trajectoires d’acteurs appartenant à différents mondes sociaux. Pour rendre compte des processus à l’œuvre, Geoffrey Bowker et Florence
Millerand introduisent également le concept d’énaction. Ils montrent comment
« implémenter » un standard ne signifie pas simplement « implanter » localement un
dispositif universel et immuable. Cet exercice implique des ajustements tout à la fois
du standard, des outils locaux, et de l’organisation sociale et technique du travail à
tous les niveaux. Le concept d’énaction (qui renvoie à un travail constitutif et de
mise en actes, et non pas à une simple « mise en place ») a justement pour vocation
de rendre compte des ajustements mutuels des dispositifs techniques et des mondes
des acteurs impliqués. Les auteurs proposent ainsi des outils tout à fait généraux
pour analyser une large gamme de phénomènes de cognition distribuée, ceux liés à
« l’implémentation » d’un standard technique.
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Bernard Lahire & Claude Rosental
Cette analyse, comme l’ensemble des études et des réflexions développées dans cet
ouvrage, n’aborde bien sûr qu’une fraction des questions soulevées par l’étude des
faits cognitifs dans les différentes disciplines scientifiques, et en particulier en
sciences sociales. Nous espérons cependant qu’elles contribueront aux débats et aux
clarifications qui s’imposent quant aux rapports entre les différents programmes de
recherche élaborant scientifiquement, chacun à sa manière (avec ses concepts et ses
méthodes propres), les objets de la cognition.
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