Le client mystère digital

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Le client mystère digital
Marketing
Le client mystère digital
Smartphone, l’instrument du renouveau du mystery shopping, la mesure de la satisfaction et de l'expérience client en point de vente
Créé dans les années 40 aux États-Unis, le concept de client mystère, ou "mystery shopping", permet à une entreprise de recueillir l’avis
précieux des consommateurs sur le terrain, pour vérifier la bonne tenue d’un magasin, la présence d’un produit précis ou encore la qualité de
service fixée par le cahier des charges. Aujourd’hui, grâce aux prestataires qui proposent ce type de service, une enseigne peut vérifier un large
spectre de paramètres, le smartphone facilitant beaucoup le retour d’expérience. Le client mystère est donc un outil précieux qui a un coût, mais
pour les marques, l’analyse du ressenti client n’a pas de prix.
par Jessica Huynh
Le serveur l’ignore, mais il est là. Il a tout noté dans sa tête : le temps de prise en charge à l’entrée du restaurant, l’attente pour une carafe d’eau,
ou encore la proposition d’avoir un café à la fin du repas. “Il”, c’est le client mystère qui a été mandaté par une entreprise indépendante pour
apprécier la qualité du service de ce restaurant. Une pratique courante depuis de nombreuses années, qui ne se cantonne pas qu’au monde de
la restauration. Supermarchés, boutiques de vêtements ou de cosmétiques, sites d’e-commerce… Le choix est vaste ! Le “mystery shopping”,
comme on l’appelle en version originale, a émergé aux États-Unis dans les années 40, historiquement dans les secteurs du tourisme. “La
formule naît avec la création des franchises et des succursales. Il s’agit à l’origine d’un mécanisme de contrôle : les maisons mères voulaient
s’assurer au niveau de leurs franchises que l’expérience était homogène sur l’ensemble du réseau”, explique Marc Vanhuele, directeur délégué
et professeur en marketing à HEC.
La technique sert à évaluer, à travers les yeux du consommateur, un point de vente et son personnel de manière objective. La liste de critères
bien définis concerne tout aussi bien la “selling ceremony”, soit le protocole d’accueil et de fin de vente, que la bonne tenue générale de
l’enseigne. Près de trente ans après l’arrivée du mystery shopping en France, la raison principale pour laquelle les marques font appel à un client
mystère n’a pas changé : “Nos clients viennent nous voir pour vérifier la conformité. L’objectif consiste à se rendre dans un point de vente pour
contrôler que ce qui est théoriquement attendu par la marque d’après son cahier des charges est bien appliqué”, résume Thierry Chabrol,
directeur général de BVA Mystery Shopping. “Les missions sont très diverses : pour un restaurant, cela peut être de vérifier si le pain arrive sur la
table du client moins de deux minutes après son arrivée ou, pour un concessionnaire automobile, de s’assurer que le mécanicien contrôle la
pression pneumatique de chaque voiture qui entre”, poursuit-il.
Le client mystère digitalisé
Si le client mystère a longtemps travaillé avec une feuille de papier et un crayon, l’essor des smartphones a fait apparaître de nouvelles sociétés
qui placent au cœur de leurs activités les applis mobiles et les nouveaux services que celles-ci offrent, comme l’utilisation de la photo. Cette
tendance amène une évolution du rôle du consommateur-évaluateur. Fondé en 2012, Clic & Walk ne se définit d’ailleurs pas comme une
entreprise de mystery shopping : “Le client mystère traditionnel valide des standards de manière concrète, par exemple en vérifiant que telle
référence est bien présente en rayon. Nous allons plus loin en demandant si le produit est bien visible et non caché par un poteau”, résume
Frédérique Grigolato, fondatrice de l’appli mobile, qui voit en sa société une manière innovante pour les entreprises de se rapprocher du terrain
avec l’œil du client. “Nous ne faisons pas de l’audit, nous sommes davantage assimilables à de l’étude sur la vision consommateur”, résumet-elle.
Un concept que l’entrepreneure tire de sa carrière passée dans la grande distribution, à la fois sur le terrain et en centrale d’achat. En atteste
l’une des dernières missions proposée aux “clicwalkers” qui concernait deux boutiques parisiennes d’une chaîne de prêt-à-porter féminin : il
s’agissait pour le consommateur d’évaluer subjectivement la présentation des vêtements à l’entrée du magasin, et si celle-ci avait suscité un
coup de cœur. En effet, au-delà de la conformité, le ressenti client prend de plus en plus d’ampleur parmi les préoccupations des marques qui ne
lésinent pas sur les moyens pour recueillir son avis : douze euros ont été reversés à chaque utilisateur qui a complété sa mission avec Clic &
Walk.
La surveillance d’applis
Fondée en 2009, AppVIP est une appli mobile d’un tout autre genre puisqu’elle propose aux utilisateurs de smartphones d’évaluer… d’autres
applis mobile, permettant ainsi aux marques de jauger leurs initiatives sur un plan numérique. Ainsi, chaque semaine, AppVIP soumet à
l’examen de quelque 350 000 consommateurs plusieurs applis aussi diverses que celle d’EDF, d’un site de rencontres ou encore le magazine
numérique du Cap d’Agde. Après téléchargement du programme en question, l’utilisateur répond à un court questionnaire sur son design, la
navigation ou encore l’originalité du concept. Depuis sa création, AppVIP a soumis plus de mille applis au test : “Notre solution est indispensable
aux marques. Plus de cent applis sont éditées chaque jour, même les plus grands noms ont besoin d’un levier de promotion comme le nôtre. En
plus d’un feedback client, nous apportons du volume aux applis qui ont besoin d’une grande communauté pour être viable, comme les réseaux
sociaux ou les sites de rencontres”, avance Thomas Fagot, fondateur d’AppVIP.
Le prix du jugement
Le client mystère sert donc à vérifier, évaluer ou encore partager ses impressions. Encore faut-il savoir ce que l’on cherche à constater : “deux
enseignes vendant des produits similaires peuvent avoir des attentes et des visions d’entreprises différentes. Si quelques bases communes
comme la politesse existent, le reste de l’enquête doit être personnalisé avec la marque”, assure Aurélien Daussy, fondateur de la société
nantaise Qualivox. En aval, il s’agit de bien décrypter les données recueillies à la suite d’une opération de mystery shopping. L’enjeu existe,
puisque le prix de celle-ci n’est pas négligeable, surtout si elle est amenée à être renouvelée régulièrement : entre 5 000 et 10 000 euros chez
Clic & Walk, 2 000 et 8 000 euros pour AppVIP, tandis que Qualivox table sur une fourchette comprise entre 50 et 100 euros par point de vente
physique visité.
La clé d’une mission réussie : “réussir à faire vivre le rapport pour que l’opération devienne un vecteur de croissance et d’épanouissement”,
conseille Aurélien Daussy. Dans ce but, deux documents sont remis à l’entreprise cliente : “l’un est un rapport contenant des données brutes qui
peut être utilisé par l’animateur réseau au niveau local, tandis que le second apporte une vision transverse de la prestation, plutôt exploitée par le
siège en travaillant des points de formation sur le plan global”, explique le dirigeant de Qualivox. Pour lui, toutes les marques qui jouent le jeu en
tirent un bénéfice difficilement quantifiable, mais bien réel : “travailler sur la relation client leur permet indéniablement de gagner de l’argent”. Et
ce, souvent grâce à des ajustements peu coûteux comme modifier légèrement une installation, ou redéfinir quelques points du protocole
d’accueil du client.
Un client mystère “professionnel” ?
Le client mystère, solution marketing miracle ? Pas si sûr. La technique, bien qu’elle ait déjà fait ses preuves, comporte des écueils et souffre de
quelques idées reçues. “Une enquête n’est pas représentative ; les clients ont parfois du mal à l’entendre. Un client mystère s’utilise à un instant
T : son expérience ne peut pas être interprétée comme une vérité générale”, explique Aurélien Daussy. Le chef d’entreprise émet également
quelques réserves quant aux clients mystère devenus “professionnels” : “cette catégorie de consommateurs n’a plus du tout la vision client”,
pense-t-il. La critique revient aussi chez Marc Vanhuele, professeur et directeur délégué de HEC Paris : “plus un client mystère est rodé à ce
genre de pratique et plus son regard est biaisé sur le terrain. Là réside la faiblesse principale de la formule”, assure le professeur. Selon lui, le
mystery shopping doit être complété par d’autres techniques comme l’audit professionnel et le sondage du consommateur après achat. En
matière de satisfaction client, le premier des conseils reste avant tout le plus logique : “Au final, il faut traiter chaque consommateur comme s’il
était un client mystère”, conclut-il.
Client mystère et droit social
Le consommateur en reste-t-il un quand il réalise une mission de client mystère ? Les divers modes de rémunération proposés attestent du flou juridique qui entoure son
statut. Certaines sociétés optent pour une compensation financière pour le temps passé à évaluer une enseigne, que ce soit via des chèques cadeaux, ou par exemple en
remboursement d’une consommation dans le cadre d’une mission au restaurant. D’autres choisissent une rétribution financière classique par virement bancaire. “Les fraudes
existent dans notre secteur. La plus fréquente consiste à faire travailler un client mystère sans le salarier. C’est apparenté à du travail dissimulé puisque sans aucune
cotisation derrière”, dénonce Aurélien Daussy, fondateur de la société nantaise Qualivox, qui précise embaucher les consommateurs via un CDD. “Ces entreprises-là
prétextent que le client mystère n’est pas un salarié, mais elles ne peuvent nier le briefing en amont, un engagement et des consignes à suivre derrière”, poursuit-il.
Franc Muller, avocat spécialisé dans le droit du travail inscrit au barreau de Paris, approuve fermement : “Il s’agit d’une prestation de
services au sens propre. Elle doit donner lieu à un contrat ou bien à un règlement sous forme de facture, puisqu’il existe un lien de
subordination”, résume-t-il. Ainsi, logiquement, si le client mystère peut être assimilé à un salarié, les revenus qu’il perçoit doivent être
déclarés à l’administration fiscale. “En fonction du statut du client mystère par rapport à son employeur, qu’il soit salarié ou indépendant, les
revenus tirés de l’activité seront à déclarer soit en salaires soit en bénéfices non commerciaux”, précise la cellule communication de la
Direction générale des finances publiques.
Rare vidéo
Si les missions de mystery shopping aux États-Unis font régulièrement appel à des enregistrements vidéo, la pratique reste occasionnelle en France. Principalement pour des
raisons légales, selon Aurélien Daussy, fondateur de Qualivox : “nous faisons très peu appel à la vidéo car pour filmer quelqu’un, il faut au préalable lui demander son aval.
Nous l’avons fait une fois pour une enseigne qui a fait signer une autorisation à tous ses salariés ! La vidéo n’apporte pas grand-chose de plus et je ne suis pas sûr que toutes
les bandes soient visionnées. Au final, le récit du client mystère est bien plus informatif”. Chez BVA Mystery Shopping, les contraintes techniques d’une vidéo sont plus
importantes que le gain qu’elle pourrait apporter : “ce que l’on remarque, c’est l’usage du smartphone qui permet plus d’interaction avec le client mystère. En revanche, les
vidéos restent plutôt rares, car lourdes et compliquées à envoyer. Au final, elles n’apportent rien de vraiment pertinent à l’enquête”, résume Thierry Chabrol, son directeur
général.
On peut toutefois noter une évolution dans l’utilisation de la vidéo : alors qu’elle avait pour vocation première d’enregistrer les employés
d’une entreprise, elle sert aussi à donner à une marque de précieux renseignements sur l’environnement du consommateur. “Nous avons
mis en place la vidéo il y a six mois sur notre appli pour des missions un peu particulières. Notre métier consiste à connecter la marque à la
vraie vie des gens. La vidéo leur permet ce lien : si, par exemple, une marque veut comprendre comment les consommateurs rangent leurs
placards de cuisine, nous pouvons demander à nos clicwalkers de faire une vidéo chez eux”, raconte Frédérique Grigolato, fondatrice de
Clic & Walk. “L’avantage d’une vidéo, c’est qu’ils peuvent commenter en filmant et justifier leurs choix. La vidéo rend la mission plus
interactive”, conclut-elle.
Impossible de quantifier le nombre de clients mystère : toutefois, BVA Mystery Shopping, l’un des leaders du marché, s’appuie sur une base de 100 000 dans le monde.
Historiquement, le client mystère a toujours attiré une majorité de femmes, de l’ordre de 70 % chez Qualivox. Un phénomène qui a tendance à
s’égaliser quand il s’agit des applis mobile Clic & Walk et AppVIP qui annoncent tous deux obtenir un équilibre presque parfait entre les deux
sexes.
Publié le 01/12/2016
Rubriques : Les dossiers | Marketing & Communication

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